Le soleil descend; il me semble marcher plus lentement, en jetant un dernier regard sur l'empire d'Assyrie. De quel rouge éclat, semblable aux flots de sang qu'il nous prédit, il colore les épais nuages! Oh! soleil, qui vas disparaître; étoiles, qui commencez votre course, si ce n'est pas en vain que je vous ai poursuivis, lisant dans chacun de vos rayons ces arrêts de vos orbes, que le tems frémit d'apporter aux nations, voici la dernière heure des années assyriennes. Quel calme, cependant! Une catastrophe que devraient annoncer des tremblemens de terre, – c'est un soleil d'été qui la révèle. Son disque offre sur son immortelle page, à l'œil du savant Chaldéen, la fin de ce qui semblait infini. Mais d'où vient donc que ce véridique soleil, cet oracle embrasé de tout ce qui respire, cette fontaine de toute vie, symbole de celui qui la donne, pourquoi restreint-il ses instructions dans les bornes du malheur? pourquoi n'éclaircit-il pas à nos yeux la venue de jours plus dignes de son glorieux essor de l'océan? pourquoi ne jette-t-il pas sur les années futures un rayon d'espérance, quand il en jette un de rage sur les présens jours? Écoute! oh! daigne m'écouter! Je suis ton adorateur, ton prêtre, ton esclave: – j'ai porté mes regards sur toi à ton lever comme à ton déclin; j'ai courbé ma tête sous les rayons de ton midi, alors que mes yeux n'osaient te fixer. J'ai veillé pour toi et après toi, j'ai prié vers toi, je t'ai offert des sacrifices, j'ai tremblé devant toi, je t'ai consulté, j'ai lu et tu as répondu. – Le tems fuit; l'astre, tandis que je parle, tombe; – il n'est plus. – Il va porter sa beauté, et non les mêmes arrêts, à l'heureux couchant, qui trouvera dans les couleurs de sa gloire déclinante des causes d'allégresse. Qu'est-ce, après tout, que la mort, pourvu qu'elle soit glorieuse? un soleil couchant; et les mortels sont peut-être heureux de ressembler, même en cessant d'exister, aux dieux du ciel.
Pourquoi, Belèses, te vois-je ainsi ravi dans tes pratiques dévotes? Suivrais-tu la trace de ton dieu disparu dans quelques royaumes d'un jour interdit à nos yeux? Soyons tout à la nuit: – elle est venue.
Elle n'est pas terminée.
Qu'elle se passe, – nous sommes prêts.
Oui, que n'est-elle écoulée!
Le prophète aurait-il des doutes, lui auquel les astres viennent de promettre la victoire?
Je ne doute pas de la victoire, – mais du vainqueur.
Eh bien, c'est à ta science à te rassurer. En attendant, j'ai disposé assez de glaives étincelans pour obscurcir l'éclat de tes astres nos alliés: rien ne doit plus nous arrêter. Le roi femme, et même moins que femme, vogue en ce moment sur les ondes, avec ses compagnons féminins; l'ordre est donné pour la fête dans le pavillon: et la première coupe qu'il portera à ses lèvres sera la dernière vidée par la race de Nemrod.
Ce fut une brave race.
Elle n'est plus que faible; – elle est usée: – nous la restaurerons.
Es-tu sûr de cela?
Son fondateur était un chasseur; – je suis un soldat: – que doit-on ici craindre?
Le soldat.
Et le prêtre, peut-être. Mais si vous en jugiez, ou en jugez ainsi, pourquoi ne pas garder votre roi de concubines? pourquoi me solliciter, m'entraîner à cette entreprise, la vôtre non moins que la mienne?
Regarde le ciel!
Je regarde.
Qu'y vois tu?
Un beau crépuscule d'été, et l'assemblée des étoiles.
Au milieu d'elles, vois la plus avancée et la plus radieuse; comme elle sautille et semble vouloir abandonner sa place dans le dais d'azur!
Eh bien!
C'est ta propre étoile, la planète qui présida à ta naissance.
Mon étoile est dans ce fourreau: quand elle brillera, elle effacera l'éclat des comètes. Mais songeons à ce qu'il faut faire pour justifier tes planètes et leur prophétie. Quand nous aurons vaincu, elles auront des temples, – oui, et des prêtres: – tu seras le pontife-des dieux que tu choisiras; car j'observe qu'ils sont toujours justes, et qu'ils ne manquent pas d'avouer le plus brave pour celui qui les aime le mieux.
Oui, et le plus dévot pour brave. – Tu ne m'as pas vu reculer dans le combat?
Non; je te reconnais aussi brave dans une bataille qu'un capitaine babylonien, aussi intrépide que savant dans les mystères chaldéens. Mais consens-tu pour le moment à oublier le prêtre pour ne plus être que guerrier?
Pourquoi pas tous les deux?
Mieux encore! et pourtant j'ai presque honte d'avoir si peu de chose à faire. La défaite de cette guerre de femme dégrade le vainqueur lui-même. Renverser de son trône un brave et sanguinaire despote, lutter avec lui, croiser fer contre fer, voilà ce qu'il serait héroïque de tenter, même en vain; mais lever mon glaive contre ce ver-à-soie, l'entendre répandre des larmes, peut-être-
Ne le suppose pas: il y a dans lui de quoi vous donner des traverses; et fût-il ce que vous croyez, ses gardes sont vaillantes, et conduites par le prudent et intrépide Salemènes.
Ils ne résisteront pas.
Et pourquoi? ils sont soldats.
Il est vrai, et c'est pourquoi il leur faut un soldat pour les commander.
Salemènes l'est.
Mais non leur roi. D'ailleurs il hait l'automate efféminé qui gouverne, à cause de la reine sa sœur. Avez-vous remarqué comme il se tient à l'écart de toutes les fêtes?
Mais non du conseil, auquel il ne manque jamais.
Il y est toujours contredit; quoi de plus pour décider sa révolte? Un fou sur le trône, sa famille déshonorée, et lui-même abreuvé de dédains: c'est pour le venger que nous travaillons.
Puisse-t-il être conduit à le penser! mais j'en doute.
Si nous le sondions?
Oui, – si le tems nous favorisait.
Satrapes, le roi vous ordonne de venir à la fête de cette nuit.
Entendre c'est obéir. Dans le pavillon?
Non, ici dans le palais.
Dans le palais? Comment! ce n'était pas là l'ordre?
C'est celui du moment.
Et pourquoi?
Je ne sais. Puis-je me retirer?
Reste.
Chut! laisse-le aller. (Puis à Baléa.) Oui, Baléa, remercie le monarque, baise la frange de son impériale robe, et dis-lui que ses esclaves ramasseront les miettes qu'il daignera jeter de sa table royale. Et l'heure, n'est-ce pas minuit?
Oui; le lieu, la salle de Nemrod. Seigneurs, je m'incline devant vous, et je vous quitte. (Baléa sort.)
Je n'aime pas ce changement subit; il y a quelque mystère: qui peut l'avoir occasionné?
Et ne change-t-il pas mille fois en un jour? la paresse est de toutes les choses la plus capricieuse; elle a dans ses projets plus de détours que n'en mettent les généraux dans leur marche, quand ils songent à dérouter leurs ennemis. – Pourquoi cet air rêveur?
Il aimait ce riant pavillon; c'était, pendant l'été, sa fureur.
Il aimait aussi la reine-et de plus, trois mille courtisanes. – Il aima toutes choses les unes après les autres, sauf la gloire et la sagesse.
Quoi qu'il en soit, je n'aime pas cela. S'il a changé, il faut faire de même. Dans un bosquet isolé, au milieu de gardes endormis et de courtisans ivres, l'attaque était facile, mais dans la salle de Nemrod-
En est-il ainsi? J'imaginais que le fier soldat tremblait de conquérir trop facilement un trône: et maintenant le voilà désappointé de rencontrer une ou deux marches plus glissantes qu'il ne s'y attendait!
Une fois l'heure venue, tu jugeras si je crains peu ou beaucoup. Tu as vu ma vie exposée au hasard: – je la jouais gaiement; mais ici il s'agit d'une plus haute chance, – un royaume.
Je l'ai prévu d'avance, – tu le gagneras; en avant donc, et réussis.
Va, si j'étais un prophète, je me serais gratifié de la même prédiction. Mais obéissons aux étoiles, – je ne dois pas quereller avec elles ou avec leur interprète. Qui vient?
Satrapes!
Mon prince!
Bien! Ici réunis? – Je vous cherchais tous deux; mais ailleurs que dans le palais.
Pourquoi cela?
Ce n'est pas l'heure.
L'heure? – quelle heure?
De minuit.
Minuit, seigneur?
Quoi! n'êtes-vous pas invités?
Oh! oui, – nous l'avions oublié.
Est-il donc ordinaire d'oublier une invitation du souverain?
Pourquoi? – nous ne faisons que de la recevoir.
Pourquoi donc êtes-vous ici?
Notre devoir nous y appelle.
Quel devoir?
Celui de notre rang. Nous avons le privilége d'approcher le monarque, mais nous l'avons trouvé absent.
Et moi aussi, je suis à mon devoir.
Pouvons-nous savoir à quoi il vous oblige?
A arrêter deux traîtres: holà! gardes.
Satrapes, vos épées!
Seigneur, voilà mon cimeterre.
Viens la prendre.
Volontiers.
Oui, mais le fer touchera ton cœur, – et la poignée ne quittera pas ma main.
Comment, veux-tu me braver? Fort bien! – cela te sauvera un jugement et une pitié intempestive. Soldats, terrassez le rebelle!
Tes soldats! oui, – seul tu ne l'oserais pas.
Seul! téméraire esclave. – Et qu'y a-t-il en toi qu'un prince puisse trembler de subjuguer? Nous craignons ta trahison, et non pas ta force. Ta dent serait impuissante sans son venin: – c'est celle du serpent, et non pas du lion. Terrassez-le.
Êtes-vous fou, Arbaces? N'ai-je pas rendu mon épée? Confiez-vous donc comme moi dans la justice de notre souverain.
Non: – j'ai plutôt confiance dans les étoiles que tu fais bavarder, et dans la dextérité de ce bras; je mourrai roi, du moins de mon ame et de mon corps, et personne ne pourra jamais les enchaîner.
Vous nous entendez, lui et moi: ne l'enchaînez pas. La mort. (Les gardes attaquent Arbaces, qui se défend lui-même avec vaillance et adresse, jusqu'à ce qu'ils paraissent hésiter.) Ah! c'est ainsi; et je me vois contraint à faire l'office du bourreau! Lâches! voyez comme on doit frapper un traître.
Arrêtez! – sur vos vies, arrêtez! Eh quoi! êtes-vous ivres ou sourds? Mon épée! Insensé! je ne porte pas d'épée: toi, mon ami, donne-moi ton glaive. (Il arrache une épée à l'un des soldats, et se place entre les combattans. – Ils se séparent.) Dans mon propre palais! querelleurs insolens! Qui m'empêcherait de vous fendre, la tête?
Votre justice, sire.
Oui; ou bien-votre faiblesse.
Comment?
Frappez! pourvu que vous mêliez mon sang à celui de ce traître, – que, j'espère, vous n'épargnez en ce moment que pour le réserver aux tortures: – je ne me plaindrai pas.
Eh quoi! – qui ose donc attaquer Arbaces?
Moi!
Vraiment! vous vous oubliez, prince. Sur quelle garantie?
La tienne.
Le sceau du roi!
Oui; et c'est au roi à confirmer sa confiance.
Je ne l'ai pas donnée pour une pareille fin.
Vous me l'avez accordée pour votre salut: – j'en ai fait le meilleur usage. – Prononcez en personne. Ici, je ne suis que votre esclave; – j'étais, il n'y a qu'un moment, un autre vous-même.
Alors, cachez vos épées.
La mienne est rentrée; mais, je vous en conjure, ne rentrez pas la vôtre: c'est le seul sceptre que vous puissiez aujourd'hui porter prudemment.
Il est lourd; la poignée me froisse la main. (Au garde.) Tiens, ami, prends ce noir glaive. Eh bien! messieurs, que nous annonce tout cela?
C'est au prince à nous le dire.
Loyauté de ma part, trahison de la leur.
Trahison! Arbaces, vous, Belèses, un traître! Voilà deux mots que je ne croirai jamais unis ensemble.
Quelle en est la preuve?
Je la donnerai, si le roi redemande l'épée de votre complice.
Une épée qui fut aussi souvent que la tienne tirée contre ses ennemis.
Et maintenant contre son frère, et dans une heure contre lui-même.
Cela n'est pas possible: il n'oserait; non, non, – je ne veux rien entendre de pareil. Ces vains propos sont dans les cours l'ouvrage d'intrigues basses et d'ambitieux plus vils encore, vivant des calomnies qu'ils déversent sur les gens de bien. Il faut que l'on vous ait trompé, mon frère.
Avant tout, faites-lui rendre son arme, et avouer par là qu'il reste votre sujet: je répondrai ensuite.
Comment? si je le pensais! – Mais non, c'est impossible; le Mède Arbaces, – le loyal, le brave, le fidèle soldat, – le meilleur capitaine qui ait conduit nos peuples: – non, non, je n'irai pas l'insulter en lui ordonnant de rendre le glaive qu'il n'a jamais laissé prendre à nos ennemis. Guerrier, gardez votre arme.
Monarque, reprenez votre seing.
Non, garde-le; seulement use-s-en avec plus de modération.
Sire, j'en ai usé pour votre honneur; je vous le rends, parce que je ne le puis garder sans perdre le mien: confiez-le à Arbaces.
Je le devrais; il ne l'a jamais demandé.
N'en doutez pas; il le possédera sans avoir besoin de l'implorer respectueusement de vous.
J'ignore ce qui a pu irriter aussi vivement le prince contre deux sujets dont personne ne surpasse le zèle pour le bonheur de l'Assyrie.
Silence, prêtre factieux, soldat sans foi! Dans ta personne se trouvent réunis les plus détestables vices de la caste la plus dangereuse; garde tes doucereuses paroles et tes hypocrites homélies pour ceux qui ne te connaissent pas. Le crime de ton complice est hardi du moins, il ne se cache pas sous les ruses que tu as apprises des Chaldéens.
Vous l'entendez, mon roi, – vous le fils de Bélus! Il blasphème le culte de la contrée qui fléchit le genou devant vos ancêtres.
Oh! pour cela, je vous prie, veuillez lui accorder absolution complète. Je le dispense du culte des hommes morts; je sens que je suis mortel, et je crois que ceux desquels je reçus la vie étaient, – ce que je les vois en effet, – des cendres.
Ne le croyez pas, ô roi! ils sont au rang des astres, et-
Vous pourriez bien aller les rejoindre, à moins qu'ils ne se lèvent, si vous prêchez davantage. – Comment! c'est là une audacieuse trahison!
Seigneur!
Venir m'édifier en parlant du culte des idoles assyriennes! Qu'on le relâche, – et qu'on lui donne son épée.
Mon Seigneur, mon roi, mon frère, arrêtez, de grâce.
Oui, pour être sermoné, fatigué, assourdi de l'histoire des morts, de Baal, et de tous les mystères radieux de la Chaldée.
Respectez-les, monarque.
Oh! pour ces derniers, – je les aime; j'aime à les contempler dans le sombre azur des cieux, et à les comparer avec les yeux de ma Mirrha; j'aime à voir leur étincelle se réfléchir dans le mobile argent du grand fleuve, alors que la brise légère de minuit en ride la nappe mobile et soupire à travers les joncs qui bordent ces rivages; mais qu'ils soient des dieux, comme quelques-uns le disent, ou bien les demeures des dieux comme d'autres le prétendent, plutôt que de simples fanaux nocturnes, mondes ou flambeaux de monde, je ne le sais ou m'en inquiète; il y a dans mon incertitude quelque chose de doux que je ne voudrais pas changer pour vos connaissances chaldéennes. D'ailleurs, je sais sur ce point tout ce que la matière peut savoir de ce qui se trouve au-dessus ou au-dessous d'elle, – c'est-à-dire, rien. Je vois leur éclat, je sens leur beauté; – et quand ils éclaireront mon tombeau, j'ignorerai également l'un et l'autre.
Au lieu de ni l'un ni l'autre, sire, dites mieux que l'un et l'autre.
J'attendrai, si vous le trouvez bon, pontife, que je reçoive cette connaissance. En attendant, reprenez votre épée; et sachez que je préfère vos services militaires à votre ministère pieux: – sans pourtant aimer l'un ni l'autre.
Ses débauches l'ont rendu fou. Je le sauverai donc en dépit de lui-même.
Satrapes! veuillez m'entendre; toi, surtout, mon prêtre: car je me défie de toi plus que du guerrier, et je m'en défierais entièrement si tu n'étais pas d'ailleurs à demi guerrier. Séparons-nous en paix. – Je ne prononce pas le mot de pardon, – qu'il ne faut accorder qu'aux coupables; non, je ne le dirai pas, bien que votre salut dépende de ce mot, et, chose plus terrible encore, de mes propres craintes. Mais ne redoutez rien: – car je suis indulgent plutôt que craintif; – vous vivrez donc. Si j'étais ce que quelques-uns imaginent, le sang de vos têtes suspectes dégoutterait maintenant du haut des portes de notre palais dans la poussière desséchée, seule portion d'un royaume ambitionné qu'il leur serait réservé de couvrir et de dominer encore. Laissons cela. Comme je l'ai dit, je ne veux pas vous croire coupables, ni vous juger innocens: car des hommes meilleurs que vous et moi sont prêts à vous rendre justice; et si j'abandonnais votre sort à des juges plus sévères, je pourrais sacrifier, en leur permettant d'approfondir les preuves, deux hommes qui, quels qu'ils soient maintenant, étaient jadis honnêtes. Vous êtes libres.
Sire, cette clémence-
Est digne de vous-même; et, malgré notre innocence, nous rendons grâce-
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