Читать бесплатно книгу «Mathilde» Эжена Сю полностью онлайн — MyBook

– Madame, un verre d'eau sucrée, je vous prie, dit Gaston à la veuve.

Celle-ci, sans répondre, agita majestueusement une sonnette cassée, en criant d'une voix glapissante:

– Boitard! Boitard! un verre d'eau sucrée!

– Quelle affreuse odeur de poêle! – dit Gaston en appuyant son front; – j'ai la tête en feu.

– Il se joint à cela, – reprit Alfred avec dégoût, – je ne sais quelle senteur de moisi et de vieux rentier qui fait que décidément ça empeste…

– Mais, madame, j'avais demandé un verre d'eau! – dit Gaston avec impatience.

– Mais, monsieur, il me semble que j'ai sonné Boitard assez fort, – répondit aigrement la veuve en agitant de nouveau sa sonnette.

– Au fait, c'est vrai, Gaston, madame a sonné Boitard, – dit Alfred avec beaucoup de sérieux; ayez un peu de patience. Mais comme je me défie de la présence de Boitard, par précaution je vais allumer un cigare.

Alfred tira un cigare d'un cigarero de paille de Lima, prit une allumette chimique dans une petite boîte d'argent damasquinée, et commença à fumer.

Les habitués du café se regardèrent avec stupéfaction, ne sachant comment qualifier cette audacieuse innovation.

Quelques-uns toussèrent, d'autres poussèrent quelques hum! hum! énergiques. Nul doute que, sans l'intérêt de curiosité qu'inspiraient ces jeunes gens, par le rôle qu'ils semblaient jouer dans l'aventure du coffret remis au domestique du Vampire, nul doute que la veuve et ses partisans n'eussent vivement protesté contre ces manières de tabagie.

A ce moment parut Boitard, garçon joufflu, aux bras nus, et pour qui toute saison était canicule.

Il portait sur un plateau écaillé une carafe, un verre de deux pouces d'épaisseur, et cinq morceaux de sucre dans une soucoupe fêlée.

Pendant que Gaston semblait livré à de profondes réflexions, Alfred, les deux mains dans ses poches, regardait le verre d'eau avec une défiance mêlée de dégoût; tout à coup il s'écria:

– Mais, Boitard, mon cher, il y a une araignée dans votre carafe. C'est plus que nous n'avons demandé. Nous sommes pressés. Nous voudrions un simple verre d'eau sans araignée, si c'est possible.

Boitard passa une grosse main rouge dans ses cheveux, se gratta la tête, regarda attentivement dans la carafe, et reconnut en effet la présence réelle d'une araignée.

Au lieu d'être accablé par cette abominable découverte, il haussa les épaules en se tournant à demi du côté de la veuve et des habitués.

Ce mouvement semblait dire: «En vérité, ce monsieur fait bien le dégoûté avec son araignée!»

A quoi la veuve et les habitués répondirent par une autre pantomime signifiant à peu près: «Ah! mon Dieu! ne nous en parlez pas, Boitard; cela fait pitié!»

Alors Boitard, haussant de nouveau les épaules, prit la carafe d'une main, enfonça à plusieurs reprises son gros vilain doigt dans le goulot, et commença une pêche d'un nouveau genre.

Cette pêche fut couronnée d'un plein succès. Boitard retira l'araignée, la prit délicatement entre le pouce et l'index, l'écrasa sous son pied, remit, avec un imperturbable sang-froid, la carafe sur la table, et dit à Alfred, comme s'il lui eût reproché un caprice d'enfant gâté: – Eh bien, monsieur, j'espère que vous ne me direz plus qu'il y a des araignées dans l'eau, maintenant!

Alfred avait contemplé la manœuvre de Boitard avec une admiration profonde. Ces derniers mots lui parurent sublimes.

Il lui mit cent sous dans la main et lui dit: – Ceci est pour vous, Boitard; toute perfection a son prix, et, dans votre spécialité, vous êtes, mon cher, magnifiquement malpropre.

Boitard regardait tour à tour Alfred, l'argent, la veuve et les habitués, d'un air stupide.

Gaston, toujours resté rêveur, dit à demi-voix, en se parlant à lui-même; – Que faire?.. que faire?.. Où est à cette heure ce coffret? – Et il avança machinalement la main vers la carafe.

– Du diable! si vous touchez à cela, Gaston, – dit Alfred.

Et il raconta à son ami la pêche à l'araignée.

Gaston repoussa le plateau avec horreur, et s'écria avec impatience:

– Allons, il est impossible de boire un verre d'eau: j'ai la tête brûlante, j'ai la gorge en feu… Venez, Alfred; tâchons de trouver quelque endroit un peu moins répugnant.

Ces mots mirent le comble à la colère de la veuve.

Elle s'écria d'un air indigné en s'adressant à Alfred:

– D'abord, monsieur, on ne fume pas ici comme dans un estaminet, entendez-vous? Et puis, je suis bien aise de vous dire, malgré votre air ricaneur, que, si vous ne buvez pas ce qu'on vous sert ici, vous ne devez pas chercher à en dégoûter les autres.

Alfred répondit avec un sérieux imperturbable:

– Croyez, ma chère madame, que je n'ai pas abusé de mon influence sur monsieur. Je vous déclare que, lorsqu'il est abandonné à ses propres penchants, il ne mange jamais d'araignée.

– Venez, cette femme est folle, – dit Gaston en jetant un louis sur le comptoir.

La veuve repoussa fièrement la pièce d'or, en s'écriant que, dans son établissement, on ne payait que ce que l'on avait consumé.

– J'ai donné à ce drôle pour son araignée, – dit Alfred à Gaston.

Celui-ci reprit son louis, et les deux jeunes gens sortirent.

A peine avaient-ils fermé la porte du café, que M. Godet les suivit nu-tête, malgré le froid.

– Votre chapeau, M. Godet! – s'écria la veuve, qui devina les intentions de son habitué.

– Mon chapeau! – dit M. Godet, – il n'en est pas besoin; je vais à l'instant vous les ramener ici pieds et poings liés, et doux comme des moutons, ces beaux godelureaux.

En deux enjambées il rejoignit les jeunes gens, et toucha légèrement la manche d'Alfred, qui lui inspirait plus de confiance.

– Que voulez-vous, monsieur? – dit ce dernier, étonné de la grotesque figure de l'habitué.

– Je veux, monsieur, vous rendre un immense service si j'en étais capable, ainsi que cela se doit faire entre bons citoyens; je vous propose de nous liguer contre l'ennemi commun. Or, dans ce moment, notre ennemi commun c'est le Robin des Bois, en d'autres termes le Vampire.

Alfred et Gaston regardèrent M. Godet sans comprendre un mot à son étrange langage.

Gaston finit par dire à Alfred: – Venez, mon ami; ne voyez-vous pas que ces gens-là sont fous?

– C'est que celui-ci a l'air bien bête pour un fou, – dit Alfred.

M. Godet, craignant de voir sa proie lui échapper, ne releva pas le propos, et ajouta très-vite, d'un air mystérieux:

– Je sais tout, vous cherchez une jeune dame qui était dans un petit fiacre bleu à stores rouges avec une femme plus âgée. Chapeau noir, manteau puce, cheveux gris, voilà le signalement de la vieille; cheveux blonds, sourcils et yeux noirs, voilà le signalement de la jeune.

– Ce sont elles! – s'écria Gaston; puis, reprenant son sang-froid, il dit à M. Godet, qui triomphait d'une joie maligne:

– En effet, monsieur, j'aurais intérêt à savoir quelle direction ont prise les personnes dont vous parlez.

– Et surtout à savoir où elles ont porté la petite cassette d'écaille incrustée d'or, n'est-ce pas, monsieur? – reprit M. Godet.

– Comment êtes-vous instruit de cela? – reprit Gaston de plus en plus étonné.

– Tout ce que je puis vous affirmer sur l'honneur, c'est que la vieille femme en question a remis, il y a une heure, devant moi, le coffret au domestique du Vampire, dit M. Godet.

Cette nouvelle était tellement inattendue, si surprenante, que les deux jeunes gens ne la pouvaient croire.

Mille sentiments contraires, l'inquiétude, la colère, la jalousie, la vengeance, la curiosité, se heurtèrent dans l'esprit de Gaston.

– Monsieur, – s'écria-t-il en pâlissant, – il faut que vous me disiez à l'instant quelle est la personne que vous avez surnommée le Vampire, et quelle est sa demeure.

– Peste! vous n'êtes pas dégoûté, mon cher ami, – pensa M. Godet, qui n'était pas disposé à abandonner sitôt ses victimes. Il reprit, en montrant son crâne chauve: – Je vous ferai observer, messieurs, qu'à mon âge je ne suis plus dans mon printemps. Si vous vouliez rentrer au café Lebœuf, nous y causerions sans y geler.

– Soit, monsieur, – dit Gaston en reprenant avec impatience le chemin du café de la veuve.

Jamais triomphateur romain, traînant à sa suite des populations esclaves, ne fut plus fier que M. Godet en rentrant dans le café de la veuve, suivi des deux jeunes gens.

Il fit un signe aux habitués, afin de modérer leur curiosité, et s'enfonça dans un coin du café.

M. Godet se garda bien d'apprendre tout de suite aux deux jeunes gens le nom du colonel; malgré leur impatience, il leur fallut subir toutes les absurdes histoires forgées par le doyen des habitués du café Lebœuf.

Sans les faits précis, évidents, que cet impitoyable curieux avait déjà révélés, Gaston n'aurait pas ajouté la moindre foi à ses paroles; il fut pourtant obligé d'entendre l'histoire du coup de fusil, de la voiture magnifiquement harnachée, de l'uniforme du colonel, et, enfin, de ses sacriléges stations au cimetière du Père-Lachaise.

A travers toutes ces sottises, les jeunes gens furent du moins frappés de l'existence étrange du colonel.

– Enfin, monsieur, – dit Gaston, – j'ai l'honneur de vous le demander pour la vingtième fois, faites-moi la grâce de me dire où demeure cet homme. Tous ces détails sont fort curieux sans doute, mais encore une fois, l'adresse du colonel, son adresse?..

– Suivez-moi, messieurs, – dit Godet en se levant subitement d'un air imposant.

Il ouvrit la porte du café, allongea le doigt, montra à Gaston la petite porte de l'hôtel d'Orbesson, et lui dit: – Voilà, monsieur… la demeure du Vampire, en face… la porte à guichet.

Gaston courut vers la porte sans prononcer une parole.

M. Godet referma la porte, et s'écria en se frottant les mains avec une joie diabolique:

– Ça chauffe, messieurs, ça chauffe; maintenant à nos trous, à nos trous.

Les habitués du café Lebœuf se remirent en observation.

Gaston sonnait avec violence.

La figure du vieux domestique du colonel parut, non pas à la porte, mais au guichet.

Les deux jeunes gens semblèrent faire les plus vives instances pour entrer: prier, menacer même, tout fut inutile; il fallut que Gaston se résignât à passer par le guichet sa carte, sur laquelle il écrivit à la hâte quelques mots au crayon.

S'apercevant que les deux inconnus parlaient avec chaleur, M. Godet entr'ouvrit la porte du café, et entendit distinctement Gaston dire d'une voix courroucée:

– A demain matin neuf heures. Il n'y aura pas d'excuses, j'espère.

Les deux jeunes gens disparurent en marchant à grands pas.

1
...
...
37

Бесплатно

0 
(0 оценок)

Читать книгу: «Mathilde»

Установите приложение, чтобы читать эту книгу бесплатно