Читать бесплатно книгу «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3» Джорджа Гордона Байрона полностью онлайн — MyBook

Chant Deuxième

1. Viens, jeune vierge du ciel, aux yeux bleus! – Mais, hélas! tu n'inspiras jamais un chant mortel! – Déesse de la sagesse! ici était ton temple; et ce temple est encore debout, en dépit des guerres, de la flamme dévorante30, et des siècles qui ont détruit ton culte. Mais quelque chose de pire que le fer, la flamme, et le cours des âges, c'est le sceptre redoutable et la cruelle domination de ces hommes qui n'ont jamais senti l'enthousiasme sacré que les pensées de toi et de tes enfans font naître dans les cœurs civilisés31.

2. Ancienne des jours, auguste Athènes! où sont-ils tes hommes de génie, tes grandes ames32? Ils sont passés, et n'apparaissent plus qu'à travers le songe des choses qui ne sont plus. Les premiers dans la lice où brillait le prix de la gloire, ils l'ont conquis, et ont disparu… Est-ce là tout? N'y a-t-il là que le thème d'un écolier, l'admiration d'une heure! On cherche en vain l'épée du guerrier et le manteau du sophiste; sur chaque tour qui tombe en ruine, et qu'obscurcit le brouillard des âges, plane encore l'ombre pâle d'une grandeur passée.

3. Fils de l'Orient, lève-toi! approche! viens! – mais n'outrage pas cette urne sans défense. Contemple ces lieux, – c'est le sépulcre d'une nation! le séjour des dieux dont les autels sont abandonnés!.. – Les dieux même sont forcés de céder! – Les religions disparaissent à leur tour: ici régnait celle de Jupiter; – aujourd'hui c'est celle de Mahomet. D'autres croyances naîtront avec d'autres siècles, jusqu'à ce que l'homme apprenne que c'est en vain que son encens s'élève sur les autels, qu'il offre de sanglans sacrifices; pauvre enfant du doute et de la mort, dont les espérances sont fondées sur des roseaux.

4. Enchaîné à la terre, il lève ses yeux vers le ciel. – N'est-ce pas assez, créature malheureuse! de savoir que tu existes? Cette existence est-elle un don si précieux, pour que tu désires le prolonger au-delà de la tombe, et aller, tu ne sais où, dans des régions inconnues? heureux de fuir la terre, et de te mêler avec les cieux! Veux-tu toujours rêver de félicités et de malheurs à venir? Regarde et pèse cette poussière avant qu'elle soit jetée aux vents: cette urne en dit plus que mille homélies.

5. Ou brise l'orgueilleux monument d'un héros qui n'est plus, et qui dort au loin sur le rivage solitaire33: il tomba, et des nations ébranlées par sa chute portèrent le deuil de son trépas. Mais aujourd'hui personne ne pleure sur sa tombe; nul soldat, observant un silence religieux, ne lui consacre ses veilles, dans ces lieux où, dit-on, des demi-dieux parurent. Prends cette tête desséchée parmi ces ossemens épars; est-ce là un temple digne d'être habité par un dieu? Le ver même dédaigne à la fin sa demeure réduite en poussière.

6. Contemple sa voûte brisée, ses parois en ruines, son enceinte désolée, et ses portiques souillés: oui, ce fut pourtant la demeure orgueilleuse de l'ambition, le séjour de la pensée et le palais de l'ame. Regarde ces orbites sans yeux, cet asyle joyeux de la sagesse et de l'esprit, de la passion qui ne souffrait point de contrôle. Tout ce qu'ont jamais écrit les saints, les sages ou les sophistes, pourrait-il repeupler cette demeure solitaire ou lui rendre sa première forme?

7. O le plus sage des enfans d'Athènes! C'était avec raison que tu disais: «Tout ce que nous savons, c'est que nous ne savons rien.» Pourquoi redouterions-nous ce que nous ne pouvons pas éviter? Chacun a ses douleurs; mais les hommes faibles gémissent sur des malheurs imaginaires nés de leurs cerveaux malades, comme si c'étaient des maux réels. Suivez ce que le hasard ou la destinée proclament le meilleur; la paix nous attend tous sur les bords de l'Achéron. Là, nul banquet forcé n'appelle le convive rassasié, mais le silence y prépare la couche d'un repos à jamais heureux.

8. Cependant, si, comme l'ont pensé des hommes sages, il existe, au-delà du noir rivage, un séjour des ames, pour confondre la doctrine des saducéens34 et des sophistes, follement orgueilleux de leur science du doute, qu'il serait doux de se prosterner en adoration avec ceux qui ont rendu nos épreuves mortelles plus légères! d'entendre chacune de ces voix que nous craignions de ne plus entendre! de contempler les ombres magnanimes dévoilées à nos regards: celles du Bactrien, du sage de Samos, et de tous ceux qui enseignèrent la vertu!

9. Je te verrais, ô toi! dont l'amour et la vie s'échappèrent ensemble, et m'ont laissé sur la terre aimer et vivre en vain! – O l'intime ami de mon cœur! puis-je croire que tu n'es plus quand ta mémoire brille sans cesse dans ma pensée? Oui, je rêverai que nous pourrons nous réunir un jour, et je caresse cette douce illusion de mon cœur solitaire. Si quelque chose de nos jeunes souvenirs nous reste, qu'il soit comme un gage certain de l'avenir, car ce serait assez de bonheur pour moi de savoir que ton ame est heureuse!

10. Je vais m'asseoir un instant sur cette pierre massive d'une colonne de marbre, dont la base n'est pas encore ébranlée. Fils de Saturne! ici fut ton trône favori35; le plus puissant de tous les dieux nombreux de l'antiquité! permets-moi de chercher les vestiges enfouis de ton temple sacré. Tous mes efforts sont vains; l'œil de l'imagination même ne pourrait retrouver ce que le tems a pris à tâche d'effacer; cependant ces colonnes orgueilleuses n'attirent pas un soupir du passant; – l'impassible Ottoman s'assied froidement sur leurs fûts renversés; et le Grec léger fredonne à lentour.

11. Mais de tous les ravageurs de ce temple élevé sur l'Acropolis, d'où Pallas s'éloigna en regrettant de quitter le dernier monument de son ancienne domination, quel fut le dernier, le plus barbare et le plus stupide? Rougis, Calédonie! c'est un de tes enfans! Angleterre, je me réjouis de ce que ce n'est pas un de tes fils, tes citoyens, nés libres, épargneraient ce qui autrefois fut libre. Cependant ils ont violé les enceintes des temples tristes et déserts, et ont emporté leurs autels sur les flots, longtemps soulevés contre cette profanation36.

12. Mais l'orgueil ignoble d'un moderne Picte se fait gloire de briser ce que les Goths, les Turks et le tems avaient épargné37. Il porte une ame froide comme les rochers de sa côte natale, et aussi stérile que son cœur est dur, celui dont la pensée a pu concevoir et dont la main a pu exécuter le projet de déplacer les pauvres restes d'Athènes; ses enfans, trop faibles pour défendre ses monumens sacrés, ressentirent cependant une partie des douleurs qui déchiraient leur mère38, et ils éprouvèrent, ce qu'ils avaient ignoré jusque-là, tout le poids des chaînes de la tyrannie.

13. Eh quoi! une bouche bretonne osera-t-elle jamais dire qu'Albion fut heureuse des pleurs d'Athènes? Quoique ce soit en ton nom que des esclaves déchirent son sein, crains d'avouer ces faits honteux, qui feraient rougir l'Europe. La reine de l'Océan, la Bretagne libre, enlève la dernière et chétive dépouille d'une terre sanglante… Oui, celle dont la protection généreuse fait bénir son nom, a arraché avec des mains de harpie ces restes glorieux que l'antiquité jalouse avait épargnés, et qu'avaient respectés les tyrans!

14. Pallas! où était ton égide, qui frappa de terreur le barbare Alaric, dans sa course dévastatrice39? Où était le fils de Pelée? Son ombre fit en vain trembler les enfers, pour apparaître à la lumière dans ce jour redoutable, revêtu de ses armes terribles! Quoi! Pluton ne pouvait-il pas permettre une fois encore à ce guerrier invincible de s'échapper des enfers, pour donner l'épouvante, et faire lâcher sa proie à ce second barbare? Errant inoccupé sur les bords du Styx, Achille n'est point venu protéger les murs qu'il aimait jadis à défendre.

15. O belle Grèce! froid est le cœur de l'homme qui te voit sans sentir ce qu'éprouvent les amans en contemplant la poussière qu'ils ont aimée. Stupide est l'œil qui ne verse point de larmes en voyant tes palais dégradés, tes temples en ruines et tes autels enlevés par des mains bretonnes, auxquelles il était plutôt réservé de protéger ces restes vénérables. Maudite soit l'heure où ces barbares sortirent de leur île pour venir de nouveau déchirer ton sein délaissé, et transporter tes dieux désolés dans les contrées abhorrées du Nord !

16. Mais où est Harold? Ne suivrai-je pas sur les flots ce sombre voyageur? Il s'inquiétait peu, en s'éloignant, de tout ce que les hommes regrettent; nulle amante n'essaya de l'attendrir par de feintes lamentations; nul ami, pour adieu, ne lui tendit la main, avant que ce froid étranger ne partît pour d'autres climats. Dur est le cœur que les charmes de la beauté trouvent insensible; mais Harold n'éprouvait plus les mêmes impressions qu'autrefois; et il quitta, sans pousser un soupir, le sol de l'Espagne livré à la guerre et au crime.

17. Celui qui a vogué sur la mer sombre et azurée, a contemplé parfois un ravissant spectacle. C'est lorsque la fraîche brise est belle comme une brise peut l'être, qu'elle enfle la blanche voile de la frégate légère et gracieuse; les mâts, les flèches des clochers et les bords élevés du rivage s'enfuient derrière nous; la glorieuse mer s'étend dans un lointain immense; les vaisseaux de la flotte voguent comme des cygnes sauvages. Le plus mauvais voilier paraît marcher avec une agilité nouvelle, tant les vagues bondissent gaiement devant chaque proue écumante.

18. Admirez aussi l'intérieur de ce petit monde de guerre: le poli des canons; le filet40 tendu comme un dais sur le tillac; les ordres communiqués d'une voix rauque; le bruit sourd et continuel des matelots qu'une parole fait gravir au haut des mâts; écoutez l'appel du contre-maître, les cris joyeux des marins qui font glisser dans leurs mains les nombreux cordages; regardez cet aspirant, échappé de l'école, qui varie l'accent de son aigre voix selon qu'il approuve ou qu'il réprimande. Ce petit-maître sait déjà conduire habilement sa troupe docile.

19. Le tillac brille aux yeux comme du cristal qu'aucune tache ne souille; le grave lieutenant de garde s'y promène. Regardez aussi cette partie du navire, réservée religieusement pour le capitaine qui s'avance avec majesté, silencieux et craint de tous; – il parle rarement à ses subordonnés, s'il veut conserver ce sévère ascendant qui, lorsqu'il est méconnu, fait perdre le triomphe et la gloire: mais les Bretons s'écartent rarement de cette loi, quelque dure qu'elle puisse être, qui tend à fortifier leur valeur.

20. Souffle, souffle doucement, brise propice! Fais-nous voguer jusqu'à ce que le large soleil nous dérobe ses rayons affaiblis; alors le navire-amiral sera forcé de replier ses voiles, afin que les bâtimens moins agiles puissent le rejoindre. Oh! pénible tourment! insupportable et nonchalant retard, qui empêche de profiter du vent le plus favorable! Que de lieues on perd jusqu'au retour de l'aurore, en portant des regards pensifs sur les ondes propices, pour attendre ces navires lourds et paresseux!

21. La lune est levée à l'horizon, Ciel! quelle nuit délicieuse! De longs torrens de lumière se répandent sur les vagues bondissantes. Maintenant les jeunes gens soupirent sur le rivage, et les jeunes filles croient aux sermens de l'amour. Puisse une semblable destinée nous attendre à notre retour sur la terre natale! Cependant la main active d'un Arion grossier réveille la vigoureuse harmonie qu'aiment les matelots; il se forme autour de lui un cercle de joyeux auditeurs; ou si une mesure bien connue les invite à la danse, ils s'y livrent avec transport, comme s'ils étaient libres sur le rivage.

22. Childe Harold aperçoit la côte sourcilleuse, à travers les détroits de Calpé; c'est là que l'Europe et l'Afrique se contemplent! Il aperçoit, à la lueur du flambeau de la pâle Hécate, la patrie de la jeune vierge aux yeux noirs, et celle du Maure au teint cuivré. Comme les rayons du flambeau nocturne se jouent avec grâce sur les rivages de l'Ibérie! Ils découvrent des rochers, des coteaux et de vertes forêts, que l'œil peut discerner, quoique le faible croissant de la lune n'éclaire qu'à demi ces rivages; mais les ombres gigantesques des rochers de la Mauritanie lèvent leurs têtes menaçantes, et s'étendent jusque sur la côte sombre de la mer.

23. Il est nuit; c'est alors que la méditation rappelle à notre cœur que nous avons aimé, quoique l'amour ait fui pour toujours. Le cœur solitaire, qui gémit sur ses espérances évanouies, quoique sans ami, rêvera qu'il eut un ami. Qui pourrait désirer de se courber sous le poids des années, quand la jeunesse elle-même survit aux jeunes amours et à la gaîté de l'esprit? Hélas! quand des ames qui ont été unies ont oublié leur tendresse, il reste à la mort peu de choses à nous ravir! Oh! heureuses années! qui ne voudrait encore redevenir enfant pour retrouver vos délices?

24. Ainsi penché sur l'humide bord du navire pour contempler le disque de Diane réfléchi dans l'onde, l'ame oublie ses projets d'ambition et d'orgueil; elle se replie involontairement sur les années qui ne sont plus. Il n'est point de mortel assez malheureux pour qu'aucun être chéri, plus chéri que lui-même; n'obtienne ou n'ait obtenu de lui une douce pensée, et ne réclame l'hommage d'une larme; angoisse déchirante dont le cœur accablé voudrait en vain se délivrer!

25. S'asseoir sur les rochers, rêver sur les torrens et sur les abîmes, s'égarer lentement dans l'enceinte sombre des forêts, où la domination de l'homme ne se fait point sentir, et que son pied n'a jamais ou que rarement foulée; gravir une montague infréquentée, inconnue de la foule, où paissent librement des troupeaux de bêtes sauvages qui ne demandent point à l'homme leur nourriture; se pencher sur les précipices et sur les cascades écumantes; ce n'est point là la solitude: c'est s'entretenir avec les beautés de la nature, et contempler ses richesses déroulées à nos regards.

26. Mais au milieu de la foule, du bruit du choc des hommes, entendre, voir, sentir, posséder des richesses, et traîner sa vie comme un ennuyé citoyen du monde; n'ayant personne qui nous chérisse, et personne que nous puissions chérir; ne voir que des courtisans de la prospérité, qui fuient à l'approche de la misère; n'avoir pas un ami, qui, plein d'une affection sincère, si nous n'étions plus, voudrait paraître moins joyeux que tous ceux qui nous accablaient de flatteries et de poursuites intéressées; c'est là ce que j'appelle être seul; c'est là, c'est là la solitude!

27. Plus heureuse est la vie du pieux ermite, tel que le voyageur en rencontre dans les retraites solitaires du mont Athos, lorsque, dans une belle soirée, il va rêver sur ses pics gigantesques. Il contemple des ondes si bleues, des cieux si purs, que celui qui a joui d'une heure si délicieuse voudrait passer le reste de ses jours dans ces lieux enchanteurs; il s'arrache avec peine de cette scène ravissante; il regrette en soupirant de ne pas avoir été favorisé d'une telle destinée, et il s'en retourne pour haïr davantage un monde qu'il avait déjà presque oublié.

28. Passons les détails d'une route longue et monotone, si souvent traversée par de nombreux voyageurs, et qui ne conserve nulle trace de leur passage. Passons le calme et les vents, les vicissitudes des élémens, et tous les caprices bien connus des vagues et des tempêtes; passons aussi les joies et les chagrins qui surviennent aux matelots renfermés dans leur citadelle ailée et flottante; toutes les alternatives de l'allégresse, du désespoir, selon que la brise est favorable ou contraire, que les vagues sont calmes ou soulevées, jusqu'à ce matin joyeux où l'on crie: «Voyez! voyez! c'est la terre!» Alors tout le monde est heureux.

29. Mais gardons-nous de passer sous silence les îles de Calypso41, qui ressemblent à un groupe de sœurs au milieu des ondes. Là un port sourit encore aux navires fatigués, quoique la belle déesse ait cessé depuis long-tems de pleurer sur ses rochers, et d'attendre inutilement le retour de celui qui osa lui préférer une épouse mortelle. C'est ici que son fils Télémaque essaya le saut périlleux, lancé par la main puissante de Mentor dans la profondeur des ondes. Ainsi privée des deux naufragés, la maîtresse de la nymphe Eucharis gémit de son double veuvage.

30. Son règne est passé; ses grâces divines, ses tendres enchantemens ne sont plus. Mais que cela ne t'afflige pas, jeune homme, trop facile à enflammer; redoute encore l'approche de ces lieux. Une souveraine mortelle occupe le trône dangereux de la déesse, et tu pourrais rencontrer une nouvelle Calypso. Charmante Florence! si une beauté pouvait jamais toucher ce cœur fantasque et sans amour, ce cœur aurait été à toi; mais, déchiré par tous mes attachemens, je ne puis me hasarder à porter sur tes autels une offrande indigne de toi, ni demander qu'un cœur si cher, que ton cœur éprouve jamais un seul tourment pour le mien.

31. Ainsi pensa Childe Harold en admirant les beaux yeux de cette dame, dont les regards ne lui inspirèrent d'autre pensée qu'une vive et innocente admiration. L'amour se tint à l'écart, quoique peu éloigné; car il savait que Harold, en lui échappant souvent, souvent aussi avait été en sa puissance; mais ce jeune enfant n'ignorait pas qu'il ne devait plus le compter comme son adorateur, qu'il ne devait plus chercher à se rendre maître de son cœur, puisque maintenant il ne pouvait réussir à lui inspirer de l'amour, et il ne douta plus que ses anciens charmes ne fussent désormais impuissans.

32. La belle Florence s'aperçut avec quelque étonnement qu'un homme que l'on disait soupirer pour toutes les belles, voyait, sans être ému, des charmes que d'autres entouraient d'un respect réel ou simulé. Elle était leur espoir, leur destin, leur condamnation, leur loi, tout ce que la folâtre beauté demande à ses esclaves. Elle s'étonnait qu'un jeune homme si novice ne sentît pas ou du moins ne feignît pas de sentir cette ardeur indiscrète dont l'aveu peut bien quelquefois attirer les reproches, mais rarement la colère des dames.

33. Elle connaissait peu ce cœur qu'elle croyait de marbre. Réfugié dans le silence, ou comprimé par l'orgueil, il n'était point novice dans l'art de séduire, et il avait autrefois tendu dans plus d'un lieu les pièges de l'amour. Il n'avait point abandonné ses coupables poursuites tant qu'il trouva des objets dignes de ses désirs. Mais Harold dédaigne maintenant de tels moyens. S'il avait trouvé l'amour dans les yeux si beaux de Florence, il ne se serait jamais réuni à la foule de ses indolens adorateurs.

34. Il ne connaît pas beaucoup le cœur de la femme celui qui croit que cet objet lascif42 se conquiert par des soupirs. Que lui importe le tendre hommage du sentiment lorsqu'elle a une fois accordé ses faveurs? Choisissez donc l'offrande que vous voulez présenter aux yeux de votre idole; mais ne lui montrez pas trop d'humilité; ou elle vous méprisera et tous vos beaux discours, quoique ornés de figures éloquentes; dissimulez même votre tendresse, si vous êtes sages; une confiance hardie a le plus heureux effet près des femmes: excitez et calmez tour à tour leur dépit; bientôt la passion couronnera vos espérances.

35. C'est là une vieille leçon; le tems en a démontré la justesse, et ceux qui la connaissent le mieux sont ceux qui la déplorent davantage. Quand on a obtenu tout ce que l'on désirait d'obtenir, la récompense de tant de sacrifices semble bien chétive. Une jeunesse usée, une ame dégradée, les facultés intellectuelles abruties, l'honneur perdu: heureuse passion! voilà, voilà quels sont tes fruits amers! Si par un bonheur cruel l'espérance est détruite de bonne heure, alors même les blessures du cœur s'enveniment jusqu'à la fin, et ne peuvent se cicatriser, lors même que l'amour ne cherche plus à plaire.

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