Читать бесплатно книгу «Les etranges noces de Rouletabille» Гастона Леру полностью онлайн — MyBook

–Non, répliqua hâtivement Vladimir, les autorités sont mortes. Ils ont tué hier le kouet, et cinq zaptiés. Ils sont maintenant chez eux, entre eux, et tous prêts, hommes, femmes, enfants, à prendre la montagne. Ce soir, avant de quitter le village, ils doivent le brûler pour ne pas laisser cette besogne aux Turcs… du moins c'est ce que j'ai compris, car j'ai voulu savoir pourquoi ils étaient si gais… Mais écoutez!… écoutez!… c'est maintenant que l'affaire d'Athanase commence!… Oh! regardez Athanase!…

En effet, debout derrière le pope, Athanase, qui regardait le vieillard Dotchov, était épouvantable à voir. Ah! c'était une belle tête d'animal qui a faim et qui surveille sa proie!

On faisait cercle autour de Cyrille qui allait raconter une histoire de la guerre de l'Indépendance et qui s'essuyait la moustache et se libérait la bouche.

–D'abord, commença-t-il, tu te rappelles, Dotchov, qu'un orage épouvantable s'était élevé la nuit dans la montagne et que le vent s'était engouffré dans la masure où Ivan le Charron et le père d'Athanase et moi nous nous étions réfugiés pour fuir les bachi-bouzouks après la dispersion des comitadjis. Ce vent s'était si bien engouffré par le trou qui donnait issue à la fumée que le foyer fut renversé, bouleversé et que le feu prit à la masure. Il fallut l'évacuer et passer la nuit sous la pluie et la grêle. Puis trois bergers vinrent nous trouver sous un bouleau et, après nous avoir nourris et réchauffés, nous engagèrent à gagner un autre chalet où nous trouverions l'hospitalité. Nous avons suivi le lit du torrent, tu te rappelles, et l'eau glacée nous faisait frissonner… tu te rappelles… tu te rappelles?

–Comme si c'était hier, fit l'autre vieillard en hochant la tête et en frissonnant comme s'il était encore dans l'eau… c'est là que je suis tombé dans un trou à truites et que j'ai failli me noyer…

–Justement, mais on n'a pas toujours pu suivre le lit du torrent; et alors l'empreinte de nos pas nous a dénoncés aux bachi-bouzouks… cela très clairement.

–Très clairement! c'est ce que j'ai toujours dit…

–Plus loin, on a fait la rencontre d'un ours.

–Ah! oui, l'ours… je vois l'ours.

–Il cherchait des oeufs de fourmi et il était étonné de nous voir.

–Je me rappelle… tout à fait étonné…

–Ah! ah! s'écria Ivan le Charron, en se rapprochant… l'ours!… je lui ai jeté un bâton dans les jambes et il a été bien attrapé… On ne pouvait pas tirer dessus, tu penses!…

–Enfin on a fini par arriver au chalet… Le berger Neia nous avait accompagnés… Rappelle-toi… rappelle-toi, Dotchov…

–Oui, oui! Neia! le berger Neia! nous en avons souvent parlé avec Ivan.

Pauvre Neia!

–On peut le plaindre… En arrivant au chalet, Neia s'était enfoncé une épine dans le pied; ça, il faut s'en souvenir.

–Oui, oui…

–Même qu'il nous a dit qu'il n'avait pas de chance… que les Turcs lui avaient donné plus de vingt-cinq fois la bastonnade, qu'ils l'avaient fait agenouiller cinq fois, pour lui couper la tête… et qu'ils l'avaient dépouillé quinze fois de tout ce qu'il possédait… Mais il était surtout tourmenté d'être allé si peu à l'église… et le père d'Athanase lui dit alors: «Console-toi, Neia, après une telle vie tu pourras passer aisément saint et martyr!» Et il répondit: «Surtout avec mon épine dans le pied!» Or tu te rappelles ce qui est arrivé à cause de cette épine?

–Ma foi, non, Cyrille…

–Eh bien! il faut t'en souvenir… C'est à cause d'elle que Neia n'a pu aller aux provisions au village et qui est-ce qui s'est risqué du côté du village? c'est toi, Dotchov!

–Bien sûr! Il fallait bien que quelqu'un se dévouât…

–Sûr, ça ne pouvait être le père d'Athanase dont la tète avait été mise à prix: 10.000 piastres!…

–Oh! je me rappelle, j'ai rapporté du lait, du pain et du tabac!

–Et tu étais gai et tu t'es mis à chanter en fumant ton chibouk parce que, disais-tu, le danger était passé et que tu apportais d'heureuses nouvelles: les bachi-bouzouks avaient abandonné la montagne et la route était libre vers le Nord-Ouest. Et puis la Serbie entrait en campagne et la Russie arrivait. Enfin! nous avions tout pour nous!… Seulement, il fallait aller rejoindre les combattants. Le lendemain, nous sommes partis d'un pas allègre; nous laissions le berger derrière nous, sans nous douter de rien.

–Oui, c'est Neia qui nous a trahis, je l'ai tué de ma propre main, fit Dotchov, à la première occasion.

–On doit, en effet, tuer les traîtres, Dotchov… On se mit donc en marche. En tête, comme toujours, venait le père d'Athanase qui était un fier homme, puis Ivan le Charron, puis moi, Cyrille, toi, Dotchov. Tu marchais le dernier, mais c'est toi qui nous disais par où il fallait passer, et c'est ainsi que nous arrivâmes devant le pré aux porchers, dont nous étions séparés par le torrent… Alors, tu as crié à Athanase, père de l'Athanase que voici:

–Il faut aller de l'autre côté si nous ne voulons plus rencontrer de bachi-bouzouks! Il faut traverser la passerelle! Est-ce vrai?… Cette passerelle-là du pré aux porchers! Est-ce vrai, Dotchov?

–Mais bien sûr que c'est vrai!… Ivan est là pour le dire aussi bien que toi… je n'ai jamais donné que de bons conseils…

–La passerelle paraissait neuve, elle était composée de deux poutres et d'une traverse; nous nous y engageâmes; mais elle céda tout de suite sous nos pas, et toi, qui étais le dernier, tu pus facilement t'en tirer, car tu t'es sauvé aussitôt, d'une façon effrénée, derrière un gros tronc d'arbre qui gisait à quelque distance.

–Certainement, je me sauvais parce qu'on tirait des coups de fusil… Est-ce vrai?…

–C'est vrai… nous n'avions pas plus tôt mis le pied sur cette passerelle que plus de vingt coups de fusil partaient d'un bois voisin… Le commandement de feu avait été donné en langue turque. Les bachi-bouzouks nous avaient heureusement ratés. Ivan parvint à s'enfuir; moi, j'avais glissé dans les eaux froides; les balles sifflaient toujours. Qu'était devenu Athanase? Je ne pouvais m'en rendre compte. Je parvins cependant à sortir de l'eau, à me jeter dans un taillis. Jamais de ma vie je n'avais eu si peur. Je me croyais sauvé. Je fis mes prières. Ce n'est que vingt-quatre heures plus tard que les bachi-bouzouks m'ont remis la main dessus. Que faisais-tu pendant ce temps-là, Dotchov, que faisais-tu?…

–Moi, je m'étais terré comme un lapin, répondit sans trouble apparent le vieillard, dans un trou de grotte où je me trouvais aussi bien que dans un cabaret valaque, mais d'où, hélas! j'ai assisté à la mort du pauvre Athanase. Ce sera le plus grand chagrin de ma vie…

–Raconte, Dotchov, comment Athanase est mort…

–Il est mort comme je vais vous dire, et cela sur saint Georges et les saints, ce fut tel que voilà: Athanase, qui était tombé dans le torrent, réussit lui aussi à en sortir sans être vu des bachi-bouzouks et il grimpa devant moi dans un grand hêtre…

Tous ceux qui étaient là montrèrent le hêtre sur l'autre rive, en disant:

–Ce hêtre-là… ce hêtre-là!…

–Comme vous voyez, reprit le bon Dotchov, l'arbre est très haut! Bien caché, Athanase pouvait attendre le moment propice à sa fuite. Les bachi-bouzouks, furieux, battaient le pré aux porchers, la campagne, les bois, le ravin… Le malheur voulut que l'un d'eux revînt avec son chien et ce chien alla tout de suite à l'arbre. Le chien se mit à aboyer. Les bachi-bouzouks levèrent la tête et aperçurent Athanase. Ils se mirent à tirer dessus comme sur une corneille et bientôt Athanase bascula et vint s'écraser au pied de l'arbre. Le malheur voulut encore que l'un des porchers vint à passer avec deux porcs. Les bachi-bouzouks coupèrent les oreilles d'Athanase et en donnèrent une à dévorer à chaque porc… puis, comme la nuit venait, ils s'en allèrent après avoir dépouillé le cadavre.

«Moi, je me glissai jusqu'à la dépouille de mon ami et l'enterrai comme je pus en creusant la terre avec ma baïonnette. Ainsi est mort Athanase, père de l'Athanase que voici!

–Dotchov, Dotchov, fit la voix grave et profonde du mendiant Cyrille. Tout cela est tout à fait exact, car moi aussi j'ai vu comment les choses se sont passées!

–Où étais-tu donc? demanda Dotchov, inquiet.

J'étais dans l'arbre, avec Athanase!

Dotchov se dressa à demi sur ses coussins, comme s'il était soulevé par une force intérieure qui le poussait vers Cyrille, dont il ne pouvait plus détourner le regard. Ses lèvres tremblantes essayèrent de laisser glisser quelques paroles, mais ceux qui l'entouraient n'entendirent qu'un souffle rauque pareil à celui qui précède le râle de la mort.

Au même moment, le pope qui était derrière Dotchov pesa sur ses épaules et le fit retomber à sa place; puis, mettant une main sur la tête du lamentable vieillard, il prononça:

–Nous sommes dans la main de la mort! La mort est comme le pêcheur qui, ayant pris un poisson dans son filet, le laisse quelque temps encore dans l'eau! Le poisson nage toujours, mais il est dans le filet et le pêcheur le saisira quand il lui plaira.

–Continue, Cyrille, fit la voix glacée d'Athanase fils.

–Oui, j'étais dans l'arbre avant qu'Athanase s'y fût lui-même réfugié, continua Cyrille. J'avais réussi, comme lui, à me cacher dans les branches du hêtre, mais, personne n'en sut rien et quand Athanase fut tombé, on me laissa bien tranquille et je pus voir et entendre sans danger. Or voici ce que je vis et entendis:

«Dotchov sortit de sa cachette et rejoignit les bachi-bouzouks qui l'appelaient. Dotchov reprocha aux bachi-bouzouks d'avoir donné à manger les oreilles d'Athanase, père d'Athanase, aux cochons du pré des porchers. Les autres rirent et lui demandèrent:

«—Dis-nous, vieux drôle, quand tu leur as dit de prendre le chemin de la passerelle, les giaours du comité n'ont rien soupçonné?»

Et Dotchov a répondu:

«—Rien du tout, ils étaient si contents qu'ils m'auraient suivi au bout du monde!»

A ces paroles de Cyrille, la foule qui entourait Dotchov fit entendre des paroles de mort et Dotchov, voyant que tout était perdu, se mit à genoux et se cacha la tête dans les mains.

Le pope dit:

–Toute la montagne a des yeux et des oreilles pour les traîtres, mais les traîtres n'auront plus ni yeux ni oreilles!

–De mon hêtre à la passerelle maudite, fit Cyrille, il y a à peine cent pas. J'entendais tout ce qui se disait. Ils se félicitaient d'avoir fait construire cette passerelle pour attirer l'apôtre dans le piège où il devait succomber. Dotchov est un traître qui nous a livrés sans vergogne à nos plus cruels ennemis, les ennemis des comités. Je suis revenu du fond des prisons d'Anatolie pour vous dire cela à tous et le lui dire, à lui. Dotchov, prie l'âme de saint Georges de te pardonner!

Dotchov retira alors ses mains de son visage et Rouletabille put voir qu'il était inondé des larmes du repentir.

–Georges, pardonne-moi, pria Dotchov, j'ai péché. Prie Dieu pour mon âme noire.

Et en disant ces mots il baisait la croix que lui tendait le pope et frappait la terre de son front. Il ne tremblait plus; sa figure s'était éclairée.

–Pendant des années sans nombre, j'ai été un homme perdu; je ne pouvais plus dormir. Maintenant, il me semble que je me suis confessé et que j'ai communié. Battez-moi si vous voulez et tuez-moi; je l'ai mérité…

Alors, Athanase fit un signe et les porchers amenèrent les deux cochons qui avaient besoin d'être engraissés.

–Si tu veux mon sabre, dit le pope à Athanase, prends-le, moi je tiendrai la tête de cet homme pendant que tu lui couperas les oreilles…

–Je n'ai point besoin de ton sabre, révérend père, répondit Athanase. Les porcs mangeront les oreilles de Dotchov «vivantes»!

–Très bien, fils, je comprends, répliqua le pope. Ça n'est pas mal ce que tu as trouvé là!

Mais Dotchov aussi avait compris et il poussait des cris désespérés, se frappant la poitrine, disant qu'il avait mérité la mort, mais pas un supplice pareil.

–Jamais, affirmait-il sur saint Georges et sainte Sophie, jamais il n'aurait livré les fugitifs si les bachi-bouzouks ne l'avaient supplicié lui-même, passé les pieds au feu, ce qui lui avait fait accepter et promettre tout, mais la mort dans l'âme! La confession, ajoutait-il, a délivré mon âme du poids du péché… j'ai le droit de mourir en paix!

Il eut beau dire et se débattre, Ivan le Charron d'un côté et Cyrille le Mendiant de l'autre l'entreprirent si bien qu'un des cochons que l'on avait approché put lui saisir une oreille et, avec un effroyable grognement, tirer cette oreille à lui après avoir refermé l'étau de son horrible mâchoire. Dotchov hurlait comme on doit hurler en enfer et Athanase, impassible, regardait.

Quant à Rouletabille et à La Candeur, ils s'étaient enfuis avec épouvante de cette scène de sauvagerie; mais ils furent presque immédiatement arrêtés dans leur retraite par des clameurs inattendues.

La nuit était venue depuis longtemps et ils virent des ombres qui couraient follement à la lueur des feux, autour du torrent. Ils comprirent que, grâce aux ténèbres, Dotchov, dans un suprême effort, avait échappé à ses bourreaux et était allé, comme les comités de jadis, chercher un refuge du côté du ravin.

Alors ils se rapprochèrent pour voir ce qu'il allait advenir du malheureux vieillard.

Dotchov semblait avoir pris de l'avance, et, au plus loin du camp, presque au fin fond de la nuit, les Bulgares s'appelaient avec des cris, se donnaient des indications rapides, haletantes, entremêlées de coups de feu qui faisaient briller les eaux du torrent.

A la lueur d'un de ces coups de fusil, Rouletabille reconnut Vladimir qui paraissait l'un des plus acharnés poursuivants, aux côtés d'Athanase.

–Ah! il est plus Bulgare qu'eux! jeta Rouletabille avec horreur.

–Quand je te dis, Rouletabille! que nous ne comprendrons jamais ces gens-là et que nous ferions mieux de rentrer à Paris, bien sûr!…

Tout à coup, il parut que les Bulgares avaient retrouvé la piste de Dotchov… Le camp se vida; hommes, femmes, enfants, tous se précipitèrent dans la direction du village et toujours en tirant en l'air des coups de fusil et de revolver comme pour une fête joyeuse.

Il était vrai qu'ils avaient retrouvé Dotchov presque à l'entrée du village où il avait sa maison, dans laquelle il courut se barricader en appelant à l'aide ses serviteurs.

Vain et dernier effort. Athanase pénétra lui-même dans la maison d'où les serviteurs avaient fui, et, à la lueur d'un grand feu allumé sur la place, les reporters purent le voir traîner le vieillard sanglant à une fenêtre; Dotchov, dont le visage n'était plus qu'un horrible mélange de chair et de sang, leva encore les bras au ciel, demandant grâce, mais Athanase lui fit sauter le crâne avec un gros revolver, puis il jeta par la fenêtre le cadavre à la foule qui le déchiqueta. [Nous devons à la vérité de dire que les comités ne sont pas toujours aussi impitoyables dans leur vengeance et que, dans une circonstance presque semblable, Zacharie Stoïanov, qui devait devenir président de la Sobranié, pardonna au repentir de son ancien compagnon.]

Бесплатно

0 
(0 оценок)

Читать книгу: «Les etranges noces de Rouletabille»

Установите приложение, чтобы читать эту книгу бесплатно