HOMMES.
MARINO FALIERO, Doge de Venise.
BERTUCCIO FALIERO, neveu du Doge.
LIONI, noble et sénateur.
BENINTENDE, président du Conseil des Dix.
MICHEL STENO, l'un des trois chefs des Quarante.
ISRAEL BERTUCCIO, gouverneur de l'arsenal.
PHILIPPE CALENDARO,}
DAGOLINO,} conspirateurs.
BERTRAM, }
SEIGNEUR DE LA NUIT (Signore di Notte), l'un des officiers de la République.
PREMIER CITOYEN.
SECOND CITOYEN.
TROISIÈME CITOYEN.
VINCENZO,}
PIETRO,} officiers du palais ducal.
BATTISTA, }
LE SECRÉTAIRE DU CONSEIL DES DIX.
Gardes, Conspirateurs, Citoyens. Le Conseil des Dix, la Junte, etc., etc.
FEMMES.
ANGIOLINA, femme du Doge.
MARIANNE, son amie.
Suivantes, etc.
Le messager n'est pas revenu?
Pas encore: comme vous me l'aviez ordonné, j'ai envoyé plusieurs fois, mais la seigneurie est réunie en conseil secret, et discute longuement l'affaire de Steno.
Trop longuement; tel est du moins l'avis du Doge.
Mais de quel air supporte-t-il ces instans d'attente?
Avec une patience admirable: placé à la table ducale dans toute la pompe qui appartient à son rang, il examine avec l'apparence d'une attention rigoureuse, pétitions, actes, rapports, plaintes, dépêches; mais si par hasard il entend le mouvement d'une porte éloignée, ou le bruit de quelqu'un qui semble approcher, ou le murmure d'une voix, ses yeux alors se relèvent avec vivacité, il s'élance de son fauteuil, puis s'arrête, se rasseoit encore, et laisse retomber ses yeux sur les papiers: mais je l'ai bien observé, et, pendant la dernière heure, il n'a pas tourné un feuillet.
On dit qu'il est fort ému, et sans doute il est, pour Steno, bien honteux de l'avoir offensé si durement.
Oui, si c'était un pauvre diable; mais Steno est un noble, il est jeune, fier, brillant et d'humeur hardie.
Ainsi, vous pensez qu'on ne le jugera pas avec sévérité?
Eh! mon Dieu, qu'on le juge avec justice; mais ce n'est pas à nous à prévenir la sentence des Quarante.
D'ailleurs on vient. – Quelles nouvelles, Vincenzo?
Tout est décidé, mais on ignore encore quel est le jugement; j'ai vu le président occupé à sceller le parchemin qui doit porter au Doge la décision des Quarante, et je cours l'en informer.
Ils ne peuvent vous refuser justice.
Oui, comme les Avogadori, qui renvoyèrent mon accusation aux Quarante, pour le faire juger par ses pairs, par le tribunal dont il fait lui-même partie.
Ses pairs se garderont de le protéger; un tel acte ferait tomber en mépris toute espèce d'autorité.
Ne connaissez-vous donc pas Venise? Ne connaissez-vous pas les Quarante? mais nous allons bien voir.
Eh bien! quelles nouvelles?
Je suis chargé de dire à son altesse que la cour a rendu ses décisions, et qu'aussitôt l'expédition du jugement, la sentence sera présentée au Doge. En attendant, les Quarante saluent le prince de la république, et le prient d'agréer leurs marques de dévouement.
Fort bien, ils sont trop respectueux, ils ont une déférence excessive. La sentence, dites-vous, est rendue?
Je le répète à votre altesse, le président imprimait le sceau quand je fus appelé, afin d'en informer, sans perdre un instant, et le chef de la république, et le plaignant, qui ne font aujourd'hui qu'un seul.
N'avez-vous pu deviner quelque chose de leur arrêt?
Non, monseigneur; vous connaissez la discrétion habituelle des cours de Venise.
Mais il est toujours quelque indice pour un esprit vigilant, pour un œil exercé; un chuchotement, un murmure, l'aspect du tribunal plus ou moins solennel. Les Quarante ne sont que des hommes-les plus respectables, les plus sages, les plus justes, les plus prudens du monde-je le garantis: ils sont discrets comme la tombe à laquelle ils condamnent les criminels; mais avec tout cela, Vincenzo, – des yeux perçans comme les vôtres auraient dû lire dans leur contenance, – du moins dans celle des plus jeunes, l'arrêt qu'ils viennent de prononcer.
Je ne les vis qu'un moment, et je n'eus pas le tems d'approfondir ce qui se passait dans l'esprit ni même dans la contenance des juges; l'attention que je donnais à l'accusé, Michel Steno, m'empêchait-
Et quel était son air, à lui, répondez?
Calme, sans être abattu, il semblait résigné au décret, quel qu'il fût; – mais on vient instruire son altesse.
Le haut tribunal des Quarante offre ses vœux et son respect au premier magistrat de Venise, le Doge Faliero; il invite son altesse à prendre connaissance et à approuver la sentence rendue contre Michel Steno, d'une naissance noble, convaincu des charges à lui intentées, et détaillées avec le jugement, dans l'expédition que je vous présente.
Retirez-vous et attendez dehors ma réponse. (Le secrétaire et Vincenzo sortent.) Toi, prends ce papier: les caractères se confondent devant mes yeux, je ne puis les fixer.
Patience, mon cher oncle; pourquoi tremblez-vous ainsi?
Lis donc.
«Le conseil déclare, à l'unanimité, Michel Steno coupable, de son propre aveu, d'avoir, la dernière nuit du Carnaval, gravé sur le trône ducal les mots suivans…»
Voudrais-tu les répéter? Le voudrais-tu bien? – toi, un Faliero, revenir sur le sanglant déshonneur de notre famille déshonorée dans son chef? – Ce chef, le prince de Venise, la reine des cités! – La sentence.
Pardon, mon noble seigneur, j'obéis. (Il lit.) «Que Michel Steno sera détenu sévèrement, au secret, pendant un mois…»
Continue.
Voilà tout, monseigneur.
Comment! tout, dites-vous? Est-ce un songe? – Impossible. – Donne-moi ce papier. (Il arrache le papier et lit.) «Il est arrêté dans le conseil que Michel Steno…» Ah! mon neveu, ton bras.
Remettez-vous; calmez ce transport. Je vais chercher du secours.
Restez, monsieur. – Ne faites pas un pas. – Je suis remis.
Je ne puis m'empêcher de reconnaître avec vous que la punition est au-dessous de l'offense. – Il est honteux pour les Quarante d'avoir infligé une peine aussi légère à celui qui vous avait aussi hautement outragé, vous et eux, puisqu'ils sont vos sujets; mais il ne faut désespérer de rien, vous pouvez en appeler à eux-mêmes qui, voyant un semblable déni, reviendront sans doute sur la cause qu'ils avaient déclinée, et feront justice de l'insolent coupable. N'est-ce pas là votre avis, mon cher oncle? Vous ne m'écoutez pas: pourquoi demeurer ainsi immobile? au nom du ciel, répondez-moi.
Oh! que les Sarrasins ne sont-ils dans Saint-Marc! comme je m'empresserais de leur faire hommage.
Par le ciel, au nom de tous les saints! monseigneur: -
Laisse-moi! Ah! que les Génois ne sont-ils dans le port! Pourquoi, autour de ce palais, ne vois-je pas les Huns que je défis à Zara!
Appartient-il au doge de Venise de parler ainsi!
Doge de Venise! Quel est maintenant le doge de Venise? qu'on me conduise à lui pour qu'il me rende justice.
Si vous oubliez votre rang et les devoirs qu'il vous impose, rappelez-vous du moins celui d'homme, et triomphez de cet emportement; le doge de Venise-
Il n'y en a pas-c'est un mot-quelque chose de pire, une expression dépourvue de sens. Quand le plus chétif, le plus vil, le dernier des misérables demande son pain, il peut, quand on le lui refuse, trouver quelque pitié dans un autre homme; mais celui qui demande en vain justice à ceux qui sont au-dessus des lois, celui-là est plus pauvre que le mendiant que l'on repousse-c'est un esclave-ce que je suis enfin, et toi et toute notre famille. Et quand le plus vil artisan nous montre au doigt, quand le noble nous accable de ses dédains, qui se chargera de notre vengeance?
La loi, mon prince-
Vous voyez ce qu'elle vient de faire: je n'ai recherché de réparation que dans la loi-je ne voulais pas de vengeance, mais justice. – Je ne choisis pour mes juges que ceux désignés par la loi. – Souverain, j'en appelai à mes sujets, ceux-là même qui m'avaient confié la souveraineté, et qu'ils avaient ainsi rendu doublement légitime. Eh bien! les droits de mon rang, de leur choix, de ma naissance et de mes services; mes honneurs, mes années, mes rides, mes courses, mes fatigues, mon sang enfin répandu pendant près de quatre-vingts années, tout cela fut mesuré dans la balance contre la plus odieuse insulte, l'affront le plus brutal, le crime le plus lâche d'un insolent patricien. – Tout cela fut trouvé plus léger! et voilà ce qu'il faut supporter!
Je ne dis pas cela. – Mais si l'on rejette votre second appel, nous retrouverons d'autres moyens d'y suppléer.
En appeler encore! Es-tu bien le fils de mon frère, un rejeton de la race des Faliero? Es-tu le neveu d'un Doge et d'un sang qui donna trois princes à Venise? Mais tu parles bien-oui, désormais, il nous faut de la résignation.
Oh! mon noble oncle, votre emportement va trop loin: – oui, je l'avoue, l'offense était grossière, la punition est mille fois trop douce; mais votre ressentiment est au-dessus de l'insulte. Si l'on nous outrage, nous demandons justice. Si on nous la refuse, nous la prenons; pour cela il faut du calme: – une profonde vengeance est fille d'un silence profond. J'ai tout au plus le tiers de vos années; j'aime notre maison; je vous honore, vous qui en êtes le chef, vous le tuteur, le guide de ma jeunesse; – mais bien que je comprenne votre douleur, et que je ressente votre injure, je frémis en voyant votre colère, semblable aux vagues de l'Adriatique, franchir toutes les bornes et se dissiper dans les airs.
Je te le dis-faut-il te le dire-ce que ton père aurait compris sans avoir besoin de paroles? N'as-tu de sensibilité que pour les tortures du corps? n'as-tu pas d'ame-pas d'orgueil-de passions-de sentimens d'honneur?
C'est la première fois qu'on a mis en doute mon honneur, et de tout autre ce serait la dernière8.
Vous n'ignorez pas quel fut l'affront dont je me plains; un lâche reptile osa déposer son venin dans un infâme libelle et fit planer des soupçons-ah! ciel-sur ma femme, la plus délicate portion de notre honneur. Ses calomnies passèrent de bouche en bouche, grossies des commentaires injurieux et des jeux de mots obscènes d'une vile populace; et cependant d'orgueilleux patriciens avaient les premiers semé la calomnie, ils souriaient d'une imposture qui me transformait non-seulement en époux trompé, mais heureux et peut-être fier de sa honte.
Mais, enfin, c'était un mensonge-vous le savez, et personne ne l'ignore.
Mon neveu! l'illustre Romain a dit: la femme de César ne doit pas être soupçonnée, et il renvoya sa femme.
Cela est vrai-mais aujourd'hui-
Eh quoi! ce qu'un Romain ne pouvait souffrir, un souverain de Venise doit-il le supporter? Le diadême des Césars? Mais le vieux Dandolo l'avait refusé, et il accepta le bonnet ducal, qu'aujourd'hui je foule aux pieds, parce qu'il est dégradé.
Cela est vrai-
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