Читать бесплатно книгу «Histoire littéraire d'Italie (1» Pierre Ginguené полностью онлайн — MyBook

La collection qui fut confiée à ses soins, n'était pas considérable, et ne l'avait jamais été. C'étaient d'abord de simples archives. On y joignit ensuite quelques livres, la plupart de théologie. Dans le huitième siècle 158 le pape Paul Ier avait envoyé au roi Pepin tous les livres qu'il put trouver. Or, en quoi consistait cette bibliothèque envoyée par un pape à un roi de France? Le catalogue en est dans la lettre même. C'est un Antiphonaire, un Responsal, ou livre de répons, et de plus la grammaire d'Aristote (il faut sans doute lire la logique, ou la dialectique; car Aristote n'a point fait de grammaire); les livres de Denis l'aréopagite, la géométrie, l'orthographe, la grammaire, tous livres grecs 159. Les livres étaient devenus rares de plus en plus, et il est probable que la bibliothèque pontificale participait à cette disette; elle eut cependant toujours un bibliothécaire en titre, quoique peut-être souvent sans fonctions 160.

Les premiers ouvrages d'Anastase furent des traductions du grec: elles sont en grand nombre, la plupart peu intéressantes pour le commun des lecteurs, et plus recommandables par la fidélité que par le style 161; mais l'ouvrage qui a fait sa réputation, est son Livre pontifical ou Recueil des vies des pontifes romains 162. On a longuement et fortement discuté la question de savoir si Anastase en était véritablement l'auteur. Le résultat le plus certain paraît être qu'il avait tiré ces vies des anciens catalogues des pontifes romains, des actes des martyrs que l'on conservait soigneusement dans l'église romaine, et d'autres mémoires déposés dans les archives de différentes églises de Rome 163. L'ouvrage ne lui en appartient pas moins, et n'en paraît que revêtu de plus d'autorité. Ce n'est du moins pas l'auteur que l'on doit accuser de ce qu'on y peut trouver d'inexact. Son seul tort est d'avoir manqué de critique dans un siècle où la critique n'était pas connue; ce qu'on ne peut pas plus lui reprocher que l'inélégance de son style.

Le dixième siècle fut encore plus malheureux. Les invasions et les dévastations des Hongrois et des Sarrazins, le règne anarchique de Bérenger, qui les combattit, et qui n'eut pas moins de peine à combattre les ducs, les marquis et les comtes, chefs des petits états d'Italie, formés des débris de la monarchie Carlovingienne, enfin le règne de Hugues de Provence, qui abaissa ces petites puissances, mais qui n'établit la sienne que par des vexations et par des crimes, et fut obligé de la céder à un autre Bérenger, marquis d'Ivrée, toutes ces causes destructives remplirent la moitié du dixième siècle de convulsions et de boulversements. Alors l'anarchie fut complète. Le règne des Othon ne la termina qu'en apparence, et ne put, dans le reste de ce siècle, rouvrir de nouvelles chances pour la renaissance des lettres. Le premier de ces empereurs, justement honoré du nom de Grand, accorda aux villes italiennes un bienfait d'un grand prix, le gouvernement municipal, premier pas qu'elles eussent fait depuis long-temps vers la liberté. Le troisième Othon, au contraire, qui paya bientôt de sa vie cette violation de la foi jurée, éteignit à Rome, par trahison, dans le sang de Crescentius et de ses partisans, un simulacre de république romaine, qui s'était ranimé à la voix de ce consul 164.

Pendant ce temps, les papes dominés dans Rome, où ils ne régnaient pas encore, pressés tantôt par les Sarrazins, qui s'étaient jetés de la Sicile sur l'Italie, tantôt par les Allemands ou par les Romains eux-mêmes, ne pouvaient faire ce que les empereurs ne faisaient pas. Plus occupés de s'agrandir que d'éclairer les peuples, engagés dans des luttes éternelles avec l'Empire, et trop souvent donnant par la dissolution des mœurs un spectacle dont, non seulement la piété, mais la philosophie est forcée de détourner les yeux 165, ils laissèrent les ténèbres de l'ignorance s'épaissir de plus en plus.

Deux évêques forment en Italie presque toute la littérature ecclésiastique de ce siècle: l'un est Atton, évêque de Verceil, que les savants auteurs de notre Histoire Littéraire ont trop légèrement soutenu appartenir à la France 166; l'autre Ratérius, évêque de Vérone, né à Liége, mais conduit jeune en Italie, dont la vie fut une suite d'orages et de vicissitudes, et qui, ramené plusieurs fois de Vérone à Liége, en France, en Allemagne, destitué, chassé, rétabli, incarcéré, délivré tour à tour, se trouva enfin trop heureux d'aller finir tant d'agitations à Namur, obscurément chargé de gouverner quelques petites abbayes 167. C'étaient deux savants qui auraient peut-être brillé, même avant que les lettres fussent tombées dans une si entière décadence. On a donné dans le dernier siècle, des éditions de leurs œuvres 168. Elles appartiennent toutes à leur état, ou aux circonstances de leur vie. Ratérius, surtout, eut souvent besoin d'apologies pour sa conduite ambitieuse et inconstante, et il ne les épargna pas. On trouve dans ses lettres, et dans ses autres ouvrages, de fréquentes citations des anciens, qui prouvent qu'il alliait dans ses études, plus qu'on ne le faisait de son temps, les auteurs sacrés et profanes.

Nous parlerons plus loin de l'historien Liutprand, qui appartient à cette époque, mais qui tient, par les missions politiques dont il fut chargé, au tableau de l'état où était alors l'empereur d'Orient. C'est au neuvième siècle qu'il faut placer l'Anonyme de Ravenne, auteur d'une Géographie en cinq livres, que l'on a tirée, en 1688, des manuscrits de la Bibliothèque du roi, et de l'oubli où elle avait été justement laissée 169; mais nous ne nous y arrêterons pas. Tiraboschi, quelque peu disposé qu'il fût à une critique sévère, a traité avec le dernier mépris 170 cet ouvrage, que d'autres savants n'ont cependant pas cru indigne de leur attention et de leurs recherches. Il reproche à l'Anonyme d'avoir le style le plus barbare et le plus obscur, où l'on ait peut-être jamais écrit; de confondre souvent les noms de villes, de fleuves et de montagnes 171; de citer comme autorités des auteurs qui n'existèrent jamais que dans sa tête; de n'être qu'un imposteur ignorant, qu'un misérable copiste de la carte de Peutinger 172, et de quelques autres géographies plus anciennes: il trouve enfin que c'est perdre du temps que d'examiner, comme d'autres se sont donné la peine de le faire, si ce fut vraiment dans l'un de ces deux siècles, ou même plus tard, que cet auteur a vécu, ou si ce ne fut point dans le septième ou huitième; si cet auteur est, ou n'est pas, un certain prêtre de Ravenne, nommé Guido, qui avait, dit-on, écrit quelques ouvrages historiques; enfin, si cette géographie est telle qu'il l'avait écrite, ou si elle en est seulement un abrégé; toutes questions intéressantes à faire sur un bon livre, mais nullement sur un aussi mauvais.

Tel était donc le triste état où languissaient toutes les branches de la littérature, moins de deux siècles après que Charlemagne eût produit cette grande révolution qu'on lui attribue, qui fut réelle, mais passagère, et qui a plus servi à la gloire de son nom qu'aux progrès de l'esprit humain. Le commencement d'un nouveau siècle fut comme l'aurore du jour qui devait dissiper une si longue et si épaisse nuit.

Ce n'est pas que l'Italie ne fût alors aussi troublée que jamais. Depuis les Alpes jusqu'à Rome, les tentatives inutiles pour se donner un roi indépendant; les guerres qu'elles occasionèrent avec les Empereurs, et celles qui, pour la première fois, armèrent différentes villes les unes contre les autres, selon qu'elles prenaient parti, ou pour l'indépendance, ou pour la soumission à l'Empire; les querelles, de plus en plus animées, des papes et des empereurs, nouveau sujet de divisions entre les évêques, entre les seigneurs et entre les villes; les élections achetées 173 ou forcées 174; les schismes, les papautés doubles et triples; partout des désastres, des barbaries et des scandales: dans ce qui est au-delà de Rome, la lutte sanglante d'un reste de Grecs, d'un reste de Lombards 175; et de quelques brigands Sarrazins, terminée par l'épée des aventuriers Normands, qui soumirent les uns et les autres, et fondèrent un état puissant; les républiques florissantes de Naples, de Gaëte et d'Amalphi, les premières dont l'histoire moderne consacre le souvenir, disparaissant dans cette lutte, et Robert Guiscard, le plus célèbre de ces aventuriers, brûlant et saccageant Rome même, pour sauver de la vengeance de l'empereur Henri IV, l'orgueilleux pape Grégoire VII: telle fut, dans le onzième siècle, la position générale de l'Italie; et l'on ne voit pas ce qu'elle pouvait avoir de favorable à la régénération des lettres.

C'est une époque bien remarquable dans l'histoire de la papauté, que celle où cet archidiacre Hildebrand, devenu pape sous le nom de Grégoire VII 176, entreprit d'élever le saint-siége au-dessus de tous les trônes, et où, pour le malheur de l'Europe entière, il réussit dans cette entreprise! Il la poursuivit avec toute la ténacité de son caractère, toute l'énergie de son ambition et de son courage. Il voulut d'abord que les papes, qui n'étaient point encore souverains dans Rome, eussent une souveraineté réelle et territoriale, qui leur donnât un rang parmi les puissances; et il trouva dans la comtesse Mathilde, dans sa docilité crédule pour un pontife devenu directeur de sa conscience, dans sa haine et ses ressentiments héréditaires contre les empereurs d'Allemagne 177, tous les moyens d'y parvenir. Il eut l'art d'obtenir d'elle la donation de tous ses états, dont elle ne se réserva que l'usufruit. Le pouvoir des passions auxquelles elle obéissait, est tel, qu'il a mis en quelque sorte à couvert la réputation des mœurs de Grégoire VII. L'écrivain le moins habitué à ménager les papes vicieux et corrompus, Voltaire, a reconnu lui-même 178, qu'aucun fait, ni même aucun indice, n'a jamais confirmé les soupçons qu'avaient pu faire naître les liaisons intimes, la fréquentation assidue du pape, et l'immense libéralité de la comtesse.

Grégoire suivait en même temps, avec autant d'ardeur que d'audace, l'autre partie de son plan. Il arrachait ou disputait à outrance aux rois l'investiture des bénéfices. Il écrivait en maître à ceux d'Angleterre, de Danemark et de France. Lui, qui ne s'était cru pape, que lorsque l'empereur Henri IV eut confirmé sa nomination, il excommuniait, il déclarait déchu cet empereur même, il le forçait de se soumettre aux épreuves les plus pénibles et les plus honteuses 179, et foulait aux pieds, dans sa personne, la tête humiliée de tous les rois.

Les lettres de ce pontife existent 180. Elles déposent de la hardiesse de ses projets et de la force de son génie, en même temps qu'elles sont des pièces importantes pour l'histoire de la souveraineté temporelle des papes 181. Elles donnent à celui-ci, quant au style, une place peu distinguée dans l'Histoire littéraire. Il n'en a une, comme bienfaiteur des lettres, ou du moins des études, que par l'ordre qu'il donna aux évêques, dans un synode tenu à Rome 182, d'entretenir, chacun dans leurs églises, une école pour l'enseignement des lettres 183; mais il n'entendait par là que ce qu'on avait entendu jusqu'alors: cet enseignement des lettres n'avait rien de littéraire; et l'on ne voit encore là, pour le onzième siècle, aucun avantage sur les précédents.

C'est à ce siècle, cependant, que les Italiens assignent les premiers mouvements de la renaissance: c'est l'époque qu'ils désignent par le nom de ce siècle même, et qu'ils appellent avec respect le Mille, il Mille. Mais le cours du mal, suspendu seulement par Charlemagne, devenu plus rapide depuis sa mort, était arrivé à l'extrême: il n'y avait, pour ainsi dire, plus de degrés d'ignorance, où les esprits pussent encore descendre. Il fallait qu'ils suivissent enfin cette loi d'instabilité qui les entraîne; que les sciences et les arts sortissent de leurs ruines, et recommençassent à s'élever, jusqu'à ce qu'ayant repris toute leur splendeur, de nouvelles causes ramenassent un jour une dégénération nouvelle.

Parmi celles qui devaient les faire renaître, il en est qu'on a peu observées, mais qui ne laissèrent pas d'influer puissamment sur l'esprit de ce siècle. C'est, par exemple, une circonstance qui paraît peu importante, que cette opinion de la prochaine fin du monde, répandue par le fanatisme intéressé des moines, et dont les imaginations étaient préoccupées. Cependant on ne saurait croire combien elle fit de mal jusqu'au dernier jour du dixième siècle, et quel bien résulta de l'apparition naturelle, mais inattendue, du jour qui commença le onzième 184. L'horreur toujours présente d'une désolation universelle, fondée sur des prédictions répandues et interprétées par les moines qui en retiraient d'opulentes donations, avait en quelque sorte éteint toute espérance, toute pensée relative à un avenir, où personne ne comptait plus ni exister même de nom, ni revivre dans ses descendants, et dans la mémoire des hommes, tous destinés à périr à-la-fois. Ce désespoir devait ne permettre d'autre sentiment que celui de la terreur; il devait tourner toutes les idées vers une autre vie, et n'inspirer, pour les choses de ce monde, qu'indifférence et abandon. Mais quand le terme fatal fut passé, et que chacun se trouva, comme après une tempête, en sûreté sur le rivage, ce fut comme une vie nouvelle, un nouveau jour, et de nouvelles espérances. Le courage, la force, l'activité durent renaître, et les idées se tourner d'elles-même vers tout ce qui pouvait leur servir de but et d'aliment.

C'est une circonstance peu remarquée dans un autre genre que d'avoir du papier ou d'en manquer; et cependant plusieurs auteurs graves 185 ont observé que la disette qui s'en fit sentir, au dixième siècle, avait beaucoup contribué à prolonger le règne de la barbarie. Le papyrus d'Égypte, dont on se servait encore, et qui était à fort bon compte, cessa de s'y fabriquer quand les Sarrazins y eurent porté leurs ravages, quand ils y eurent détruit les arts, le commerce, renversé les écoles et brûlé les bibliothèques. Le papier était donc devenu, depuis près de trois siècles, très-rare et très-cher en Occident 186. Le prix du parchemin était au-dessus des facultés, et des particuliers qui pouvaient encore écrire, et des moines. Il en résulta un cruel dommage; les copistes, pour ne pas rester oisifs, effaçaient d'anciens ouvrages écrits sur parchemin, et en écrivaient de nouveaux à la place. Muratori rapporte en avoir vu plusieurs de cette espèce à Milan, dans la bibliothèque Ambroisienne. L'un d'eux contenait les œuvres du vénérable Bède. «Ce qui me parut digne d'une attention particulière, dit-il, c'est que l'écrivain s'était servi de ces parchemins, en effaçant la plus ancienne écriture, pour écrire un livre nouveau. Il restait cependant un grand nombre de mots visibles, et tracés depuis tant de siècles, en caractères majuscules, dont la forme indiquait qu'ils avaient plus de mille ans d'antiquité» 187. Il est vrai que ce livre effacé était un livre d'église, mais on ne peut douter que cette méthode, une fois adoptée par le besoin, ne s'exerçât au moins indifféremment sur le sacré et sur le profane; et rien n'est en même temps et plus douloureux et plus croyable que ce que dit notre savant Mabillon 188, que les Grecs, comme les Latins, manquant de parchemin pour leurs livres d'église, se mirent à effacer les premiers manuscrits qui leur tombaient sous la main, et changèrent des Polybes, des Dion, des Diodore de Sicile, en Antiphonaires, en Pentecostaires, et en recueils d'Homélies. Mais le besoin excite à la fin l'industrie. Dans l'incertitude où sont les érudits sur l'époque précise de l'invention du papier d'Europe, le P. Montfaucon, suivi par Maffei, par Muratori et par d'autres qui font autorité, la fait remonter au onzième siècle 189; et cette invention, l'abondance et le bas prix qui durent en être la suite, peuvent être comptés parmi les heureuses circonstances de cette époque.

Les guerres et les troubles y furent presque continuels, mais ils eurent en partie pour objet une sorte d'élan vers la liberté qui, pour la première fois depuis tant de siècles, se faisait sentir en Italie. L'extinction de la maison de Saxe 190 lui avait donné l'idée de s'affranchir; et de même que les sentiments vils qu'inspire l'esclavage, énervent et abrutissent l'esprit, de même aussi les affections nobles qui tendent vers la liberté le renforcent et le relèvent. Ce fut vraisemblablement un assez pauvre roi d'Italie, que cet Hardoin, marquis d'Ivrée, qui ne put résister long-temps aux armes de l'empereur Henri de Bavière; mais les évêques, les princes et les seigneurs italiens l'avaient élu 191. Ce mouvement d'indépendance annonçait déjà une révolution heureuse, et ce roi italien dut paraître, et se montra, en effet, ambitieux du titre de restaurateur de sa patrie 192

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