– Warnachaire! – s'écria la reine, frémissant d'une joie féroce à la pensée de tenir en son pouvoir le fils de Frédégonde… – si tu m'amènes Clotaire prisonnier, je te défierai alors de former un vœu qui ne soit accompli par Brunehaut, et… – Mais se ravisant, elle jeta un sombre regard sur le maire du palais, et ajouta: – Si c'est un piége que tu me tends pour détourner mes soupçons, Warnachaire, il est habile…
– Soit, madame, je suis un traître; vous frappez sur ce timbre, à l'instant vos chambellans, vos écuyers accourent, et me tuent là! sous vos yeux; me voilà mort?.. Mais quel est l'homme que vous ne soupçonnez pas? Voyons? Qui prendrez-vous pour général? est-ce le duk Alethée! Est-ce le duk Roccon?
– Non!
– Est-ce le duk Sigowald?
– Lui? tu railles!
– Est-ce le duk Eubelan?
– Peut-être… et encore ses anciennes liaisons avec Arnolfe et Pépin… ces deux traîtres! Non, jamais je ne me fierai à Eubelan!
– Ceux-là seuls pourtant, madame, sont capables de commander l'armée; ceux-là seuls sont des hommes de guerre.
– Oui, mais je n'ai voulu faire tuer aucun d'eux… ou du moins ils l'ignorent… tandis que j'ai voulu ta mort, Warnachaire.
– Madame, raisonnons froidement…
– Peux-tu raisonner autrement, homme impassible… homme impénétrable…
– Impénétrable à la trahison, madame…
– Des mots… des mots…
– Voici des faits: vous me croyez animé contre vous d'un ressentiment de haine, parce que vous avez voulu ma mort? L'espoir de la vengeance me ramène, dites-vous, ici? Alors, madame, qui m'empêche de mettre la main sur ce timbre pour vous empêcher d'appeler aide?
Et le duk fit ce qu'il disait.
– Qui m'empêche de tirer ce poignard?
Et le duk fit briller cette arme aux yeux de Brunehaut, dont le premier mouvement fut de se rejeter en arrière sur le dossier de son siége.
– Qui m'empêche enfin de vous tuer d'un seul coup de ce fer empoisonné comme l'étaient les poignards des pages de Frédégonde?
Et en disant ces derniers mots, Warnachaire s'était tellement rapproché de Brunehaut qu'il pouvait la frapper avant qu'elle eût poussé un cri… La reine, sauf un premier mouvement de crainte ou plutôt de surprise, n'avait pas sourcillé; son regard indomptable était resté hardiment fixé sur les yeux du maire du palais; elle écarta d'un geste de dédain la lame du poignard, demeura quelques instants pensive, et reprit comme à regret: – Il faut pourtant croire à quelque chose; tu aurais pu me tuer, c'est vrai; tu ne l'as pas fait… je ne peux nier l'évidence. Tu ne veux donc pas te venger de moi… à moins que tu me réserves un sort selon toi plus terrible que la mort; pourtant, non, un homme qui hait fermement, tombe peu dans ces raffinements hasardeux. L'avenir n'appartient à personne; on trouve une belle occasion pour frapper son ennemi, on le frappe tôt et vite… Donc, je te crois sans haine contre moi; tu conserveras le commandement de l'armée. Écoute, Warnachaire, tu l'as dit: Brunehaut est implacable dans ses soupçons et sa haine; mais elle est magnifique pour qui la sert fidèlement… Que par toi le fils de Frédégonde tombe entre mes mains, et ma faveur dépassera tes espérances… Oublions le passé.
– Il est oublié, madame.
– Vrai?
– Vrai…
– Et puis, il faut, vois-tu, Warnachaire, aller au fond des choses. J'ai voulu te faire tuer… Eh! mon Dieu! c'est vrai! j'en ai fait tuer tant d'autres! Mais ce n'est pas, je t'en assure, par amour du sang. Que veux-tu? il faut se mettre à la place des gens… On m'a tué ma sœur Galeswinthe, on m'a tué mon mari, on m'a tué mon fils, on m'a tué mes plus fidèles serviteurs; seule j'ai eu à défendre les royaumes de mon fils et de mes petits-fils contre des rois acharnés à ma perte; toute arme m'a été bonne, et, après tout, j'ai remporté de brillantes victoires, j'ai accompli, avoue-le, Warnachaire, de grandes choses. Et pourtant l'on me hait, les seigneurs franks me jalousent… cette vile plèbe gauloise, esclave ou populace, sourdement excitée contre moi… se rebellerait peut-être sans la terreur que je lui inspire… Et… mais, cet homme! quel est cet homme? – s'écria Brunehaut en s'interrompant. Et se levant brusquement, elle indiqua du geste Loysik, qui, debout au seuil de la porte donnant sur l'escalier tournant pratiqué dans l'épaisseur de la muraille, soulevait d'une main le rideau qui l'avait jusqu'alors tenu caché aux yeux de la reine et du maire du palais de Bourgogne. Warnachaire fit quelques pas à l'encontre du vieil ermite-laboureur qui s'avançait lentement et dit: – Moine, comment te trouves-tu là? Ton audace est grande de t'introduire dans l'appartement de la reine… Qui es-tu?
– Je suis le supérieur du monastère de la vallée de Charolles.
– Tu mens, – dit Brunehaut, – j'ai envoyé l'un de mes chambellans à cette abbaye pour s'assurer de la personne de ce Loysik.
– Votre chambellan, – reprit le moine d'une voix moins assurée, – votre chambellan, ainsi que l'archidiacre et vos hommes de guerre, sont à cette heure prisonniers dans le monastère.
Venir annoncer soi-même, supérieur de la communauté, une nouvelle non moins improbable qu'offensante pour l'orgueil despotique de Brunehaut, venir l'annoncer à cette femme implacable, et s'exposer ainsi à une mort certaine, cela parut tellement exorbitant à la reine qu'elle n'y crut pas; elle haussa les épaules d'un air de pitié dédaigneuse et dit au maire du palais: – Duk… ce vieillard est fou… Mais comment ce mendiant s'est-il introduit ici?
D'autres circonstances devaient bientôt augmenter la créance de Brunehaut à l'insanité de la raison du moine. Loysik avait continué de s'avancer lentement vers la reine; mais malgré cette fermeté d'âme, dont il avait donné tant de preuves durant sa longue vie, à mesure qu'il s'approchait de cette femme épouvantable, il perdit peu à peu son assurance, son esprit se troubla, ses lèvres se refusèrent à la parole, il sentit ses genoux vaciller, il fut obligé de s'arrêter et de s'appuyer un instant sur une console d'ivoire à sa portée; cette émotion profonde, insurmontable était encore moins causée par l'horreur qu'inspirait la reine au vieux moine, que par la conscience de la terrible position où il se trouvait; peu lui importait la vie, il en avait fait le sacrifice en se rendant chez Brunehaut; mais il voulait sauver ses frères de la vallée d'un horrible désastre, quel que fût l'héroïsme de leur résistance; et quoiqu'il eût une ferme confiance dans le moyen qu'il espérait employer pour arriver à ses fins, son trouble lui faisait momentanément perdre le fil de ses idées; la tête penchée sur sa poitrine il tâchait, déplorant sa faiblesse, de raffermir ses esprits, de relier ses pensées… En réfléchissant ainsi, son regard s'arrêta par hasard sur le médaillier que soutenait la console d'ivoire où il s'appuyait. La grande médaille de bronze attira d'autant plus facilement les yeux du moine, que celle-là seule était de ce métal, au milieu d'autres effigies en or et argent. D'abord Loysik la contempla machinalement, puis peu à peu attiré malgré lui par un intérêt indéfinissable, il se baissa, observa de plus près l'empreinte, et lut une inscription placée au-dessous de visage auguste qui semblait saillir du bronze… Le vieillard tressaillit, éprouva une impression soudaine, extraordinaire, mélangée d'enthousiasme, de stupeur et d'espoir; le trouble de son esprit cessa, il se sentit rassuré, reconforté, comme s'il eût trouvé un appui aussi inattendu que puissant; il voyait enfin quelque chose de providentiel dans ce rapprochement formidable: —L'image de Victoria, dans le palais de Brunehaut. – Oui, cette médaille, c'était celle de la mère des camps; au-dessous de son effigie on lisait: Victoria empereur.
Loysik s'était courbé, afin de contempler de plus près les traits de l'héroïne gauloise; lorsqu'il l'eut reconnue il fléchit un genou, et levant ses deux mains vers l'image auguste, il murmura:
– O Victoria… sainte guerrière de la Gaule! ta présence en cet horrible lieu raffermit mon esprit et mon espoir; il me semble qu'elle me donnera la force de sauver la descendance de Scanvoch, ce fidèle soldat que tu appelais ton frère, et qui fut un de mes aïeux!.. Oui, je le sauverai lui et tous nos frères de cette vallée, où ta mémoire auguste est encore glorifiée.
Brunehaut et Warnachaire, stupéfaits de l'étrangeté de ce vieillard, qui n'avait d'ailleurs rien d'offensif, tantôt le suivaient des yeux, tantôt se regardaient en silence durant le peu d'instants qui suffirent à Loysik pour reconnaître l'effigie de Victoria. La reine, de plus en plus convaincue que ce moine était fou, perdit patience, frappa du pied et s'écria:
– Duk, appelle mes pages, qu'ils chassent d'ici à coups de houssine ce vieux fou qui se dit abbé du monastère de Charolles, et qui vient s'agenouiller devant mes médailles antiques, en leur adressant je ne sais quelles invocations insensées; mais je ferai rudement châtier ceux qui ont laissé ce vagabond s'introduire ici.
Brunehaut parlait encore lorsqu'un de ses pages entra par la porte de la grande salle, et après avoir fléchi le genou lui dit:
– Glorieuse reine… un messager arrive à l'instant de l'armée, il est porteur de lettres urgentes pour le seigneur Warnachaire.
– Cela est important, duk, va recevoir ce messager, reviens promptement m'instruire des nouvelles qu'il apporte. – Puis s'adressant au page et lui montrant Loysik qui, le front haut, le regard ferme, s'avançait vers elle: – Va chercher quelques-uns de tes compagnons et chasse d'ici, à coups de houssine, ce vieux moine fou; la perte de sa raison lui épargne un autre châtiment. – La reine se levant alors se dirigea vers sa chambre à coucher, disant au maire du palais: – Warnachaire, reviens au plus tôt m'instruire des nouvelles apportées par le messager.
– Je vais, madame, le recevoir à l'instant; mais ce fou…
– Cela regarde mes pages… Allons, aux houssines… aux houssines!
Le maire du palais sortit; au moment où la porte se trouvait ainsi ouverte, le page, sans quitter la salle, appela plusieurs de ses compagnons rassemblés dans la pièce voisine. Loysik voyant la reine, sans s'occuper plus de lui que l'on ne s'occupe d'un insensé, rentrer dans sa chambre, Loysik courut vers Brunehaut, et lui présentant un parchemin qu'il venait de tirer de sa robe, il lui dit d'une voix forte: – Je ne suis pas fou… Cette charte du feu roi Clotaire Ier vous prouvera que je suis le supérieur du monastère de Charolles, où votre chambellan et ses soldats sont à cette heure, je vous le répète, retenus prisonniers par mon ordre.
– Loysik! – s'écria l'un des jeunes pages qui venaient d'accourir à la voix de leur compagnon, – le frère Loysik ici?
– Quoi! ce moine! – s'écria Brunehaut stupéfaite, – c'est Loysik?.. l'abbé du monastère de Charolles?
– Oui, glorieuse reine!
– D'où le connais-tu?
– On me l'a montré et nommé au dernier marché d'esclaves; il achetait des captifs pour les affranchir; ce matin je l'ai vu traverser une des cours du palais en compagnie du juif Samuel, que tout le monde connaît à Châlons.
Brunehaut fit signe aux pages de sortir, et après un instant de réflexion, s'adressant à l'un d'eux: – Va dire à l'ami Pog de se rendre dans sa cave avec ses garçons; il allumera son brasier, ses lanternes et il attendra.
Le page s'inclina en pâlissant; mais avant de s'éloigner il jeta sur le vieillard un regard de commisération et d'épouvante. La reine, restée seule avec Loysik, marcha quelques instants silencieuse et d'un pas agité; puis elle dit à l'ermite laboureur d'une voix sourde et brève: – Donc, tu es Loysik, toi?
– Je suis Loysik, supérieur du monastère de Charolles.
– Et d'abord, comment as-tu pénétré ici?
– J'ai rencontré ce matin aux abords de ce château un marchand d'esclaves nommé Samuel; dernièrement encore je lui avais acheté plusieurs captifs: il m'a appris qu'il se rendait ici; sachant que l'on entrait difficilement dans ce palais, j'ai demandé à Samuel de l'accompagner; il a d'abord hésité, deux pièces d'or l'ont décidé.
– Ces juifs! Et comme les gardiens des portes avaient l'ordre d'introduire Samuel et des esclaves, tu as passé avec sa marchandise?
– C'est la vérité.
– De sorte que pendant que le juif m'a amené ici les deux jeunes filles, tu attendais dans la salle basse?
Loysik fit un signe de tête affirmatif.
– Mais ensuite, lorsque Samuel a quitté le palais?
– Le juif m'ayant dit que de la salle basse on montait ici par cet escalier, j'y suis monté tout à l'heure, et, caché derrière le rideau, j'ai entendu votre entretien avec une de vos femmes.
Brunehaut bondit sur son siége, puis regardant le moine d'un air de doute effrayant: – Ainsi, cet entretien tu l'as entendu?
– Oui; j'allais entrer, vous croyant seule; les premiers mots de votre conversation avec votre confidente m'ont frappé… j'ai écouté; ailleurs je ne me serais jamais permis cette action basse et déloyale… mais…
– Mais dans le palais de Brunehaut, tout est permis, n'est-ce pas?
– Le palais de Brunehaut est hors de l'humanité; lorsqu'on met le pied ici, l'on sort du monde connu; ses lois n'existent plus. Lorsque je me suis approché de cette porte, il m'a semblé entendre deux damnées dans l'enfer des catholiques… Cette rencontre est rare… j'ai écouté.
– Vieillard… j'aime ton courage, tu supporteras vaillamment la torture, elle durera plus longtemps. Tu connais l'ami Pog et ses garçons, que j'ai tout à l'heure fait avertir par un de mes pages?
– Le bourreau et ses aides, je suppose…
– Justement… Dis-moi… quel âge as-tu?
– L'âge d'un homme qui va mourir.
– Tu t'attendais à la mort?
Loysik haussa les épaules sans répondre.
– C'est juste, – reprit Brunehaut avec un sourire affreux, – apporter de pareilles nouvelles, c'était courir au-devant du supplice…
– Je suis venu ici de mon plein gré, votre chambellan et ses hommes sont restés prisonniers dans le monastère; il ne leur sera fait aucun mal.
– Vieillard, tu te trompes… Oh! un châtiment terrible les attend. Infamie… lâcheté… honte et trahison! Un officier, des hommes de guerre de Brunehaut prisonniers d'une poignée de moines! L'ami Pog et ses garçons auront plus de besogne que je ne le croyais.
– Vos hommes de guerre n'ont pas été lâches; eussent-ils été deux fois plus nombreux, ils n'auraient pu résister aux gens du monastère et de la vallée de Charolles…
– Vraiment…
– Non, car mes frères ont résolu de vivre ou de mourir libres. Si vous méconnaissez les droits que leur garantit une charte du feu roi Clotaire Ier.
– Et cette charte… tu l'invoques auprès de moi?..
– Pourquoi non?
– Tu le demandes? Une charte du père du mari de Frédégonde? une charte de l'aïeul de Clotaire II, fils de Frédégonde, mon plus mortel ennemi. Moine, je te croyais un homme dangereux et subtil, je me trompais; tu viens ici me parler d'une charte signée de l'aïeul de l'homme que je poursuivrai jusqu'à la tombe… Mais, vieillard insensé! un arbre qui aurait prêté son ombrage au fils de Frédégonde, je le ferais brûler, cet arbre! Une source où cet homme se serait désaltéré… je la ferais empoisonner, cette source… Et il s'agit, non plus d'objets inanimés, mais d'hommes, de femmes, d'enfants qui doivent leur liberté à l'aïeul du fils de Frédégonde! Je peux, ces affranchis de Clotaire Ier, les faire souffrir dans leur âme, dans leur chair et dans leur race! Oh! merci! moine, merci; dès demain tous les habitants de cette vallée seront envoyés comme esclaves à ces farouches tribus qui me viennent de Germanie… Ce sera une avance sur le pillage promis.
– Soit, vous allez envoyer de nombreuses troupes dans la vallée; elles y pénétreront de vive force, elles écraseront nos habitants malgré leur résistance héroïque: hommes, femmes, enfants sauront mourir. Vos soldats, après un combat acharné, entrant dans la vallée n'y trouveront que cendres et cadavres; c'est dit; maintenant, écoutez ceci. La guerre est déclarée entre vous et le fils de Frédégonde; le moment est suprême, vous avez besoin de toutes vos forces. Exécrée du peuple, exécrée des grands, dont les plus considérables sont déjà dans le camp de Clotaire II, soupçonnant vos généraux, ne rêvant que trahison; à peine êtes-vous certaine de la fidélité de votre armée, puisqu'il vous faut appeler comme auxiliaires des tribus barbares et leur promettre le pillage… Écoutez encore… Notre malheureux peuple est énervé par l'esclavage, je le sais; mais, guidé par son instinct et voyant s'accroître de jour en jour la grandeur des maires du palais, il fait des vœux pour eux; songez-y, à leur voix il se soulèvera, parce que il voit en eux les ennemis des rois franks; et cette lutte sanglante nous profitera tôt ou tard, à nous peuple conquis!
– Ah! tu sais bien que l'on ne périt qu'une fois dans les tortures, de là vient ton audace, – dit Brunehaut frappée, malgré sa fureur, des paroles de Loysik. – Continue… je veux voir jusqu'où ira ton insolence!
– Nos gens de la vallée, malgré leur résistance héroïque, seront écrasés… Cependant, voyons! croyez-vous que les populations voisines, si hébétées, si craintives qu'elles soient devenues, resteront impassibles lorsqu'elles auront vu des hommes de leur race, défendant leur liberté, se faire exterminer jusqu'au dernier? Savez-vous que l'horreur de la conquête, la haine de la servitude, l'excès de la misère, ont souvent poussé à d'indomptables révoltes des peuples encore plus abâtardis que le nôtre! Savez-vous que demain… demain! une insurrection terrible peut éclater contre vous à la voix des grands qui vous abhorrent!
– Insensé! est-ce que ces grands ne sont pas autant que nous les ennemis de ta vile race conquise!
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