Читать бесплатно книгу «Histoire littéraire d'Italie (1» Pierre Ginguené полностью онлайн — MyBook

Quant à ces hommes si célèbres dans leur temps, dont Charles se servit pour acquérir et pour répandre l'instruction (je ne parle que de ceux qui étaient Italiens), ils nous donnent, par le genre et le mérite de leurs connaissances et de leurs ouvrages, une idée de l'état où les sciences étaient alors. Pierre de Pise, qui passa le premier en France, lorsqu'il était déjà vieux 133, et qui peut être regardé, selon l'expression de du Boulay 134, comme le premier fondateur de l'école palatine et royale, n'enseignait que la grammaire à Pavie, quand Charlemagne l'y trouva, et ce fut aussi la seule science qu'il apprit au roi et qu'il fut chargé de professer dans son palais; mais il était de plus, en sa qualité de diacre, très-savant théologien. Alcuin dans une de ses lettres à l'Empereur, rapporte qu'il avait autrefois rencontré Pierre dans cette même ville, soutenant sur la religion, contre un juif, une dispute publique 135. Enfin, quoiqu'il ne soit pas ordinairement compté parmi les poètes nombreux de ce siècle, il faisait aussi des vers, comme nous le verrons bientôt. Mais surtout il aimait les lettres et leur enseignement: il y fut livré toute sa vie; et son âge, et ses longs services lui donnaient beaucoup d'autorité. On ne parle point de son retour dans sa patrie; comme il était vieux quand il vint en France, il est probable qu'il y mourût.

Paul Diacre, que l'on ne désigne ordinairement que par cette qualité, mais dont le nom était Paul Warnefrid, était autrement placé dans le monde, et y jouait un rôle distingué, quand il fut connu de Charlemagne. Il était né dans le Frioul, de parents d'origine lombarde. Après avoir fait ses études à Pavie, il avait été ordonné diacre, et s'était déjà fait sans doute une réputation, lorsque Didier monta sur le trône des Lombards, d'où il devait bientôt descendre. Le nouveau roi appela Paul auprès de lui, le fit son conseiller intime et son chancelier 136. Charlemagne ayant pris Pavie et détrôné Didier, offrit, dit-on, à Paul ses bonnes grâces; mais, par attachement pour son roi, il aima mieux se retirer de la cour, et peu de temps après il se fit moine au monastère du mont Cassin. Lorsque Charlemagne, en 781, se fit couronner à Rome empereur d'Occident, Paul lui adressa une élégie latine, pour lui demander la liberté de son frère, détenu depuis sept ans prisonnier en France; et ce fut sans doute cette pièce, très-élégante pour ce temps-là, qui détermina l'empereur, alors fortement occupé de rétablir les études en France, à y amener Paul avec lui 137. Il n'y resta que cinq ou six ans, mais on ne peut douter qu'un homme aussi supérieur à son siècle qu'il l'était à beaucoup d'égards, ne contribuât partout où il séjournait pendant quelque temps à y réveiller le goût des lettres. De retour au mont Cassin, dont il avait toujours regretté la solitude paisible, il y mourut dix ou onze ans après 138.

On dit que Paul savait la langue grecque, et que Charlemagne le chargea d'y instruire les clercs ou ecclésiastiques, qui devaient accompagner, en Orient, Rotrude, sa fille, promise à Constantin, fils de l'impératrice Irène 139. C'est ici le lieu d'observer que, malgré la décadence des lettres, l'étude du grec n'était pas entièrement abandonnée en Italie, surtout à Rome, où les papes étaient obligés à une correspondance suivie avec les empereurs et les évêques grecs, et ne pouvaient l'entretenir que par des interprètes fixés auprès d'eux, et capables d'écrire facilement dans cette langue 140. Aussi vit-on au huitième siècle, le pape Paul Ier. fonder à Rome un monastère dont il exigea que les moines officiassent en grec. Plusieurs Papes firent la même chose dans le siècle suivant, surtout Etienne V et Léon IV 141; mais les études de ces hellénistes du neuvième siècle, ne s'étendaient pas plus loin qu'à ce qu'exigeaient les besoins de la cour de Rome, et peut-être à la lecture de quelques-uns des Pères grecs.

C'est surtout comme historien et comme poète, que Paul Diacre se rendit célèbre: il ne conserve aujourd'hui quelque célébrité que comme historien. Il était cependant (si l'on en veut croire les éloges que Pierre de Pise lui adressait en vers au nom de l'Empereur lui-même), un Homère dans la langue grecque, dans le latin un Virgile, dans l'hébreu un Philon, un Horace en poésie, etc. 142; mais on sait combien il faut rabattre de toutes ces louanges, et Paul nous le dit lui-même, en répondant à Pierre, ou plutôt à Charlemagne, qu'il ne sait point le grec, qu'il ignore l'hébreu, que toute sa gloire dans ces deux langues, consiste en trois ou quatre syllabus qu'il avait apprises dans les écoles 143. Mais peut-être sa modestie exagère-t-elle ici dans le sens contraire, surtout à l'égard du grec. Parmi les ouvrages historiques qu'il a laissés, on distingue principalement son Histoire des Lombards 144. C'est la seule que nous ayons de ces peuples, et quoiqu'elle soit aussi décriée par le défaut de critique, les récits fabuleux et l'inexactitude chronologique, que par son style, on est heureux de l'avoir, puisque sans elle on ignorerait une multitude de faits et de détails importants. Ce prétendu rival d'Horace, composa plusieurs hymnes. Le plus connu, est celui de saint Jean-Baptiste, Ut queant laxis resonare fibris, qui n'est pas un chef-d'œuvre de poésie, mais qui est devenu, comme nous le verrons, une sorte de monument en musique.

Paulin, que l'on nommait le grammairien, dont Charlemagne fit un patriarche d'Aquilée; et dont l'église a fait un Saint, n'était point né en Austrasie ni en Autriche, comme quelques auteurs l'ont prétendu, mais dans le Frioul, où il enseignait depuis long-temps la grammaire, quand Charles s'empara de cette province 145. Il ne suivit point en France le conquérant de l'Italie. Revêtu de l'une des grandes dignités de l'église, il en remplit les devoirs utilement pour son nouveau Souverain. Il fut appelé à tous les synodes que l'Empereur fit assembler en Allemagne, en France et en Italie, et rédigea les décrets de plusieurs. Charles et Alcuin lui-même avaient la plus grande estime pour lui, le consultaient dans les affaires et dans les questions délicates, et l'engagèrent à composer divers ouvrages contre les hérésies de ce temps. Les Italiens et les Français reconnaissent en lui un des hommes qui contribuèrent le plus à entretenir dans Charlemagne l'amour des sciences, et à en répandre le goût par ses discours et par son exemple.

Théodulphe était Goth d'origine et né en Italie. La réputation qu'il y avait acquise dans les lettres, engagea Charlemagne à l'appeler en France. Il lui donna l'évêché d'Orléans, bientôt après l'abbaye de Fleury: il le combla de richesses, d'honneurs et de témoignages de confiance. Théodulphe ne se montra point ingrat pendant la vie de Charles; mais après sa mort il fut enveloppé dans la révolte de Bernard, roi d'Italie, contre Louis-le-Débonnaire, et dans sa ruine. Malgré toutes les protestations qu'il fit de son innocence, il fut arrêté, comme tous les autres évêques qui avaient pris part à cette révolte, et renfermé à Angers dans un couvent; il mourut en 821, au moment où, ayant obtenu sa grâce, ainsi que tous ses complices, il se disposait à retourner dans son évêché. Outre plusieurs ouvrages de sa profession, écrits en prose latine qu'on ne peut lire, on a conservé de lui six livres de vers, tant sacrés que profanes, aussi illisibles que sa prose. Entre plusieurs élégies qu'il composa pendant sa captivité, on en distingue une, qui est devenue un hymne de l'église, et dont les vers sont rimés du milieu à la fin, comme il était déjà d'usage dans cette poésie latine dégénérée. Elle commence par ce vers:

Gloria, laus et honor, tibi sit rex Christe redemptor 146

On a prétendu que, s'étant mis à chanter à pleine voix cette élégie dans sa prison, lorsque l'empereur Louis passait dans la rue, ce fut ce qui lui fit obtenir sa liberté: mais c'est une fable sans vraisemblance.

Malgré l'exemple et les travaux de ces savants et de plusieurs autres, répandus dans les différentes parties de l'Italie, l'impulsion donnée aux études par Charlemagne, fut passagère et ne lui survécut pas. Elle eût été plus durable, peut-être dès ce moment l'Italie aurait vu le génie des lettres reprendre son essor, si elle eût été moins profondément ensevelie sous ses propres débris, et si Charlemagne eût fait un plus long séjour au-delà des Alpes. Mais trop d'objets, trop de pays divers, trop de parties de son vaste Empire l'appelaient à la fois; il encouragea, honora et récompensa les savants; le reste il le laissa tout entier à faire, et, malgré le mouvement qu'il avait imprimé aux esprits, ils croupirent long-temps encore, ou plutôt ils s'enfoncèrent bientôt plus avant que jamais dans l'invincible ignorance où les retenaient et le manque absolu de bons livres, et les traces profondes que laissaient après eux plusieurs siècles de barbarie.

Une autre raison s'opposait encore à ce que les germes semés par Charlemagne, produisissent pour les lettres en général des fruits réels et surtout durables. «Si je pénètre, avec attention, dit l'ingénieux Bettinelli 147, dans le secret de ces temps et de leurs mœurs, je crois trouver, outre les maux causés par les successeurs de ce monarque, une raison du triste succès de tant d'espérances. Réformer des peuples et des états lui parut être, comme en effet ce l'est et le fut toujours, une grande, mais très-difficile entreprise; il pensa que la religion était le moyen le plus facile et le plus efficace pour contenir et assujétir les peuples les plus féroces, quand il les avait conquis; c'est donc de ce côté qu'il tourna toutes ses vues. Ses conseillers furent des hommes religieux; et le moine Alcuin fut le premier de ses confidents. Leur zèle n'ayant pour objet que les études sacrées, leur donna des préventions contre les anciens auteurs grecs et latins, qu'ils regardèrent comme des corrupteurs de la morale chrétienne et ils les bannirent des écoles, tellement que Sigulfe, disciple d'Alcuin, et moins scrupuleux que lui, eut ensuite beaucoup de peine à les remettre en crédit. Si Charlemagne eût moins méprisé les anciens 148, il lui eût été plus facile de faire aux arts et aux études un bien durable, par l'attrait du plaisir, et par les exemples de bon goût et de bon style que fournissent les langues mortes».

Le savant abbé Andrès est de la même opinion, et lui a donné plus de développements 149. L'Empereur, Alcuin, Théodulphe et tous les autres qui travaillèrent à la réforme des études, n'avaient, dit-il, d'autre objet en vue que le service de l'église; ils n'avaient pas tant à cœur de faire d'habiles littérateurs, que d'élever de bons ecclésiastiques. Aussi, dans toutes les écoles qu'ils fondèrent, on n'apprenait guère que la grammaire et le chant de l'église… Si dans quelques-unes on s'occupait des arts libéraux, c'était uniquement pour aider à l'intelligence des lettres sacrées… Les maîtres eux-mêmes n'en savaient pas davantage, et ne pouvaient enseigner autre chose à leurs disciples. Le grand Alcuin dont les auteurs contemporains ne parlent que comme d'un prodige de science, n'était après tout qu'un médiocre théologien, et ses connaissances si vantées, en philosophie et en mathématiques, ne s'étendaient qu'a quelques subtilités de dialectique, et à ces premiers éléments de musique, d'arithmétique et d'astronomie, nécessaires pour le chant et pour le comput ecclésiastiques…

«Les promoteurs des études et les maîtres ayant donc des idées si étroites des sciences, quels progrès pouvait-on espérer de leurs soins et de leurs leçons? On fondait des écoles; mais pour apprendre à lire, à chanter, à compter et presque rien de plus: on établissait des maîtres; mais il suffisait qu'ils sussent la Grammaire; si quelqu'un d'eux allait jusqu'à entendre un peu de mathématiques et d'astronomie, il était regardé comme un oracle. On recherchait des livres, mais seulement des livres ecclésiastiques; il n'y avait pas dans toute la France, un Térence, un Cicéron, un Quintilien… 150. Les hymnes de l'église et les ouvrages de quelques Pères étaient pris pour modèles du bon goût dans l'art d'écrire en prose et en vers, et celui qui s'approchait le plus en latin du style de S. Jérôme ou de Cassiodore, passait pour un Cicéron…

«Si Charlemagne et Alcuin avaient conçu de plus justes idées de la littérature, au lieu de tant de peines, de voyages et de dépenses inutiles, combien ne leur eût-il pas mieux réussi de se procurer et de multiplier les copies des auteurs des bons siècles, de ressusciter l'étude si nécessaire de la langue grecque? En apprenant à goûter dans les écoles les grands poètes et les grands orateurs, on aurait pu faire renaître la belle poésie et la solide éloquence. On aurait appris à bien penser et à bien écrire; et les études ecclésiastiques elles-mêmes y auraient autant gagné que les études purement littéraires.»

Ces réflexions judicieuses de deux très-bons esprits, et de deux auteurs très-orthodoxes, n'ont point eu de contradicteurs en Italie. Des écrivains français, non moins orthodoxes qu'eux, les Bénédictins, auteurs de l'Histoire littéraire de la France, ont pensé la même chose et ont écrit dans le même sens. Ils disent plus positivement encore 151 que dans l'école de S. Martin de Tours, l'une des plus florissantes que Charlemagne fit établir, Alcuin défendit à Sigulfe, son disciple, de lire Virgile aux élèves, de peur que cette lecture ne leur corrompît le cœur. Ce ne fut qu'après la mort de ce rigide président des études, que Sigulfe put donner un libre essor à son goût pour les bons modèles. L'école de Ferrières dans le Gâtinais, s'éleva bientôt au-dessus de toutes les autres, par l'étude qu'on y fit des anciens. Le célèbre abbé Loup, qu'on appelle Loup de Ferrières, eut pour eux une prédilection, dont on aperçoit les traces dans ses écrits. De toutes les lettres latines de ce temps, qui se sont conservées, les siennes sont les seules où il y ait quelque idée de bon style. «Il semble, dit expressément D. Rivet 152, que nos autres écrivains auraient pu mieux réussir qu'ils n'ont fait, s'ils avaient eu autant d'attention que lui à former leur style sur celui des anciens». Mais dans tous les soins que se donna l'Empereur, et que prirent sous ses ordres les ministres de ses volontés, pour rétablir une belle écriture, pour se procurer et rendre plus communs de bons et de beaux manuscrits, soins qui furent pris à grands frais, et portés quelquefois jusqu'à la plus grande magnificence, on voit qu'il n'était jamais question que de bibles, d'évangiles, de missels, d'antiphonaires, de pénitentiels, de sacramentaires, de psautiers: on n'entend point parler d'un manuscrit de Cicéron ou de Virgile.

Les mêmes effets furent encore une fois le résultat des mêmes causes. Les lettres encouragées et renouvellées en France par Charlemagne, mais, trop exclusivement consacrées à un seul objet, n'eurent pas le temps de jeter de racines; elles ne produisirent presque aucun fruit: elles se retrouvèrent, après ce grand effort, telles qu'elles étaient auparavant, et dans le même état d'inertie et de nullité. Elles se soutinrent un peu pendant les premières années du neuvième siècle: dans les suivantes, elles commencèrent à déchoir: le milieu du siècle leur fut encore plus fatal: elles disparurent de nouveau entièrement à la fin 153.

Ce ne fut pas non plus à Charlemagne, ce fut encore moins à son fils Louis, qu'en France on nomme le débonnaire, en Italie le pieux, et qu'on devrait partout appeler le faible, comme Voltaire, mais ce fut à Lothaire, fils de Louis, que l'Italie dut ses premiers établissements fixes d'instruction, et ses premiers pas marqués vers la renaissance. Un de ses capitulaires, qui n'a été publié que dans le dix-huitième siècle 154, établit à Pavie et dans huit autres villes, des écoles dont il fixe l'arrondissement. Mais son règne agité, ceux des autres empereurs de sa maison plus agités et plus faibles encore, ne furent pas propres à faire fleurir ces écoles naissantes. Après la mort du dernier d'entre eux, Charles-le-Gros, les guerres civiles et tous les maux qu'elles entraînent, déchirèrent de nouveau l'Italie, et la replongèrent, avant la fin du neuvième siècle, dans cet abîme de barbarie et d'infortunes, d'où elle commençait à peine à espérer de sortir.

On doute si l'on doit compter parmi le peu d'hommes qui se distinguèrent encore dans les lettres pendant cette triste époque, un prêtre de Ravenne, nommé Agnello, que l'on appelle aussi André. Il a laissé un recueil de vies des évêques de cette église, qui n'ont d'autre mérite que de nous avoir conservé plusieurs faits de l'histoire sacrée et profane, et plusieurs traits relatifs aux mœurs de ce temps, que l'on ne trouve point ailleurs 155. Il y eut aussi alors un Jean, Diacre de l'église romaine, auteur de la vie de Grégoire le-Grand et de quelques autres écrits. Un autre Jean, Diacre de l'église de Saint-Janvier à Naples, avait précédemment écrit les vies des évêques de cette ville, depuis l'origine, jusque vers la fin du neuvième siècle où il vivait. Muratori les a publiées le premier dans sa grande collection 156. Il y a inséré, ce semble, à plus juste titre l'ouvrage d'Anastase, surnommé le Bibliothécaire, qu'il ne faut pas confondre, comme l'ont fait quelques auteurs 157

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