Читать бесплатно книгу «Les contemplations. Aujourd'hui, 1843-1856» Виктора Мари Гюго полностью онлайн — MyBook

X

 
Pendant que le marin, qui calcule et qui doute,
Demande son chemin aux constellations;
Pendant que le berger, l'oeil plein de visions,
Cherche au milieu des bois son étoile et sa route;
Pendant que l'astronome, inondé de rayons,
 
 
Pèse un globe à travers des millions de lieues,
Moi, je cherche autre chose en ce ciel vaste et pur.
Mais que ce saphir sombre est un abîme obscur!
On ne peut distinguer, la nuit, les robes bleues
Des anges frissonnants qui glissent dans l'azur.
 
Avril 1847.

XI

 
On vit, on parle, on a le ciel et les nuages
Sur la tête; on se plaît aux livres des vieux sages;
On lit Virgile et Dante; on va joyeusement
En voiture publique à quelque endroit charmant,
En riant aux éclats de l'auberge et du gîte;
Le regard d'une femme en passant vous agite;
On aime, on est aimé, bonheur qui manque aux rois!
On écoute le chant des oiseaux dans les bois
Le matin, on s'éveille, et toute une famille
Vous embrasse, une mère, une soeur, une fille!
 
 
On déjeune en lisant son journal. Tout le jour
On mêle à sa pensée espoir, travail, amour;
La vie arrive avec ses passions troublées;
On jette sa parole aux sombres assemblées;
Devant le but qu'on veut et le sort qui vous prend,
On se sent faible et fort, on est petit et grand;
On est flot dans la foule, âme dans la tempête;
Tout vient et passe; on est en deuil, on est en fête;
On arrive, on recule, on lutte avec effort… -
Puis, le vaste et profond silence de la mort!
 
11 juillet 1846, en revenant du cimetière.

XII
A QUOI SONGEAIENT
LES DEUX CAVALIERS DANS LA FORÊT

 
La nuit était fort noire et la forêt très-sombre.
Hermann à mes côtés me paraissait une ombre.
Nos chevaux galopaient. A la garde de Dieu!
Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres.
Les étoiles volaient dans les branches des arbres
Comme un essaim d'oiseaux de feu.
 
 
Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance,
L'esprit profond d'Hermann est vide d'espérance.
Je suis plein de regrets. O mes amours, dormez!
Or, tout en traversant ces solitudes vertes,
Hermann me dit: «Je songe aux tombes entr'ouvertes;»
Et je lui dis: «Je pense aux tombeaux refermés.»
 
 
Lui regarde eu avant: je regarde en arrière,
Nos chevaux galopaient à travers la clairière;
Le vent nous apportait de lointains angelus;
dit: «Je songe à ceux que l'existence afflige,
A ceux qui sont, à ceux qui vivent. – Moi,» lui dis-je,
«Je pense à ceux qui ne sont plus!»
 
 
Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines?
Les chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes?
Les buissons chuchotaient comme d'anciens amis.
Hermann me dit: «Jamais les vivants ne sommeillent.
En ce moment, des yeux pleurent, d'autres yeux veillent.»
Et je lui dis: «Hélas! d'autres sont endormis!»
 
 
Hermann reprit alors: «Le malheur, c'est la vie.
Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux! j'envie
Leur fosse où l'herbe pousse, où s'effeuillent les bois.
«Car la nuit les caresse avec ses douces flammes;
Car le ciel rayonnant calme toutes les âmes
Dans tous les tombeaux à la fois!»
 
 
Et je lui dis: «Tais-toi! respect au noir mystère!
Les morts gisent couchés sous nos pieds dans la terre.
Les morts, ce sont les coeurs qui t'aimaient autrefois
C'est ton ange expiré! c'est ton père et ta mère!
Ne les attristons point par l'ironie amère.
Comme à travers un rêve ils entendent nos voix.»
 
Octobre 1853.

XIII
VENI, VIDI, VIXI

 
J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent,
Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs;
 
 
Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fête,
J'assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour;
Puisque je suis à l'heure où l'homme fuit le jour,
Hélas! et sent de tout la tristesse secrète;
 
 
Puisque l'espoir serein dans mon âme est vaincu;
Puisqu'en cette saison des parfums et des roses,
O ma fille! j'aspire à l'ombre où tu reposes,
Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu.
 
 
Je n'ai pas refusé ma tâche sur la terre.
Mon sillon? Le voilà. Ma gerbe? La voici.
J'ai vécu souriant, toujours plus adouci,
Debout, mais incliné du côté du mystère.
 
 
J'ai fait ce que j'ai pu; j'ai servi, j'ai veillé,
Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine.
Je me suis étonné d'être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.
 
 
Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile,
Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,
J'ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.
 
 
Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi;
Je ne me tourne plus même quand on me nomme;
Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme
Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi.
 
 
Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit.
O Seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit
Afin que je m'en aille et que je disparaisse!
 
Avril 1848.

XIV

 
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
 
 
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
 
 
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
 
3 Septembre 1847.

XV
A VILLEQUIER

 
Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,
Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux;
Maintenant que je suis sous les branches des arbres,
Et que je puis songer à la beauté des cieux;
 
 
Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure
Je sors, pâle et vainqueur,
Et que je sens la paix de la grande nature
Qui m'entre dans le coeur;
 
 
Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Ému par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon;
 
 
Maintenant, ô mon Dieu! que j'ai ce calme sombre
De pouvoir désormais
Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre
Elle dort pour jamais;
 
 
Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles,
Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l'immensité;
 
 
Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire;
Je vous porte, apaisé,
Les morceaux de ce coeur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé;
 
 
Je viens à vous, Seigneur! confessant que vous êtes
Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant!
Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent;
 
 
Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament;
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement;
 
 
Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,
Possédez l'infini, le réel, l'absolu;
Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste
Que mon coeur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu!
 
 
Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive
Par votre volonté.
L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,
Roule à l'éternité.
 
 
Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses;
L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant.
L'homme subit le joug sans connaître les causes.
Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.
 
 
Vous faites revenir toujours la solitude
Autour de tous ses pas.
Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude
Ni la joie ici-bas!
 
 
Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire:
C'est ici ma maison, mon champ et mes amours!
 
 
Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient;
Il vieillit sans soutiens.
Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient;
J'en conviens, j'en conviens!
 
 
Le monde est sombre, ô Dieu! l'immuable harmonie
Se compose des pleurs aussi bien que des chants;
L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie,
Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.
 
 
Je sais que vous avez bien autre chose à faire
Que de nous plaindre tous,
Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,
Ne vous fait rien, à vous!
 
 
Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue;
Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum;
Que la création est une grande roue
Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un;
 
 
Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,
Passent sous le ciel bleu;
Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent;
Je le sais, ô mon Dieu!
 
 
Dans vos cieux, au delà de la sphère des nues,
Au fond de cet azur immobile et dormant,
Peut-être faites-vous des choses inconnues
Où la douleur de l'homme entre comme élément.
 
 
Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre
Que des êtres charmants
S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre
Des noirs événements.
 
 
Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses
Que rien ne déconcerte et que rien n'attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites démences
Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit!
 
 
Je vous supplie, ô Dieu! de regarder mon âme,
Et de considérer
Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme
Je viens vous adorer!
 
 
Considérez encor que j'avais, dès l'aurore,
Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,
Expliquant la nature à l'homme qui l'ignore,
Éclairant toute chose avec votre clarté;
 
 
Que j'avais, affrontant la haine et la colère,
Fait ma tâche ici-bas,
Que je ne pouvais pas m'attendre à ce salaire,
Que je ne pouvais pas
 
 
Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie,
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyiez comme j'ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant!
 
 
Qu'une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,
Que j'ai pu blasphémer,
Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
Une pierre à la mer!
 
 
Considérez qu'on doute, ô mon Dieu! quand on souffre,
Que l'oeil qui pleure trop finit par s'aveugler.
Qu'un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,
 
 
Et qu'il ne se peut pas que l'homme, lorsqu'il sombre
Dans les afflictions,
Ait présente à l'esprit la sérénité sombre
Des constellations!
 
 
Aujourd'hui, moi qui fus faible comme une mère,
Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.
Je me sens éclairé dans ma douleur amère
Par un meilleur regard jeté sur l'univers.
 
 
Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire,
S'il ose murmurer;
Je cesse d'accuser, je cesse de maudire,
Mais laissez-moi pleurer!
 
 
Hélas! laissez les pleurs couler de ma paupière,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela!
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant: Sens-tu que je suis là?
 
 
Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,
Le soir, quand tout se tait,
Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,
Cet ange m'écoutait!
 
 
Hélas! vers le passé tournant un oeil d'envie,
Sans que rien ici-bas puisse m'en consoler,
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Où je l'ai vue ouvrir son aile et s'envoler!
 
 
Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure,
L'instant, pleurs superflus!
Où je criai: L'enfant que j'avais tout à l'heure,
Quoi donc! je ne l'ai plus!
 
 
Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
O mon Dieu! cette plaie a si longtemps saigné!
L'angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,
Et mon coeur est soumis, mais n'est pas résigné.
 
 
Ne vous irritez pas! fronts que le deuil réclame,
Mortels sujets aux pleurs,
Il nous est malaisé de retirer notre âme
De ces grandes douleurs.
 
 
Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires,
Seigneur; quand on a vu dans sa vie, un matin,
Au milieu des ennuis, des peines, des misères,
Et de l'ombre que fait sur nous notre destin,
 
 
Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,
Petit être joyeux,
Si beau, qu'on a cru voir s'ouvrir à son entrée
Une porte des cieux;
 
 
Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même
Croître la grâce aimable et la douce raison,
Lorsqu'on a reconnu que cet enfant qu'on aime
Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,
 
 
Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste
De tout ce qu'on rêva,
Considérez que c'est une chose bien triste
De le voir qui s'en va!
 
Villequier, 4 septembre 1847.
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