Читать бесплатно книгу «Histoire littéraire d'Italie (3» Pierre Ginguené полностью онлайн — MyBook
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Au milieu de ce travail que la destruction presque entière de ses forces lui rendait très-pénible, et qu'il était même forcé d'interrompre de temps en temps, le coup le plus terrible qu'il pût recevoir vint le frapper. Il apprit, d'abord par la voix publique, la mort de celui qu'il appelait son père et son maître: François de Brossano, gendre de Pétrarque, lui confirma ensuite cette triste nouvelle, en lui envoyant, de Venise, les cinquante florins que Pétrarque lui avait légués par son testament.

«Mon premier mouvement, lui répondit Boccace, a été d'aller aussitôt donner de bien justes larmes à votre malheur et au mien, adresser avec vous mes plaintes au ciel, et dire au tombeau d'un tel père les derniers adieux: mais depuis dix mois que j'explique publiquement dans ma patrie la comédie du Dante, je suis attaqué d'une maladie plutôt longue et ennuyeuse qu'accompagnée d'aucun danger.» Il décrit ensuite l'état de langueur, de maigreur et de faiblesse où il est réduit. À peine a-t-il pu se traîner jusqu'à Certaldo, dans la maison de ses pères 37, où il continue de languir, n'attendant plus sa guérison que de Dieu. «Mais, continue-t-il, c'est assez parler de moi: après avoir reçu et lu votre lettre, ma douleur s'est renouvelée, et j'ai encore pleuré pendant presque toute une nuit, non par pitié pour cet excellent homme (sa probité, ses mœurs, ses jeûnes, ses veilles, ses prières et toutes ses vertus m'assurent qu'il est allé se réunir à Dieu, et qu'il jouit de l'éternelle gloire); mais pour moi et pour ses amis qu'il a laissés sur cette terre orageuse comme un vaisseau sans gouvernail, tourmenté par les flots et les vents, et jeté parmi les rochers. En me livrant aux innombrables agitations de mon propre cœur, je pense à l'état où doit être le vôtre et celui de la respectable Tullie, ma chère sœur, et votre épouse. Je ne doute point que votre douleur ne soit encore beaucoup plus amère… Comme Florentin, je porte envie à Arqua, en voyant que l'humilité de l'ami que nous pleurons, plutôt que le mérite de ce lieu, lui a procuré le bonheur de posséder le corps de celui dont le noble cœur fut le séjour chéri des muses, le sanctuaire de la philosophie, le temple de tous les arts, et surtout de cette éloquence cicéronienne, dont ses écrits offrent tant d'exemples. Arqua, jusqu'à présent inconnu, non seulement aux étrangers, mais aux habitants de Padoue, sera désormais connu des nations; son nom sera fameux dans le monde entier. On l'honorera comme nous honorons les collines de Pausilippe, lors même que nous ne les aimons pas, parce qu'à leur racine sont placés les os de Virgile; Tomes, le Phase et les extrémités du Pont-Euxin, qui possèdent le tombeau d'Ovide, et Smyrne, à cause de celui d'Homère… Je ne doute point que le navigateur, revenant chargé de richesses des bords les plus éloignés de l'Océan, et voguant sur la mer Adriatique, ne regarde de loin avec respect le sommet des monts Euganées, et ne dise, ou en lui-même ou à ses amis: Voilà ces montagnes qui renferment dans leurs entrailles l'honneur du monde, celui qui fut l'asyle de toutes les sciences, Pétrarque, ce poëte éloquent, décoré jadis dans la reine des villes, de la couronne triomphale, et qui a laissé dans tant d'écrits des gages d'une immortelle renommée… Ah! malheureuse patrie, il ne t'a pas été donné de posséder les cendres d'un fils aussi illustre. En effet, tu étais indigne d'un tel honneur; tu as négligé pendant sa vie de l'attirer à toi, de le placer honorablement dans ton sein. Tu l'aurais appelé, s'il eût été un artisan de trahisons et de crimes, s'il se fût rendu coupable d'avarice, d'ingratitude et d'envie 38.

Cette lettre est beaucoup plus longue, mais ceci suffit pour faire voir combien Boccace fut affecté de cette perte. Son imagination est émue comme son cœur. On aime à retrouver ces traces du sentiment qui unissait deux hommes célèbres. Elles deviendraient surtout précieuses, et pourraient n'être pas sans utilité, dans des temps où les gens de lettres s'isoleraient entièrement les uns des autres, se concentreraient chacun dans leur intérêt particulier, n'auraient même plus pour intérêt commun celui de la gloire et du progrès des lettres, et sembleraient ignorer quel charme prêtent à l'exercice des facultés de l'esprit les communications, les conseils et les doux épanchements de l'amitié. – Boccace ne put en effet se rétablir ni par le séjour de la campagne, ni par les secours de l'art, ni par le ralentissement qu'il mit, mais trop tard, dans l'activité de ses travaux. Il languit encore jusqu'à la fin de 1375, et mourut à Certaldo le 21 décembre, âgé de soixante-deux ans.

Peu de temps avant de mourir, il avait fait son testament, où il dispose de son mobilier, et laisse ce qui lui restait de bien à deux neveux, fils de Jacques, son frère aîné. Le legs le plus considérable est celui de ses livres, presque tous copiés de sa main, ou recueillis avec beaucoup de fatigues et de dépenses. Il en fait don à un certain père Martin, religieux de Saint-Augustin, son exécuteur testamentaire et sans doute son directeur, qui dut les laisser à son couvent; ils se sont ensuite perdus. Un savant célèbre, Niccolo Niccoli, fit, dans le siècle suivant, un acte de générosité qui devait les sauver; il fit faire et orner à ses frais, dans ce couvent, une pièce exprès, où les livres de Boccace furent déposés; mais le temps a fait disparaître la chambre, les ornements et les livres 39. On remarque aussi dans ce testament qu'il n'y fait aucune mention d'un fils naturel qu'il avait eu dans sa jeunesse, et qui était établi à Florence. Ce fut cependant ce fils qui présida à ses funérailles, et qui le fit enterrer honorablement à Certaldo. Il fit graver sur la tombe de son père, une inscription en quatre vers latins, que Boccace avait composée lui-même. Ces vers sont médiocres, excepté le dernier, qui dit avec concision et élégance que Certaldo fut sa patrie, et la douce poésie son étude 40:

Patria Certaldum, studium fuit alma poësis

Boccace fut généralement regretté à Florence; où il n'avait cependant pas trouvé dans sa pauvreté beaucoup de secours. Plusieurs poëtes, et surtout Franco Sacchetti, firent des vers à sa louange. Il fut frappé deux médailles en son honneur; et la république voulant, vingt ans après, rendre un hommage plus solennel à sa mémoire, délibéra de lui ériger un tombeau magnifique, ainsi qu'à Dante et à Pétrarque, dans l'église de Sancta-Maria del Fiore; mais ce projet ne fut exécuté pour aucun de ces trois grands hommes.

Le goût dominant de Boccace, dans l'âge des passions, avait été l'amour du plaisir, tempéré par celui de l'étude. Dans son âge avancé, l'amour de l'étude resta seul, et l'occupa tout entier. Il ne s'y joignit aucune ambition de rang ni de fortune. Les emplois qui lui furent confiés vinrent le chercher, et dès qu'il put en déposer le fardeau, il le fit. Il avait la même aversion pour les affaires domestiques que pour les autres, et ne voulut jamais se charger ni de tutelles, ni d'aucune de ces fonctions privées qui engagent dans des discussions d'intérêts avec les hommes. Son caractère était franc et ouvert; il n'était pourtant pas exempt d'un fierté dont on peut blâmer l'excès, mais qui, surtout dans la mauvaise fortune, garantit des condescendances viles, et sert de sauve-garde à l'honneur et à la vertu. Sa figure était belle; son visage rond et plein; ses traits en général un peu gros, mais réguliers; sa taille haute et forte; ses manières libres et engageantes; sa conversation gaie, spirituelle et pleine d'agrément. La philosophie, l'érudition et la poésie en étaient les sujets les plus familiers, et il ne contribua peut-être pas moins par ses entretiens que par ses écrits à répandre dans sa patrie l'amour de l'étude et le goût des lettres.

Le plus considérable des ouvrages latins de Boccace est son Traité de la généalogie des Dieux 41. Ce fut le premier qu'il écrivit depuis qu'il se fut retiré à Certaldo. Il le fit à la demande de Hugues, roi de Chypre et de Jérusalem, à qui il le dédia. Cet ouvrage est divisé en quinze livres, et subdivisé en chapitres, où l'auteur a réuni tout ce que ses longues études avaient pu lui apprendre sur le système mythologique des anciens. Il traite, en autant de chapitres particuliers, de chaque dieu, déesse ou génie, et descend jusqu'aux demi-dieux et aux héros qui passèrent pour être les enfants des dieux. Dans son quatorzième livre, il défend la poésie contre ses détracteurs, contre les ignorants, les pédants, les théologiens, les juristes, les moines et tous les prétendus docteurs de son siècle. Il définit ensuite ce que c'est que la poésie, et en démontre l'antiquité et l'utilité. Le quinzième livre contient une espèce de résumé de tout l'ouvrage. Il y rend compte des sources où il a puisé, des recherches qu'il a dû faire, de la méthode qu'il a suivie, des ordres du roi qui le lui ont fait entreprendre. Il se croit enfin obligé de prouver qu'un chrétien peut sans indécence traiter des sujets de l'antiquité païenne.

Ce livre qu'il ne publia qu'environ dix ans après 42, eut alors, et dans le siècle suivant, beaucoup de réputation. Les écrivains de ce temps lui prodiguèrent les plus grands éloges 43; toutes les bibliothèques en eurent des copies, et dès que l'art de l'imprimerie fut inventé, les éditions se multiplièrent rapidement 44: cela devait être. Les notions que l'on avait alors de la mythologie étaient si imparfaites et si confuses, qu'on devait saisir avidement ce premier trait de lumière: mais il a perdu de son prix à mesure qu'il a paru sur ce même sujet des ouvrages remplis d'une meilleure critique et d'une érudition plus étendue. Ce qu'on en peut dire aujourd'hui de plus favorable est ce qu'a dit Louis Vivès 45, que ce livre, où Boccace a rassemblé en un seul corps les généalogies de tous les Dieux, est mieux fait qu'on ne pouvait l'attendre de son siècle.

On en peut dire autant du petit Traité qu'il composa en un seul livre sur les montagnes, les forêts, les fontaines, les lacs, les fleuves, les étangs, et les différents noms de mer 46. On le trouve ordinairement, et dans les éditions, et dans les manuscrits, à la suite du précédent. Le titre en explique suffisamment le sujet. C'est un ouvrage qui put être alors très-utile pour l'étude de la géographie ancienne, dont les notions étaient aussi confuses que celles de la mythologie. On y trouve expliqué, par ordre alphabétique, tout ce qui regarde chacune des montagnes, des forêts, des fontaines, etc., dont il est question dans les anciens. L'auteur rapporte dans chaque article l'origine du nom, les variations qu'il a éprouvées chez les différents peuples et les différents auteurs, et lève ainsi les difficultés, les équivoques et les erreurs auxquelles ces variations ont donné lieu.

Deux autres de ses ouvrages en prose latine sont historiques. Le premier est un Traité Des infortunes des Hommes et des Femmes illustres 47. Il commence par Adam et Ève, et descend jusqu'aux personnages de son temps. Le second est intitulé: Des Femmes célèbres 48, et s'étend aussi depuis Ève jusqu'à la reine Jeanne de Naples. Boccace n'oublie pas d'y parler d'une autre Jeanne qui a fait beaucoup de bruit dans le monde, mais qui est un personnage plus fabuleux qu'historique: c'est la papesse Jeanne. Dans quelques éditions, une gravure en bois la représente même en habits pontificaux, et entourée de toute la cour romaine, surprise par l'accident qui révéla son sexe, et se délivrant d'un fardeau dont le chef de l'Église ne dut jamais être chargé. L'un et l'autre ouvrage sont assez dans le genre du Traité de Pétrarque, intitulé: Des Choses mémorables; mais la latinité n'y est pas à beaucoup près aussi pure, et ne se rapproche pas autant de celle des bons siècles de Rome.

Cette différence est encore plus sensible dans les vers que dans la prose. Boccace a laissé seize églogues 49, dont plusieurs sont assez longues, et qui ont presque toutes pour sujet des faits qui lui sont particuliers, ou des traits de l'histoire de son temps, ce qui, joint à la dureté et à l'obscurité du style, les rend le plus souvent aussi difficiles à entendre que peu agréables à lire. Par exemple, la troisième églogue est intitulée Faunus, et ce Faune, qui est le principal interlocuteur, est Francesco degli Ordelaffi, seigneur d'Imola, de Césène et de Forli. Il était intime ami de Boccace, qui lui avait donné ce nom de Faune à cause de sa passion pour la chasse et pour le séjour des forêts 50. Il eut des aventures extraordinaires, dont l'histoire de ce siècle fait mention, et auxquelles font allusion plusieurs passages de cette églogue. On n'entend rien à ces passages, si l'on ne connaît cette clef, et si l'on ne consulte l'histoire. La quatrième est intitulée Dorus; sous ce nom, le poëte a voulu désigner Louis, roi de Sicile; et la fuite de ce jeune roi, époux de la reine Jeanne, qui était fugitive comme lui 51, est le sujet de cette églogue. Boccace nous apprend lui-même 52 que, comme Louis était sans doute dévoré d'amertume en se voyant chassé de ses états, et que le mot grec doris, signifie amertume, il lui a donné le nom de Dorus. Il y a deux autres interlocuteurs, Montanus et Pithyas.

Le premier peut être pris pour un habitant quelconque de Volterre, parce que cette ville est située sur une montagne, et que le roi y fut bien reçu dans sa fuite; Boccace entend, par le second, le grand sénéchal 53, qui n'abandonna point ce prince, et qui fut pour lui ce que Pithyas fut pour Damon, selon Valère Maxime, dans son chapitre De l'Amitié. La cinquième églogue a pour titre Sylva cadens, la forêt tombante; et ce n'est point une forêt que Boccace y a voulu peindre, mais la ville de Naples désolée, dépeuplée, et presque abattue et tombante par le chagrin que lui cause la fuite de son roi. Dans cette forêt, qui est une ville, les troupeaux, les moutons, les bœufs, tristes et malades, sont les habitants affligés. Le sujet de la sixième églogue est le retour du roi Louis, qui ne s'y appelle plus Dorus, mais Alcestus, parce qu'il était devenu un très-bon roi, et qu'il se portait avec ardeur à la vertu. Or, alce, en grec, selon Boccace, signifie vertu; et æstus, en latin, veut dire ardeur ou chaleur. Cela est contraire à la règle des étymologies, qui défend de tirer celle du même mot de deux langues différentes; mais on n'y regardait pas alors de si près.

Dans la septième églogue et dans les suivantes, ce n'est plus de Naples qu'il est question, mais de Florence. Les querelles entre cette république et les empereurs, sont peintes dans l'une, intitulés Jurgium, sous l'emblême dispute entre le berger Daphnis, qui est l'empereur, et la bergère Florida, qui est Florence; l'autre, qui a pour titre Midas, représente la tyrannie d'un maître avare; et le poëte a donné pour interlocuteurs au roi de Phrygie, Damon et Pithyas, ces deux modèles antiques de l'amitié. Dans une autre, la neuvième, l'embarras et l'incertitude où se trouve Florence lors du couronnement de l'empereur, sont indiqués par le titre de Lipis, attendu que ce mot, toujours selon Boccace, veut dire en grec anxiété, incertitude 54; et l'un des interlocuteurs, qui est le Florentin, se nomme Batrachos

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