Читать бесплатно книгу «Le feu» Henri Barbusse полностью онлайн — MyBook
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Il monte sur la banquette de tir, pratiquée du temps où c’était ici la première ligne, érige la tête, rageusement, par-dessus le parapet. Dans la lumière frisante d’un petit rayon froid qui traîne sur la terre, on voit briller les verres de ses binocles et aussi la goutte qui lui pend au nez, comme un diamant.

– Et puis, c’Pépère, tu parles aussi d’un quart à trous! C’est à ne pa’ y croire c’qi’s’ laisse tomber de kilos dans l’étui, dans l’espace seulement d’une journée.

Le père Blaire «fume» dans son coin. On voit trembler sa grosse moustache, blanchâtre et tombante comme un peigne en os:

– Veux-tu que j’te dise? Les hommes de soupe, c’est le type des sales types. C’est: J’fous rien, J’m’en fous, Jean-Foutre et Compagnie.

– Ils ont tout du fumier, soupire avec conviction Eudore qui, affalé par terre, la bouche entr’ouverte, a l’air d’un martyr et suit d’un œil atone Pépin qui va et vient, tel une hyène.

L’irritation haineuse contre les retardataires monte, monte.

Tirloir le roussoteur s’empresse et se multiplie. Il est à son affaire. Il aiguillonne la colère ambiante avec ses petits gestes pointus:

– Si on disait: «Ça s’ra bon!», mais ça va être encore de la vacherie qu’il va falloir que tu t’enfonces dans la lampe.

– Ah! les potes, hein, la barbaque qu’on nous a balancée hier, tu parles d’une pierre à couteaux! Du bifteck de bœuf, ça? Du bifteck de bicyclette, oui, plutôt. J’ai dit aux gars: «Attention, vous autres! N’mâchez pas trop vite: vous vous casseriez les dominos, des fois que l’bouif aurait oublié de r’tirer tous les clous!»

Le boniment, lancé par Tirette, ex-régisseur, paraît-il, de tournées cinématographiques, aurait, en d’autres moments, fait rire; mais les esprits sont excités et cette déclaration a pour écho un grondement circulaire.

– D’aut’fois, pour que tu t’plaignes pas qu’ c’soit dur, i’t’collent en fait d’bidoche, que’qu’chose de mou: d’l’éponge qui n’a point d’goût, du cataplame. Quand tu croûtes ça, c’est comme si tu boives un quart d’eau, ni plus ni moins.

– Tout ça, dit Lamuse, ça n’a pas d’consistance, ça n’tient pas au bide. Tu crois qu’t’es rempli, mais, au fond d’ta caisse, t’es vide. Aussi, p’tit à p’tit, tu tournes de l’œil, empoisonné par le manque de nourriture.

– La prochaine fois, clame Biquet exaspéré, j’demande à parler au vieux, j’y dirai: «Mon capitaine…»

– Moi, dit Barque, je m’fais porter pâle. J’y dirai: «Monsieur le major…»

– C’que tu y casseras ou rien, c’est du pareil au même. Ils s’entendent tous pour exploiter l’troufion.

– J’te dis, moi, qui veul’tent not’peau!

– C’est comme la gniole. On a droit qu’on nous en distribue aux tranchées – vu qu’ça a été voté qué’q’part, j’sais pas quand, ni où, mais je l’sais – et d’puis trois jours qu’on est ici, v’là trois jours qu’on nous en sert au bout d’une fourche.

– Ah, malheur!

*
* *

– V’là la bectance! annonce un poilu qui guettait au tournant.

– I’n’est qu’temps!

Et l’orage des récriminations violentes tombe net, comme par enchantement. Et on voit leur fureur se changer, subitement, en satisfaction.

Trois hommes de corvée, essoufflés, la face larmoyante de sueur, déposent par terre des bouteillons, un bidon à pétrole, deux seaux de toile et une brochette de boules traversées par un bâton. Adossés au mur de la tranchée, ils s’essuient la figure avec leurs mouchoirs ou leurs manches. Et je vois Cocon s’approcher de Pépère, avec le sourire, et, oublieux des outrages dont il a couvert sa réputation, tendre la main, cordialement, vers un des bidons de la collection qui gonfle circulairement Pépère d’une manière de ceinture de sauvetage.

– Qu’est-ce qu’il y a à becqueter?

– C’est là, répond évasivement le deuxième homme de corvée.

L’expérience lui a appris que l’énoncé du menu provoque toujours des désillusions acrimonieuses…

Et il se met à déblatérer, en haletant encore, sur la longueur et les difficultés du trajet qu’il vient d’accomplir: «Y en a, tout partout, du populo! c’est un fourbi arabe pour passer. A des moments, faut s’déguiser en feuille de papier à cigarette»… «Ah! y en’a qui disent qu’à la cuistance, on est embusqué»!.. Eh bien, il aimerait cent mille fois mieux, quant à lui, être avec la compagnie dans les tranchées pour la garde et les travaux que de s’appuyer un pareil métier deux fois par jour pendant la nuit!

Paradis a soulevé les couvercles des bouteillons et inspecté les récipients:

– Des fayots à l’huile, de la dure, bouillie, et du jus. C’est tout.

– Nom de Dieu! Et du pinard? braille Tulacque.

Il ameute les camarades.

– V’nez voir par ici, eh, vous autres! Ça, ça dépasse tout! V’là qu’on s’bombe de pinard!

Les assoiffés accourent en grimaçant.

– Ah! merde alors! s’écrient ces hommes désillusionnés jusqu’au fond de leurs entrailles.

– Et ça, qu’est-ce qu’y a dans c’ siau-là? dit l’homme de corvée, toujours rouge et suant, en montrant du pied un seau.

– Oui, dit Paradis. J’mai trompé, y a du pinard.

– C’ t’emmanché-là! fait l’homme de corvée en haussant les épaules et en lui lançant un regard d’indicible mépris. Mets tes lunettes à vache, si tu n’y vois pas clair!

Il ajoute:

– Un quart par homme… Un peu moins, peut-être, parce qu’y a un fourneau qui m’a cogné en passant dans le Boyau du Bois, et il y en a eu eun’ goutte e’d’renversée… Ah! s’empresse-t-il d’ajouter en élevant le ton, si je n’avais pas été chargé, tu parles d’un coup de trottinant qu’il aurait reçu dans le croupion! Mais il a ripé à la quatrième vitesse, l’animau!

Et nonobstant cette ferme déclaration, il s’esquive lui-même, rattrapé par les malédictions – pleine d’allusions désobligeantes pour sa sincérité et sa tempérance – que fait naître cet aveu de ration diminuée.

Cependant, ils se jettent sur la nourriture et mangent, debout, accroupis, à genoux, assis sur un bouteillon ou un havresac tiré du puits où on couche, ou écroulés à même le sol, le dos enfoncé dans la terre, dérangés par les passants, invectivés et invectivant. A part ces quelques injures ou quolibets courants, ils ne disent rien, d’abord occupés tout entiers à avaler, la bouche et le tour de la bouche graisseux comme des culasses.

Ils sont contents.

Au premier arrêt des mâchoires, on sert des plaisanteries obscènes. Ils se bousculent tous et criaillent à qui mieux mieux pour placer leur mot. On voit sourire Farfadet, le fragile employé de mairie qui, les premiers temps, se maintenait au milieu de nous, si convenable et aussi si propre qu’il passait pour un étranger ou un convalescent. On voit se dilater et se fendre, sous le nez, la tomate de Lamuse, dont la joie suinte en larmes, s’épanouir et se réépanouir la pivoine rose de Poterloo, se trémousser de liesse les rides du père Blaire, qui s’est levé, pointe la tête en avant et fait gesticuler le bref corps mince qui sert de manche à son énorme moustache tombante, et on aperçoit même s’éclairer le petit facies plissé et pauvre de Cocon.

– Sin jus, on va-t-i’ pas l’fouaire recauffir? demande Bécuwe.

– Avec quoi, en soufflant d’ssus?

Bécuwe, qui aime le café chaud, dit:

– Laissez-mi bric’ler cha. Ch’n’est point n’n’affouaire. Arrangez cheul’ment ilà in ch’tiot foyer et ine grille avec d’fourreaux d’baïonnettes. J’sais où c’qu’y a d’bau. J’allau en fouaire de copeaux avec min couteau assez pour cauffer l’marmite. V’s allez vir..

Il part à la chasse au bois.

En attendant le caoua, on roule la cigarette, on bourre la pipe.

On tire les blagues. Quelques-uns ont des blagues en cuir ou en caoutchouc achetées chez le marchand. C’est la minorité. Biquet extrait son tabac d’une chaussette dont une ficelle étrangle le haut. La plupart des autres utilisent le sachet à tampon antiasphyxiant, fait d’un tissu imperméable, excellent pour la conservation du perlot ou du fin. Mais il y en a qui ramonent tout bonnement le fond de leur poche de capote.

Les fumeurs crachent en cercle, juste à l’entrée de la guitoune où loge le gros de la demi-section et inondent d’une salive jaunie par la nicotine la place où l’on pose les mains et les genoux quand on s’aplatit pour entrer ou sortir.

Mais qui s’aperçoit de ce détail?

*
* *

Voici qu’on parle denrées, à propos d’une lettre de la femme de Marthereau.

– La mère Marthereau m’a écrit, dit Marthereau. Le cochon gras, tout vif, vous ne savez pas combien i’vaut chez nous, m’tenant.

…La question économique a dégénéré soudain en une violente dispute entre Pépin et Tulacque.

Les vocables les plus définitifs ont été échangés, puis:

– Je m’fous pas mal de c’que tu dis ou d’c’que tu n’dis pas. La ferme!

– J’la fermerai si j’veux, saleté!

– Un trois kilos te la fermerait vite!

– Non, mais chez qui?

– Viens-y voir, mais viens-y donc!

Ils écument et grincent et s’avancent l’un vers l’autre. Tulacque étreint sa hache préhistorique et ses yeux louches lancent deux éclairs. L’autre, blême, l’œil verdâtre, la face voyou, pense visiblement à son couteau.

Lamuse interpose sa main pacifique grosse comme une tête d’enfant et sa face tapissée de sang, entre ces deux hommes qui s’empoignent du regard et se déchirent en paroles.

– Allons, allons, vous n’allez pas vous abîmer. Ce s’rait dommage!

Les autres interviennent aussi et on sépare les adversaires. Ils continuent à se jeter, à travers les camarades, des regards féroces.

Pépin mâche des restants d’injures avec un accent fielleux et frémissant:

– L’apache, la frappe, le crapulard! Mais, attends, i’me revaudra ça!

De son côté, Tulacque confie au poilu qui est à côté de lui:

– C’morpion-là! Non, mais tu l’as vu! Tu sais, y a pas à dire: ici on fréquente un tas d’individus qu’on sait pas qui c’est. On s’connaît et pourtant on s’connaît pas. Mais ç’ui-là, s’il a voulu zouaviller, il est tombé sur le manche. Minute: je le démolirai bien un de ces jours, tu voiras.

Pendant que les conversations reprennent et couvrent les derniers doubles échos de l’altercation.

– Tous les jours, alors! me dit Paradis. Hier, c’était Plaisance qui voulait à toute force fout’ sur la gueule à Fumex à propos de je n’sais quoi, une affaire de pilules d’opium, j’pense. Pis c’est l’un, pis c’est l’autre, qui parle de s’crever. C’est-i’ qu’on devient pareil à des bêtes, à force de leur ressembler?

– C’est pas sérieux, ces hommes-là, constate Lamuse, c’est des gosses.

– Ben sûr, pis que c’est des hommes.

*
* *

La journée s’avance. Un peu plus de lumière a filtré des brumes qui enveloppent la terre. Mais le temps est resté couvert, et voilà qu’il se résout en eau. La vapeur d’eau s’effiloche et descend. Il bruine. Le vent ramène sur nous son grand vide mouillé, avec une lenteur désespérante. Le brouillard et les gouttes empâtent et ternissent tout: jusqu’à l’andrinople tendue sur les joues de Lamuse, jusqu’à l’écorce d’orange dont Tulacque est caparaçonné, et l’eau éteint au fond de nous la joie dense dont le repas nous a remplis. L’espace s’est rapetissé. Sur la terre, champ de mort, se juxtapose étroitement le champ de tristesse du ciel.

On est là, implantés, oisifs. Ce sera dur, aujourd’hui, de venir à bout de la journée, de se débarrasser de l’après-midi. On grelotte, on est mal; on change de place sur place, comme un bétail parqué.

Cocon explique à son voisin la disposition et l’enchevêtrement de nos tranchées. Il a vu un plan directeur et il a fait des calculs. Il y a dans le secteur du régiment quinze lignes de tranchées françaises, les unes abandonnées, envahies par l’herbe et quasi nivelées, les autres entretenues à vif et hérissées d’hommes. Ces parallèles sont réunies par des boyaux innombrables qui tournent et font des crochets comme de vieilles rues. Le réseau est plus compact encore que nous le croyons, nous qui vivons dedans. Sur les vingt-cinq kilomètres de largeur qui forment le front de l’armée, il faut compter mille kilomètres de lignes creuses: tranchées, boyaux, sapes. Et l’armée française a dix armées. Il y a donc, du côté français, environ dix mille kilomètres de tranchées et autant du côté allemand… Et le front français n’est à peu près que la huitième partie du front de la guerre sur la surface du monde.

Ainsi parle Cocon, qui conclut en s’adressant à son voisin:

– Dans tout ça, tu vois ce qu’on est, nous autres…

Le pauvre Barque, – face anémique d’enfant des faubourgs que souligne un bouc de poils roux, et que ponctue, comme une apostrophe, sa mèche de cheveux, – baisse la tête:

– C’est vrai, quand on y pense, qu’un soldat – ou même plusieurs soldats – ce n’est rien, c’est moins que rien dans la multitude, et alors on se trouve tout perdu, noyé, comme quelques gouttes de sang qu’on est, parmi ce déluge d’hommes et de choses.

Barque soupire et se tait – et, à la faveur de l’arrêt de ce colloque, on entend résonner un morceau d’histoire racontée à demi-voix:

– Il était v’nu avec deux chevaux. Pssiii… un obus. I’ n’ lui reste plus qu’un chevau…

– On s’embête, dit Volpatte.

– On tient! ronchonne Barque.

– Faut bien, dit Paradis.

– Pourquoi? interroge Marthereau, sans conviction.

– Y a pas besoin d’raison, pis qu’il le faut.

– Y a pas d’raison, affirme Lamuse.

– Si, y en a, dit Cocon. C’est… Y en a plusieurs, plutôt…

– La ferme! C’est bien mieux qu’y en aye pas, pis qu’i’ faut t’nir.

– Tout d’même, fait sourdement Blaire, qui ne perd jamais une occasion de réciter cette phrase, tout d’même i’s veul’nt not’ peau!

– Au commencement, dit Tirette, j’pensais à un tas de choses, j’réfléchissais, j’calculais: maint’nant, j’pense plus.

– Moi non plus.

– Moi non plus.

– Moi, j’ai jamais essayé.

– T’es pas si bête que t’en as l’air, bec de puce, dit Mesnil André de sa voix aiguë et gouailleuse.

L’autre, obscurément flatté, complète son idée:

– D’abord, tu peux rien savoir de rien.

– On n’a besoin de savoir qu’une chose, et cette seule chose, c’est que les Boches sont chez nous, enracinés, et qu’il ne faut pas qu’ils passent et qu’il faut même qu’ils les mettent, un jour ou l’autre – le plus tôt possible, dit le caporal Bertrand.

– Oui, oui, faut qu’ils en jouent un air: y a pas d’erreur; autrement, quoi? C’est pas la peine de se fatiguer le ciboulot à penser à aut’ chose. Seul’ment, c’est long.

– Ah! bougre de bagasse! exclame Fouillade, eunn peu!

– Moi, dit Barque, je ne rouspète plus. Au commencement, je rouspétais contre tout le monde, contre ceux de l’arrière, contre les civils, contre l’habitant, contre les embusqués. Oui, j’rouspétais, mais c’était au commencement de la guerre, j’étais jeune. Maint’nant, j’prends mieux les choses.

– Y a qu’une façon de les prendre: comme elles viennent!

– Pardi! Autrement, tu deviendrais fou. On est déjà assez dingo comme ça, pas, Firmin?

Volpatte fait oui de la tête, profondément convaincu, crache, puis, contemple son crachat d’un œil fixe et absorbé.

– Tu parles, appuie Barque.

– Ici, faut pas chercher loin devant toi. Faut vivre au jour le jour, heure par heure, même si tu peux.

– Pour sûr, face de noix. Faut faire ce qu’on nous dit de faire en attendant qu’on nous dise de nous en aller.

– Et voilà, bâille Mesnil Joseph.

Les faces cuites, tannées, incrustées de poussière, opinent, se taisent. Evidemment, c’est là l’idée de ces hommes qui ont, il y a un an et demi, quitté tous les coins du pays pour se masser sur la frontière: Renoncement à comprendre, et renoncement à être soi-même; espérance de ne pas mourir et lutte pour vivre le mieux possible.

– Faut faire ce qu’on doit, oui, mais faut s’démerder, dit Barque, qui, lentement, de long en large, triture la boue.

*
* *

– Il l’faut, souligne Tulacque. Si tu t’démerdes pas, on l’fera pas pour toi, t’en fais pas!

– I’ n’est pas encore fondu, c’ui qui s’occupera de l’autre.

– Chacun pour soi, à la guerre!

– Videmment, videmment.

Un silence. Puis, du fond de leur dénuement, ces hommes évoquent des images savoureuses.

– Tout ça, reprend Barque, ça n’vaut pas la bonne vie qu’on a eue, un temps, à Soissons.

– Ah! foutre!

Un reflet de paradis perdu illumine les yeux et, semble-t-il, les trognes, déjà attisées par le froid.

– Tu parles d’un louba, soupire Tirloir, qui s’arrête, pensivement, de se gratter, et regarde au loin, à travers la terre de la tranchée.

– Ah! nom de Dieu, toute cette ville quasi évacuée et qui, en somme, était à nous! Les maisons, avec les lits…

– Les armoires!

– Les caves!

Lamuse en a les yeux mouillés, la face en bouquet, et le cœur gros.

– Vous y êtes restés longtemps? demande Cadilhac, qui est venu depuis, avec le renfort des Auvergnats.

– Plusieurs mois…

La conversation, presque éteinte, se ranime en flammes vives, à l’évocation de l’époque d’abondance.

– On voyait, dit Paradis, comme dans un rêve, des poilus s’couler à l’long et à derrière les piaules, en rentrant au cantonnement, avec des poules autour du cylindre et, sous chaque abatis, un lapin emprunté à un bonhomme ou à une bonne femme qu’on n’avait pas vu, et qu’on n’reverra pas.

Et on pense au goût lointain du poulet et du lapin.

– Y avait des choses qu’on payait. L’pognon, i’dansait aussi, va. On était encore aux as, en c’temps-là.

– C’est des cent mille francs qui ont roulé dans les boutiques.

– Des millions, oui. C’était toute la journée un gaspillage dont t’as pas une idée d’ssus, une espèce de fête surnaturelle.

– Crois-moi ou crois-moi pas, dit Blaire à Cadilhac, mais au milieu de tout ça, comme ici et comme partout où c’qu’on passe, ce qu’on avait le moins, c’était le feu. Il fallait courir après, l’trouver, l’gagner, quoi. Ah! mon vieux, c’qu’on a couru après le feu!..

– Nous, nous étions dans le cantonnement de la C. H. R. Là, l’cuistot, c’était le grand Martin César. Il était à la hauteur, lui, pour dégoter du bois.

– Ah! oui, lui, c’était un as. Y a pas à tortiller du croupion, i’savait y faire!

– Toujours du feu dans sa cuistance, toujours, ma vieille cloche. Tu rechassais des cuistots qui bagotaient dans les rues en tous sens, en chialant parce qu’ils n’avaient pas d’bois ni d’charbon; lui, il avait du feu. Quand i’n’avait pas rien, i’ disait: «T’occupe pas, j’vas m’ démieller.» Et c’était pas long.

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