De Harrow il fut envoyé à Cambridge pour y finir ses études. On a beaucoup parlé d'un jeune ours qu'il y avait choisi pour son ami et son compagnon de chambre; Byron eut, toute sa vie, une grande tendresse pour les animaux: en Italie, il traînait après lui plusieurs singes, un boule-dogue, un mâtin anglais, deux chats, trois paons et quelques poules. Il n'est donc pas surprenant qu'il essayât, à Cambridge, d'apprivoiser un ours, tâche difficile, et par cela même attrayante pour lui. À ceux de ses condisciples qui, jaloux peut-être de l'intérêt presque exclusif qu'il portait à ce grossier animal, lui demandèrent ce qu'il prétendait en faire, Lord Byron avait répondu: «Un docteur de l'université de Cambridge.» Ce mot fit fortune, et plus tard on y trouva la preuve de son caractère misanthrope: on n'aurait dû y voir qu'une saillie de gaîté satirique. Quand il quitta Cambridge, il y laissa son ours, de l'éducation duquel il désespérait sans doute.
À dix-neuf ans, il disait adieu au collége, sans avoir été revêtu d'un seul degré universitaire; mais il s'était déjà créé des titres plus honorables. Les souvenirs religieux des montagnes écossaises et des hauts faits d'armes de ses ancêtres, les regrets et les transports d'un premier amour; Ossian et les poètes classiques; telles furent les premières inspirations de Byron. Les Heures d'oisiveté, livrées à l'impression six mois après sa sortie de Cambridge, firent d'abord une vive sensation. Un jeune homme, possesseur d'un beau nom et d'une grande fortune, déjà maître de ses actions, et qui cependant dévouait les plus beaux jours de sa vie au culte des muses; bien plus, dans le volume qu'il publiait, des vers charmans, des idées nobles et grandes, des preuves nombreuses de sensibilité, de délicatesse et de goût, voilà ce qui d'abord excita une véritable admiration: mais le premier des oracles périodiques de l'opinion, la Revue d'Édimbourg, avait encore gardé le silence; elle le rompit en 1808. Jamais satire plus accablante n'avait peut-être rempli les colonnes d'une gazette; celles dont l'auteur des Martyrs était l'objet en France, justement à la même époque, sont des modèles d'urbanité quand on les compare à ce fameux article. Bientôt (tant il est facile aux critiques de frapper de ridicule les poésies graves!) le public parut rougir d'avoir admiré ce que la Grand'mère d'Édimbourg avait dénigré. Les Heures d'oisiveté devinrent le sujet de toutes les plaisanteries de bon ton; on alla jusqu'à refuser à l'auteur la moindre étincelle d'imagination, et le comte de Carlisle se joignit même à la foule des aveugles dépréciateurs du beau génie de son jeune parent.
Cependant Byron attendait, à Newstead, l'instant de sa majorité, en s'abandonnant à toutes les violentes passions de son âge. Lui-même nous apprend que chaque jour de nouvelles et séduisantes maîtresses se disputaient son cœur, et qu'une foule d'amis, attirés auprès de son inexpérience par l'appât des voluptés, ou d'autres motifs moins excusables, ne cessaient de faire retentir les échos de la vieille abbaye d'accens de joie oubliés depuis long-tems.
Mais, tout en s'abandonnant avec une espèce de fureur aux plaisirs des sens, Byron n'était pas leur esclave. Il semblait, dans ces jours de délire, vouloir analyser chaque sensation voluptueuse, afin d'apprécier lui-même la nature du bonheur qu'il était possible d'en attendre: il en eut donc bientôt reconnu tout le vide. Les tendres coquetteries de ses indignes maîtresses n'effleuraient plus son cœur; ses anciens amis, impatiens du fier et mâle génie d'un homme auquel ils se comparaient jadis, devinrent moins nombreux de jour en jour. Enfin, après l'expérience d'une année, l'être qu'il chérissait le plus était un grand chien de Terre-Neuve, avec lequel il se baignait ordinairement. Souvent, pour éprouver son intelligente sollicitude, il disparaissait quelque tems sous les flots, et le chien, à la grande joie de son maître, ne manquait pas de se précipiter à sa recherche et de le ramener sur le rivage. Byron fit graver, en 1808, une inscription sur la pierre qui recouvrait ses os; elle finit par ces mots: «Ce monument indique la demeure d'un ami; je n'en ai encore connu qu'un seul, et c'est ici qu'il repose.»
On raconte aussi que, dans le même tems, Byron fit arranger et monter en coupe un crâne d'une énorme capacité; il appartenait à l'un des moines qui jadis avaient habité Newstead. Dans les jours de réceptions bachiques, le crâne faisait le tour de la table, et, comme aux festins d'Anacréon et d'Horace, chacun des convives, ne trouvant plus qu'un aiguillon d'enjouement dans ces souvenirs de la mort, se livrait à l'envi aux plus folles saillies. Byron fit même, sur cette coupe, des vers qui rappellent la grâce philosophique du chantre du Falerne et de Lydie.
Mais l'article de la Revue d'Édimbourg vint bien autrement aiguillonner sa muse, et le généreux désir de se venger lui fit oublier la promesse qu'il avait faite, en publiant les Heures d'oisiveté, de ne plus rien livrer à l'impression. Toute la république littéraire avait méconnu son génie! tous les prétendus oracles du goût, les Southey, les Scott, les Wordsworth, les Jeffery, avaient affecté de ne voir en lui qu'un méprisable rival: il saura les désabuser. Dès ce jour, il renonce aux éloges, aux flatteries d'indignes Aristarques; il dédaigne l'approbation de cette Angleterre, qui ne rappelle à son cœur que ses propres égaremens ou les injustices des autres, et quand il aura dignement relevé le gant qu'on lui a jeté, il ira, loin de sa patrie, chercher des inspirations plus grandes encore.
Les Bardes anglais et les Reviseurs écossais firent toute la sensation que Lord Byron en avait espérée: les journaux, épouvantés, n'osèrent même rentrer en lice contre un si rude jouteur. Le lendemain de la publication de cette satire, le poète, ayant atteint sa majorité, vint prendre sa place dans la chambre des pairs. À peine eut-il prononcé, à haute voix, le serment d'usage devant la balle de laine qui sert de siége au chancelier, que celui-ci (Lord Eldon) vint à lui, et, d'un air riant, lui tendit cordialement la main; mais Byron ne répondit à ces avances qu'en s'inclinant légèrement et en posant l'extrémité de deux doigts dans la large main du chancelier: puis il chercha des yeux les bancs de l'opposition, et alla nonchalamment s'y étendre. Comme il sortait quelques minutes après, l'un de ses amis lui demanda pourquoi il avait si mal répondu aux avances de Lord Eldon. «Si je lui avais serré la main, répondit-il, il m'aurait cru de son parti; je ne veux rien avoir à démêler ni avec lui ni avec l'autre côté de la chambre: j'ai pris mon siége, et maintenant je vais voyager en pays étranger.»
Il s'éloigna de l'Angleterre au mois de juin 1809, après avoir mis quelque ordre dans ses affaires, acquitté complètement ses nombreuses dettes, fait un testament, appelé sa mère à Newstead et l'avoir embrassée. Un ancien ami de collége, John Cam Hobhouse, déjà connu par plusieurs ouvrages de poésie et de politique, mais devenu, depuis, plus célèbre par le courage et la franchise de son opposition parlementaire, offrit à Lord Byron de l'accompagner dans ses voyages; et, sans en avoir précisément arrêté le plan, les deux amis mirent à la voile, de Falmouth, le 2 juillet 1809. Leur suite consistait en deux domestiques, dont l'un (Fletcher) avait instamment sollicité la faveur d'abandonner sa femme pour suivre la fortune de Lord Byron. C'était un personnage qui rappelait assez bien le Sganarelle du Don Juan de Molière; présomptueux, craintif et superstitieux à l'excès; aimant tendrement son maître, et redoutant toute espèce de fatigues ou de dangers.
Nos deux poètes débarquèrent à Lisbonne, visitèrent avec empressement Cintra, endroit, dit Lord Byron, le plus délicieux de l'Europe, et le château de Mafra, orgueil du Portugal. Peu satisfaits du patriotisme et du caractère des Portugais, ils s'empressèrent d'arriver à Séville. C'est là que Byron dépouilla ses premières impressions sauvages. Le ciel de l'Andalousie, les cris de liberté qui, de toutes parts, y retentissaient, les scènes pittoresques d'une nature ravissante, et, plus que tout cela encore, les grâces et la beauté des dames de Séville, eurent bientôt fait évanouir ses sermens de haine à la société, de calme et de continence philosophiques. Son départ de Séville fit même verser des larmes d'amour, que l'incertitude de son retour eut sans doute bientôt taries. À Cadix, de nouveaux liens aussi tendres et aussi passagers l'attendaient encore.
Il est peu de personnes (même celles qui n'ont jamais lu ses vers) qui n'aient vu, et par conséquent admiré quelques portraits de Lord Byron: ils rappellent, en général, l'expression de ses traits. Cette expression est tellement remarquable qu'elle est venue offrir aux artistes, si j'ose le dire, un nouveau type de physionomie, en même tems que le Childe Harold, le Corsaire et le Don Juan ouvraient aux littérateurs un autre magnifique horizon poétique. Le dessin qui précède cette édition reproduit exactement la tête de Lord Byron à vingt-cinq ans. Plus tard, ses traits perdirent quelque chose de leur grâce et de leur pureté, mais sa physionomie n'en fut pas altérée; comme celle de tous les hommes de génie, elle était indépendante des formes matérielles; elle exprimait l'habitude des passions et des pensées sublimes, le dédain et presque l'ignorance des tracasseries vulgaires, le sentiment du beau sous toutes ses formes: en un mot, elle était l'image fidèle de son ame.
Le 16 août, le vaisseau qui devait transporter en Grèce nos deux voyageurs mit à la voile de Gibraltar et mouilla successivement à Cagliari en Sardaigne, à Girgenti en Sicile, à Malte; et enfin, le 29 septembre, à Prévesa sur la côte d'Albanie.
Leur plan était enfin arrêté avec précision: ils devaient traverser la Grèce et la Morée, passer l'hiver à Athènes, et, de là, se rendre à Constantinople; mais, pour avoir les moyens de voyager en sûreté, il leur fallait capter la bienveillance du redoutable visir qui gouvernait alors toutes ces contrées. Aly-Pacha, surnommé le Bonaparte musulman, assiégeait alors son ennemi, Ibrahim, dans le château de Bérat en Illyrie. Byron se rendit à Tépalène, quartier-général du visir, et éloigné de deux journées de Bérat. Aly, de son côté, ayant appris l'arrivée, dans ses états, d'un seigneur anglais, avait ordonné que toutes les commodités de voyage lui fussent gratuitement prodiguées. Lui-même le reçut avec la plus haute distinction. Ses petites mains blanches, ses petites oreilles et sa chevelure bouclée attiraient surtout l'attention d'Aly, qui croyait y voir les signes irrécusables d'une haute naissance et d'une éducation distinguée. À chaque heure de la journée il envoyait à nos voyageurs des fruits, des confitures et des sorbets, et, quand ils demandèrent à prendre congé, Sa Hautesse leur donna une garde de cinquante braves Souliotes, en les recommandant spécialement à son fils, Vely-Pacha, alors gouverneur de la Morée.
L'aspect d'une cour orientale et la physionomie de ce peuple albanais, mélange de maraudeurs chrétiens et musulmans, firent une vive impression sur l'imagination de Lord Byron. Dans les notes de Childe Harold il a tracé une peinture détaillée de la beauté et de la gracieuse démarche des femmes; du courage, de l'hospitalité et du caractère vindicatif des hommes. – De retour à Prévesa, ils ne tardèrent pas à s'embarquer, dans l'espoir d'aborder à Patras sur la côte de la Morée; mais, par suite de l'ignorance des matelots turcs, leur bâtiment, emporté par le vent, alla échouer sur les rochers de Souli, et ils ne durent leur salut qu'au généreux secours des villageois albanais qui habitaient derrière ces rochers. Pendant la crise, «Fletcher jetait les hauts cris et appelait sa femme; les Grecs invoquaient tous les saints, et les Musulmans Alla. Le capitaine fondait en larmes, en nous disant de nous recommander à Dieu. Les mâts étaient fendus, la grande vergue en pièces; le vent redoublait de force, la nuit approchait, et nous n'avions d'autre chance (comme le disait Fletcher) que de nous voir ensevelis dans les flots.» (Lettre de Lord Byron à sa mère.) Tel fut l'événement qui, sans doute, fournit plus tard au poète les terribles couleurs du deuxième chant de Don Juan.
De Souli, nos voyageurs revinrent encore à Prévesa, et, renonçant au trajet de mer, se dirigèrent vers Patras, à travers les forêts de l'Acarnanie et de l'Étolie: ils firent une halte de quelques jours à Missolonghi et à Smyrne; ils parcoururent la plus grande partie de la Grèce, et s'arrêtèrent le reste de l'hiver à Athènes, comme ils en avaient formé, depuis long-tems, le projet.
Ce n'était pas assez qu'Athènes expiât sous le cimeterre des barbares son ancienne gloire; des étrangers, et surtout des Anglais, venaient à l'envi disputer aux rivages de Grèce les débris de statues, de colonnes et d'inscriptions qui faisaient, seuls encore, sa richesse. Les monumens ont en eux-mêmes peu de valeur: transportez sous le ciel de la Grèce les arceaux et les ogives de nos châteaux gothiques, l'ame les considérera sans émotion, sans enthousiasme. On a donc de la peine à comprendre la rage qui porte les Anglais à encombrer leur île des monumens enlevés à la religion des autres peuples; et certes, il est déplorable que le gouvernement applaudisse à de pareilles profanations. Bas-reliefs, chapiteaux, inscriptions, statues, tous les débris des siècles passés viennent chaque jour se presser dans les tristes galeries britanniques. Cependant une seule inscription, échappée aux outrages du tems, rappelle aux Grecs, mieux que toutes les déclamations modernes, quelle a été et quelle doit être leur patrie, et l'on ne peut trop les louer d'avoir regardé les vols de l'Écossais Elgin comme le plus grand des outrages. Il appartenait à Lord Byron et à M. de Châteaubriand de se rendre les échos de l'exécration à laquelle ils vouèrent les spoliateurs du Parthenon. Mais Byron ne se contenta pas de flétrir, dans le Childe Harold et dans la Malédiction de Minerve, la conduite de Lord Elgin; il alla lui-même, au péril de sa vie, effacer le nom du moderne Verrès, inscrit sur le frontispice du temple d'Érichtée, et il le remplaça par ces deux lignes:
Quod non fecerunt Gothi
Hoc fecerunt Scoti.
De retour dans sa patrie, Lord Elgin n'en a pas moins reçu de son gouvernement d'énormes sommes pour prix de la dépouille des temples d'Athènes. – Nos voyageurs s'éloignèrent de la Grèce au commencement du printems. Avant de gagner Constantinople, ils visitèrent les ruines d'Éphèse. Le 15 avril 1809, la frégate la Salsette, qui les transportait, jeta l'ancre sur les côtes de la Troade, non loin des fameux tombeaux que l'on aime à croire ceux des héros grecs morts au siége d'Ilion. Comme ils attendaient le firman du Grand-Seigneur à l'embouchure des Dardanelles, et justement à quelques centaines de pas du château d'Abydos, il prit envie à Byron de vérifier par lui-même si les savans avaient eu raison de révoquer en doute le récit des tendres traversées de Léandre. Dans le dernier siècle, notre Académie des Inscriptions et Belles-Lettres avait aussi, après de longues dissertations, reconnu que l'histoire d'Héro et Léandre était nécessairement une fable, attendu l'impossibilité du trajet de l'Hellespont à la nage. La tentative de Byron fit évanouir tout d'un coup l'autorité de tant de doctes recherches. Un lieutenant de la frégate (M. Ekenhead) offrit de partager la gloire et les dangers de cette épreuve: les deux nageurs partirent en même tems et firent le trajet en une heure et quelques minutes. Ekenhead eut à peine atteint le rivage de Sestos, qu'il se hâta de regagner, sur une barque, l'autre bord, où le rappelaient ses fonctions; mais Lord Byron, épuisé de fatigue et grelottant de fièvre, se traîna, demi-nu, dans une cabane voisine, et reçut l'hospitalité d'un pauvre pêcheur turc, qui, pendant cinq jours, lui prodigua les soins les plus assidus. À peine revenu sur le rivage d'Abydos, Byron envoya au pêcheur, par l'un des hommes de sa suite, un assortiment de filets, un fusil de chasse, une paire de pistolets et douze pièces de soie pour sa femme. Surpris de ce présent, le pauvre Turc voulut, le lendemain, traverser l'Hellespont, afin de remercier sa seigneurie. Hélas! à peine éloigné de son rivage, une rafale s'éleva, fit submerger sa barque et l'engloutit dans les flots. Qu'on juge du désespoir de Lord Byron! Il s'empressa d'aller lui-même consoler la veuve; la pria de le regarder à l'avenir comme son ami, et lui laissa une bourse de cinquante dollars. Cette anecdote est peu connue; elle honore trop le caractère de Lord Byron pour que lui-même pensât jamais à la divulguer: mais les officiers alors employés sur la Salsette en ont tous attesté l'exacte vérité.
Бесплатно
Установите приложение, чтобы читать эту книгу бесплатно
О проекте
О подписке