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PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE Ier

État de la littérature latine et grecque à l'avénement de Constantin; effets de la translation du siége de l'empire; littérature ecclésiastique; son influence; invasion des Barbares; ruine totale des Lettres.

On attribue généralement l'affaiblissement, et ensuite l'entière destruction des lumières et des lettres en Europe, à trois causes: à la translation du siége de l'Empire, faite par Constantin, de Rome à Constantinople; à la chute de l'empire d'Occident, suite inévitable du démembrement qu'il en avait fait; enfin aux invasions et à la longue domination des Barbares en Italie. Mais avant Constantin, la décadence étai déjà sensible. On serait tenté de croire, que, quand même aucune de ces trois causes n'eût existé, les lettres n'en étaient pas moins menacées d'une ruine totale, et que la barbarie eût enfin régné, même sans l'intervention des Barbares.

Sous cette longue suite d'Empereurs, qui depuis Commode, indigne fils du sage Marc-Aurèle, montèrent sur le trône et en furent précipités, au gré de la soldatesque prétorienne, devenue l'arbitre de l'Empire, il y eut encore beaucoup de poètes, d'orateurs, d'historiens. Les lectures, les récitations publiques dans l'Athénée de Rome, et la célébration, sous Alexandre Sévère, des jeux du Capitole, dans lesquels les orateurs et les poètes se disputaient des pris, et recevaient des couronnes; et les traces que l'on retrouve de ces jeux sous Maximin, son successeur; et les cent poètes que l'on voit employés sous Gallien à l'épithalame de ses petits-fils, prouvent que la Poésie attirait encore les regards. Mais que nous reste-t-il de tout ce qu'elle produisit alors? Un poëme didactique de Sammonicus 18, ou plutôt un recueil de vers assez médiocres sur la Médecine; un poëme beaucoup meilleur de Némésien sur la Chasse, et ses quatre églogues que l'on y joint ordinairement; enfin les sept églogues de Calpurnius, ami de Némésien, à qui il les a dédiées; voilà tout ce qui nous reste d'un si long espace de temps; et, si l'on en excepte les deux autres poëmes que ce même Némésien avait aussi composés, l'un sur la Pêche, et l'autre sur la Navigation 19, nous ne voyons de trace d'aucun autre ouvrage que nous ayons à regretter.

Le changement qui s'était fait dans la forme du gouvernement avait détruit l'Eloquence. Le panégyrique y est moins propre que les discussions libres de la tribune sur les grands intérêts de la patrie. Un certain Cornelius Fronton, l'un des panégyristes d'Antonin, fit cependant école et même secte, puisqu'on appela Frontoniens ceux qui voulaient imiter son style 20. Un orateur du quatrième siècle 21 osa bien l'appeler, non le second, mais l'autre honneur de l'éloquence romaine 22; mais il ne nous reste rien de ce Fronton qui puisse nous servir de point de comparaison entre lui et l'Orateur dont le nom est devenu celui de l'éloquence même. Il est à croire que les siècles suivant y auront vu quelque différence, et qu'on se sera promptement lassé de copier les panégyriques de l'un, tandis que les copies multipliées des ouvrages de l'autre en ont dérobé la plus grande partie aux ravages du temps. Aulu-Gelle et d'autres auteurs parlent bien encore de quelques orateurs ou rhéteurs, mais il ne s'est conservé d'eux que leurs noms, trop obscurs pour qu'il ne soit pas inutile de les rappeler ici. Des sophistes grecs s'étaient alors emparés de toutes les écoles. Leur exemple ne valait sans doute pas mieux que leurs leçons; et il est probable qu'ils ressemblaient en éloquence à Démosthènes comme Frotnon à Cicéron.

Dans l'Histoire, les six auteurs de celle des empereurs 23, appelée vulgairement l'histoire Auguste, sont tout ce qui nous reste en langue latine, quoiqu'il en ait existé alors un plus grand nombre. Depuis que Suétone avait donné l'exemple de transmettre à la postérité les petits détails de la vie privée, il était naturel qu'il se trouvât plus d'historiens, ou d'hommes qui se crussent capables de l'être; mais le temps a fait justice d'eux et de leurs ouvrages. Il a respecté plusieurs historiens grecs, qui écrivirent dans leur langue; mais à Rome, et dont quelques uns prirent pour sujets les faits de l'histoire grecque, d'autres les événements romains, soit des époques antérieures soit de leur temps. Arrien de Nicomédie, Elien, Appien d'Alexandrie, Diogène Laërce; Polyen, qui précédèrent de peu de temps cette époque, Dion Cassius, Hérodien et quelques autres, sans pouvoir être comparés aux premiers historiens de la Grèce, ont sur les latins du même temps une grande supériorité. Leur belle langue du moins conservait encore son génie et son éloquence, tandis que la langue latine s'altérait de jour en jour par cette affluence d'étrangers qui remplissaient Rome, et que des soldats étrangers créés empereurs y attiraient sans cesse à leur suite.

A l'égard des philosophes, on sait que plusieurs tenaient école à Rome, que leurs disciples allaient tous les jours les entendre et disputer entre eux dans le temple de la Paix 24; mais rien n'est venu jusqu'à nous, ni des écoliers ni des maîtres. C'est cependant au commencement de cette époque que Plutarque, qui suffirait seul pour l'illustrer, écrivait en grec à Rome; c'est alors que s'élevait à Alexandrie la fameuse école des Electiques, fondée par Potamon et par Ammonius, dont Plotin et Porphyre furent les disciples, école qui, secouant le joug de toutes les anciennes sectes philosophiques, recueillait de chacune ce qui lui paraissait le plus conforme à la raison et à la vérité. Elle fut sans doute connue à Rome, mais on ne voit pas qu'aucun Romain en ait soutenu les opinions. Les Romains n'avaient rien été qu'à l'imitation des Grecs. Les lettres romaines n'existaient plus, et dans plusieurs parties, les lettres grecques florissaient encore: c'était un ruisseau tari avant sa source.

La Jurisprudence seule continuait de fleurir. Les lois se multipliant avec les empereurs, la science dont elles étaient l'objet, devenait malheureusement plus propre à exercer l'esprit. Entre plusieurs noms qui furent illustres à cette époque et qui le sont encore, on distingue surtout ceux de Papinien et d'Ulpien. Le premier, pour récompense de ses travaux et plus encore de ses vertus, fut assassiné par l'ordre de Caracalla; le second, exilé de la cour par Héliogabale, rappelé par Alexandre Sévère, admis dans sa confiance la plus intime, ne put être défendu par lui de la fureur des soldats prétoriens, qui le massacrèrent sous les yeux de leur empereur, ou plutôt sous sa pourpre même, dont Alexandre s'efforçait de le couvrir.

Enfin la décadence littéraire, qui se faisait sentir dès le commencement de cette époque, nous est prouvée par l'un des ouvrages mêmes les plus précieux qui nous en soient restés, par les Nuits attiques du grammairien Aulu-Gelle. A l'exception du philosophe Favorinus, son maître, auteur de ce beau discours adressé aux mères pour les engager à nourrir leurs enfans, de qui Aulu-Gelle nous parle-t-il, sinon de quelques grammairiens ou rhéteurs, aujourd'hui très-obscurs, et qui, faute d'orateurs et de poètes, occupaient alors l'attention publique? Ce Sulpicius Apollinaire qu'il nous vante 25, et qui se vantait lui-même d'être le seul qui pût alors entendre l'histoire de Salluste, nous prouve par ce trait même, combien les Romains étaient déchus de leur gloire littéraire, et, si j'ose ainsi parler, de leur propre langue. Aulu-Gelle en déplore souvent la corruption et la décadence. Du reste, tous les savants qui figurent dans ses Nuits attiques, et c'étaient les plus célèbres, qui fussent alors à Rome, paraissaient presque toujours occupés de recherches pénibles sur des questions purement grammaticales de peu d'importance; et l'on y voit un certain esprit de petitesse, bien éloigné de la manière de penser grande et sublime des anciens Romains 26.

La science du grammairien embrassait alors tout ce que nous appelons aujourd'hui la critique. Tandis que la critique s'occupe des auteurs vivants, elle est une preuve de plus des richesses littéraires du temps: elle est elle-même une branche de ces richesses, pourvu qu'elle soit éclairée, équitable et décente. Mais lorsque chez une nation et à une époque quelconque, la critique ne s'exerce plus que sur les anciens auteurs, et sur ceux qui ont écrit, chez cette nation, à une époque antérieure, elle est une preuve sensible de l'absence totale des grands talents et de l'affaiblissement des esprits.

Tel était donc le misérable état où les lettres étaient réduites à l'avénement de Constantin. On voit que la pente qui les entraînait vers une ruine totale était déjà bien établie, et qu'elle n'avait pas besoin de devenir plus rapide. Elle le devint cependant lorsque cet empereur eut transféré à Bysance le siége du gouvernement impérial. Les flatteurs de Constantin l'ont appelé Grand: les chrétiens, dont il plaça la religion sur le trône, l'en ont payé par le titre de Saint: les philosophes sont venus, et lui ont reproché des petitesses et des crimes qui attaquent également sa grandeur et sa sainteté: ce n'est sous aucun de ces rapports que je dois le considérer, mais seulement quant aux effets qu'il produisit sur les lettres et sur les lumières de son siècle.

Les auteurs ultramontains, qui ont écrit dans le pays où la religion de Constantin a le plus de force, où sa mémoire est par conséquent presque sacrée, ont eux-mêmes reconnu le mal irréparable que son établissement à Bysance, et le soin qu'il prit d'élever et de faire fleurir cette capitale nouvelle aux dépens de l'ancienne, avaient fait non seulement à l'Italie mais aux lettres 27. Les courtisans, les généraux, les grands suivirent l'empereur, avec leurs richesses, leurs clients, leurs esclaves. Les premiers magistrats, les conseillers, les ministres, accompagnés de leurs familles et de leurs gens, formaient un peuple innombrable, si l'on songe au luxe de Rome et à celui de cette cour. L'argent, les arts, les manufactures suivirent cette première roue de l'ordre politique, autour de laquelle, comme il arrive d'ordinaire dans les états monarchiques, ils étaient forcés de tourner. La tête et la force principale des armées, qui ne pouvait se séparer du chef suprême, enfin tout ce qu'il y avait de plus important partit, et laissa en Italie un vide immense d'hommes et d'argent; car le numéraire, passant par les tributs publics dans le trésor impérial, et circulant autour du trône, y entraîna avec lui le commerce et l'industrie, sans revenir jamais, pendant plus de cinq siècles, au lieu d'où il était parti 28.

Comment les lettres auraient-elles fleuri dans un pays dépouillé de tout son éclat, de tous ses moyens de prospérité, soumis à un maître, et privé de ses regards? Il n'y a que dans les pays libres, comme autrefois dans la Grèce, comme depuis dans l'ancienne Rome, comme à Florence parmi les modernes, que les lettres naissent d'elles-mêmes, et prospèrent spontanément: ailleurs il leur faut l'œil du maître, ses récompenses, sa faveur. Mais autour de Constantin même, et sous l'influence immédiate des grâces qu'il pouvait répandre, il était survenu dans les études et dans les exercices de l'esprit, des changements qui n'étaient pas propres à leur rendre leur ancienne splendeur.

Une littérature nouvelle était née depuis déjà près de deux siècles. Elle parvint sous cet empereur à son plus haut degré de gloire: elle compta parmi ses principaux auteurs, des hommes d'un grand caractère, d'un grand talent et même d'un grand génie. Ils produisirent des bibliothèques entières d'ouvrages volumineux, profonds, éloquents. Ils forment dans l'histoire de l'esprit humain, une époque d'autant plus remarquable, qu'elle a exercé la plus grande influence sur les époques suivantes.

Je ne répéterai ni ne contredirai les éloges que l'on a donnés aux Basiles, aux Grégoires, aux Chrysostômes, aux Tertulliens, aux Cypriens, aux Augustins, aux Ambroises. Je chercherai plutôt les causes qui rendirent leurs productions inutiles au progrès de l'éloquence et des lettres, qui firent que, dans un temps où florissaient de tels hommes, elles continuèrent à se corrompre et à déchoir. Pour ne point alléguer ici d'autorités suspectes, c'est encore dans les auteurs italiens, que je puiserai les principaux traits dont je tâcherai de caractériser ce qu'on est convenu d'appeler la littérature ecclésiastique.

«La religion des anciens peuples ne formait pas une science qui fût l'objet de l'étude et des méditations des hommes de lettres 29. Les philosophes contemplaient la nature des dieux, comme les métaphysiciens modernes ont raisonné sur Dieu et sur les esprits dans la pneumatologie et dans la théologie naturelle. Quant aux actions des dieux, et à l'histoire de leurs exploits, on les abandonnait aux poètes… Mais une théologie, une science de la religion, une étude de ses dogmes et de ses mystères étaient inconnues aux anciens 30». La religion chrétienne elle-même s'introduisit et se répandit d'abord par la prédication, et dès qu'il y eut un peu de foi, par les miracles. Mais elle commença bientôt à devenir l'objet de questions et de disputes; par conséquent à occuper l'attention et l'étude des savants, et à former ainsi une partie de la littérature.

(Essai sur l'Esprit et les Mœurs des nations, c. 14.)

Les combats que le christianisme eut à soutenir, la lutte qui s'établit entre lui et les religions jusqu'alors dominantes, les persécutions qui en furent la suite, obligèrent les plus savants d'entre les chrétiens à répondre aux attaques, et à faire de fréquentes apologies de leur religion. Dès le commencement du deuxième siècle, on voit de ces apologies présentées à l'empereur Adrien; dans la suite, Justin, Athénagore, Tertullien en adressèrent aux empereurs, au sénat romain, au monde entier; on eut l'Octavius de Minucius Félix; le savant Origène écrivit contre Celsus; Lactance publia ses Institutions divines; chacun d'eux mit dans ces sortes d'ouvrages, tout ce qu'il pouvait avoir d'érudition, de jugement et d'éloquence.

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