Читать бесплатно книгу «Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile» Пьера Бомарше полностью онлайн — MyBook
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Est-ce parce qu'il est trop simple qu'il échappe à la sagacité de ce Critique adolescent?

Un Vieillard amoureux prétend épouser demain sa Pupille; un jeune Amant plus adroit le prévient, et ce jour même en fait sa femme, à la barbe et dans la maison du Tuteur. Voilà le fond, dont on eut pu faire, avec un égal succès, une Tragédie, une Comédie, un Drame, un Opéra, et cætera. L'Avare de Molière est-il autre chose? Le Grand Mithridate est-il autre chose? Le genre d'une Pièce, comme celui de toute autre action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en œuvre.

Quant à moi, ne voulant faire sur ce plan qu'une Pièce amusante et sans fatigue, une espèce d'Imbroille7, il m'a suffi que le Machiniste, au lieu d'être un noir scélérat, fût un drôle de garçon, un homme insouciant, qui rit également du succès et de la chûte de ses entreprises, pour que l'Ouvrage, loin de tourner en Drame sérieux, devînt une Comédie fort gaie; et de cela seul que le Tuteur est un peu moins sot que tous ceux qu'on trompe au Théâtre, il est résulté beaucoup de mouvement dans la Pièce, et sur-tout la nécessité d'y donner plus de ressort aux intrigans.

Au lieu de rester dans ma simplicité comique, si j'avois voulu compliquer, étendre et tourmenter mon plan à la manière tragique ou dramique8, imagine-t-on que j'aurois manqué de moyens dans une aventure dont je n'ai mis en Scènes que la partie la moins merveilleuse?

En effet, personne aujourd'hui n'ignore qu'à l'époque historique où la Pièce finit gaiement dans mes mains, la querelle commença sérieusement à s'échauffer, comme qui diroit derrière la toile, entre le Docteur et Figaro, sur les cent écus. Des injures on en vint aux coups. Le Docteur, étrillé par Figaro, fit tomber en se débattant le rescille9 ou filet qui coiffoit le Barbier, et l'on vit, non sans surprise, une forme de spatule imprimée à chaud sur sa tête razée. Suivez-moi, Monsieur, je vous prie.

A cet aspect, moulu de coups qu'il est, le Médecin s'écrie avec transport: «Mon Fils! ô Ciel, mon Fils! mon cher Fils!..» Mais avant que Figaro l'entende, il a redoublé de horions sur son cher Père. En effet, ce l'étoit.

Ce Figaro, qui pour toute famille avoit jadis connu sa mere, est fils naturel de Bartholo. Le Médecin, dans sa jeunesse, eut cet enfant d'une Personne en condition, que les suites de son imprudence firent passer du service au plus affreux abandon.

Mais avant de les quitter, le désolé Bartholo, Frater alors, a fait rougir sa spatule, il en a timbré son fils à l'occiput, pour le reconnoître un jour, si jamais le sort les rassemble. La mère et l'enfant avoient passé six années dans une honorable mendicité, lorsqu'un Chef de Bohémiens, descendu de Luc Gauric10, traversant l'Andalousie avec sa Troupe, et consulté par la mère sur le destin de son fils, déroba l'Enfant furtivement et laissa par écrit cet horoscope à sa place:

 
Après avoir versé le sang dont il est né,
Ton Fils assommera son Père infortuné:
Puis, tournant sur lui-même et le fer et le crime,
Il se frappe, et devient heureux et légitime.
 

En changeant d'état sans le savoir, l'infortuné jeune homme a changé de nom sans le vouloir; il s'est élevé sous celui de Figaro; il a vécu. Sa mère est cette Marceline, devenue vieille et Gouvernante chez le Docteur, que l'affreux horoscope de son fils a consolé de sa perte. Mais aujourd'hui, tout s'accomplit.

En saignant Marceline au pied, comme on le voit dans ma Pièce, ou plutôt comme on ne l'y voit pas, Figaro remplit le premier Vers:

 
Après avoir versé le sang dont il est né,
 

Quand il étrille innocemment le Docteur, après la toile tombée, il accomplit le second Vers:

 
Ton fils assommera son Père infortuné:
 

A l'instant, la plus touchante reconnoissance a lieu entre le Médecin, la Vieille et Figaro: c'est vous, c'est lui, c'est toi, c'est moi. Quel coup de Théâtre! Mais le fils, au désespoir de son innocente vivacité, fond en larmes et se donne un coup de rasoir; selon le sens du troisième Vers:

 
Puis, tournant sur lui-même et le fer et le crime,
Il se frappe et.....11.
 

Quel tableau! En n'expliquant point si du rasoir il se coupe la gorge ou seulement le poil du visage, on voit que j'avois le choix de finir ma Pièce au plus grand pathétique. Enfin, le Docteur épouse la Vieille, et Figaro, suivant la dernière leçon…

 
…Devient heureux et légitime.
 

Quel dénoûment! Il ne m'en eût coûté qu'un sixième Acte. Eh! quel sixième Acte! Jamais Tragédie au Théâtre François… Il suffit. Reprenons ma Pièce en l'état où elle a été jouée et critiquée. Lorsqu'on me reproche avec aigreur ce que j'ai fait, ce n'est pas l'instant de louer ce que j'aurois pu faire,

«La Pièce est invraisemblable dans sa conduite,» a dit encore le Journaliste établi dans Bouillon avec Approbation et Privilége.

Invraisemblable? Examinons cela par plaisir.

Son Excellence M. le Comte Almaviva, dont j'ai depuis long-tems l'honneur d'être ami particulier, est un jeune Seigneur, ou pour mieux dire étoit, car l'âge et les grands emplois en ont fait depuis un homme fort grave, ainsi que je le suis devenu moi-même. Son Excellence étoit donc un jeune Seigneur Espagnol, vif, ardent, comme tous les Amans de sa Nation, que l'on croit froide et qui n'est que paresseuse.

Il s'étoit mis secrètement à la poursuite d'une belle personne qu'il avoit entrevue à Madrid et que son Tuteur a bientôt ramenée au lieu de sa naissance. Un matin qu'il se promenoit sous ses fenêtres à Séville, où depuis huit jours il cherchoit à s'en faire remarquer, le hasard conduisit au même endroit Figaro le Barbier. «Ah! le hasard! dira mon Critique, et si le hasard n'eût pas conduit ce jour-là le Barbier dans cet endroit, que devenoit la Pièce? – Elle eût commencé, mon Frère, à quelqu'autre époque. – Impossible, puisque le Tuteur, selon vous-même, épousoit le lendemain. – Alors il n'y auroit pas eu de Pièce, ou, s'il y en avoit eu, mon Frère, elle auroit été différente. Une chose est-elle invraisemblable parce qu'elle étoit possible autrement?»

Réellement, vous avez un peu d'humeur. Quand le Cardinal de Retz nous dit froidement: «Un jour j'avois besoin d'un homme, à la vérité, je ne voulois qu'un fantôme; j'aurois désiré qu'il fût petit-fils d'Henri le Grand, qu'il eût de longs cheveux blonds; qu'il fût beau, bien fait, bien séditieux; qu'il eût le langage et l'amour des Halles; et voilà que le hasard me fait rencontrer à Paris M. de Beaufort, échappé de la prison du Roi; c'étoit justement l'homme qu'il me falloit12.» Va-t-on dire au Coadjuteur: «Ah! le hasard! Mais si vous n'eussiez pas rencontré M. de Beaufort! Mais ceci, mais cela?..»

Le hasard donc conduisit en ce même endroit Figaro le Barbier, beau diseur, mauvais Poëte, hardi Musicien, grand fringueneur13 de guittare et jadis Valet-de-Chambre du Comte; établi dans Séville, y faisant avec succès des barbes, des Romances et des mariages, y maniant également le fer du Phlébotôme14 et le piston du Pharmacien; la terreur des maris, la coqueluche des femmes, et justement l'homme qu'il nous falloit. Et comme, en toute recherche, ce qu'on nomme passion n'est autre chose qu'un désir irrité par la contradiction, le jeune Amant, qui n'eût peut-être eu qu'un goût de fantaisie pour cette beauté, s'il l'eût rencontrée dans le monde, en devient amoureux, parce qu'elle est enfermée, au point de faire l'impossible pour l'épouser.

Mais vous donner ici l'extrait entier de la Pièce, Monsieur, seroit douter de la sagacité, de l'adresse avec laquelle vous saisirez le dessein de l'Auteur, et suivrez le fil de l'intrigue, en la lisant. Moins prévenu que le Journal de Bouillon, qui se trompe avec Approbation et Privilége sur toute la conduite de cette Pièce, vous y verrez que tous les soins de l'Amant ne sont pas destinés à remettre simplement une lettre, qui n'est là qu'un léger accessoire à l'intrigue, mais bien à s'établir dans un fort défendu par la vigilance et le soupçon, sur-tout à tromper un homme qui, sans cesse éventant la manœuvre, oblige l'ennemi de se retourner assez lestement pour n'être pas désarçonné d'emblée.

Et lorsque vous verrez que tout le mérite du dénoûment consiste en ce que le Tuteur a fermé sa porte en donnant son passe-partout à Bazile, pour que lui seul et le Notaire pussent entrer et conclure son mariage, vous ne laisserez pas d'être étonné qu'un Critique aussi équitable se joue de la confiance de son Lecteur, ou se trompe au point d'écrire, et dans Bouillon encore: le Comte s'est donné la peine de monter au balcon par une échelle avec Figaro, quoique la porte ne soit pas fermée.

Enfin, lorsque vous verrez le malheureux Tuteur, abusé par toutes les précautions qu'il prend pour ne le point être, à la fin forcé de signer au contrat du Comte et d'approuver ce qu'il n'a pu prévenir, vous laisserez au Critique à décider si ce Tuteur étoit un imbécille de ne pas deviner une intrigue dont on lui cachoit tout, lorsque lui Critique, à qui l'on ne cachoit rien, ne l'a pas devinée plus que le Tuteur.

En effet, s'il l'eût bien conçue, auroit-il manqué de louer tous les beaux endroits de l'Ouvrage?

Qu'il n'ait point remarqué la manière dont le premier Acte annonce et déploie avec gaieté tous les caractères de la Pièce, on peut lui pardonner.

Qu'il n'ait pas apperçu quelque peu de comédie dans la grande Scène du second Acte, où, malgré la défiance et la fureur du Jaloux, la Pupille parvient à lui donner le change sur une lettre remise en sa présence, et à lui faire demander pardon à genoux du soupçon qu'il a montré, je le conçois encore aisément.

Qu'il n'ait pas dit un seul mot de la Scène de stupéfaction de Bazile, au troisième Acte, qui a paru si neuve au Théâtre, et a tant réjoui les Spectateurs, je n'en suis point réjoui du tout.

Passe encore qu'il n'ait pas entrevu l'embarras où l'Auteur s'est jeté volontairement au dernier Acte, en faisant avouer par la Pupille à son Tuteur que le Comte avoit dérobé la clé de la jalousie; et comment l'Auteur s'en démêle en deux mots, et sort en se jouant de la nouvelle inquiétude qu'il a imprimée au Spectateur, c'est peu de chose en vérité.

Je veux bien qu'il ne lui soit pas venu à l'esprit que la Pièce, une des plus gaies qui soient au Théâtre, est écrite sans la moindre équivoque, sans une pensée, un seul mot dont la pudeur, même des petites Loges, ait à s'allarmer, ce qui pourtant est bien quelque chose, Monsieur, dans un siècle où l'hypocrisie de la décence est poussée presque aussi loin que le relâchement des mœurs. Très-volontiers. Tout cela sans doute pouvoit n'être pas digne de l'attention d'un Critique aussi majeur.

Mais comment n'a-t-il pas admiré ce que tous les honnêtes gens n'ont pu voir sans répandre des larmes de tendresse et de plaisir? je veux dire, la piété filiale de ce bon Figaro, qui ne sauroit oublier sa mère!

Tu connois donc ce Tuteur? lui dit le Comte au premier acte. Comme ma mère, répond Figaro. Un avare auroit dit: Comme mes poches. Un Petit-Maître eût répondu: Comme moi-même. Un ambitieux: Comme le chemin de Versailles; et le Journaliste de Bouillon: Comme mon Libraire. Les comparaisons de chacun se tirant toujours de l'objet intéressant. Comme ma mère, a dit le fils tendre et respectueux!

Dans un autre endroit encore: Ah! vous êtes charmant! lui dit le Tuteur. Et ce bon, cet honnête Garçon, qui pouvoit gaiement assimiler cet éloge à tous ceux qu'il a reçus de ses Maîtresses, en revient toujours à sa bonne mère, et répond à ce mot: Vous êtes charmant! – Il est vrai, Monsieur, que ma mère me l'a dit autrefois. Et le Journal de Bouillon ne relève point de pareils traits! Il faut avoir le cerveau bien desséché pour ne les pas voir, ou le cœur bien dur pour ne pas les sentir!

Sans compter mille autres finesses de l'Art répandues à pleines mains dans cet Ouvrage. Par exemple, on sait que les Comédiens ont multiplié chez eux les emplois à l'infini; emplois de grande, moyenne et petite Amoureuse; emplois de grands, moyens et petits Valets; emplois de Niais, d'Important, de Croquant, de Paysan, de Tabellion, de Bailly; mais on sait qu'ils n'ont pas encore appointé celui de Bâillant. Qu'a fait l'Auteur pour former un Comédien peu exercé au talent d'ouvrir largement la bouche au Théâtre? Il s'est donné le soin de lui rassembler dans une seule phrase toutes les syllabes bâillantes du françois: Rien… qu'en… l'en… en… ten… dant… parler; syllabes en effet qui feroient bâiller un mort, et parviendroient à desserrer les dents même de l'envie!

En cet endroit admirable où, pressé par les reproches du Tuteur qui lui crie: Que direz-vous à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé? et l'autre qui depuis trois heures éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle, que leur direz-vous? Le naïf Barbier répond: Eh parbleu! je dirai à celui qui éternue, Dieu vous bénisse; et va te coucher à celui qui dort. Réponse en effet si juste, si chrétienne et si admirable, qu'un de ces fiers Critiques, qui ont leurs entrées au Paradis, n'a pu s'empêcher de s'écrier: «Diable! l'Auteur a dû rester au moins huit jours à trouver cette réplique!»

Et le Journal de Bouillon, au lieu de louer ces beautés sans nombre, use encre et papier, Approbation et Privilége, à mettre un pareil Ouvrage au-dessous même de la critique! On me couperoit le cou, Monsieur, que je ne saurois m'en taire.

N'a-t-il pas été jusqu'à dire, le Cruel: «Que pour ne pas voir expirer ce Barbier sur le Théâtre, il a fallu le mutiler, le changer, le refondre, l'élaguer, le réduire en quatre Actes et le purger d'un grand nombre de pasquinades, de calembourgs, de jeux de mots, en un mot, de bas comique

A le voir ainsi frapper comme un sourd, on juge assez qu'il n'a pas entendu le premier mot de l'Ouvrage qu'il décompose. Mais j'ai l'honneur d'assurer ce Journaliste, ainsi que le jeune homme qui lui taille ses plumes et ses morceaux, que, loin d'avoir purgé la Pièce d'aucuns des calembourgs, jeux de mots, etc., qui lui eussent nui le premier jour, l'Auteur a fait rentrer dans les Actes restés au Théâtre tout ce qu'il en a pu reprendre à l'Acte au porte-feuille: tel un Charpentier économe cherche dans ses copeaux épars sur le chantier tout ce qui peut servir à cheviller et boucher les moindres trous de son ouvrage.

Passerons-nous sous silence le reproche aigu qu'il fait à la jeune personne d'avoir tous les défauts d'une fille mal élevée? Il est vrai que, pour échapper aux conséquences d'une telle imputation, il tente à la rejeter sur autrui, comme s'il n'en étoit pas l'Auteur, en employant cette expression banale: On trouve à la jeune personne, etc. On trouve!..

Que vouloit-il donc qu'elle fît? Quoi! Qu'au lieu de se prêter aux vues d'un jeune Amant très-aimable et qui se trouve un homme de qualité, notre charmante enfant épousât le vieux podagre Médecin? Le noble établissement qu'il lui destinoit-là! Et parce qu'on n'est pas de l'avis de Monsieur, on a tous les défauts d'une fille mal élevée!

En vérité, si le Journal de Bouillon se fait des amis en France par la justesse et la candeur de ses Critiques, il faut avouer qu'il en aura beaucoup moins au-delà des Pyrénées, et qu'il est surtout un peu bien dur pour les Dames Espagnoles.

Eh! qui sait si son Excellence Madame la Comtesse Almaviva, l'exemple des femmes de son état et vivant comme un Ange avec son mari, quoiqu'elle ne l'aime plus, ne se ressentira pas un jour des libertés qu'on se donne à Bouillon, sur elle, avec Approbation et Privilége?

L'imprudent Journaliste a-t-il au moins réfléchi que son Excellence ayant, par le rang de son mari, le plus grand crédit dans les Bureaux, eût pu lui faire obtenir quelque pension sur la Gazette d'Espagne ou la Gazette elle-même, et que dans la carrière qu'il embrasse il faut garder plus de ménagemens pour les femmes de qualité? Qu'est-ce que cela me fait à moi? L'on sent bien que c'est pour lui seul que j'en parle!

Il est temps de laisser cet adversaire, quoiqu'il soit à la tête des gens qui prétendent que, n'ayant pu me soutenir en cinq Actes, je me suis mis en quatre pour ramener le Public. Eh! quand cela seroit? Dans un moment d'oppression, ne vaut-il pas mieux sacrifier un cinquième de son bien que de le voir aller tout entier au pillage?

Mais ne tombez pas, cher Lecteur… (Monsieur, veux-je dire), ne tombez pas, je vous prie, dans une erreur populaire qui feroit grand tort à votre jugement.

Ma Pièce, qui paroît n'être aujourd'hui qu'en quatre Actes, est réellement et de fait en cinq, qui sont le 1er, le 2e, le 3e, le 4e et le 5e, à l'ordinaire.

 


 









 









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