Читать книгу «CONVERSATIONS AVEC TSAREVITCH ALEXIS. Souvenirs de la famille de Filatov de Tsesarevitch Alexis» онлайн полностью📖 — Oleg Filatov — MyBook.
cover

Il était toujours à l’aise avec les gens d’autres nationalités. Il nous apprit à les traiter comme les autres. Il soutenait qu’il fallait analyser les expériences d’autrui pour apprendre àmieux vivre. Il insistait pour que nous soyons tolérants. Il n’admettait ni les baptistes ni lessectes. Selon lui, ces religions fournissaient à leurs fidèles des principes superflus dans lamesure où il ne s’agissait pas de mouvements spirituels importants comme l’orthodoxie. Ilse souvenait de nombreuses prières et en inventait aussi pour lui-même. Il affirmait qu’à quatorze ans, il les savait toutes par cœur. Notre enfance se déroula dans des villages, loin des grandes villes et des réseaux decommunication, de sorte que notre unique lien avec le monde était la radio, et plus tard, dans les années soixante, la télévision. Les fêtes avaient une signification particulière pour notre famille parce qu’elles nous rapprochaient, créant une atmosphère chaleureuse, douce, spéciale. Nous, les enfants, lesattendions toujours avec impatience, surtout le Nouvel An et puis les anniversaires. Nous tenions énormément au Nouvel An. Papa et maman s’efforçaient de nous faire participeraux préparatifs, non seulement à l’école, où ils orchestraient tout et prenaient part à des spectacles. Maman organisait des carnavals, cousait des costumes, les brodait de perles elle-même, ou avec notre aide. Mon père récitait par cœur de la poésie: Koltsov, Lermontov, Pouchkine, les fables de Krylov. Il aimait aussi déclamer les œuvres d’Anton Tchékhov, comme ainsi que de Kouprine. Maman chantait des chansons en s’accompagnant à la guitare. À la maison, on mon-tait des pièces en apprenant nos rôles pour les contes de fées tels que L’école de Pretoria était une bâtisse en bois datant de 1905 avec une grande salle deréunion où l’on dressait un arbre de dix mètres de haut autour duquel les professeurs serassemblaient avec leur progéniture. Les enfants de tous les âges valsaient avec leurs parents. Je portais toujours un grand nœud papillon et j’aimais beaucoup danser. Papa aussi aimait la danse, mais seulement le tango au ralenti. Nous avions une chorale de pro-fesseurs, où mes parents chantaient. Elle était dirigée par Trounov Alexandre Alexandrovitch, le professeur de musique. Les Bottes, L’Ours, Unnom de cheval, La Dame au petit chien, Le Surveillant, Le Duel Kolobok, Le Conte dupoisson rouge, Filipka, Тот Pouce, Le Méchant Garnement, etc.

À la maison aussi, on dressait un arbre que l’on gardait deux semaines à partir du 30 décembre. Nous confectionnions tous des jouets en papier, des bateaux, des biscuits; on faisait des dessins et des collages. On aimait illustrer les scènes de à propos du garçon qui souffrait et cherchait sa sœur. Nous avions aussi des décorations en verrepour l’arbre. On le mettait sur un pied en X ou dans une caisse remplie de sable. Papa nous aidait à broder des mouchoirs avec des motifs inspirés de la nature ou des histoires telles que ou qui vivait dans une boîte à musique. La Reine de la Neige, Kolobok Petit Homme

Papa et maman glissaient des cadeadx sous nos oreillers pour notre anniversaire, mais pour Nouvel An, ils se déguisaient en Reine de la Neige et Père Noël, prenaient les paquetssous l’arbre, nous embrassaient, et pendant que nous leur donnions à notre tour nos présents, nous chantions et dansions autour de l’arbre.

Papa évoquait souvent les célébrations du Nouvel An lorsqu’il était petit. « En cetemps-là, disait-il, c’était différent. Nous fêtions aussi Noël et cela donnait lieu à degrandes réunions de famille.” Nous étions curieux de savoir comment cette fête se dérou-lait et pourquoi elle n’existait plus. Il répondait de manière évasive en disant que c’était difficile d’en parler maintenant. Il n’y avait pas d’église dans notre village, mais Père marquaitl’événement en relatant des épisodes de sa vie et en parlant de 1”” ancien Nouvel An”, parce qu’après la révolution, on avait changé toutes les dates. Noël tombait désormais le 7 janvier et l’ancien « Nouvel An”, le 13 janvier. Jadis, les gens allaient à l’église. Cependant nous vivions dans un village germano-hollandais et les villageois avaient leurs propres festivités, que mon père ne reconnaissait pas parce que, selon lui, elles se basaient sur un calendrier distinct.

Au Nouvel An, certains de nos voisins allaient dans les maisons de prières baptistes; d’autres se mettaient sur leur trente et un pour aller rendre visite à des amis.

L’anniversaire de mon père tombait aussi autour de cette période; il disait toujours que le certificat de naissance qu’on lui avait donné dans les années 1930 indiquait qu’il étaitné le 22 décembre 1908, mais il avait compté et déterminé ainsi que cela correspondait désormais (selon le calendrier grégorien) au 4 janvier. Pourtant il avait affirmé à maman qu’il étaitné le 28 janvier, et elle lui demandait: « Alors quel jour est ton anniversaire en définitive?” etil répondait que tout était embrouillé. Nous ne recevions jamais d’amis pour son anniversaire. Nous le célébrions en famille. Il faisait allusion à ses parents, morts prématurément. Nous lui écrivions des cartes, nous luifaisions des dessins, nous lui donnions des livres sur les échecs, la pêche, la chasse, l’histoire, et nous lui brodions des mouchoirs. Malheureusement tout a été perdu à cause de nos nombreux déménagements, bien que maman exposât souvent son travail à l’école où elle dirigeait un club de couture, et dans des foires régionales – ainsi que nos dessins, surtout ceuxque j’avais faits avec papa pendant les vacances. Je doute qu’on puisse en retrouver aujourd’hui. En relation avec Noël, Père pariait souvent de « l’œuf du Christ” et de la souffrance deJésus entre les mains de mauvaises gens. Il nous racontait comment les premiers arbres de Noël étaient apparus en Russie, les fêtes païennes célébrées par les Slaves; plus tard, il évoquait les tsars, jusqu’à Pierre le Grand, qui avait voyagé en Russie, tel un mendiant vagabond” en précisant qu’il avait dû garder en mémoire tout ce qui lui était arrivé. Il disait queles tsars adoraient chasser en ce temps-là, que l’on jeûnait avant Noël, que les gens se préparaient pour le grand jour de fête, qu’il faisait lui-même comme cela autrefois, qu’il observaitl’ Avent, mais qu’à présent, peu de gens s’en souvenaient. Les jours de fête, on servait du vin de Cahors que mon père appelait toujours « vin demesse”. Maman faisait des tourtes aux choux et aux baies, du poisson en gelée, de l’oie rôtieou du cochon de lait. (Père racontait souvent qu’enfant, avec son père, « le soir”, il apprêtaitune oie « à la mode africaine” en la cuisant sans la plumer dans de l’argile, sur un feu de joie; les plumes se détachaient lorsqu’on retirait l’argile. Ils préparaient aussi les faisans et lescailles de cette façon.) Nous adorions tous les desserts; les enfants avaient droit à des gâteauxet nos parents buvaient du champagne. Mes sœurs et moi passions les fêtes dehors, à faire des bonhommes de neige, à construire des forteresses, à nous jeter des boules de neige. J’ai vécu toute mon enfance loindes villes que je n’ai donc découvertes que plus tard. À l’école, nous étudions l’histoire de la Russie et celle du parti. Tout le monde sait ceque cela veut dire. L’histoire était le domaine préféré de mon père, au fondement de l’éducation de ses enfants. Il pensait que tous les malheurs de notre nation provenaient d’unmanque d’éducation et de culture, que c’était là la plus grave des défaillances qui conduisait inéluctablement aux malentendus, à l’incompréhension, à une réticence à pénétrer l’essencedes événements et, en définitive, aux guerres. Il disait que, pour bien connaître l’histoire, il fallait lire les manuels, mais aussi certains auteurs, tels Emelian Pougatchev, Souvorov,. Catherine II et Pierre I, pour en apprendre bien plus que ce qu’on nous enseignait à l’école. Quand nous lui demandions s’il connaissait l’histoire de sa famille, il disait que ses parents avaient grandi au bord du fleuve Ouvod à Kostroma, où ses ancêtres avaient vécu “fans des cabanes en bois, de la pêche et de la chasse. « Ils chassaient toujours en compagnie de chiens. Il ne faut jamais battre un chien. S’il arrivait quelque chose, que Dieu vous en garde, et si vous l’aviez offensé, il risquait de vous trahir pendant la chasse.” Il racontait l’histoire d’un de ses lointains parents qui chassait l’ours un hiver. Ses chiens l’abandonnèrent dans la forêt parce qu’il avait battu l’un d’eux. L’ours avait mangé, bien sûr, et se contentad’assommer le chasseur avec une branche cassée. Quand ce dernier retrouva ses esprits, ilabattit ses chiens. « Mais mes ancêtres donnaient la chasse aux ours sans fusil. Ils confection-naient une boule de fer avec des piquants qu’ils jetaient à l’animal. Il l’attrapait et les piquantslui blessaient les pattes. Ensuite, ils le cernaient et lui fendaient le ventre en deux. C’était comme un jeu pour eux.” (Mon père était un merveilleux tireur et adorait chasser. Il disaitqu’autrefois, il avait un chien de meute russe, de couleur rouille.) Selon lui, ses ancêtresétaient tous très blonds et très clairs de peau. « Notre nom vient de Philarète, affirmait-il. Il yavait jadis un homme qui s’appelait Philarète, et nous descendons de lui.” Aujourd’hui, jecomprends pourquoi il disait ça. « Filaret” vient du grec Plus tard, alors que nous nous efforcions de déchiffrer’ses allégories, nous lui demandâmes: « Alors cela veut-il dire que tues le garçon qu’on a sauvé durant l’exécution de la famille Romanov?” Et il répondit laconiquement: « Bien sûr que non. Je descends de Philarète.” Mon père me parla pour la première fois de l’exécution de la famille impériale lorsquej’étais en sixième et que nous commencions à étudier l’histoire de la révolution. J’entendi ségalement pour la première fois le nom de Iourovski qui, selon lui, avait tout organisé. Je ne comprenais pas comment le garçon avait pu s’eft sortir (au fil de ses récits, Père parlait du tsarévitch à la troisième personne en l’appelant « le garçon”). Il disait que le jeune adolescent avait assisté à toute la scène du crime et à tout ce qui s’était passé ensuite et qu’on l’avait pourchassé sa vie durant. « Où s’est-il caché?” demandai-je alors. Et mon père de répondre: « Sous un pont. Il y avait un pont à proximité du passage à niveau et il a rampé jusque-làquand le camion s’est mis à cahoter.” « Mais comment le sais-tu?” Il sombrait dans lesilence. « Mes oncles me l’ont raconté.” « Et qui sont tes oncles?” « L’oncle Sacha Strekotine et l’oncle Andrei Strekotine, qui faisaient partie de la garde de la maison. Après le front, ils furent stationnés là. Oh, et il y avait aussi l’oncle Micha!” Il affirmait aussi que les corps des exécutés avaient été jetés dans des petits puits demine. « Si tu veux savoir comment ça s’est passé, va voir le film Tu verras degrands puits de mine, comme à Alapaevsk, mais tu auras une idée des événements.” Quandje me souciais de savoir pourquoi je devrais m’intéresser à la question, il me répondait: « Pourquoi te faut-il une raison? Pour connaître l’histoire. “J’allai voir et je n’aijamais oublié les puits de mine dans lesquels on jetait des gens dans le film. À propos de latombe, il disait qu’il se souvenait précisément de l’endroit, mais qu’il n’y avait aucune trace. er Filat. La Jeune Garde. La Jeune Garde

Ce fut plus tard seulement que je commençai à me demander comment tout cela était possible. Si ce garçon avait été témoin par hasard d’un certain épisode, il aurait aisément puperdre le contrôle de lui-même et crier ou manifester sa présence d’une manière ou d’uneautre. Pour tout connaître depuis le début (Tobolsk, la maison Ipatiev) jusqu’à la fin (le sited’ensevelissement), il avait dû prendre part lui-même à tous ces événements. Se pouvait-ilqu’il y ait eu plusieurs enfants? Sans compter qu’il aurait fallu qu’ils soient tous estropiés. Combien d’enfants avec la même atrophie, au pied gauche, auraient pu se retrouver au même moment au même endroit de sorte que l’un ait assisté à l’exécution, un autre ait vu laroute où l’on transporta les corps, etc. Ce qui voulait dire qu’il n’y avait qu’un seul garçon! De plus, il n’existait aucun document écrit relatif aux détails dont il nous faisait part. La presse officielle se gardait bien d’en parler ou de populariser l’affaire et il n’était pas questionde se documenter sur le sujet dans une bibliothèque. C’est d’ailleurs la raison pour laquelletout cela resu gravé dans ma mémoire. Père évoquait ces événements quand la conversation portait sur les tsars et l’Histoire de sorte qu’ils se fixèrent dans nos cervelles. Il ne revenait pas sans cesse sur ces récits (il y aurait eu de quoi devenir fou à force d’en parler tout letemps). Il nous éleva avec beaucoup de compétence et de sensibilité, éupe par étape, pas àpas. Il parlait avec prudence de ce qui lui était arrivé, afin que l’histoire se grave dans nos mémoires, par petites touches. Il ne s’étendait jamais sur la révolution. Néanmoins, il préci-sait que les gens avaient cassé, détruit, tué beaucoup de monde et anéanti tout ce que lepeuple russe avait créé parce qu’ils avaient perdu la foi en Dieu.

Père disait que les Strekotine aimaient profondément le garçon. Ils lui parlaient à travers la barrière et échangeaient des mouchoirs et d’autres menus objets avec lui. Ils étaientissus d’une famille d’ouvriers, des soldats ordinaires de l’armée rouge provenant du front d’Orenboutg. L’un d’eux, Andrei, périt sur l’Iset durant la retraite de Bliukher et de Kachirine vers Perm, le 18 juillet 1918. Selon mon père, l’onde Sacha Strekotine racontait que ce jour-là, Andrei avait eu une prémonition. Il avait dit: « La mélancolie m’engloutit. Ils vont me tuer aujourd’hui, Sacha.” Les deux frères avaient tout juste eu le temps de se dire adieu. Andrei avait levé la tête trop haut hors de la tranchée et une balle perdue l’avait atteint enplein front. Je demandai à mon père comment les Strekotine avaient réussi à rester en vieaprès avoir sauvé le tsarévitch. D’après lui, ils s’étaient enfuis dans la forêt avec Bliukher, ettout le monde les avait oubliés. Sous le commandement du fameux héros de guerre, Kachirine, la brigade avait quitté Iekaterinbourg le 18 juillet 1918 pour parvenir jusqu’à Perm. Le 12 août 1918, Bliukher avait rejoint Kachirine dont il devint l’aide de camp. Une autre coïncedence me troublait: dans notre village, il y avait des Kachirine qui s’étaient occupés de nous lorsque nous étions enfants. L’essentiel de la famille vivait dans le village voisin, mais ils venaient voir mon père et lui donner un coup de main.

Lorsqu’il parlait du rôle joué par les Strekotine dans le sauvetage du tsarévitch, mon père indiquait très dairement qu’ils avaient eu l’aide des services secrets tsaristes. De fait, àpartir d’avril 1918, l’académie de l’État-major général avait été transférée à Iekaterinbourg. La plupart des officiers qui y faisaient leurs études avaient déjà pris part à la guerre, et naturellement, que l’enfant s’appelât Alexis Romanov ou Vassili Filatov, il n’était pas nécessaire de leur prouver quoi que ce soit pour la bonne raison qu’ils connaissaient son visage. À encroire mon père, à Iekaterinbourg, on échangeait des informations par signaux à bras depuis le grenier, en utilisant une bougie que l’on « allumait” et « éteignait” tour à toura vec la main. À ce sujet, mon père nous apprit aussi le morse. Il disait que le plus important dans cet alphabet, comme en musique et pour les signaux à bras, était la notion de pause, que le code morse avait été largement introduit en Russie et que les navires impériaux s’enétaient servis les premiers. Il ne nous dévoila rien sur les gens avec lesquels ils communiquaient par ce système, mais il nous montra plusieurs photographies. Je me souviens qu’il adorait les films d’espionnage, et quand nous les regardions ensemble, il attirait toujours notre attention sur leur savoir et la discrétion dont il fallait à tout prix faire preuve pour ne pas révéler ce qu’on devait taire.