J'ajoute un post-scriptum après neuf ans. J'écoute:
Êtes-vous toujours là? Vous êtes mort sans doute,
Marquis; mais d'où je suis on peut parler aux morts.
Ah! votre cercueil s'ouvre: – Où donc es-tu? – Dehors.
Comme vous. – Es-tu mort? – Presque. J'habite l'ombre;
Je suis sur un rocher qu'environne l'eau sombre,
Écueil rongé des flots, de ténèbres chargé,
Où s'assied, ruisselant, le blême naufragé.
-Eh bien, me dites-vous, après? – La solitude
Autour de moi toujours a la même attitude;
Je ne vois que l'abîme, et la mer, et les cieux,
Et les nuages noirs qui vont silencieux;
Mon toit, la nuit, frissonne, et l'ouragan le mêle
Aux souffles effrénés de l'onde et de la grêle;
Quelqu'un semble clouer un crêpe à l'horizon;
L'insulte bat de loin le seuil de ma maison;
Le roc croule sous moi dès que mon pied s'y pose;
Le vent semble avoir peur de m'approcher, et n'ose
Me dire qu'en baissant la voix et qu'à demi
L'adieu mystérieux que me jette un ami.
La rumeur des vivants s'éteint diminuée.
Tout ce que j'ai rêvé s'est envolé, nuée!
Sur mes jours devenus fantômes, pâle et seul,
Je regarde tomber l'infini, ce linceul. -
Et vous dites: – Après? – Sous un mont qui surplombe,
Près des flots, j'ai marqué la place de ma tombe;
Ici, le bruit du gouffre est tout ce qu'on entend;
Tout est horreur et nuit. – Après? – Je suis content.
Jersey, janvier 1855.
La source tombait du rocher
Goutte à goutte à la mer affreuse.
L'Océan, fatal au nocher,
Lui dit: «Que me veux-tu, pleureuse?
«Je suis la tempête et l'effroi;
Je finis où le ciel commence.
Est-ce que j'ai besoin de toi,
Petite, moi qui suis l'immense?»
La source dit au gouffre amer:
«Je te donne, sans bruit ni gloire,
Ce qui te manque, ô vaste mer!
Une goutte d'eau qu'on peut boire.»
Avril 1854.
Ô vous l'âme profonde! ô vous la sainte lyre!
Vous souvient-il des temps d'extase et de délire,
Et des jeux triomphants,
Et du soir qui tombait des collines prochaines?
Vous souvient-il des jours? Vous souvient-il des chênes
Et des petits enfants?
Et vous rappelez-vous les amis et la table,
Et le rire éclatant du père respectable,
Et nos cris querelleurs,
Le pré, l'étang, la barque, et la lune, et la brise,
Et les chants qui sortaient de votre coeur, Louise,
En attendant les pleurs!
Le parc avait des fleurs et n'avait pas de marbres.
Oh! comme il était beau, le vieillard sous les arbres!
Je le voyais parfois
Dès l'aube sur un banc s'asseoir tenant un livre;
Je sentais, j'entendais l'ombre autour de lui vivre
Et chanter dans les bois!
Il lisait, puis dormait au baiser de l'aurore;
Et je le regardais dormir, plus calme encore
Que ce paisible lieu,
Avec son front serein d'où sortait une flamme,
Son livre ouvert devant le soleil, et son âme
Ouverte devant Dieu!
Et du fond de leur nid, sous l'orme et sous l'érable,
Les oiseaux admiraient sa tête vénérable,
Et, gais chanteurs tremblants,
Ils guettaient, s'approchaient, et souhaitaient dans l'ombre
D'avoir, pour augmenter la douceur du nid sombre,
Un de ses cheveux blancs!
Puis il se réveillait, s'en allait vers la grille,
S'arrêtait pour parler à ma petite fille,
Et ces temps sont passés!
Le vieillard et l'enfant jasaient de mille choses …
Vous ne voyiez donc pas ces deux êtres, ô roses,
Que vous refleurissez!
Avez-vous bien le coeur, ô roses, de renaître
Dans le même bosquet, sous la même fenêtre?
Où sont-ils, ces fronts purs?
N'était-ce pas vos soeurs, ces deux âmes perdues
Qui vivaient, et se sont si vite confondues
Aux éternels azurs!
Est-ce que leur sourire, est-ce que leurs paroles,
Ô roses, n'allaient pas réjouir vos corolles
Dans l'air silencieux,
Et ne s'ajoutaient pas à vos chastes délices,
Et ne devenaient pas parfums dans vos calices,
Et rayons dans vos cieux?
Ingrates! vous n'avez ni regrets, ni mémoire.
Vous vous réjouissez dans toute votre gloire;
Vous n'avez point pâli.
Ah! je ne suis qu'un homme et qu'un roseau qui ploie
Mais je ne voudrais pas, quant à moi, d'une joie
Faite de tant d'oubli!
Oh! qu'est-ce que le sort a fait de tout ce rêve?
Où donc a-t-il jeté l'humble coeur qui s'élève,
Le foyer réchauffant,
Ô Louise, et la vierge, et le vieillard prospère,
Et tous ces voeux profonds, de moi pour votre père,
De vous pour mon enfant!
Où sont-ils, les amis de ce temps que j'adore?
Ceux qu'a pris l'ombre, et ceux qui ne sont pas encore
Tombés au flot sans bords;
Eux, les évanouis, qu'un autre ciel réclame,
Et vous, les demeurés, qui vivez dans mon âme,
Mais pas plus que les morts!
Quelquefois, je voyais, de la colline en face,
Mes quatre enfants jouer, tableau que rien n'efface!
Et j'entendais leurs chants;
Ému, je contemplais ces aubes de moi-même
Qui se levaient là-bas dans la douceur suprême
Des vallons et des champs!
Ils couraient, s'appelaient dans les fleurs; et les femmes
Se mêlaient à leurs jeux comme de blanches âmes;
Et tu riais, Armand!
Et, dans l'hymen obscur qui sans fin se consomme,
La nature sentait que ce qui sort de l'homme
Est divin et charmant!
Où sont-ils? Mère, frère, à son tour chacun sombre.
Je saigne et vous saignez. Mêmes douleurs! même ombre!
Ô jours trop tôt décrus!
Ils vont se marier; faites venir un prêtre;
Qu'il revienne! ils sont morts. Et, le temps d'apparaître,
Les voilà disparus!
Nous vivons tous penchés sur un océan triste.
L'onde est sombre. Qui donc survit? qui donc existe?
Ce bruit sourd, c'est le glas.
Chaque flot est une âme; et tout fuit. Rien ne brille.
Un sanglot dit: Mon père! un sanglot dit: Ma fille!
Un sanglot dit: Hélas!
Marine-Terrace, juin 1855.
Vous, qui l'avez suivi dans sa blême vallée,
Au bord de cette mer d'écueils noirs constellée,
Sous la pâle nuée éternelle qui sort
Des flots, de l'horizon, de l'orage et du sort;
Vous qui l'avez suivi dans cette Thébaïde,
Sur cette grève nue, aigre, isolée et vide,
Où l'on ne voit qu'espace âpre et silencieux,
Solitude sur terre et solitude aux cieux;
Vous qui l'avez suivi dans ce brouillard qu'épanche
Sur le roc, sur la vague et sur l'écume blanche,
La profonde tempête aux souffles inconnus,
Recevez, dans la nuit où vous êtes venus,
Ô chers êtres! coeurs vrais, lierres de ses décombres,
La bénédiction de tous ces déserts sombres!
Ces désolations vous aiment; ces horreurs,
Ces brisants, cette mer où les vents laboureurs
Tirent sans fin le soc monstrueux des nuages,
Ces houles revenant comme de grands rouages,
Vous aiment; ces exils sont joyeux de vous voir;
Recevez la caresse immense du lieu noir!
Ô forçats de l'amour! ô compagnons, compagnes,
Qui l'aidez à traîner son boulet dans ces bagnes,
Ô groupe indestructible et fidèle entre tous
D'âmes et de bons coeurs et d'esprits fiers et doux,
Mère, fille, et vous, fils, vous ami, vous encore,
Recevez le soupir du soir vague et sonore,
Recevez le sourire et les pleurs du matin,
Recevez la chanson des mers, l'adieu lointain
Du pauvre mât penché parmi les lames brunes!
Soyez les bienvenus pour l'âpre fleur des dunes,
Et pour l'aigle qui fuit les hommes importuns,
Âmes, et que les champs vous rendent vos parfums,
Et que, votre clarté, les astres vous la rendent!
Et qu'en vous admirant, les vastes flots demandent:
Qu'est-ce donc que ces coeurs qui n'ont pas de reflux!
Ô tendres survivants de tout ce qui n'est plus!
Rayonnements masquant la grande éclipse à l'âme!
Sourires éclairant, comme une douce flamme,
L'abîme qui se fait, hélas! dans le songeur!
Gaîtés saintes chassant le souvenir rongeur!
Quand le proscrit saignant se tourne, âme meurtrie
Vers l'horizon, et crie en pleurant: «La patrie!»
La famille, mensonge auguste, dit: «C'est moi!»
Oh! suivre hors du jour, suivre hors de la loi,
Hors du monde, au delà de la dernière porte,
L'être mystérieux qu'un vent fatal emporte,
C'est beau. C'est beau de suivre un exilé! le jour
Où ce banni sortit de France, plein d'amour
Et d'angoisse, au moment de quitter cette mère,
Il s'arrêta longtemps sur la limite amère;
Il voyait, de sa course à venir déjà las,
Que dans l'oeil des passants il n'était plus, hélas!
Qu'une ombre, et qu'il allait entrer au sourd royaume
Où l'homme qui s'en va flotte et devient fantôme;
Il disait aux ruisseaux: «Retiendrez-vous mon nom,
Ruisseaux?» Et les ruisseaux coulaient en disant: «Non.»
Il disait aux oiseaux de France: «Je vous quitte,
Doux oiseaux; je m'en vais aux lieux où l'on meurt vite,
Au noir pays d'exil où le ciel est étroit;
Vous viendrez, n'est-ce pas, vous nicher dans mon toit?»
Et les oiseaux fuyaient au fond des brumes grises.
Il disait aux forêts: «M'enverrez-vous vos brises?»
Les arbres lui faisaient des signes de refus.
Car le proscrit est seul; la foule aux pas confus
Ne comprend que plus tard, d'un rayon éclairée,
Cet habitant du gouffre et de l'ombre sacrée.
Marine-Terrace, janvier 1855.
Pour l'erreur, éclairer, c'est apostasier.
Aujourd'hui ne naît pas impunément d'hier.
L'aube sort de la nuit, qui la déclare ingrate.
Anitus criait: «Mort à l'apostat Socrate!»
Caïphe disait: «Mort au renégat Jésus!»
Courbant son front pendant que l'on crache dessus,
Galilée, apostat à la terre immobile,
Songe et la sent frémir sous son genou débile.
Destin! sinistre éclat de rire! En vérité,
J'admire, ô cieux profonds! que ç'ait toujours été
La volonté de Dieu qu'en ce monde où nous sommes
On donnât sa pensée et son labeur aux hommes,
Ses entrailles, ses jours et ses nuits, sa sueur,
Son sommeil, ce qu'on a dans les yeux de lueur,
Et son coeur et son âme, et tout ce qu'on en tire,
Sans reculer devant n'importe quel martyre,
Et qu'on se répandît, et qu'on se prodiguât,
Pour être au fond du gouffre appelé renégat!
Marine-Terrace, novembre 1854.
Je dormais en effet, et tu me réveillas.
Je te criai: «Salut!» et tu me dis: «Hélas!»
Et cet instant fut doux, et nous nous embrassâmes;
Nous mêlâmes tes pleurs, mon sourire et nos âmes.
Ces temps sont déjà loin; où donc alors roulait
Ma vie? et ce destin sévère qui me plaît,
Qu'est-ce donc qu'il faisait de cette feuille morte
Que je suis, et qu'un vent pousse, et qu'un vent remporte?
J'habitais au milieu des hauts pignons flamands;
Tout le jour, dans l'azur, sur les vieux toits fumants,
Je regardais voler les grands nuages ivres;
Tandis que je songeais, le coude sur mes livres,
De moments en moments, ce noir passant ailé,
Le temps, ce sourd tonnerre à nos rumeurs mêlé,
D'où les heures s'en vont en sombres étincelles,
Ébranlait sur mon font le beffroi de Bruxelles.
Tout ce qui peut tenter un coeur ambitieux
Était là, devant moi, sur terre et dans les cieux;
Sous mes yeux, dans l'austère et gigantesque place,
J'avais les quatre points cardinaux de l'espace,
Qui font songer à l'aigle, à l'astre, au flot, au mont,
Et les quatre pavés de l'échafaud d'Egmont.
Aujourd'hui, dans une île, en butte aux eaux sans nombre,
Où l'on ne me voit plus, tant j'y suis couvert d'ombre,
Au milieu de la vaste aventure des flots,
Des rocs, des mers, brisant barques et matelots,
Debout, échevelé sur le cap ou le môle
Par le souffle qui sort de la bouche du pôle,
Parmi les chocs, les bruits, les naufrages profonds,
Morne histoire d'écueils, de gouffres, de typhons,
Dont le vent est la plume et la nuit le registre,
J'erre, et de l'horizon je suis la voix sinistre.
Et voilà qu'à travers ces brumes et ces eaux,
Tes volumes exquis m'arrivent, blancs oiseaux,
M'apportant le rameau qu'apportent les colombes
Aux arches, et le chant que le cygne offre aux tombes,
Et jetant à mes rocs tout l'éblouissement
De Paris glorieux et de Paris charmant!
Et je lis, et mon front s'éclaire, et je savoure
Ton style, ta gaîté, ta douleur, ta bravoure.
Merci, toi dont le coeur aima, sentit, comprit!
Merci, devin! merci, frère, poëte, esprit,
Qui viens chanter cet hymne à côté de ma vie!
Qui vois mon destin sombre et qui n'a pas d'envie!
Et qui, dans cette épreuve où je marche, portant
L'abandon à chaque heure et l'ombre à chaque instant,
M'as vu boire le fiel sans y mêler la haine!
Tu changes en blancheur la nuit de ma géhenne,
Et tu fais un autel de lumière inondé
Du tas de pierres noir dont on m'a lapidé.
Je ne suis rien; je viens et je m'en vais; mais gloire
À ceux qui n'ont pas peur des vaincus de l'histoire
Et des contagions du malheur toujours fui!
Gloire aux fermes penseurs inclinés sur celui
Que le sort, geôlier triste, au fond de l'exil pousse!
Ils ressemblent à l'aube, ils ont la force douce,
Ils sont grands; leur esprit parfois, avec un mot,
Dore en arc triomphal la voûte du cachot!
Le ciel s'est éclairci sur mon île sonore,
Et ton livre en venant a fait venir l'aurore;
Seul aux bois avec toi, je lis, et me souviens,
Et je songe, oubliant les monts diluviens,
L'onde, et l'aigle de mer qui plane sur mon aire;
Et, pendant que je lis, mon oeil visionnaire,
À qui tout apparaît comme dans un réveil,
Dans les ombres que font les feuilles au soleil,
Sur tes pages où rit l'idée, où vit la grâce,
Croit voir se dessiner le pur profil d'Horace,
Comme si, se mirant au livre où je te voi,
Ce doux songeur ravi lisait derrière moi!
Marine-Terrace, décembre 1854.
Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
Je cognai sur ma vitre; il s'arrêta devant
Ma porte, que j'ouvris d'une façon civile.
Les ânes revenaient du marché de la ville,
Portant les paysans accroupis sur leurs bâts.
C'était le vieux qui vit dans une niche au bas
De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
Tendant les mains pour l'homme et les joignant pour Dieu.
Je lui criai: «Venez vous réchauffer un peu.
«Comment vous nommez-vous?» Il me dit: «Je me nomme
Le pauvre.» Je lui pris la main: «Entrez, brave homme.»
Et je lui fis donner une jatte de lait.
Le vieillard grelottait de froid; il me parlait,
Et je lui répondais, pensif et sans l'entendre.
«Vos habits sont mouillés,» dis-je, «il faut les étendre
Devant la cheminée.» Il s'approcha du feu.
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
Étalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l'âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
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