Читать бесплатно книгу «Histoire littéraire d'Italie (3» Pierre Ginguené полностью онлайн — MyBook

Un autre mérite répandu dans tout l'ouvrage principalement apprécié par les Florentins, mais que sentent aussi tous les Italiens instruits, et qui n'échappe pas même aux étrangers studieux de cette belle langue, c'est celui du style. Je n'ignore pas les défauts que des Italiens modernes y ont trouvés. Pendant assez long-temps la prose de Boccace a passé de mode comme la poésie du Dante. Il en est arrivé de l'un comme de l'autre: la langue s'est affaiblie, corrompue et dénaturée. C'est du moins ce qu'assurent des écrivains qui paraîtraient vouloir appliquer au même mal le même remède, c'est-à-dire, ramener à étudier Boccace comme on est revenu à étudier le Dante. L'auteur de la dernière Vie de Boccace, M. Baldelli, qui écrit avec autant de goût qu'il met de soin et d'exactitude dans ses recherches, après avoir dit que Boccace avait donné les plus beaux modèles de l'éloquence italienne dans tous les genres, laisse assez entendre que c'est à ces grands modèles qu'il serait temps de revenir. «Aussi flexible qu'industrieux, dit-il 100, Boccace emploie toujours, ou le mot propre le plus convenable, ou les plus heureuses métaphores. Délicat et soigné dans les choses communes, il sait revêtir avec pompe les objets qui ont de l'excellence et de la grandeur, d'une éloquence magnifique, qui coule toujours harmonieusement, sans enflure, sans embarras, sans effort, sans expressions dures ou bizarres; toute brillante, au contraire, des mots les plus élégants et les plus purs, et tirant du son qui résulte de l'art de les placer, sa limpidité, sa clarté, sa douceur. Il y répand une certaine fleur de plaisanterie, un atticisme naturel et inimitable… il y met enfin un art admirable, et il emploie cet art même à le cacher.»

«Avec Boccace, ajoute-t-il plus loin 101, naquit et s'accrut l'éloquence italienne; elle parut s'ensevelir avec lui. Elle ne commença à se relever un peu qu'un siècle après. Alors la vénération que l'on avait toujours eue pour Boccace parvint au plus haut degré. Tous les auteurs florentins étudièrent le Décaméron comme le seul modèle à imiter dans la prose. De l'étude approfondie de ce livre naquirent, et les Prose 102 du Bembo, et l'Ercolano de Varchi, et les Annotations des Académiciens, et les Avertissements de Léonard Salviati, premiers Traités philosophiques où l'on apprit à écrire la langue vulgaire avec la correction, l'exactitude et les ornements qui lui conviennent. C'est de là que les grammairiens les plus renommés tirèrent leurs règles, et que l'Académie de la Crusca, si célèbre jusqu'à nos jours, prit en grande partie des exemples pour la composition de son Vocabulaire. Un grand nombre d'imprimeurs distingués et de savants littérateurs se sont occupés d'en donner les éditions les plus magnifiques et les plus correctes; tous ont reconnu avec respect son autorité dans le langage: aucun d'eux n'osa jamais l'attaquer. Il était réservé à notre siècle de le mettre pour ainsi dire en oubli, d'exercer contre lui une critique licencieuse, d'appeler enflure l'abondance et fluidité de son style, et recherche maniérée sa contexture ingénieuse et le doux arrangement des mots… La mode vint de se passionner pour une langue étrangère qui, quoique pauvre, a de la grâce et de la clarté 103, et qui a produit, il est vrai, de très-grands écrivains. Des enfants dénaturés, oubliant les pères de l'éloquence italienne qui, certes, ne sont pas inférieurs à ces écrivains étrangers, y ont cherché des façons de parler, des tours et des phrases qui, transportés dans la prose vulgaire, l'ont avilie, souillée et monstrueusement altérée… Cette altération de la langue et du goût est parvenue à un tel point, que ce n'est plus dans les colléges, dans les académies, dans les cours qu'il faut aller apprendre à parler purement l'italien, mais sur les heureuses collines de l'état de Florence, où de simples villageois, qui ne sont ni gâtés par un commerce étranger, ni corrompus par l'instruction moderne, conservent précieusement et sans mélange ce riche patrimoine qu'ils ont reçu de leurs aïeux, etc.» Il nous conviendrait mal, même lorsque nous sommes incidemment mis en cause, de prendre parti dans ces questions de philologie nationale; et nous devons nous borner à la connaissance des faits: mais c'en est un, à ce qu'il me paraît, bien intéressant dans cette affaire que l'opinion aussi déclarée d'un si bon juge. Revenons aux imitateurs de Boccace.

Bien d'autres que Molière ont puisé dans cette source féconde. Lafontaine et d'autres conteurs après lui n'y ont pris que des sujets d'un seul genre, et en cela d'abord ils ont marqué une prédilection dont une morale austère est en droit de les blâmer: mais, de plus, ils se sont privés du plus grand charme de l'ouvrage de Boccace, je veux dire de cette riche et inépuisable variété. On voit, et l'on ne peut leur en savoir gré, que c'est par choix qu'ils ont tiré du Décaméron tout ce qui pouvait irriter les sens, exciter les passions, enflammer les imaginations et les corrompre; tandis que Boccace au contraire semble n'avoir traité ces mêmes sujets que parce qu'ils entraient dans la composition générale du grand tableau qu'il voulait tracer, et ne leur a donné en quelque sorte d'autre place dans son ouvrage que celle qu'ils tenaient dans les mœurs.

Chez les Anglais, il y a eu aussi des imitateurs. Dryden est le plus remarquable par le genre de ses imitations; ce n'est pas sur des sujets gais et libres qu'elles portent; son génie grave lui dictait un autre choix. Sigismond et Guiscard est un des plus beaux morceaux de ce versificateur, si l'on n'ose pas dire de ce grand poëte; et c'est de Boccace qu'il l'a tiré. Tancrède, prince de Salerne, qui tue Guiscard, amant de sa fille Ghismonde, ou Sigismonde, et qui envoie son cœur dans un vase à cette amante infortunée; Ghismonde qui verse et boit dans ce vase un poison qu'elle tient préparé, et qui meurt aux yeux de son père, barbare une seule fois dans sa vie, et trop tard pénétré de repentir, forment un sujet terrible, traité par Boccace avec une énergique simplicité 104, et que Dryden a revêtu de toutes les couleurs de la poésie, sans en altérer le caractère primitif, l'intérêt, ni la terreur. Ce sujet qui offre, dans la catastrophe, des rapports avec l'histoire du Troubadour Cabestaing 105 et le roman du sire de Coucy, avait quelque chose de national, non pour Boccace, qui était Florentin, mais pour la princesse napolitaine qu'il ne songeait qu'à amuser ou à intéresser en écrivant ses Nouvelles. Cette aventure tragique arrivée dans la famille de Tancrède, l'un des derniers princes de la dynastie normande, était en quelque sorte une des traditions du pays. La Nouvelle que Boccace en sut tirer fit une sensation prodigieuse en Italie. Le célèbre Léonard d'Arezzo la traduisit en prose latine 106; Michel Accolti, son compatriote, en fit le sujet d'un capitolo ou chapitre en terza rima 107; le savant Beroalde la mit, au seizième siècle, en vers élégiaques latins 108; enfin, elle a reçu en Angleterre les honneurs d'une imitation poétique. Qu'il me soit permis de m'arrêter un instant, non sur cette imitation, mais sur quelques détails où Dryden a cru devoir entrer dans sa préface, et sur quelques autres emprunts qu'il a faits à Boccace sans le savoir; ces courtes observations pourront intéresser ceux qui cultivent à la fois la littérature italienne et la littérature anglaise.

Outre Sigismonde et Guiscard, Dryden a encore imité du Décaméron, Théodore et Honorie, aventure plus bizarre qu'intéressante, dont les acteurs n'ont pas les mêmes noms dans Boccace 109; et Cimon et Iphigénie 110, autre aventure toute romanesque, mais qui ne manque pas d'intérêt. Il a très-bien connu, et franchement déclaré la source de ces deux fictions comme de la première; mais il n'a pas connu de même l'origine d'une fiction plus importante, dont il a fait un petit poëme en trois livres, sous le nom de Palémon et Arcite. Il l'a tirée du vieux Chaucer, dont il a rajeuni quelques autres fables. Il avait espéré, dit-il, pouvoir lui en attribuer l'invention 111; mais il a été détrompé en lisant à la fin de la septième Journée du Décaméron que Fiammette et Dionée chantent les aventures de Palémon et d'Arcite. Il en conclut que cette histoire était écrite avant Boccace, mais que le nom du premier auteur est inconnu. Nous avons vu ce que c'est que Palémon et Arcite et pourquoi Dionée et Fiammette chantent leurs aventures; Arcite et Palémon sont les deux héros du poëme de la Théséide. Chaucer avait tiré leur histoire de ce poëme de Boccace, que Dryden apparemment ne connut pas. Il ne connut pas davantage le Filostrado; et voici ce qui le prouve. Chaucer a fait un poëme en cinq livres, intitulé Troïle et Criséide; Dryden croit que l'ouvrage original dont il l'a tiré fut écrit par un vieux poëte lombard: mais Troïle, fils de Priam, et Chryséis, fille de Calchas sont, comme nous l'avons vu, les deux héros du Filostrato, et Chaucer a suivi de point en point l'intrigue et tous les incidents de ce poëme.

Dryden s'est encore trompé en parlant de Griselidis, la dernière et la plus intéressante de toutes les Nouvelles du Décaméron. Celle fable, dit-il, est de l'invention de Pétrarque; il l'envoya à Boccace, de qui elle parvint à Chaucer 112. Ce qu'il y a de surprenant, ce n'est pas qu'un poëte anglais se soit mépris sur ce point d'histoire littéraire italienne; c'est qu'il lui suffisait de lire Chaucer pour ne pas tomber dans cette erreur. Dans ses Fables de Cantorbery (Cantorbery Tales), ouvrage évidemment calqué sur le Décaméron de Boccace, Chaucer a mis cette Nouvelle sous le titre de Fable du Clerc, parce que c'est un clerc, c'est-à-dire, un ecclésiastique qui la raconte. Voici ce qu'il fait dire à ce conteur dans le prologue 113: «Je vais vous conter une fable que j'ai apprise à Padoue, d'un digne Clerc, connu par ses paroles et par ses œuvres. Il est maintenant mort et cloué dans sa bière: je prie Dieu pour le repos de son ame; ce Clerc était François Pétrarque, poëte lauréat, dont la douce éloquence répandit un éclat poétique sur l'Italie entière 114, etc.» Ce fut vraisemblablement lorsqu'il fit partie d'une ambassade envoyée à Gênes, en 1373, par Édouard III, que Chaucer trouva l'occasion d'aller faire cette visite à Pétrarque, qui approchait alors de sa fin. Il se partageait entre le séjour de Padoue et celui de sa maison d'Arqua. Chaucer arriva sans doute au moment où l'ami de Boccace venait de lire le Décaméron pour la première fois. Il était si enchanté, comme on l'a vu dans sa Vie 115, de cette Nouvelle de Grisélidis, qu'il la récitait à tout le monde, et que, pour le plaisir de ceux qui n'entendaient pas la langue vulgaire, il la traduisit en latin. Peut-être même Pétrarque donna-t-il à Chaucer une copie de sa traduction 116: peut-être enfin est-ce aux éloges que Chaucer entendit un homme de l'âge et de la réputation de Pétrarque faire du Décaméron et de son auteur, qu'il dut la première idée de composer à peu près sur le même dessin, ses Fables de Cantorbéry; c'est ainsi que toutes les parties de l'histoire littéraire se tiennent et s'éclairent mutuellement.

Du Décaméron de Boccace, Grisélidis, ce modèle unique de douceur, de patience et de résignation conjugale, passa dans tous les recueils de Romans et de Nouvelles, fut traduite dans toutes les langues, monta sur tous les théâtres; et sous toutes les formes elle a toujours excité le même intérêt. Mais où Boccace lui-même l'avait-il prise? Si ce fait avait quelque importance, il ne laisserait pas d'être difficile à éclaircir, tant ceux qui ont cru résoudre la question l'ont embrouillée 117! Heureusement il n'en a aucune. Quelque part que Boccace ait puisé le sujet de cette Nouvelle, soit dans un vieux manuscrit français, qu'il est pourtant peu vraisemblable qu'il ait pu connaître, soit dans quelque ancienne chronique qui se sera perdue depuis, soit même dans des traditions orales, dont il fit souvent usage 118, il s'est rendu ce sujet tellement propre, par la manière simple, naïve et touchante de le traiter, que c'est bien réellement à lui qu'elle appartient.

Il s'est approprié de même, de quelque source qu'il l'ait tirée, la Nouvelle de Titus et Gisippe qui, dans la même Journée, précède celle de Grisélidis 119, et qui, dans un genre tout-à-fait différent, est peut-être plus intéressante encore. Le Grand d'Aussy veut qu'elle soit la même que le Fabliau des Deux bons Amis 120. Boccace n'y a fait, selon lui, que quelques légers changements. Il en a fait de bien importants à l'original que notre Fablier et lui ont imité chacun à leur manière. Dans le Conteur français, l'un des deux amis est Égyptien, l'autre Syrien, et la scène se passe à Bagdad. Ces circonstances et plusieurs autres, et le caractère même de l'aventure, décèlent une origine orientale 121; mais dans le Fabliau dont le Grand d'Aussy a sûrement conservé ce qu'il y avait de meilleur, il n'y a pourtant d'autre intérêt que celui de l'action même: point de passion, point d'éloquence, point de charme. Tout cela se trouve au contraire avec profusion dans Boccace.

Il a transporté ses acteurs à Athènes et à Rome, sous le triumvirat d'Octave. C'est dans Athènes que Titus Quintius Fulvus, jeune romain envoyé par son père pour étudier la philosophie grecque, devient éperduement amoureux de Sophronie, que son jeune ami Gisippe était près d'épouser. Il veut se laisser mourir plutôt que de trahir l'amitié; mais il ne peut lui cacher son secret. Gisippe le force d'accepter le sacrifice qu'il lui fait de sa maîtresse: il s'agit de décider ses parents, ceux de Sophronie et Sophronie elle-même à ce changement; Titus convoque les deux familles et les réunit dans un temple, où il fait, par un discours public, plein d'adresse et de véhémence, plier toutes les volontés à la sienne. Il épouse Sophronie et l'emmène à Rome. Là, commence une seconde action, suite et complément de la première. Gisippe, ruiné par des troubles civils, exilé, chassé d'Athènes, vient à Rome, se laisse accuser d'un meurtre qu'il n'a pas commis, et condamner à mort sans daigner se défendre. Titus le reconnaît au tribunal, et se déclare auteur du crime pour sauver les jours de son ami. Le débat le plus généreux s'ouvre devant le préteur. La justice est embarrassée et ne sait quel arrêt prononcer. Le vrai coupable, un brigand chargé d'autres crimes, touché de ce spectacle, poussé par sa destinée et par la voix même d'un Dieu qui parle au-dedans de lui 122, se fait connaître au juge et rend la vie aux deux amis. Le triumvir Octave, devant qui la cause est évoquée, les met tous deux en liberté, et le coupable lui-même pour l'amour d'eux.

Toute cette Nouvelle, et surtout dans la première partie, ce monologue passionné de Titus qui se reproche son amour pour la future épouse de Gisippe, et cette controverse si forte et si neuve entre les deux amis, dont l'un veut faire accepter à l'autre le sacrifice de ce qu'il a de plus cher, l'autre se défend de recevoir ce sacrifice, et cède, quand il le reçoit enfin, aux instances et aux ordres de l'amitié plus qu'aux violents désirs de l'amour, et cette harangue solennelle de Titus aux deux familles rassemblées, et enfin le sublime éloge de l'amitié, par où la Nouvelle est terminée, sont peut-être ce qu'il y a de plus éloquent dans le Décaméron entier, et par conséquent dans toute la littérature italienne. La connaissance qu'avait Boccace, et qui était alors si rare, de l'antiquité grecque et romaine, et l'emploi qu'il a fait de ces grands noms et de ces nobles souvenirs d'Athènes et de Rome, rehaussent encore cette Nouvelle, et l'on est tenté de la croire extraite d'un ouvrage ancien qui s'est perdu. Le succès n'en fut pas moindre que celui de Tancrède et de Gismonde. Elle fut aussi traduite en latin par le savant Beroalde 123; elle le fut encore par un jeune cardinal, petit-neveu du pape Jules III, et dédiée par lui à ce pontife 124. Voilà des honneurs sans doute que n'obtinrent et ne méritèrent jamais ces vieux Fabliaux, si vantés lorsqu'ils étaient ensevelis dans la poudre des manuscrits, mais qu'on a discrédités à jamais en les produisant au grand jour.

Ce ne fut pas sans dessein que Boccace termina par une Journée remplie de ses histoires pathétiques et décentes, un recueil où il sentait qu'il avait bien des choses à se faire pardonner. L'ouvrage entier, placé entre la belle description de la peste qui le commence, et la Nouvelle de Griselidis qui le finit, avait en quelque sorte deux sauve-gardes contre la sévérité des lecteurs. C'est l'effet qu'il produisit sur Pétrarque lui-même, qui n'avait eu, il est vrai, le temps que de le parcourir. «Ce qu'on y trouve de trop libre, écrivait-il à son ami 125, est suffisamment excusé par l'âge que vous aviez quand vous l'avez fait, par le style, la langue, la légèreté même du sujet et des personnes qui paraissaient devoir lire un tel ouvrage. Dans un grand nombre de choses plaisantes et badines, j'en ai trouvé quelques-unes de pieuses et de graves. Je ne pourrais cependant en porter un jugement définitif, ne m'étant arrêté particulièrement sur aucun endroit; mais j'ai fait comme ceux qui parcourent ainsi un livre; j'ai lu, avec plus d'attention que le reste, le commencement et la fin. Dans l'un, vous avez, à mon avis, décrit avec vérité et déploré avec éloquence le malheureux état de notre patrie pendant cette peste terrible, qui forme, dans notre siècle, une époque si lugubre et si funeste; vous avez placé, dans l'autre, une dernière histoire, bien différente de plusieurs de celles qui la précèdent. Elle m'a plu, elle m'a touché au point que, parmi tant de sujets d'inquiétude qui me font, pour ainsi dire, m'oublier moi-même, j'ai voulu la confier à ma mémoire, pour me pouvoir procurer à moi-même, toutes les fois que je le voudrais, le plaisir de me la rappeler, et de la raconter à des amis réunis pour causer ensemble, si j'en trouvais l'occasion. C'est ce que j'ai fait peu de temps après; et voyant qu'on avait eu beaucoup de plaisir à m'écouter, il m'est venu dans l'esprit, qu'une histoire si agréable pourrait plaire à ceux mêmes qui n'entendent pas notre langue 126. J'ai donc entrepris de la traduire, moi qui ne traduirais pas volontiers les ouvrages de tout autre que vous, etc.»

Il était digne du caractère de Pétrarque et de son indulgente amitié, d'aller au-devant des excuses que pouvait donner son ami pour les libertés qu'il avait prises. Nous sommes convenus cependant, et personne ne peut le nier, que ces libertés étaient un peu fortes. Elles ne se bornaient pas à des anecdotes scandaleuses, racontées souvent avec une franchise d'expression qui serait surprenante dans la bouche de jeunes femmes sages et honnêtes, telles que les dépeint l'auteur, ou de jeunes gens bien nés et attentifs à leur plaire, si ce n'était pas un effet et une preuve de la licence qui régnait alors dans les discours, lors même qu'elle n'était pas dans les mœurs. Ces libertés attaquaient souvent des objets qu'on regardait comme plus sacrés encore que la morale; elles blessaient un sentiment plus susceptible et plus chatouilleux que la pudeur. Je ne parle pas seulement des aventures cyniques, dont les prêtres et les moines sont les principaux acteurs, ni même de certaines diatribes lancées contre les uns et contre les autres, mais principalement contre les moines, telles qu'on en trouve plusieurs, aussi étendues que violentes, dans divers endroits du Décaméron 127

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