Читать бесплатно книгу «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8» Джорджа Гордона Байрона полностью онлайн — MyBook

ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE
(Une salle dans le palais du Doge.)
Entrent LORÉDANO et BARBARIGO
BARBARIGO

Avez-vous confiance dans un pareil projet?

LORÉDANO

Oui.

BARBARIGO

Sa vieillesse en sera bien affligée.

LORÉDANO

Dites plutôt qu'elle se trouvera heureuse d'être ainsi délivrée du fardeau de l'état.

BARBARIGO

Son cœur en sera brisé.

LORÉDANO

La vieillesse n'a plus de cœur à briser. Il a vu celui de son fils sur le point de l'être, et, si l'on excepte un éclair d'attendrissement, en le voyant dans son cachot, il n'a pas été ému.

BARBARIGO

Dans sa contenance, je l'avoue; mais quelquefois je l'ai vu en proie à un tel découragement intérieur, que le plus bruyant désespoir ne pouvait rien trouver à lui envier. Où est-il?

LORÉDANO

Dans ses appartemens, avec son fils, et toute la race des Foscari.

BARBARIGO

Ils se disent adieu.

LORÉDANO

Un dernier adieu, comme celui que le vieillard fera bientôt à la dignité de Doge.

BARBARIGO

Et quand le fils met-il à la voile?

LORÉDANO

Tout de suite, et quand ils en auront fini avec leurs longs adieux. Il est tems de les avertir.

BARBARIGO

Arrêtez! Voulez-vous encore abréger de pareils momens?

LORÉDANO

Ce n'est pas moi; nous avons des soins plus importans. Il faut que ce jour soit en même tems le dernier du règne du vieux Doge et le premier du dernier bannissement de son fils. Et voilà la vengeance.

BARBARIGO

À mes yeux trop cruelle.

LORÉDANO

Elle est trop douce. – Ce n'est pas même vie pour vie, cette loi de représailles admise dans tous les âges: ils me doivent encore la mort de mon père et de mon oncle.

BARBARIGO

Mais cette dette, le Doge ne l'a-t-il pas hautement niée?

LORÉDANO

Sans doute.

BARBARIGO

Et ce désaveu n'a-t-il pas ébranlé vos doutes?

LORÉDANO

Non.

BARBARIGO

Quoi qu'il en soit, si la déchéance doit être obtenue par notre influence réunie dans le conseil, il faut que ce soit avec toute la déférence due à ses cheveux blancs, à son rang et à ses services.

LORÉDANO

Avec toutes les cérémonies qu'il vous plaira, pourvu que la chose se fasse. Vous pouvez, je m'en soucie peu, lui députer le conseil, pour lui demander, les genoux en terre (comme Barberousse au pape), d'avoir l'extrême courtoisie d'abdiquer.

BARBARIGO

Et s'il ne veut pas?

LORÉDANO

Alors, nous en choisirons un autre, et nous annulerons son élection.

BARBARIGO

Mais les lois? -

LORÉDANO

Quelles lois? – Les Dix, voilà les lois; et s'ils n'existaient pas, je serais, dans cette circonstance, législateur.

BARBARIGO

À vos propres périls?

LORÉDANO

Ce n'est pas ici le cas, – vous dis-je; nous en avons le droit.

BARBARIGO

Mais déjà, à deux reprises, il a sollicité la permission de se retirer, et deux fois on la lui a refusée.

LORÉDANO

Excellente raison pour la lui accorder une troisième fois.

BARBARIGO

Sans qu'il le demande?

LORÉDANO

Pour lui prouver que ses premières instances ont fait impression. Si elles partaient du cœur, il nous devra des remerciemens: sinon, il est juste de punir son hypocrisie. Allons, ils ont eu le tems de se réunir, il faut les rejoindre; et sur ce point-là seulement, montrez une résolution inébranlable. Les argumens que j'ai préparés sont de nature à les ébranler et à renverser le vieillard. N'allez pas, avec vos scrupules ordinaires, et quand nous sommes sûrs de leurs dispositions et de leur volonté, nous arrêter au moment de la réussite.

BARBARIGO

Si j'étais sûr que la déchéance du père ne sera pas le prélude d'une persécution acharnée comme celle dont son fils est la victime, je vous appuierais sans hésiter.

LORÉDANO

Il n'a rien à craindre, vous dis-je; ses quatre-vingt-cinq ans continueront autant qu'il pourra les traîner: il ne s'agit que de son trône.

BARBARIGO

Les princes déposés ont rarement beaucoup de tems à vivre.

LORÉDANO

Plus rarement encore les octogénaires.

BARBARIGO

Pourquoi donc ne pas attendre quelques jours?

LORÉDANO

Parce que nous avons déjà bien assez attendu, et qu'il vit plus qu'il ne convient. Allons! rendons-nous au conseil!

(Lorédano et Barbarigo sortent. – Entrent Memmo et un sénateur.)
SÉNATEUR

Un ordre de nous rendre au conseil des Dix! quel en peut être le motif?

MEMMO

Les Dix seuls peuvent répondre: rarement ils manifestent leurs pensées d'avance. Nous sommes cités; – il suffit.

SÉNATEUR

Il suffit pour eux, mais non pour nous; je voudrais savoir pourquoi.

MEMMO

En obéissant vous le saurez; autrement, vous n'en apprendrez pas moins pourquoi vous auriez dû obéir.

SÉNATEUR

Je ne prétends pas m'opposer, mais-

MEMMO

Dans Venise, mais désigne un traître. Ne hasardez pas de mais, à moins que vous ne vouliez passer sur le pont que l'on repasse bien rarement.

SÉNATEUR

Je me tais.

MEMMO

Pourquoi d'ailleurs cette agitation? – Les Dix invoquent, dans leurs délibérations, l'assistance de vingt-cinq patriciens; – vous êtes l'un de ceux qu'ils ont choisis, j'en suis un autre; et le choix, ou la chance qui nous réunit à une assemblée si auguste, me paraît également honorable pour nous deux.

SÉNATEUR

Sans doute. Je n'ajoute rien.

MEMMO

Comme nous avons l'espoir (et tout le monde, seigneur, peut honnêtement le caresser, je veux dire tous ceux d'une noble famille), l'espoir qu'un jour nous pourrons être décemvirs, c'est sans doute comme une école de sagesse pour les délégués du sénat qu'une pareille initiation comme novice dans les plus profonds mystères de l'état.

SÉNATEUR

Connaissons-les donc: ils méritent certainement toute notre attention.

MEMMO

Comme nous ne pourrions les divulguer sans exposer nos vies, ils méritent en effet quelque intérêt de notre part.

SÉNATEUR

Je ne demande pas une place dans le sanctuaire; mais puisque l'on m'a choisi, et non pas sans répugnance de ma part, je ferai mon devoir.

MEMMO

Ne soyons pas les derniers à obéir à la sommation des Dix.

SÉNATEUR

Tous ne sont pas encore arrivés; mais je suis de votre avis. – Entrons.

MEMMO

Les plus pressés sont les mieux venus dans les conseils d'urgence, – et du moins nous ne serons pas les derniers.

(Entrent le Doge, Jacopo Foscari et Marina.)
JACOPO FOSCARI

Ah! mon père! je sens qu'il faut partir, j'y suis décidé. Cependant, je vous en conjure, obtenez pour moi qu'un jour je sois rappelé dans mes foyers, un jour, quelqu'éloigné qu'il puisse être: qu'il y ait dans l'espace un point qui soit pour mon cœur comme une sorte de phare; j'accepte tous les tourmens qu'ils voudront m'infliger; mais, que je puisse revenir!

LE DOGE

Fils Jacopo, va, obéis aux volontés de notre pays: nous ne devons rien voir au-delà.

JACOPO FOSCARI

Mais du moins puis-je regarder derrière moi. Je vous prie, ne m'oubliez pas.

LE DOGE

Hélas! quand j'avais de nombreux enfans, vous étiez celui que je chérissais davantage; en peut-il être autrement aujourd'hui, où vous me restez seul de tous? Mais quand l'état demanderait que l'on exhumât la cendre de vos trois excellens frères, quand leurs ombres indignées s'élèveraient pour s'opposer à un pareil acte, et défendre leur dernière demeure dans la terre de la patrie, je n'en obéirais pas moins à un devoir plus impérieux encore.

MARINA

Partons, cher époux! tout cela ne fait que prolonger notre douleur.

JACOPO FOSCARI

L'on ne nous a pas encore prévenus; les voiles du vaisseau ne sont pas déployées: – qui sait? le vent peut changer.

MARINA

Il peut changer, mais leurs cœurs et votre destinée sont immuables; et la rame des galériens suppléera au calme des vents, et nous éloignera rapidement du havre.

JACOPO FOSCARI

Ô mers! où sont donc vos orages?

MARINA

Dans le cœur des hommes. Hélas! rien ne peut-il vous calmer?

JACOPO FOSCARI

Jamais marinier n'invoqua son patron pour des vents doux et prospères, comme je vous implore aujourd'hui, ô vous, patron tutélaire d'une patrie que, dans votre saint amour, vous ne pouvez chérir plus tendrement que moi! Soulevez les vagues furieuses de l'Adriatique; réveillez l'Auster, souverain des tempêtes! Que l'Océan bouleversé rejette bientôt sur les rivages déserts du Lido mon cadavre sans vie; que j'y puisse embrasser encore les sables qui bordent cette terre tant aimée, et que je ne dois plus jamais revoir!

MARINA

Et sans doute vous formez les mêmes vœux pour moi qui ne vous quitte plus?

JACOPO FOSCARI

Non; – ah! non pour toi, chère et pieuse Marina! puisses-tu long-tems me survivre, et protéger les tendres années de ces enfans, que ton sublime dévouement va priver aujourd'hui de tes soins. Mais pour moi seul, puissent tous les vents se déchaîner contre le vaisseau et mugir dans le golfe; puissent tous les marins tourner sur moi leurs visages pâles et désespérés; puissent-ils m'accuser, comme autrefois les Phéniciens accusèrent Jonas d'appeler seul les tempêtes, et me précipiter dans les flots comme une offrande pour les apaiser! L'abîme qui me détruira sera plus compatissant que les hommes; il me transportera sans vie, mais enfin il me transportera jusqu'aux rivages natals: je devrai une tombe aux mains des pêcheurs, sur un sable désolé, qui jamais, dans la foule innombrable des naufragés, n'aura recueilli un cœur aussi déchiré que le mien ne l'aura été. – Mais pourquoi ne se brise-t-il pas? Comment se fait-il que je vive?

MARINA

Pour te dompter toi-même, je pense, et pour maîtriser avec le tems ce vain désespoir. Jusqu'alors tu souffrais; mais les plaintes n'étaient pas bruyantes. Que souffres-tu donc au prix de ce qui n'a pu t'arracher un seul cri, – la prison et la torture?

JACOPO FOSCARI

Ah! je souffre une double, une vingt fois plus cruelle torture! Mais vous dites vrai, il faut la supporter. Votre bénédiction, mon père.

LE DOGE

Que ne peut-elle te protéger! je te la donne pourtant.

JACOPO FOSCARI

Pardonnez-

LE DOGE

Eh quoi! mon fils?

JACOPO FOSCARI

Ma naissance à ma pauvre mère, à moi d'avoir vécu, et à vous-même, comme je vous le pardonne, le don que vous m'avez fait de la vie.

MARINA

De quoi pourrais-tu t'accuser?

JACOPO FOSCARI

De rien. Ma mémoire n'est ouverte qu'à la douleur. Mais après avoir si horriblement souffert, je ne puis m'empêcher de croire que je l'ai mérité. S'il en est ainsi, puissent mes souffrances sur la terre adoucir celles que l'avenir me réserve!

MARINA

Ne crains rien, l'enfer est réservé à tes oppresseurs.

JACOPO FOSCARI

J'espère que non.

MARINA

Tu l'espères?

JACOPO FOSCARI

Non, je ne puis leur souhaiter tous les maux qu'ils m'ont infligés.

MARINA

Quoi! ces démons incarnés! Ah! puissent-ils mille fois les subir à leur tour; et puissent les vers éternellement rongeurs les dévorer!

JACOPO FOSCARI

Ils peuvent se repentir.

MARINA

Dans ce cas-là même, leurs remords seraient trop tardifs; Dieu n'accepte pas ceux des démons.

(Entrent un officier et des gardes.)
OFFICIER

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