Читать бесплатно книгу «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8» Джорджа Гордона Байрона полностью онлайн — MyBook

Sans doute; néanmoins bien des hommes souhaitent jouir de tous leurs jours.

LE DOGE

Et n'en ont-ils pas joui?

LORÉDANO

C'est à la tombe à le déclarer. Je l'ai dit, ils sont morts subitement.

LE DOGE

Cela est-il donc bien étrange, que vous répétiez cette parole avec tant d'emphase?

LORÉDANO

Si peu étrange, que jamais, à mes yeux, il n'y eut de mort aussi naturelle que la leur. Ne pensez-vous pas ainsi?

LE DOGE

Qu'y a-t-il de certain sur les mortels?

LORÉDANO

Qu'ils ont des ennemis mortels.

LE DOGE

Je vous entends; vos pères étaient les miens, et vous avez recueilli tout leur héritage.

LORÉDANO

Vous savez mieux que personne si j'ai dû le faire.

LE DOGE

Oui. Vos pères furent mes ennemis; j'ai même entendu à ce sujet d'étranges rumeurs; j'ai même lu l'épitaphe qui attribue leur mort au poison. Peut-être est-elle aussi véridique que la plupart des inscriptions funéraires: ce n'en est pas moins une fable.

LORÉDANO

Qui ose parler ainsi?

LE DOGE

Moi! – Vos pères, je le répète, furent mes ennemis, aussi mortels que leur fils peut jamais l'être: moi, j'étais aussi bien le leur, mais je les détestais ouvertement; et jamais, ni dans le conseil, ni par les brigues, ni par d'obscures pratiques, on ne me vit cabaler contre leur vie, et recourir, pour me venger, au fer ou au poison. La preuve est dans votre existence même.

LORÉDANO

Je suis sans craintes.

LE DOGE

Mon caractère justifie votre sécurité; mais si j'étais tel que vous me supposez, il y a long-tems qu'il ne serait plus en votre pouvoir de craindre. Cependant, haïssez-moi; je n'en ai pas de souci.

LORÉDANO

Je ne savais pas qu'à Venise la vie d'un noble pût dépendre de la volonté d'un Doge; j'entends la volonté publiquement exprimée.

LE DOGE

Mais moi, mon cher seigneur, je suis, ou j'étais du moins, par ma famille, mes facultés et ma fortune, plus qu'un simple Doge; ils le savent bien ceux qui songèrent à me choisir, ceux qui depuis ont tout fait pour me renverser. Soyez sûr qu'avant ou depuis mon élection, si j'avais fait assez de cas de vous pour vouloir m'en débarrasser, un seul mot de ma part eût suffi pour vous anéantir. Mais, dans toutes les circonstances, j'ai montré le plus grand respect pour les lois, pour celles même que vous avez violées, afin de me dépouiller d'une autorité que j'aurais pu à mon tour fortifier (et je ne parle ici de vous que comme une des voix coupables). Avec la vénération d'un prêtre à l'autel, au prix de mon sang, de mon repos, de ma vie, de tout, excepté l'honneur, j'ai fléchi le genou devant les décrets, les avantages, la gloire, la sécurité de la chose publique. Maintenant, j'écoute votre message.

LORÉDANO

Il est décrété que, sans répéter une dernière fois la torture, sans poursuivre une instruction qui ne tendrait qu'à mieux prouver l'endurcissement du coupable (les Dix, se relâchant de la sévérité des lois qui prescrivent la question jusqu'au moment d'un aveu complet, et le prisonnier ayant en partie reconnu son crime en ne désavouant pas la lettre au duc de Milan), Jacques Foscari retournera en exil, et partira sur le même vaisseau qui l'avait amené.

MARINA

Dieu soit loué! du moins ils ne le tortureront plus devant leur horrible tribunal. Que ne pense-t-il de même? cette sentence serait la plus heureuse que l'on pût prononcer, non-seulement contre lui, mais contre tous ses compatriotes, auxquels elle permettrait de fuir une terre aussi odieuse.

LE DOGE

Ma fille, cette pensée n'est pas d'une ame vénitienne.

MARINA

En effet, elle est trop compatissante. Mais partagerai-je son exil?

LORÉDANO

Quant à cela, les Dix ont gardé le silence.

MARINA

Je le présumais bien: cette mention eût également été trop compatissante. Mais il n'y a pas de défense?

LORÉDANO

Il n'en a pas été parlé.

MARINA, au Doge

Vous pourrez donc, mon père, obtenir ou m'accorder cette grande faveur; (à Lorédano) et vous, seigneur, vous ne vous opposerez pas à la demande que je fais d'accompagner mon époux?

LE DOGE

Je ferai mes efforts.

MARINA

Et vous, seigneur?

LORÉDANO

Madame! il ne m'appartient pas de prévenir l'agrément du tribunal.

MARINA

L'agrément! quel mot pour exprimer les décrets de-

LE DOGE

Femme! savez-vous en présence de qui vous parlez ainsi?

MARINA

En présence d'un souverain, et de l'un de ses sujets.

LORÉDANO

Sujet!

MARINA

Oh! cela vous offense. – Eh bien! vous êtes son égal, vous le croyez, j'y consens; mais ce que vous ne voudriez pas être, vous ne le seriez pas s'il n'était qu'un paysan: – vous êtes donc un prince, un sublime prince; mais que suis-je donc, moi?

LORÉDANO

La fille d'une noble race.

MARINA

Et l'épouse d'un citoyen aussi noble qu'elle. Qui donc aurait le droit, par sa présence, d'imposer silence à mes libres pensées?

LORÉDANO

Les juges de votre époux.

LE DOGE

Et le respect dû aux plus légers des mots qui tombent de la bouche des maîtres de Venise.

MARINA

Gardez ces maximes pour la masse de vos artisans effrayés, pour vos marchands, vos esclaves de Grèce et de Dalmatie, pour vos tributaires, vos citoyens stupides, votre noblesse masquée, vos sbires, vos espions, vos forçats de toute espèce. Je le sais, grâce à vos enlèvemens, à vos noyades nocturnes, aux donjons pratiqués sous le toit de vos palais, ou sous les flots qui les environnent; grâce à vos mystérieuses assemblées, à vos jugemens secrets, à vos exécutions subites, à votre Pont des Soupirs, à votre chambre de dernière agonie, à vos instrumens de torture, vous êtes parvenus à leur faire croire que vous étiez des êtres d'un autre monde plus méchant encore; réservez pour eux ces avis: je ne les crains pas. Je vous connais; je vous ai vus pires que tout cela dans l'infernal procès de mon pauvre mari! Traitez-moi comme vous l'avez traité: – vous l'avez déjà fait d'ailleurs en vous attaquant à sa personne. Que puis-je donc avoir à craindre de vous, quand même je serais craintive de mon naturel, ce qui, je l'espère, n'est pas?

LE DOGE

Vous l'entendez, elle a perdu la raison.

MARINA

La prudence, peut-être, mais non pas la raison.

LORÉDANO

Madame! je n'emporterai pas au-delà du seuil de ces portes le souvenir des paroles prononcées dans cette enceinte: j'en excepte celles qui concernent le service de l'état, et prononcées entre le Doge et moi. Doge! avez-vous quelque réponse à faire?

LE DOGE

Oui, comme Doge, et peut-être aussi comme père.

LORÉDANO

Ma mission dans ces lieux ne se rapporte qu'au Doge.

LE DOGE

Dites donc que le Doge fera choix d'un ambassadeur spécial, ou qu'il exposera lui-même ses intentions; quant au père. -

LORÉDANO

Je n'oublierai pas ce qui me concerne. – Adieu! je baise les mains de l'illustre dame, et je m'incline devant le Doge.

(Lorédano sort.)
MARINA

Êtes-vous content?

LE DOGE

Je suis tel que vous voyez.

MARINA

Et cela est encore un mystère.

LE DOGE

Pour les mortels, tout est mystère; qui peut les éclaircir, sauf celui qui les fit? Si parfois ils y parviennent, c'est quelques esprits privilégiés qui long-tems ont étudié le fastidieux volume de l'humanité, qui, sur chacune de ses pages noires ou sanglantes, ont fatigué leur intelligence et leur cœur: encore le fatal grimoire retombe-t-il sur l'adepte qui l'étudie; tous les vices que nous trouvons dans les autres sont de l'essence de notre nature, tous nos avantages appartiennent à la fortune. C'est elle que nous devons remercier de la beauté, de la naissance, de la richesse, de la santé; et quand nous nous plaignons du destin, nous devrions nous rappeler qu'il ne nous a repris que ce qu'il nous avait donné. Pour le reste, la nudité, les passions basses, les frivoles vanités, c'est l'héritage universel, c'est là ce qu'il nous faut combattre dans toutes les positions; et si nous devons moins les craindre dans le plus humble sort, c'est que là, la faim rend sourd à tout autre besoin, c'est que l'homme a reçu l'ordre de suer pour obtenir sa nourriture; c'est que là, toutes les passions se taisent devant la crainte de la famine. Tout est vil, faux et trompeur, – de la première créature jusqu'à la dernière. Notre gloire, l'urne du prince comme celle du mendiant, dépend du souffle des hommes; notre vie de quelque chose plus léger encore que leur souffle; notre existence tient à des jours, les jours à des saisons, et tout notre être sur ce qui est indépendant de nous. – Ainsi, du plus grand au plus petit, nous sommes des esclaves: – rien ne dépend de notre volonté; un fétu de paille peut ébranler cette volonté aussi bien qu'un orage. Quand nous croyons conduire, c'est nous que l'on traîne, – jusqu'à la mort, fantôme qui se présente comme le reste sans notre participation ou notre influence, tel enfin que notre premier jour. Ah! sans doute il faut que nous ayons péché dans quelque autre monde antérieur, et que celui-ci en soit l'enfer! Heureusement, il n'est point éternel.

MARINA

Tout cela, nous ne pouvons en être juges sur terre.

LE DOGE

Pourquoi donc faut-il que nous nous jugions les uns les autres, nous enfans de la terre; et que moi, je sois forcé de juger mon propre fils? J'ai administré mon pays loyalement, au sein de la victoire, – j'en atteste l'état dans lequel je l'ai trouvé, dans lequel je le laisse: mon règne a doublé sa puissance; en récompense, Venise, dans sa gratitude, me laisse ou s'apprête à me laisser isolé sur la terre.

MARINA

Et Foscari? Ah! qu'on me laisse avec lui, et je ne songerai plus à mes maux.

LE DOGE

Vous le suivrez, du moins ils ne peuvent guère vous le refuser.

MARINA

Et s'ils le refusent, je m'enfuirai avec lui.

LE DOGE

Impossible. Où vous enfuiriez-vous?

MARINA

Je l'ignore, et ne m'en inquiète pas: – en Syrie, en Égypte, chez les Turcs, partout où nous pourrons respirer libres, et vivre loin de l'œil des espions, affranchis des édits de vos inquisiteurs d'état.

LE DOGE

Ainsi vous consentiriez à faire de votre époux un renégat, à le transformer en traître?

MARINA

Non, il ne l'est pas! c'est la patrie qui se trahit elle-même en rejetant son meilleur, son plus intrépide citoyen. La pire des trahisons, c'est la tyrannie. Penses-tu donc qu'il n'y ait de rebelles que les esclaves? Le prince qui viole ou néglige ses devoirs est un brigand à plus juste titre qu'un chef de bandits.

LE DOGE

Je ne puis me reprocher quelque déloyauté de ce genre.

MARINA

Non; car tu observes et respectes des lois près desquelles celles du vieux Dracon seraient un code de miséricorde.

LE DOGE

Ces lois existaient avant moi: je ne les ai pas faites. Si je n'étais qu'un sujet, je trouverais moyen de réclamer quelque amélioration parmi elles; mais comme prince, jamais je ne songerai, au prix de ma vie et du salut des miens, à changer la charte dont nos pères m'ont transmis le dépôt.

MARINA

Est-ce donc pour la ruine de leurs enfans qu'ils te l'ont transmis?

LE DOGE

Venise, sous le joug de pareilles lois s'est élevée au point où nous la voyons, – à celui d'une république digne de rivaliser en hauts faits, en durée, en puissance, et je puis ajouter en gloire (car nous avons eu aussi parmi nous des ames romaines), avec tout ce que l'histoire nous rappelle des plus beaux tems de Carthage et de Rome, alors que le peuple régnait par le sénat.

MARINA

Dites plutôt, fléchissait sous la verge implacable de l'oligarchie.

LE DOGE

Peut-être; mais enfin c'est ainsi qu'il parvint à réduire le monde. Or, dans un tel état, qu'un individu soit le plus riche de son rang, ou le plus humble de ses concitoyens, son importance disparaît devant le grand but que l'on se propose, tant qu'on ne l'a pas perdu de vue.

MARINA

Cela veut dire que vous êtes plutôt Doge que père.

LE DOGE

Cela veut dire que je suis citoyen avant d'être l'un ou l'autre. Si pendant nombre de siècles nous n'avions pas eu des milliers de pareils citoyens, si nous n'en avions plus, Venise aurait cessé d'être une cité.

MARINA

Maudite la cité où la voix des lois étouffe celle de la nature!

LE DOGE

J'aurais autant de fils que j'ai d'années, je les donnerais tous, non sans douleur, mais je les donnerais dans l'intérêt de l'état, et pour obéir à ses exigences; je les sacrifierais sur les flots, sur les champs de bataille, ou s'il le fallait, hélas! comme déjà il l'a fallu, je les abandonnerais à l'ostracisme, à l'exil, aux chaînes, en un mot à tout ce qu'on pourrait leur imposer de pire.

MARINA

Et c'est là du patriotisme! pour moi, je n'y vois que la plus odieuse barbarie. Laissez-moi rejoindre mon mari; avec tous leurs soupçons, le sage conseil des Dix aura peine à combattre contre la faiblesse d'une femme, et à lui refuser un moment d'accès dans sa prison.

LE DOGE

Je puis prendre sur moi d'ordonner que l'on vous laisse pénétrer jusqu'à lui.

MARINA

Et que dirai-je à Foscari de son père?

LE DOGE

Qu'il sait obéir aux lois.

MARINA

Rien de plus? Ne voulez-vous pas le voir avant qu'il ne parte? ce serait peut-être pour la dernière fois.

LE DOGE

La dernière! – mon enfant! – le dernier de mes enfans; la dernière fois que je le verrai! Dites-lui que je me rendrai près de lui.

(Ils sortent.)

FIN DU DEUXIÈME ACTE.

1
...
...
9

Бесплатно

0 
(0 оценок)

Читать книгу: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8»

Установите приложение, чтобы читать эту книгу бесплатно