Remplis la coupe! Nous sommes ici dans l'ordre: c'est ici mon vrai royaume, entre de beaux yeux et des figures aussi heureuses que belles! Ici, le chagrin ne saurait pénétrer.
Ni partout ailleurs: – où est le roi, brille aussitôt le plaisir.
Cela ne vaut-il pas mieux que les chasses de Nemrod, ou les courses de ma fière grand'-mère à la recherche de royaumes qu'elle n'aurait pu gouverner, si elle en eût fait la conquête?
Quelque grands qu'ils fussent, et comme le fut toute la royale race, nul de ceux qui ont précédemment régné n'a pourtant atteint la gloire de Sardanapale, qui mit toute sa joie dans la paix, la plus solide des gloires.
Et dans le plaisir, cher Altada, vers lequel la gloire n'est qu'un chemin. Que recherchons-nous? le plaisir. Nous devons abréger la route qui y conduit; nous ne la poursuivons pas à travers les cendres de l'humanité, et nous évitons de signaler par autant de tombeaux chacun de nos pas.
Non; tous les cœurs sont heureux; toutes les voix s'accordent pour bénir le roi de paix, qui tient l'univers en joie.
En es-tu bien sûr? J'ai ouï parler différemment; quelques-uns parlent de traîtres.
Sire, les traîtres sont ceux qui parlent ainsi2. Cela est impossible. Dans quel but?
Dans quel but? tu as raison: – Remplis la coupe; nous n'y songerons plus. Il n'y a pas de traîtres: ou s'il en est, ils sont partis.
Amis, faites-moi raison! Vidons tous, à genoux, une coupe à la santé du roi, – du monarque, dis-je, du dieu Sardanapale!
Au roi plus puissant que Baal son père, au dieu Sardanapale! (Le tonnerre interrompt leur toast, quelques-uns se relèvent effrayés.) Pourquoi vous relever, mes amis? Ses ancêtres divins expriment, par cette éclatante voix, leur consentement à nos vœux.
Dis plutôt leurs menaces. Souffriras-tu, roi, cette ridicule impiété?
Impiété! – Eh bien! si mes aïeux et prédécesseurs sont des dieux, je ne déshonorerai pas leur lignée. Mais levez-vous, mes pieux amis; réservez votre dévotion pour le maître du tonnerre: mes vœux sont d'être aimé, et non pas déifié.
Vous êtes l'un et l'autre; – et vous le serez toujours par vos fidèles sujets.
Le tonnerre semble redoubler: voilà une horrible nuit.
Oh! oui, pour les dieux qui n'ont pas de palais où puissent être à l'abri leurs adorateurs.
Il est vrai, Mirrha; et si je pouvais transformer mon royaume en un vaste asile pour les malheureux, je le ferais.
Tu n'es donc pas dieu, puisque tu ne peux exécuter le grand et noble vœu que tu formes.
Et vos dieux donc, que sont-ils? eux qui le peuvent et ne le font pas?
Ne parle pas de cela, de crainte de les provoquer.
En effet; ils n'aiment pas mieux que les mortels la censure. Une pensée me frappe, mes amis: s'il n'existait pas de temple, croyez-vous qu'il y eût des adorateurs de l'air? – c'est-à-dire, quand il est triste et furieux comme en ce moment.
Le Perse prie sur ses montagnes.
Oui, quand brille le soleil.
Mais moi, je demanderais, si ce palais était renversé et détruit, combien de flatteurs baiseraient la poussière sur laquelle marchait le roi?
La belle Ionienne parle avec trop de dédain d'une nation qu'elle ne connaît pas assez; les Assyriens ne savent de plaisir que celui de leur roi: ils sont fiers de leurs hommages.
Eh bien! mes hôtes, pardonnez la vivacité d'expression de la belle Grecque.
Lui pardonner, sire! nous lui devons honneur, comme à tout ce qui vous appartient. Mais quel est ce bruit?
Ce bruit! rien que les éclats de portes lointaines frappées du vent.
Il a retenti comme le cri de-Écoutez encore.
C'est la pluie tombant par torrens sur le toit.
N'en parlons plus. Mirrha, mon amour, as-tu préparé ta lyre? Chante-moi une pièce de Sapho; de celle, tu sais, qui, dans ton pays, se précipita-
Assurez-vous des portes; courez de toutes vos forces vers les murs. Aux armes! aux armes! le roi est en péril. Monarque, excusez cette hâte: – ma fidélité l'exige.
Explique-toi.
Les craintes de Salemènes étaient fondées: les perfides satrapes-
Vous êtes blessé: – qu'on lui présente du vin. Reprenez vos sens, cher Pania.
Ce n'est rien: – c'est une légère blessure. Je suis plus accablé de l'empressement que j'ai mis à avertir mon prince, que du sang répandu pour le défendre.
Eh bien! les rebelles?
À peine Arbaces et Belèses eurent-ils atteint leur demeure dans la ville, qu'ils refusèrent de marcher: et quand je voulus user du pouvoir qui m'était délégué, ils invoquèrent leurs troupes, qui se soulevèrent aussitôt en furie.
Tous?
Beaucoup trop.
Ne va pas, en mettant une borne à ta franchise, épargner la vérité à mes oreilles.
Ma faible garde était fidèle; – et ce qui en reste le demeure encore.
Est-ce là tout ce qu'il y a de fidèle dans l'armée?
Non: – les Bactriens, conduits par Salemènes, qui, toujours oppressé de violens soupçons sur les gouverneurs de Médie, était alors en marche. Les Bactriens sont nombreux; ils font aux rebelles une résistance opiniâtre, disputent le terrain pas à pas, et forment un cercle autour du palais: c'est là qu'ils songent à réunir toutes leurs forces, et à protéger le roi. (Il hésite.) Je suis chargé de-
Il n'est pas tems d'hésiter.
Le prince Salemènes supplie donc le roi de s'armer lui-même, quoique pour un moment, et de se montrer en soldat: dans cette circonstance, sa seule présence ferait plus que n'en saurait faire une armée.
Alors donc, mes armes!
Tu le veux bien?
Sans doute. Allons! – mais ne cherchez pas le bouclier; il est trop lourd: – une légère cuirasse et mon épée. Où sont les rebelles?
Le plus vif combat se donne maintenant à une stade, à peu près, des murs extérieurs.
Je puis donc monter à cheval. Sféro, faites préparer mon cheval. – Il y a dans nos cours assez d'espace pour faire agir la moitié des cavaliers arabes.
Combien je t'aime!
Je n'en ai jamais douté.
Mais, à présent, je te connais.
Apportez-moi aussi ma lance. – Où est Salemènes?
Où doit être un soldat: dans le fort de la mêlée.
Cours vers lui. – La route est-elle libre encore entre le palais et l'armée?
Elle l'était quand j'accourus ici, et je n'ai nulle crainte: nos troupes étaient déterminées, et la phalange formée.
Dis-lui, pour le présent, qu'il épargne sa personne, et que, pour moi, je n'épargnerai pas la mienne: – ajoute que j'arrive.
Ce mot est à lui seul la victoire.
Altada, – Zames, avancez et armez-vous: tout dépend de la célérité, à la guerre. Voyez à ce que les femmes soient mises en sûreté dans les appartemens secrets: qu'on leur laisse une garde, avec l'ordre exprès de ne quitter leur poste qu'avec leur vie. – Zames, vous la commanderez. Altada, armez-vous, et revenez ici: votre poste est près de notre personne.
Roi, voici votre armure.
Donnez-moi la cuirasse; – bien: mon baudrier; puis mon épée: et le casque, j'oubliais, où est-il? c'est bien. – Non, il est trop lourd: vous vous êtes trompé, aussi, – ce n'est pas lui que je voulais, mais celui que surmonte un diadème.
Sire, les pierres précieuses qui l'entourent le mettraient trop en vue pour être placé sur votre tête sacrée; – Veuillez me croire, celui-ci, bien que moins riche, est d'une meilleure trempe.
Vous croyez! Êtes-vous aussi devenu rebelle? Apprenez que votre devoir est d'obéir: retournez; – mais, non, – il est trop tard: je sortirai sans lui.
Au moins, prenez celui-ci.
Prendre le Caucase! mais ce serait une montagne sur mes tempes.
Sire, le dernier soldat ne s'avance pas aussi exposé au combat. Tout le monde vous reconnaîtra, – car l'orage a cessé, et la lune a reparu dans tout son éclat.
Je sors pour qu'on me reconnaisse, et, par ce moyen, j'y réussirai plus tôt. Allons, – ma lance! me voici armé. (Il s'avance; puis s'arrêtant tout court, à Sféro.) Sféro, j'oubliais; – apportez le miroir3.
Un miroir, sire?
Oui, le miroir d'acier poli trouvé parmi les dépouilles de l'Inde; – mais hâte-toi. (Sféro sort.) Mirrha, retire-toi dans un lieu de sûreté. Pourquoi n'as-tu pas déjà suivi les autres femmes?
Parce que c'est ici ma place.
Mais quand je la quitterai? -
Je vous suivrai.
Au combat, vous!
Dans ce cas-là, je ne serais pas la première fille grecque qui s'y fût montrée. Mais j'attendrai ici votre retour.
La place est spacieuse: c'est la première qu'on occupera, si nous sommes vaincus; et s'il en arrive ainsi, je ne retournerai pas-
Nous ne nous en rejoindrons pas moins.
Comment?
Aux lieux où tous finiront par se rejoindre: – dans les enfers! Nous y réunirons nos ombres, s'il est, comme je le crois; des rives au-delà du Styx; et nos cendres, s'il n'en est pas.
Aurais-tu bien le courage de l'oser?
J'oserai tout, si ce n'est de survivre à ce que j'aimais, pour devenir la proie d'un rebelle: séparons-nous, et montre toute ta valeur.
Cette cuirasse me va bien, le baudrier mieux encore; mais le casque, pas du tout. (Il jette le casque, après l'avoir essayé de nouveau.) À mon avis, je ne suis pas trop mal dans ce costume; à présent, il s'agit d'en faire l'épreuve. Altada! où est Altada?
Sire, il attend au dehors: il doit vous présenter votre bouclier.
En effet, j'oubliais qu'il est mon porte-bouclier, par droit de naissance dérivé d'âge en âge. Embrasse-moi, Mirrha; encore une fois, – encore, – et quoi qu'il arrive, aime-moi: ma première gloire serait de me rendre plus digne de ta tendresse.
Partez, et soyez vainqueur!
Me voilà seule: tous sont partis, et peut-être un bien petit nombre reviendront. Qu'il triomphe seulement, et que je meure! S'il est vaincu, je n'en mourrai pas moins, car je ne veux pas lui survivre. Il a touché mon cœur, je ne sais comment et pourquoi. Ce n'est pas parce qu'il est roi; son royaume chancelle en ce moment autour de son trône; la terre s'entr'ouvre pour ne lui laisser d'autre place qu'un tombeau: et je l'aime encore davantage. Pardonne, ô puissant Jupiter! à cet amour monstrueux pour un barbare qui méconnaît l'Olympe! Oui, je l'adore maintenant, bien plus encore que-Écoutons: – quels cris de guerre! ils semblent approcher. S'il en était ainsi (elle tire une petite fiole), ce subtil poison de Colchos, que mon père apprit à composer sur les rivages d'Euxin, et qu'il m'enseigna à conserver, pourrait m'affranchir! Et déjà, depuis long-tems, il m'eût affranchie; mais j'aimais, j'aimais au point d'oublier que je fusse esclave, dans les lieux même où tous, à l'exception d'un seul, sont esclaves et fiers de leur servitude, quand, à leur tour, ils voient sous leurs ordres un seul être plus bas et plus méprisable qu'eux. C'est ainsi que nous oublions que des fers portés comme ornement n'en sont pas moins des chaînes. – Encore ce bruit!.. – Et puis, le cliquetis des armes: – et puis-
Sféro! – Sféro!
Il n'est pas ici; que lui voulez-vous? où en est le combat?
Douteux et cruel.
Et le roi?
Il agit en roi. Je cherche Sféro, afin de demander pour lui une nouvelle lance et son casque. Jusqu'à présent, il a combattu la tête nue, et beaucoup trop exposé. Les soldats connaissent ses traits, et malheureusement aussi les ennemis: à la claire lueur de la lune, sa tiare de soie et ses cheveux épars lui donnent une apparence trop royale. Tous les arcs sont dirigés sur ses beaux cheveux, sur sa belle tête, et sur le léger bandeau qui les couronne tous deux.
Dieux qui tonnez sur la terre de mes pères, protégez-le! Est-ce le roi qui vous a envoyé?
C'est Salemènes qui, sans en avoir instruit le prince, trop peu soucieux du danger, m'a donné confidentiellement cet ordre. Mais le roi, le roi est au combat comme au plaisir! Où peut donc être Sféro? Je vais chercher dans l'arsenal, il doit s'y tenir.
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