Читать бесплатно книгу «Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile» Пьера Бомарше полностью онлайн — MyBook

PERSONNAGES

(Les habits des Acteurs doivent être dans l'ancien costume Espagnol.)

LE COMTE ALMAVIVA, Grand d'Espagne, Amant inconnu de Rosine, paroît au premier Acte en veste et culotte de satin; il est enveloppé d'un grand manteau brun, ou cape espagnole; chapeau noir rabattu avec un ruban de couleur au tour de la forme. Au 2e Acte: habit uniforme de cavalier avec des moustaches et des bottines. Au 3e habillé en Bachelier; cheveux ronds; grande fraise au cou; veste, culotte, bas et manteau d'Abbé. Au 4e Acte, il est vêtu superbement à l'Espagnol avec un riche manteau; par-dessus tout, le large manteau brun dont il se tient enveloppé.

BARTHOLO, Médecin, Tuteur de Rosine: habit noir, court, boutonné; grande perruque; fraise et manchettes relevées; une ceinture noire; et quand il veut sortir de chez lui, un long manteau écarlate.

ROSINE, jeune personne d'extraction noble, et Pupille de Bartholo; habillée à l'Espagnole.

FIGARO20, Barbier de Séville: en habit de Majo21 Espagnol. La tête couverte d'une rescille, ou filet; chapeau blanc, ruban de couleur, autour de la forme; un fichu de soie, attaché fort lâche à son cou; gilet et haut de chausse de satin, avec des boutons et boutonnières frangés d'argent; une grande ceinture de soie; les jarretières nouées avec des glands qui pendent sur chaque jambe; veste de couleur tranchante, à grands revers de la couleur du gilet; bas blancs et souliers gris.

DON BAZILE22, Organiste, Maître à chanter de Rosine; chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau, sans fraise ni manchettes.

LA JEUNESSE, vieux Domestique de Bartholo.

L'ÉVEILLÉ, autre Valet de Bartholo, garçon niais et endormi. Tous deux habillés en Galiciens; tous les cheveux dans la queue; gilet couleur de chamois; large ceinture de peau avec une boucle; culotte bleue et veste de même, dont les manches, ouvertes aux épaules pour le passage des bras, sont pendantes par derriere.

UN NOTAIRE.

UN ALCADE, Homme de Justice, avec une longue baguette blanche à la main.

PLUSIEURS ALGOUAZILS et VALETS avec des flambeaux.

La Scène est à Séville23, dans la rue et sous les fenêtres de Rosine, au premier Acte, et le reste de la Pièce, dans la Maison du Docteur Bartholo.

On trouve chez le même Libraire la Musique du Barbier de Séville gravée in-fol. Prix 3 liv. 12 s.24

ACTE PREMIER

Le Théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées sont grillées
SCENE PREMIERE
LE COMTE, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant

Le jour est moins avancé que je ne croyois. L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop-tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvoit me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendroit pour un Espagnol du tems d'Isabelle25. – Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de Rosine. – Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? – Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même; et si je pouvois m'assurer, sous ce déguisement… Au diable l'importun.

SCENE II
FIGARO, LE COMTE, caché

FIGARO, une guitare sur le dos attachée en bandoulière avec un large ruban; il chantonne gaiement26, un papier et un crayon à la main.

 
Bannissons le chagrin,
Il nous consume:
Sans le feu du bon vin,
Qui nous rallume,
Réduit à languir,
L'homme, sans plaisir,
Vivroit comme un sot,
Et mourroit bientôt.
 

Jusques-là27, ceci ne va pas mal, ein, ein.

 
Et mourroit bientôt.
Le vin et la paresse
Se disputent mon cœur…
 

Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y regnent paisiblement ensemble…

Se partagent … mon cœur

Dit-on se partagent?.. Eh! mon Dieu! nos faiseurs d'Opéras Comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante.

(Il chante.)
 
Le vin et la paresse
Se partagent mon cœur.
 

Je voudrois finir par quelque chose de beau, de brillant28, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée.

(Il met un genou en terre, et écrit en chantant.)

 
Se partage mon cœur.
Si l'une a ma tendresse…
L'autre fait mon bonheur.
 

Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça… Il me faut une opposition, une antithèse:

 
Si l'une … est ma maîtresse,
L'autre…
 

Eh, parbleu, j'y suis!..

L'autre est mon serviteur

Fort bien, Figaro!.. (Il écrit en chantant.)

 
Le vin et la paresse
Se partagent mon cœur;
Si l'une est ma maîtresse,
L'autre est mon serviteur.
L'autre est mon serviteur.
L'autre est mon serviteur.
 

Hen, hen, quand il y aura des accompagnemens29 là-dessous, nous verrons encore, Messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis. (Il apperçoit le Comte.) J'ai vu cet Abbé-là quelque part. (Il se relève.)

LE COMTE, à part

Cet homme ne m'est pas inconnu.

FIGARO

Eh non, ce n'est pas un Abbé! Cet air altier et noble…

LE COMTE

Cette tournure grotesque…

FIGARO

Je ne me trompe point, c'est le Comte Almaviva.

LE COMTE

Je crois que c'est ce coquin de Figaro.

FIGARO

C'est lui-même, Monseigneur.

LE COMTE

Maraud! si tu dis un mot…

FIGARO

Oui, je vous reconnois; voilà les bontés familieres dont vous m'avez toujours honoré.

LE COMTE

Je ne te reconnoissois pas, moi. Te voilà si gros et si gras…

FIGARO

Que voulez-vous, Monseigneur! c'est la misère.

LE COMTE

Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville? Je t'avois autrefois recommandé dans les Bureaux pour un emploi.

FIGARO

Je l'ai obtenu, Monseigneur, et ma reconnoissance…

LE COMTE

Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas30, à mon déguisement, que je veux être inconnu?

FIGARO

Je me retire.

LE COMTE

Au contraire. J'attends ici quelque chose; et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promene. Ayons l'air de jaser. Eh bien, cet emploi?

FIGARO31

Le Ministre, ayant égard à la recommandation de votre Excellence, me fit nommer sur le champ Garçon Apothicaire.

LE COMTE

Dans les hôpitaux de l'Armée?

FIGARO

Non; dans les haras d'Andalousie32.

LE COMTE, riant

Beau début!

FIGARO

Le poste n'étoit pas mauvais; parce qu'ayant le district des pansemens et des drogues, je vendois souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval…

LE COMTE

Qui tuoient les sujets du Roi!

FIGARO

Ah, ah, il n'y a point de remede universel: mais qui n'ont pas laissé de guérir quelquefois33 des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.

LE COMTE

Pourquoi donc l'as-tu quitté?

FIGARO

Quitté? C'est bien lui-même; on m'a desservi auprès des Puissances.

L'envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide…
LE COMTE

Oh grace! grace, ami! Est-ce que tu fais aussi des vers? Je t'ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin.

FIGARO

Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au Ministre que je faisois, je puis dire assez joliment, des bouquets à Cloris, que j'envoyois des énigmes aux Journaux, qu'il couroit des Madrigaux de ma façon; en un mot, quand il a su que j'étois imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique, et m'a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l'amour des Lettres est incompatible avec l'esprit des affaires.

LE COMTE

Puissamment raisonné! et tu ne lui fis pas représenter…

FIGARO

Je me crus trop heureux d'en être oublié; persuadé qu'un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.

LE COMTE

Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu'à mon service tu étois un assez mauvais sujet.

FIGARO

Eh mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut.

LE COMTE

Paresseux, dérangé…

FIGARO

Aux vertus qu'on exige dans un Domestique34, votre Excellence connoît-elle beaucoup de Maîtres qui fussent dignes d'être Valets?

LE COMTE, riant

Pas mal. Et tu t'es retiré en cette Ville?

FIGARO

Non pas tout de suite35.

LE COMTE, l'arrêtant

Un moment… J'ai cru que c'étoit elle… Dis toujours, je t'entends de reste.

FIGARO

De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talens littéraires, et le théâtre me parut un champ d'honneur…

LE COMTE

Ah! miséricorde!

FIGARO36

(Pendant sa réplique, le Comte regarde avec attention du côté de la jalousie.)

En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succès, car j'avois rempli le parterre des plus excellens Travailleurs; des mains… comme des battoirs; j'avois interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissemens sourds; et d'honneur, avant la Pièce, le Café m'avoit paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale…

LE COMTE

Ah! la cabale! Monsieur l'Auteur tombé!

FIGARO

Tout comme un autre: pourquoi pas? Ils m'ont sifflé; mais si jamais je puis les rassembler…

LE COMTE

L'ennui te vengera bien d'eux?

FIGARO

Ah! comme je leur en garde, morbleu!

LE COMTE

Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au Palais pour maudire ses Juges?

FIGARO

On a vingt-quatre ans au théâtre; la vie est trop courte pour user d'un pareil ressentiment.

LE COMTE37

Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid.

FIGARO

C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien Maître. Voyant à Madrid que la république des Lettres étoit celle des loups38, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les Insectes, les Moustiques, les Cousins, les Critiques, les Maringouins39, les Envieux, les Feuillistes40, les Libraires, les Censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux Gens de Lettres, achevoit de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restoit; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abymé de dettes et léger d'argent; à la fin41, convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid, et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadoure, la Siera-Morena, l'Andalousie; accueilli dans une Ville, emprisonné dans l'autre, et par-tout supérieur aux évènemens42, aidant au bon tems, supportant le mauvais; me moquant des forts, bravant les méchans; riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde; vous me voyez enfin établi dans Séville et prêt à servir de nouveau votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner.

LE COMTE43

Qui t'a donné une philosophie aussi gaie?

FIGARO

L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté?

LE COMTE

Sauvons-nous.

FIGARO

Pourquoi?

LE COMTE

Viens donc, malheureux! tu me perds.

(Ils se cachent.)
SCENE III
BARTHOLO, ROSINE
(La jalousie du premier étage s'ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent à la fenêtre.)
ROSINE

Comme le grand air fait plaisir à respirer! Cette jalousie s'ouvre si rarement…

BARTOLO

Quel papier tenez-vous là?

ROSINE

Ce sont des couplets de la Précaution inutile que mon Maître à chanter m'a donnés hier.

BARTOLO

Qu'est-ce que la Précaution inutile?

ROSINE

C'est une Comédie nouvelle.

BARTOLO

Quelque Drame encore! Quelque sottise d'un nouveau genre44!

ROSINE

Je n'en sais rien.

BARTOLO

Euh, euh! les Journaux et l'autorité nous en feront raison. Siècle barbare!..

ROSINE

Vous injuriez toujours notre pauvre siècle.

BARTOLO

Pardon de la liberté: qu'a-t-il produit pour qu'on le loue? Sottises de toute espèce: la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, l'Encyclopédie et les drames45.

ROSINE (le papier lui échappe et tombe dans la rue)

Ah! ma chanson! ma chanson est tombée en vous écoutant; courez, courez donc, Monsieur; ma chanson! elle sera perdue.

BARTOLO

Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient.

(Il quitte le balcon.)
ROSINE regarde en dedans et fait signe dans la rue

S't, s't (le Comte paroît), ramassez vîte et sauvez-vous.

(Le Comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre.)

BARTOLO sort de la maison et cherche

Où donc est-il? Je ne vois rien.

ROSINE

Sous le balcon, au pied du mur.

BARTOLO46

Vous me donnez-là une jolie commission! Il est donc passé quelqu'un?

ROSINE

Je n'ai vu personne.

BARTOLO, à lui-même

Et moi qui ai la bonté de chercher… Bartholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami: ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir des jalousies sur la rue. (Il rentre.)

ROSINE, toujours au balcon

Mon excuse est dans mon malheur: seule, enfermée, en butte à la persécution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage?

BARTOLO, paroissant au balcon

Rentrez, Signora; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson, mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. (Il ferme la jalousie à la clé.)

SCENE IV
LE COMTE, FIGARO
(Ils entrent avec précaution.)
LE COMTE

A présent qu'ils sont retirés, examinons cette chanson, dans laquelle un mistere est sûrement renfermé47. C'est un billet!

FIGARO

Il demandoit ce que c'est que la Précaution inutile!

LE COMTE lit vivement

«Votre empressement excite ma curiosité; sitôt que mon Tuteur sera sorti, chantez indifféremment sur l'air connu de ces couplets quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'état et les intentions de celui qui paroît s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine.»

FIGARO48, contrefaisant la voix de Rosine

Ma chanson! ma chanson est tombée; courez, courez donc (Il rit), ah! ah! ah! O ces femmes! voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue? enfermez-la.

LE COMTE

Ma chère Rosine49!

FIGARO

Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective.

LE COMTE

Te voilà instruit, mais si tu jases…

FIGARO

Moi jaser! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévoûment dont on abuse à la journée, je n'ai qu'un mot: mon intérêt vous répond de moi; pesez tout à cette balance, etc…50.

LE COMTE

Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté… Tu viens de la voir! je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline et mariée à un vieux Médecin de cette Ville nommé Bartholo.

FIGARO51

Joli oiseau, ma foi! difficile à dénicher! Mais qui vous a dit qu'elle était la femme du Docteur?

LE COMTE

Tout le monde.

FIGARO

C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid, pour donner le change aux galans et les écarter; elle n'est encore que sa pupille, mais bientôt…

LE COMTE, vivement

Jamais. Ah, quelle nouvelle! j'étois résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets, et je la trouve libre! Il n'y a pas un moment à perdre, il faut m'en faire aimer et l'arracher à l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connois donc ce Tuteur?

FIGARO

Comme ma mère.

LE COMTE52

Quel homme est-ce?

FIGARO, vivement

C'est un beau gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette et furete et gronde et geint tout à la fois.

LE COMTE, impatienté

Eh! je l'ai vu. Son caractère?

FIGARO

Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort.

LE COMTE

Ainsi ses moyens de plaire sont…

FIGARO

Nuls.

LE COMTE

Tant mieux. Sa probité?

FIGARO

Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point pendu.

LE COMTE

Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux…

FIGARO

C'est faire à la fois le bien public et particulier: chef-d'œuvre de morale, en vérité, Monseigneur!

LE COMTE53

Tu dis que la crainte des galans lui fait fermer sa porte?

FIGARO

A tout le monde: s'il pouvoit la calfeutrer.

LE COMTE54

Ah! diable! tant pis. Aurois-tu de l'accès chez lui?

FIGARO

Si j'en ai. Primo, la maison que j'occupe appartient au Docteur, qui m'y loge gratis.

LE COMTE

Ah! ah!

FIGARO

Oui. Et moi, en reconnoissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi.

LE COMTE, impatienté

Tu es son locataire?

FIGARO

De plus son Barbier, son Chirurgien, son Apothicaire; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur.

LE COMTE l'embrasse

Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon Dieu tutélaire.

FIGARO

Peste! comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances! parlez-moi des gens passionnés.

LE COMTE

Heureux Figaro! tu vas voir ma Rosine! tu vas la voir! Conçois-tu ton bonheur?

FIGARO

C'est bien-là un propos d'Amant! Est-ce que je l'adore, moi55? Pussiez-vous prendre ma place!

LE COMTE

Ah! si l'on pouvoit écarter tous les surveillans!..

FIGARO

C'est à quoi je rêvois.

LE COMTE

Pour douze heures seulement!

FIGARO

En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l'intérêt d'autrui.

LE COMTE

Sans doute. Eh bien!

FIGARO, rêvant

Je cherche dans ma tête si la Pharmacie ne fourniroit pas quelques petits moyens innocens…

LE COMTE

Scélérat!

FIGARO

Est-ce que je veux leur nuire? Ils ont tous besoin de mon ministère. Il ne s'agit que de les traiter ensemble.

LE COMTE

Mais ce Médecin peut prendre un soupçon.

FIGARO

Il faut marcher si vîte, que le soupçon n'ait pas le tems de naître. Il me vient une idée. Le Régiment de Royal-Infant arrive en cette Ville!

LE COMTE

Le Colonel est de mes amis.

FIGARO

Bon. Présentez-vous chez le Docteur en habit de Cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous héberge, et moi, je me charge du reste.

LE COMTE56

Excellent!

FIGARO

Il ne seroit même pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins…

LE COMTE

A quoi bon?

FIGARO

Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable.

LE COMTE

A quoi bon?

FIGARO

Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui.

LE COMTE

Supérieurement vu! Mais que n'y vas-tu, toi?

FIGARO

Ah! oui, moi! Nous serons bienheureux s'il ne vous reconnoît pas, vous, qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire après?

LE COMTE

Tu as raison.

FIGARO

C'est que vous ne pourrez peut-être pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier… pris de vin…

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