Ma réponse se dictait d'elle-même; pour réussir à l'évasion que je méditais, je devais d'abord mériter de la confiance; on m'offrait les moyens de la gagner; devais-je balancer? Je supposais d'ailleurs Léonore sur les mers d'Afrique; j'étais parti de Maroc. Dans cette opinion; le hasard ne pouvait-il pas l'amener dans cet empire? Voilée ou non, ne la reconnaîtrai-je pas; l'amour égare-t-il; se trompe-t-il à de certains examens?… Mais au moins, dis-je au Portugais, je me flatte que ces morceaux friands, dont il me paraît que le roi se régale, ne seront pas soumis à mon inspection: je quitte l'emploi, s'il faut se mêler des garçons. Ne crains rien, me dit Sarmiento, il ne s'en rapporte qu'à ses yeux, pour le choix de ce gibier; les tributs moins nombreux, n'arrivent que dans son palais, et les choix ne sont jamais faits que par lui. Tout en causant, Sarmiento me promenait de chambre en chambre, et je vis ainsi la totalité du palais, excepté les harems secrets, composés de ce qu'il y avait de plus beau dans l'un et l'autre sexe, mais où nul mortel n'était introduit.
Toutes les femmes du Prince, continua Sarmiento, au nombre de douze mille, se divisent en quatre classes; il forme lui-même ces classes à mesure qu'il reçoit les femmes des mains de celui qui les lui choisit: les plus grandes, les plus fortes, les mieux constituées se placent dans le détachement qui garde son palais; ce qu'on appelle les cinq cens esclaves est formé de l'espèce inférieure à celle dont je viens de parler: ces femmes sont ordinairement de vingt à trente ans; a elles appartient le service intérieur du palais, les travaux des jardins, et généralement toutes les corvées. Il forme la troisième classe depuis seize ans, jusqu'à vingt ans; celles-là servent aux sacrifices; c'est parmi elles que se prennent les victimes immolées à son Dieu. La quatrième classe enfin renferme tout ce qu'il y a de plus délicat et de plus joli depuis l'enfance jusqu'à seize ans. C'est là ce qui sert plus particulièrement à ses plaisirs; ce serait là où se placeraient les blanches, s'il en avait....—En a-t-il eu, interrompis-je avec empressement?—Pas encore, répondit le Portugais; mais il en désire avec ardeur, et ne néglige rien de tout ce qui peut lui en procurer … et l'espérance, à ces paroles, sembla renaître dans mon coeur.
Malgré ces divisions, reprit le Portugais, toutes ces femmes, de quelque classe qu'elles soient, n'en satisfont pas moins la brutalité de ce despote: quand il a envie de l'une d'entr'elles, il envoie un de ses officiers donner cent coups d'étrivières à la femme désirée; cette faveur répond au mouchoir du Sultan de Bisance, elle instruit la favorite de l'honneur qui lui est réservé: dès-lors elle se rend où le Prince l'attend, et comme il en emploie souvent un grand nombre dans le même jour, un grand nombre reçoit chaque matin l'avertissement que je viens de dire.... Ici je frémis: ô Léonore! me dis-je, si tu tombais dans les mains de ce monstre, si je ne pouvais t'en garantir, serait-il possible que ces attraits que j'idolâtre fussent aussi indignement flétris.... Grand Dieu, prive-moi plutôt de la vie que d'exposer Léonore à un tel malheur; que je rentre plutôt mille fois dans le sein de la nature avant que de voir tout ce que j'aime aussi cruellement outragé! Ami repris-je aussi-tôt, tout rempli de l'affreuse idée que le Portugais venait de jeter dans mon esprit, l'exécution de ce raffinement d'horreur dont vous venez de me parler, ne me regardera pas, j'espère....—Non, non, dit Sarmiento, en éclatant de rire, non, tout cela concerne le chef du sérail, tes fonctions n'ont rien de commun avec les siennes: tu lui composes par ton choix dans les cinq mille femmes qui arrivent chaque année, les deux mille sur lesquelles il commande; cela fait, vous n'avez plus rien à démêler ensemble. Bon, répondis-je; car, s'il fallait faire répandre une seule larme à quelques unes de ces infortunées … je t'en préviens … je déserterais le même jour. Je ferai mon devoir avec exactitude, poursuivis-je; mais uniquement occupé de celle que j'idolâtre, ces créatures-ci n'auront assurément de moi ni châtiment, ni faveurs; ainsi, les privations que sa jalousie m'impose, me touche fort peu, comme tu vois.—Ami, me répondit le Portugais, vous me paraissez un galant homme, vous aimez encore comme on faisait au dixième siècle: je crois voir en vous l'un des preux de l'antiquité chevaleresque, et cette vertu me charme, quoique je sois très-loin de l'adopter.... Nous ne verrons plus Sa Majesté du jour: il est tard; vous devez avoir faim, venez vous rafraîchir chez moi, j'achèverai demain de vous instruire.
Je suivis mon guide: il me fit entrer dans une chaumière construite à-peu-près dans le goût de celle du Prince, mais infiniment moins spacieuse. Deux jeunes nègres servirent le souper sur des nattes de jonc, et nous nous plaçâmes à la manière africaine; car notre Portugais, totalement dénaturalisé, avait adopté et les moeurs et toutes les coutumes de la nation chez laquelle il était. On apporta un morceau de viande rôti, et mon saint homme ayant dît son Benedicite, (car la superstition n'abandonne jamais un Portugais) il m'offrit un filet de la chair qu'on venait de placer sur la table.—Un mouvement involontaire me saisit ici malgré moi.—Frère, dis-je avec un trouble qu'il ne m'était pas possible de déguiser, foi d'Européen, je mets que tu me sers là, ne serait-il point par hasard une portion de hanche ou de fesse d'une de ces demoiselles dont le sang inondait tantôt les autels du Dieu de ton maître?… Eh quoi! me répondit flegmatiquement le Portugais, de telles minuties t'arrêteraient-elles? T'imagines-tu vivre ici sans te soumettre à ce régime?—Malheureux! M'écriai-je, en me levant de table, le coeur sur les lèvres, ton régal me fait frémir … j'expirerais plutôt que d'y toucher.... C'est donc sur ce plat effroyable que tu osais demander la bénédiction du Ciel?… Terrible homme! à ce mélange de superstition et de crime, tu n'as même pas voulu déguiser ta Nation.... Va, je t'aurais reconnu sans que tu te nommasses.—Et j'allais sortir tout effrayé de sa maison.... Mais Sarmiento me retenant.—Arrête, me dit-il, je pardonne ce dégoût à tes habitudes, à tes préjugés nationaux; mais c'est trop s'y livrer: cesse de faire ici le difficile, et saches te plier aux situations; les répugnances ne sont que des faiblesses, mon ami, ce sont de petites maladies ce l'organisation, à la cure desquelles on n'a pas travaillé jeune, et qui nous maîtrisent quand nous leur avons cédé. Il en est absolument de ceci comme de beaucoup d'autres choses: l'imagination séduite par des préjugés nous suggère d'abord des refus … on essaie … on s'en trouve bien, et le goût se décide quelquefois avec d'autant plus de violence, que l'éloignement avait plus de force en nous. Je suis arrivé ici comme toi, entêté de sottes idées nationales; je blâmais tout … je trouvais tout absurde: les usages de ces peuples m'effrayaient autant que leurs moeurs, et maintenant je fais tout comme eux. Nous appartenons encore plus à l'habitude qu'à la nature, mon ami; celle-ci n'a fait que nous créer, l'autre nous forme; c'est une folie que de croire qu'il existe une bonté morale: toute manière de se conduire, absolument indifférente en elle-même, devient bonne ou mauvaise en raison du pays qui la juge; mais l'homme sage doit adopter, s'il veut vivre heureux, celle du climat où le sort le jette.... J'eus peut-être fait comme toi à Lisbonne.... A Butua je fais comme les nègres.... Eh que diable veux-tu que je te donne à souper, dès que tu ne veux pas te nourrir de ce dont tout le monde mange?… J'ai bien là un vieux singe, mais il sera dur; je vais ordonner qu'on te le fasse griller.—Soit, je mangerai sûrement avec moins de dégoût la culotte on le râble de ton singe, que les carnosités des sultanes de ton roi.—Ce n'en est pas, morbleu, nous ne mangeons pas la chair des femmes; elle est filandreuse et fade, et tu n'en verras jamais servir nulle part9. Ce mets succulent que tu dédaignes, est la cuisse d'un Jagas tué au combat d'hier, jeune, frais, et dont le suc doit être délicieux; je l'ai fait cuire au four, il est dans son jus … regarde.... Mais qu'à cela ne tienne, trouve bon seulement pendant que tu mangeras mon singe, que je puisse avaler quelques morceaux de ceci.—Laisse-là ton singe, dis-je à mon hôte en apercevant un plat de gâteaux et de fruits qu'on nous préparait sans doute pour le dessert. Fais ton abominable souper tout seul, et dans un coin opposé le plus loin que je pourrai de toi; laisse-moi m'alimenter de ceci, j'en aurai beaucoup plus qu'il ne faut.
Mon cher compatriote, me dit l'Européen cannibalisé, tout en dévorant son Jagas, tu reviendras de ces chimères: je t'ai déjà vu blâmer beaucoup de choses ici, dont tu finiras par faire tes délices; il n'y a rien où l'habitude ne nous ploie; il n'y a pas d'espèce de goût qui ne puisse nous venir par l'habitude.—A en juger par tes propos, frère, les plaisirs dépravés de ton maître sont donc déjà devenus les tiens?—Dans beaucoup de choses, mon ami, jette les yeux sur ces jeunes nègres, voilà ceux qui, comme chez lui, m'apprennent à me passer de femmes, et je te réponds qu'avec eux je ne me doute pas des privations.... Si tu n'étais pas si scrupuleux, je t'en offrirais.... Comme de ceci, dit-il en montrant la dégoûtante chair dont il se repaissait.... Mais tu refus rais tout de même.—Cesse d'en douter, vieux pécheur, et convaincs-toi bien que j'aimerais mieux déserter ton infâme pays, au risque d'être mangé par ceux qui l'habitent, que d'y rester une minute aux dépens de la corruption de mes moeurs.—Ne comprends pas dans la corruption morale l'usage de manger de la chair humaine. Il est aussi simple de se nourrir d'un homme que d'un boeuf10. Dis si tu veux que la guerre, cause de la destruction de l'espèce, est un fléau; mais cette destruction faite, il est absolument égal que ce soient les entrailles de la terre ou celles de l'homme qui servent de sépulcre à des élémens désorganisés.—Soit; mais s'il est vrai que cette viande excite la gourmandise, comme le prétendent et toi, et ceux qui en mangent, le besoin de détruire peut s'ensuivre de la satisfaction de cette sensualité, et voilà dès l'instant des crimes combinés, et bientôt après des crimes commis. Les Voyageurs nous apprennent que les sauvages mangent leurs ennemis, et ils les excusent, en affirmant qu'ils ne mangent jamais que ceux-là; et qui assurera que les sauvages, qui, à la vérité ne dévorent aujourd'hui que ceux qu'ils ont pris à la guerre, n'ont pas commencé par faire la guerre pour avoir le plaisir de manger des hommes? Or, dans, ce cas, y aurait-il un goût plus condamnable et plus dangereux, puisqu'il serait devenu la première cause qui eût armé l'homme contre son semblable, et qui l'eût contraint à s'entre-détruire?—N'en crois rien, mon ami, c'est l'ambition, c'est la vengeance, la cupidité, la tyrannie; ce sont toutes ces passions qui mirent les armes à la main de l'homme, qui l'obligèrent à se détruire; reste à savoir maintenant si cette destruction est un aussi grand mal que l'on se l'imagine, et si, ressemblant aux fléaux que la nature envoie dans les mêmes principes, elle ne la sert pas tout comme eux. Mais ceci nous entraînerait bien loin: il faudrait analyser d'abord, comment toi, faible et vile créature, qui n'as la force de rien créer, peux t'imaginer de pouvoir détruire; comment, selon toi, la mort pourrait être une destruction, puisque la nature n'en admet aucune dans ses loix, et que ses actes ne sont que des métempsycoses et des reproductions perpétuelles; il faudrait en venir ensuite à démontrer comment des changemens de formes, qui ne servent qu'à faciliter ses créations, peuvent devenir des crimes contre ses loix, et comment la manière de les aider ou de les servir, peut en même-tems les outrager. Or, tu vois que de pareilles discussions prendraient trop sur le tems de ton sommeil, va te coucher, mon ami, prends un de mes nègres, si cela te convient, ou quelques femmes, si elles te plaisent mieux.—Rien ne me plaît, qu'un coin pour reposer, dis-je à mon respectable prédécesseur.—Adieu, je vais dormir en détestant tes opinions, en abhorrant tes moeurs, et rendant grâce pourtant au ciel du bonheur que j'ai eu de te rencontrer ici.
Il faut que j'achève de te mettre au fait de ce qui regarde le maître que tu vas servir, me dit Sarmiento en venant m'éveiller le lendemain; suis-moi, nous jaserons tout en parcourant la campagne.
«Il est impossible de te peindre, mon ami, reprit le Portugais, en quel avilissement sont les femmes dans ce pays-ci: il est de luxe d'en avoir beaucoup … d'usage de s'en servir fort peu. Le pauvre et l'opulent, tout pense ici de même sur cette matière; aussi, ce sexe remplit-il dans cette contrée les mêmes soins que nos bêtes de somme en Europe: ce sont les femmes qui ensemencent, qui labourent, qui moissonnent; arrivées à la maison, ce sont elles qui préparent à manger, qui approprient, qui servent, et pour comble de maux, toujours elles qu'on immole aux Dieux. Perpétuellement en butte à la férocité de ce peuple barbare, elles sont tour-à-tour victimes de sa mauvaise humeur; de son intempérance et de sa tyrannie; jette les yeux sur ce champ de maïs, vois ces malheureuses nues courbées dans le sillon, qu'elles entr'ouvrent, et frémissantes sous le fouet de l'époux qui les y conduit; de retour chez cet époux cruel, elles lui prépareront son dîner; le lui serviront, et recevront impitoyablement cent coups de gaules pour la plus légère négligence.»—La population doit cruellement souffrir de ces odieuses coutumes?—«Aussi est-elle presqu'anéantie; deux usages singuliers y contribuent plus que tout encore: le premier est l'opinion où est ce peuple qu'une femme est impure huit jours avant et huit jours après l'époque du mois où la nature la purge; ce qui n'en laisse pas huit dans le mois où il la croie digne de lui servir. Le second usage, également destructeur de la population, est l'abstinence rigoureuse à laquelle est condamnée une femme après couches: son mari ne la voit plus de trois ans. On peut joindre à ces motifs de dépopulation l'ignominie que jette ce peuple sur cette même femme dès qu'elle est enceinte: de ce moment elle n'ose plus paraître, on se moque d'elle, on la montre au doigt, les temples mêmes lui sont fermés11. Une population autrefois trop forte dût autoriser ces anciens usages: un peuple trop nombreux, borné de manière à ne pouvoir s'étendre ou former des colonies, doit nécessairement se détruire lui-même, mais ces pratiques meurtrières deviennent absurdes aujourd'hui dans un royaume qui s'enrichirait du surplus de ses sujets, s'il voulait communiquer avec nous. Je leur ai fait cette observation, ils ne la goûtent point; je leur ai dit que leur nation périrait avant un siècle, ils s'en moquent. Mais cette horreur pour la propagation de son espèce est empreinte dans l'âme des sujets de cet empire; elle est bien autrement gravée dans l'âme du monarque qui le régit: non-seulement ses goûts contrarient les voeux de la nature; mais, s'il lui arrive même de s'oublier avec une femme, et qu'il soit parvenu à la rendre sensible, la peine de mort devient la punition de trop d'ardeur de cette infortunée; elle ne double son exis en ce que pour perdre aussi-tôt la sienne: aussi, n'y a-t-il sortes de précautions que ne prennent ces femmes pour empêcher la propagation, ou pour la détruire. Tu t'étonnais hier de leur quantité, et néanmoins sur ce nombre immense à peine y en a-t-il quatre cent en état de servir chaque jour. Enfermées avec exactitude dans une maison particulière tout le tems de leurs infirmités, reléguées, punies, condamnées à mort pour la moindre chose,… immolées aux Dieux, leur nombre diminue à chaque moment; est-ce trop de ce qui reste pour le service des jardins, du palais, et des plaisirs du souverain?»—Eh quoi! dis-je, parce qu'une femme accomplit la loi de la nature, elle deviendra de cet instant impropre au service des jardins de son maître? Il est déjà, ce me semble assez cruel de l'y faire travailler, sans la juger indigne de ce fatiguant emploi, parce qu'elle subit le sort qu'attache le ciel à son humanité.—«Cela est pourtant: l'Empereur ne voudrait pas qu'en cet état les mains mêmes d'une femme touchassent une feuille de ses arbres.»—Malheur à une nation assez esclave de ses préjugés pour penser ainsi; elle doit être fort près de sa ruine.—« Aussi y touche-t-elle, et tel étendu que soit le royaume, il ne contient pas aujourd'hui trente mille âmes. Miné de par-tout par le vice et la corruption, il va s'écrouler de lui-même, et les Jagas en seront bientôt maîtres; Tributaires aujourd'hui, demain ils seront vainqueurs; il ne leur manque qu'un chef pour opérer cette révolution.»—Voilà donc le vice dangereux, et la corruption des moeurs pernicieuse?—Non pas généralement, je ne l'accorde que relativement à l'individu ou à la nation, je le nie dans le plan général. Ces inconvéniens sont nuls dans les grands desseins de la nature; et qu'importe à ses loix qu'un empire soit plus ou moins puissant, qu'il s'agrandisse par ses vertus, ou se détruise par sa corruption; cette vicissitude est une des premières loix de cette main qui nous gouverne; les vices qui l'occasionnent sont donc nécessaires. La nature ne crée que pour corrompre: or, si elle ne se corrompt que par des vices, voilà le vice une de ses loix. Les crimes des tyrans de Rome, si funestes aux particuliers, n'étaient que les moyens dont se servait la nature pour opérer la chute de l'empire; voilà donc les conventions sociales opposées à celles de la nature; voilà donc ce que l'homme punit, utile aux loix du grand tout; voilà donc ce qui détruit l'homme, essentiel au plan général. Vois en grand, mon ami, ne rapetisse jamais tes idées; souviens-toi que tout sert à la nature, et qu'il n'y a pas sur la terre une seule modification dont elle ne retire un profit réel.—Eh quoi! la plus mauvaise de toutes les actions la servirait donc autant que la meilleure?—Assurément: l'homme vraiment sage doit voir du même oeil; il doit être convaincu de l'indifférence de l'un ou l'autre de ces modes, et n'adopter que celui des deux qui convient le mieux à sa conservation ou à ses intérêts; et telle est la différence essentielle qui se trouve entre les vues de la nature et celles du particulier, que la première gagne presque toujours à ce qui nuit à l'autre; que le vice devient utile à l'une, pendant que l'autre y trouve souvent sa ruine; l'homme fait donc mal, si tu veux, en se livrant à la dépravation de ses moeurs ou a la perversité de ses inclinations; mais le mal qu'il fait n'est que relatif au climat sous lequel il vit: juges-le d'après l'ordre général, il n'a fait qu'en accomplir les loix; juges-le d'après lui-même, tu verras qu'il s'est délecté.—Ce système anéantit toutes les vertus.—Mais la vertu n'est que relative, encore une fois, c'est une vérité dont il faut se convaincre avant de faire un pas sous les portiques du lycée: voilà pourquoi je te disais hier, que je ne serais pas à Lisbonne ce que je ferais ici; il est faux qu'il y ait d'autres vertus que celles de convention, toutes sont locales, et la seule qui soit respectable, la seule qui puisse rendre l'homme content, est celle du pays où il est; crois-tu que l'habitant de Pékin puisse être heureux dans son pays d'une vertu française, et réversiblement le vice chinois donnera-t-il des remords à un Allemand?—C'est une vertu bien chancelante, que celle dont l'existence n'est point universelle.—Et que t'importe sa solidité, qu'as-tu besoin d'une vertu universelle, dès que la nationale suffit à ton bonheur?—Et le Ciel? tu l'invoquais hier.—Ami, ne confonds pas des pratiques habituelles avec les principes de l'esprit: j'ai pu me livrer hier à un usage de mon pays, sans croire qu'il y ait une sorte de vertu qui plaise plus à l'Éternel qu'une autre.... Mais revenons: nous étions sortis pour politiquer, et tu m'ériges en moraliste, quand je ne dois être qu'instituteur.
Il y a long-tems, reprit Sarmiento, que les Portugais désirent d'être maîtres de ce royaume, afin que leurs colonies puissent se donner la main d'une cote à l'autre, et que rien, du Mosa Imbique à Binguelle
Бесплатно
Установите приложение, чтобы читать эту книгу бесплатно
О проекте
О подписке