Читать бесплатно книгу «Histoire littéraire d'Italie (1» Pierre Ginguené полностью онлайн — MyBook

Cependant voici un autre auteur non moins digne de foi, M. Denina, l'historien des Révolutions d'Italie et de celles de la littérature, qui ne regarde point la cause de Grégoire comme entièrement gagnée. «Je crains, dit-il, à parler vrai, que l'autorité de Jean de Salisbury, quoique postérieure de six siècles au siècle de Grégoire ne doive laisser toujours quelque soupçon que le zélé pontife, pour exterminer les monuments de l'idolâtrie, et pour attacher davantage la jeunesse chrétienne, et spécialement les ecclésiastiques, à la lecture des saints pères, n'eût cherché à supprimer le plus qu'il pouvait des auteurs païens» 111. Sans prétendre rien décider dans une question de cette espèce, on ne peut nier que cette crainte d'un historien aussi sage ne doive être de quelque poids.

Une autre lettre du même pape nous laisse entrevoir combien, tandis que l'ignorance faisait de tels progrès en Occident, elle en avait fait aussi dans l'Orient, ou du moins à quel point la langue et la littérature latines y étaient redevenues étrangères. Grégoire assure, dans cette lettre, qu'il ne se trouvait pas alors à Constantinople un seul homme capable de bien traduire un écrit quelconque de grec en latin, ou de latin en grec 112. Mais la littérature grecque elle-même continuait à décliner; chaque siècle ajoutait à sa décadence. Les derniers bons poètes grecs, Muesée, Coluthus et Tryphiodore 113 avaient brillé. Depuis long-temps qu'il n'y avait plus d'orateurs, et, à cette époque, on ne trouve plus de philosophes; mais quelques historiens, tels que Procope et Agathias, par qui les guerres de Justinien contre les Perses, les Goths et d'autres Barbares en Asie, en Afrique et en Italie, furent écrites, tiennent encore une place après les historiens des bons siècles.

Cet empereur Justinien, conquérant et législateur, était surtout grand théologien 114; aussi ne manqua-t-il pas d'insérer dans son Code plusieurs lois qui prononçaient, tantôt la peine de mort, tantôt la confiscation, le bannissement, l'infamie, la privation des droits successifs, etc., contre les hérétiques. Argumenter contre eux était l'exercice habituel de son esprit; les persécuter, un des usages les plus assidus de son autorité; les combattre même, un exploit qui ne lui parut pas indigne de ses armes. Sa seule expédition contre les Samaritains de la Palestine coûta cent mille sujets à l'Empire. C'était une réfutation un peu chère de cette secte, si peu décidée dans ses dogmes, qu'elle était traitée de juive par les païens, de schismatique par les juifs, et d'idolâtre par les chrétiens 115.

La passion favorite de l'Empereur étant la théologie, elle le devint aussi de tout l'Empire. L'esprit sophistique des Grecs fut tout occupé d'ergoteries scholastiques qui firent éclore une foule d'hérésies nouvelles. Les conciles et les synodes se multiplièrent; Justinien y argumenta souvent de sa personne, et l'on doit penser qu'il eut toujours raison. La foi ne s'en embrouilla que mieux: la sienne même, à force de raffinements, s'égara; et ce fléau des hérétiques, devenu hérétique à son tour, allait employer, pour soutenir son erreur, tous les moyens dont il avait appuyé son orthodoxie, lorsqu'il mourut sans se rétracter.

La vie et les intrigues de sa femme Théodora paraissent avoir donné naissance à un nouveau genre d'histoire particulière inconnue jusqu'alors dans la littérature grecque, l'histoire secrète, anecdotique, ou si l'on veut scandaleuse 116. Procope surtout s'y distingua, et n'a peut-être eu depuis que trop d'imitateurs. Avant lui, Achille Tatius avait laissé un autre genre d'écrits, dont la première origine date même de plus loin, je veux dire celui des romans d'amour. Son roman de Clitophon et Leucippe fut surpassé par les Amours de Théagène et de Chariclèe, ou les Ethiopiques, de son contemporain l'évêque Héliodore; genre agréable, sans doute, mais un peu étranger aux travaux de l'épiscopat. Une observation qui n'a pas échappé au judicieux Denina, c'est que, tandis qu'en Occident on commençait à composer des légendes, des vies miraculeuses, et à inventer des récits de martyres vrais ou supposés 117, l'évêque de Tricca composait, de son côté, ses Fables éthiopiques. À cette observation, nous pouvons, nous autres Français, en ajouter une autre: c'est que, par une destinée qui semble attachée à ce roman, les deux premiers auteurs qui l'ont fait connaître en France, furent, l'un, Octavien de St. – Gelais, évêque d'Angoulême, par des morceaux traduits en vers; l'autre, le célèbre Amiot, évêque d'Auxerre, par une traduction complète en prose. Disons de plus que ce fut pour cette traduction qu'il eut sa première abbaye, et que celle qu'il fit dans la suite, de Daphnis et Chloé, du sophiste Longus, autre roman postérieur à celui d'Héliodore, inférieur pour la conduite, et plus licencieux dans les détails, ne l'empêcha point d'être évêque, ou contribua peut-être à lui faire avoir son évêché.

La science qui avait alors le moins perdu en Orient et en Occident était la jurisprudence. Après la théologie, c'était ce que Justinien aimait et entendait le mieux. Il y porta la réforme, et c'est de lui, ou du moins des légistes habiles qu'il employa, qu'est le corps des lois romaines tel qu'il existe encore aujourd'hui.

Ce ne fut pas un ouvrage fait du premier jet: dix jurisconsultes, à la tête desquels était le célèbre Tribonien, furent d'abord chargés de réunir, d'accorder, de compléter et de rassembler en un seul les trois Codes qui servaient alors de règle, y compris celui de Théodose. Le même Tribonien, et dix-sept jurisconsultes, firent ensuite un autre travail, plus considérable et peut-être plus difficile, mais qui devait les flatter, parce qu'il donnait de l'autorité et presque force de loi aux décisions des jurisconsultes les plus célèbres qui les avaient précédés; ce fut de rassembler ces décisions, de les diviser en cinquante livres, et chacun de ces livres en plusieurs titres, selon les diverses matières. Ce recueil reçut le nom de Digeste ou de Pandectes. Enfin, Tribonien et deux autres, dont les noms, quoique moins illustres, méritent aussi d'être conservés, Théophile et Dorothée, composèrent, par ordre de l'Empereur, les quatre livres des institutions, qu'on appelle vulgairement les Institutes, ou éléments de la science du Droit.

Le tout ensemble fut publié 118 six ans après le commencement du premier travail, et promulgué pour avoir seul force de loi, et être enseigné publiquement dans tout l'Empire. L'Empereur y joignit par la suite les nouvelles lois qu'il porta, et qui sont connues sous le titre de Novelles. Ainsi, le corps entier de la jurisprudence romaine resta divisé en Digeste, Code et Novelles, outre les Institutes, qui en sont comme le préambule 119. Ces lois ne furent point adoptées en Italie pendant la domination des Goths; le Code de Théodose continua d'y être suivi; ce ne fut qu'après les dernières victoires de Narsès que ce général y put mettre en vigueur celui de Justinien.

Les Lombards n'eurent des lois pour eux-mêmes que long-temps après leur conquête; et lorsqu'ils se furent donné un code, il fut encore permis aux peuples qu'ils avaient soumis, de suivre des lois romaines. Les lois lombardes ont été recueillies plus complètement et plus correctement qu'elles ne l'avaient encore été, par le laborieux Muratori 120. M. Denina en a fait une exposition claire et méthodique dans son Histoire des Révolutions d'Italie 121, et l'on y peut observer que, si elles conservent des traces sensibles de l'ancienne barbarie de ces peuples, elles prouvent aussi que, sur plusieurs points de civilisation, ils avaient beaucoup gagné.

Sans doute ce beau climat et cette terre fertile commençaient à influer sur eux, comme ils le font à la longue sur tous les hommes; mais ce n'était pas à eux qu'il était réservé de faire faire à l'Italie les premiers pas hors de la barbarie dans laquelle ils avaient achevé de la plonger. Leur avant-dernier roi, Astolphe, ayant envahi Ravenne et l'Exarchat, qui étaient jusqu'alors restés à l'Empire, et menaçant Rome elle-même, attira l'attention de Pepin et ensuite de son fils Charlemagne, qui avaient conçu, pour leur propre ambition, des projets inconciliables avec ceux d'Astolphe. Les papes implorèrent leur secours, et n'eurent pas de peine à l'obtenir. Ni Astolphe, ni son fils Didier, qui lui succéda, ne purent résister aux Francs, successivement commandés par ces deux héros; et le royaume des Lombards fut définitivement détruit par Charlemagne, deux cent six ans après qu'ils eurent commencé à opprimer l'Italie.

Parmi les titres qu'obtint, et ce qui n'est pas toujours la même chose, que mérita le fils de Pepin, nous ne devons considérer ici que celui de restaurateur des lettres, le plus glorieux de tous. Sous ce point de vue, Charlemagne appartient surtout à l'histoire de la littérature française; mais il eut aussi sur l'Italie une influence qui fait époque et qui exige que nous portions en même temps nos regards sur l'Italie, sur la France et sur lui.

La France avait oublié la gloire dont avaient anciennement joui les Gaules. Les mêmes causes y avaient produit les mêmes et d'aussi déplorables effets. Les Gaules ravagées, pendant le quatrième et le cinquième siècle, par les irruptions des Quades, des Germains, des Vandales, des Bourguignons, des Huns et des Goths, virent s'arrêter tout à coup, et le cours des études, et l'émulation pour les lettres 122. Les Francs étaient d'autres Barbares, dont les invasions et les conquêtes ne firent qu'augmenter le mal et accélérer la décadence de tous les exercices de l'esprit. La langue latine s'éteignit, pour ainsi dire, avec la puissance romaine, ou du moins ce ne fut plus qu'un jargon au lieu d'une langue. Le goût pour les anciens, leurs ouvrages, leurs noms mêmes disparurent presque entièrement. Pendant les deux siècles suivants, le mal empira encore, par cette pente des choses humaines qu'on y peut observer dans tous les temps.

Si l'on se représente la suite des siècles, comme un torrent où elles sont entraînées, on y voit tantôt le mal et tantôt le bien roulant avec une vitesse progressive, jusqu'à ce que quelque obstacle imprévu, ou quelque moteur puissant, agissant en sens contraire, le cours change, le bien ou le mal s'arrête d'abord, rétrograde ensuite lentement, cède enfin; et les choses humaines reprennent avec la même vitesse le cours opposé. Au huitième siècle, l'ignorance n'avait plus de progrès à faire dans les Gaules: elle était parvenue à son comble. La faiblesse des Rois, la tyrannie des Maires, déléguée en quelque sorte à tous les gouverneurs des provinces, à tous les chefs militaires, dont ils avaient besoin pour leurs projets, accroissaient et favorisaient tous les désordres. La France enfin était toute barbare. Charlemagne vint: il arrêta le torrent, et redonna aux esprits un mouvement vers les études et vers la culture des lettres. L'ordre public et privé fut rétabli, et avec les études et les mœurs revinrent la sécurité intérieure et la prospérité de l'état.

Charlemagne put concevoir, mais ne pouvait exécuter seul ce grand ouvrage. Ne trouvant point de maîtres en France, il y en appela d'étrangers. Les Français eux-mêmes l'avouent 123. Les Italiens, jaloux d'ajouter cette gloire à celle de leur patrie, attribuent avec assez de vraisemblance le goût même que Charles prit pour l'instruction à son séjour en Italie et aux savants qu'il y rencontra 124. Son éducation avait été plus que négligée: elle était tout-à-fait nulle, quand il passa les Alpes pour la première fois 125. Quoiqu'il eût alors trente-un ans, et qu'il comptât six ans de règne, il ignorait même la grammaire. De l'aveu de son historien Eginhard 126, il en reçut les premiers éléments de Pierre de Pise, qui professait à Pavie quand Charles s'en empara. Les leçons de ce maître le mirent en état de profiter de celles du fameux Alcuin, de qui il apprit ensuite la rhétorique, la dialectique, l'arithmétique, l'astronomie et même la théologie. Mais ce célèbre Anglais, qu'il vit pour la première fois à Parme, et qu'il engagea dès-lors à le suivre, il ne l'y trouva qu'en 780 127, six ans après la prise de Pavie, lorsqu'il avait déjà sans doute pris le goût des lettres dans son commerce avec Pierre de Pise, son maître, avec Paul Warnefrid, connu sous le nom de Paul Diacre, qu'il avait aussi approché de lui, et avec un autre Paul ou Paulin, grammairien habile pour ce temps, qu'il avait rencontré dans le Frioul, et qu'il fit patriarche d'Aquilée.

Charlemagne entouré de toutes ces lumières de son siècle, donna lui-même l'exemple de l'ardeur à s'en éclairer. Il consacrait chaque jour quelques heures à l'étude. Il voulut que ses enfants fussent instruits dans toutes les sciences qu'il cultivait. Il réunit dans son palais tous ces habiles professeurs et d'autres savants qui ne tardèrent pas à se montrer. Ils composaient auprès du Prince une sorte d'école ou d'académie suivant la cour, et qui se transportait partout avec elle 128. On prétend que chaque membre de cette académie, prenait le nom d'un ancien auteur, qu'Alcuin, grand admirateur d'Horace, portait celui de Flaccus; que le jeune Angilbert, qui n'avait sûrement rien d'homérique, se nommait pourtant Homère; Adhalard, ou Adelard, évêque de Corbie, Augustin; Wala son frère, Jérémie; Riculfe, archevêque de Mayence, on ne sait par quelle fantaisie, Damœtas; qu'enfin, Charles lui-même, soit à cause de la royauté, ou de son goût pour la poésie hébraïque, avait pris le nom de David. Tout cela est un peu bizarre, et l'on a peine à se faire une idée des conférences académiques qui pouvaient se tenir entre David, Homère, Horace, Jérémie, Damœtas et S. Augustin; mais enfin c'était beaucoup pour le temps, et il était impossible que les esprits restassent engourdis autour de ce centre de mouvement et d'activité scientifique.

«Le goût du Roi, comme il arrive toujours, dit le président Hénault 129, mit les sciences à la mode». Mais Charlemagne ne se borna pas à montrer ce goût; il s'efforça de le répandre dans l'immense étendue de son empire et de ses conquêtes, autant que le lui permettait l'état où il trouvait les peuples. Il fonda un grand nombre de monastères et d'églises: il y attacha des écoles: il prit l'habitude d'adresser lui-même aux ecclésiastiques des questions sur le dogme, sur la discipline, l'histoire ecclésiastique, la morale, et d'en exiger des réponses; et cet usage remit la science en vigueur, parmi le clergé. Il ordonna que chaque évêque, chaque abbé, chaque comte, eût un notaire ou secrétaire, pour copier correctement les actes; que l'on copiât de même les évangiles, le psautier, le missel. Il fit corriger pour ainsi dire sous ses yeux les exemplaires incorrects de la Bible. On recommença donc à avoir des textes purs de l'Ecriture-Sainte et des Pères. La calligraphie fut encouragée, ainsi que l'orthographe. On reprit le petit caractère romain et bientôt après le grand, à la place de l'écriture mérovingienne, qui était barbare. Les couvents, les abbayes devinrent des écoles de cet art et des fabriques actives de manuscrits. Le style commença aussi à s'épurer. Il y eut des historiens, des orateurs et surtout des poètes: Alcuin et Théodulphe, que l'empereur avait aussi amenés d'Italie, se piquèrent de l'être; on le fut à leur exemple, mais il est vrai, sans imagination, sans goût, sans poésie de style, et la plupart du temps sans exacte mesure de vers.

Toute grossière qu'était cette poésie, elle faisait les délices des gens bien élevés et même de l'Empereur; il se plaisait surtout à entendre des chansons en langue tudesque ou théotisque, qui était sa langue naturelle. La préférence qu'il lui accordait la rendit la langue dominante dans la plus grande partie de la France. Le roman qui se formait dans l'autre partie était moins encouragé. Même après Charlemagne, le roman ne régna guère que dans les états des rois d'Aquitaine; tout le reste parla long-temps théotisque ou tudesque. Charles aimait tant cette langue, qu'il en avait composé une grammaire. Quand Eginhard semble dire qu'un souverain si instruit, que ce restaurateur des lettres et des études ne savait pas écrire 130, cela doit apparemment s'entendre du grand caractère romain, dont on renouvellait alors l'usage. En effet, malgré les efforts qu'il fit pour l'apprendre, il n'y put jamais réussir. Il signait avec un monogramme, gravé sur le pommeau de son épée. Il disait: je l'ai signé du pommeau; je le maintiendrai, avec la pointe: mais on assure qu'il écrivait facilement en d'autres caractères, soit théotisque, soit petit romain 131.

L'Italie, qui avait fourni à Charlemagne les principaux instruments de la révolution qu'il voulait opérer dans les esprits, y participa aussi, mais moins sensiblement que la France. Quelques universités italiennes, entre autres celles de Pavie et de Bologne, le réclament pour leur fondateur. Il y encouragea sans doute les études; il put y rassembler quelques professeurs, mais il n'existe aucune trace ni le plus léger indice qu'il les ait réunis en corps, qu'il ait distribué entre eux l'enseignement des diverses sciences, ni qu'il leur ait donné, ou des réglements, ou des priviléges, ou quoique ce soit enfin de ce qui constitue ce qu'on appelle université, ou tout autre fondation pareille 132.

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