Читать бесплатно книгу «Les bijoux indiscrets» Дени Дидро полностью онлайн — MyBook

– Et moi je devine, continua la favorite. J'avais dix-huit ans lorsque j'eus le bonheur de vous plaire. Il y a quatre ans que vous m'aimez. Dix-huit et quatre font vingt-deux. Me voilà bien vieille.»

Mangogul sourit de ce calcul.

«Mais si je ne vaux plus rien pour le plaisir, ajouta Mirzoza, je veux vous faire voir du moins que je suis très-bonne pour le conseil. La variété des amusements qui vous suivent n'a pu vous garantir du dégoût. Vous êtes dégoûté. Voilà, prince, votre maladie.

– Je ne conviens pas que vous ayez rencontré, dit Mangogul; mais en cas que cela fût, y sauriez-vous quelque remède?»

Mirzoza répondit au sultan, après avoir rêvé un moment, que Sa Hautesse lui avait paru prendre tant de plaisir au récit qu'elle lui faisait des aventures galantes de la ville, qu'elle regrettait de n'en plus avoir à lui raconter, ou de n'être pas mieux instruite de celles de sa cour; qu'elle aurait essayé cet expédient, en attendant qu'elle imaginât mieux.

«Je le crois bon, dit Mangogul; mais qui sait les histoires de toutes ces folles? et quand on les saurait, qui me les réciterait comme vous?

– Sachons-les toujours, reprit Mirzoza. Qui que ce soit qui vous les raconte, je suis sûre que Votre Hautesse gagnera plus par le fond qu'elle ne perdra par la forme.

– J'imaginerai avec vous, si vous voulez, les aventures des femmes de ma cour, fort plaisantes, dit Mangogul; mais le fussent-elles cent fois davantage, qu'importe, s'il est impossible de les apprendre?

– Il pourrait y avoir de la difficulté, répondit Mirzoza: mais je pense que c'est tout. Le génie Cucufa, votre parent et votre ami, a fait des choses plus fortes. Que ne le consultez-vous?

– Ah! joie de mon cœur, s'écria le sultan, vous êtes admirable! Je ne doute point que le génie n'emploie tout son pouvoir en ma faveur. Je vais de ce pas m'enfermer dans mon cabinet, et l'évoquer.»

Alors Mangogul se leva, baisa la favorite sur l'œil gauche, selon la coutume du Congo, et partit.

CHAPITRE IV.
ÉVOCATION DU GÉNIE

Le génie Cucufa est un vieil hypocondriaque, qui craignant que les embarras du monde et le commerce des autres génies ne fissent obstacle à son salut, s'est réfugié dans le vide, pour s'occuper tout à son aise des perfections infinies de la grande Pagode, se pincer, s'égratigner, se faire des niches, s'ennuyer, enrager et crever de faim. Là, il est couché sur une natte, le corps cousu dans un sac, les flancs serrés d'une corde, les bras croisés sur la poitrine, et la tête enfoncée dans un capuchon, qui ne laisse sortir que l'extrémité de sa barbe. Il dort; mais on croirait qu'il contemple. Il n'a pour toute compagnie qu'un hibou qui sommeille à ses pieds, quelques rats qui rongent sa natte, et des chauves-souris qui voltigent autour de sa tête: on l'évoque en récitant au son d'une cloche le premier verset de l'office nocturne des bramines; alors il relève son capuce, frotte ses yeux, chausse ses sandales, et part. Figurez-vous un vieux camaldule15 porté dans les airs par deux gros chats-huants qu'il tiendrait par les pattes: ce fut dans cet équipage que Cucufa apparut au sultan!

«Que la bénédiction de Brama soit céans, dit-il en s'abattant.

– Amen, répondit le prince.

– Que voulez-vous, mon fils?

– Une chose fort simple, dit Mangogul; me procurer quelques plaisirs aux dépens des femmes de ma cour.

– Eh! mon fils, répliqua Cucufa, vous avez à vous seul plus d'appétit que tout un couvent de bramines. Que prétendez-vous faire de ce troupeau de folles?

– Savoir d'elles les aventures qu'elles ont et qu'elles ont eues; et puis c'est tout.

– Mais cela est impossible, dit le génie; vouloir que des femmes confessent leurs aventures, cela n'a jamais été et ne sera jamais.

– Il faut pourtant que cela soit,» ajouta le sultan.

A ces mots, le génie se grattant l'oreille et peignant par distraction sa longue barbe avec ses doigts, se mit à rêver: sa méditation fut courte.

«Mon fils, dit-il à Mangogul, je vous aime; vous serez satisfait.»

A l'instant il plongea sa main droite dans une poche profonde, pratiquée sous son aisselle, au côté gauche de sa robe, et en tira avec des images, des grains bénits, de petites pagodes de plomb, des bonbons moisis, un anneau d'argent, que Mangogul prit d'abord pour une bague de saint Hubert16.

«Vous voyez bien cet anneau, dit-il au sultan; mettez-le à votre doigt, mon fils. Toutes les femmes sur lesquelles vous en tournerez le chaton, raconteront leurs intrigues à voix haute, claire et intelligible: mais n'allez pas croire au moins que c'est par la bouche qu'elles parleront.

– Et par où donc, ventre-saint-gris! s'écria Mangogul, parleront-elles donc?

– Par la partie la plus franche qui soit en elles, et la mieux instruite des choses que vous désirez savoir, dit Cucufa; par leurs bijoux.

– Par leurs bijoux, reprit le sultan, en s'éclatant de rire: en voilà bien d'une autre. Des bijoux parlants! cela est d'une extravagance inouïe.

– Mon fils, dit le génie, j'ai bien fait d'autres prodiges en faveur de votre grand-père; comptez donc sur ma parole. Allez, et que Brama vous bénisse. Faites un bon usage de votre secret, et songez qu'il est des curiosités mal placées.»

Cela dit, le cafard hochant de la tête, se raffubla de son capuchon, reprit ses chats-huants par les pattes, et disparut dans les airs.

CHAPITRE V.
DANGEREUSE TENTATION DE MANGOGUL

A peine Mangogul fut-il en possession de l'anneau mystérieux de Cucufa, qu'il fut tenté d'en faire le premier essai sur la favorite. J'ai oublié de dire qu'outre la vertu de faire parler les bijoux des femmes sur lesquelles on en tournait le chaton, il avait encore celle de rendre invisible la personne qui le portait au petit doigt. Ainsi Mangogul pouvait se transporter en un clin d'œil en cent endroits où il n'était point attendu, et voir de ses yeux bien des choses qui se passent ordinairement sans témoin; il n'avait qu'à mettre sa bague, et dire: «Je veux être là;» à l'instant il y était. Le voilà donc chez Mirzoza.

Mirzoza qui n'attendait plus le sultan, s'était fait mettre au lit. Mangogul s'approcha doucement de son oreiller, et s'aperçut à la lueur d'une bougie de nuit, qu'elle était assoupie. «Bon, dit-il, elle dort: changeons vite l'anneau de doigt, reprenons notre forme, tournons le chaton sur cette belle dormeuse, et réveillons un peu son bijou… Mais qu'est-ce qui m'arrête?.. je tremble… se pourrait-il que Mirzoza… non, cela n'est pas possible; Mirzoza m'est fidèle. Éloignez-vous, soupçons injurieux, je ne veux point, je ne dois point vous écouter.» Il dit et porta ses doigts sur l'anneau; mais les en écartant aussi promptement que s'il eût été de feu, il s'écria en lui-même: «Que fais-je, malheureux! je brave les conseils de Cucufa. Pour satisfaire une sotte curiosité, je vais m'exposer à perdre ma maîtresse et la vie… Si son bijou s'avisait d'extravaguer, je ne la verrais plus, et j'en mourrais de douleur. Et qui sait ce qu'un bijou peut avoir dans l'âme?» L'agitation de Mangogul ne lui permettait guère de s'observer: il prononça ces dernières paroles un peu haut, et la favorite s'éveilla…

«Ah! prince, lui dit-elle, moins surprise que charmée de sa présence, vous voilà! pourquoi ne vous a-t-on point annoncé? Est-ce à vous d'attendre mon réveil?»

Mangogul répondit à la favorite, en lui communiquant le succès de l'entrevue de Cucufa, lui montra l'anneau qu'il en avait reçu, et ne lui cacha rien de ses propriétés.

«Ah! quel secret diabolique vous a-t-il donné là? s'écria Mirzoza. Mais, prince, comptez-vous en faire quelque usage?

– Comment, ventrebleu! dit le sultan, si j'en veux faire usage? Je commence par vous, si vous me raisonnez.»

La favorite, à ces terribles mots, pâlit, trembla, se remit, et conjura le sultan par Brama et par toutes les Pagodes des Indes et du Congo, de ne point éprouver sur elle un secret qui marquait peu de confiance en sa fidélité.

«Si j'ai toujours été sage, continua-t-elle, mon bijou ne dira mot, et vous m'aurez fait une injure que je ne vous pardonnerai jamais: s'il vient à parler, je perdrai votre estime et votre cœur, et vous en serez au désespoir. Jusqu'à présent vous vous êtes, ce me semble, assez bien trouvé de notre liaison; pourquoi s'exposer à la rompre? Prince, croyez-moi, profitez des avis du génie; il a de l'expérience, et les avis de génies sont toujours bons à suivre.

– C'est ce que je me disais à moi-même, lui répondit Mangogul, quand vous vous êtes éveillée: cependant si vous eussiez dormi deux minutes de plus, je ne sais ce qui en serait arrivé.

– Ce qui en serait arrivé, dit Mirzoza, c'est que mon bijou ne vous aurait rien appris, et que vous m'auriez perdue pour toujours.

– Cela peut être, reprit Mangogul; mais à présent que je vois tout le danger que j'ai couru, je vous jure par la Pagode éternelle, que vous serez exceptée du nombre de celles sur lesquelles je tournerai ma bague.»

Mirzoza prit alors un air assuré, et se mit à plaisanter d'avance aux dépens des bijoux que le prince allait mettre à la question.

«Le bijou de Cydalise, disait-elle, a bien des choses à raconter; et s'il est aussi indiscret que sa maîtresse, il ne s'en fera guère prier. Celui d'Haria n'est plus de ce monde; et Votre Hautesse n'en apprendra que des contes de ma grand'mère. Pour celui de Glaucé, je le crois bon à consulter: elle est coquette et jolie.

– Et c'est justement par cette raison, répliqua le sultan, que son bijou sera muet.

– Adressez-vous donc, repartit la sultane, à celui de Phédime; elle est galante et laide.

– Oui, continua le sultan; et si laide, qu'il faut être aussi méchante que vous pour l'accuser d'être galante. Phédime est sage; c'est moi qui vous le dis, et qui en sais quelque chose.

– Sage tant qu'il vous plaira, reprit la favorite; mais elle a de certains yeux gris qui disent le contraire.

– Ses yeux en ont menti, répondit brusquement le sultan; vous m'impatientez avec votre Phédime: ne dirait-on pas qu'il n'y ait que ce bijou à questionner?

– Mais peut-on, sans offenser Votre Hautesse, ajouta Mirzoza, lui demander quel est celui qu'elle honorera de son choix?

– Nous verrons tantôt, dit Mangogul, au cercle de la Manimonbanda (c'est ainsi qu'on appelle dans le Congo la grande sultane). Nous n'en manquerons pas si tôt, et lorsque nous serons ennuyés des bijoux de ma cour, nous pourrons faire un tour à Banza: peut-être trouverons-nous ceux des bourgeoises plus raisonnables que ceux des duchesses.

– Prince, dit Mirzoza, je connais un peu les premières, et je peux vous assurer qu'elles ne sont que plus circonspectes.

– Bientôt nous en saurons des nouvelles: mais je ne peux m'empêcher de rire, continua Mangogul, quand je me figure l'embarras et la surprise de ces femmes aux premiers mots de leurs bijoux; ah! ah! ah! Songez, délices de mon cœur, que je vous attendrai chez la grande sultane, et que je ne ferai point usage de mon anneau que vous n'y soyez.

– Prince, au moins, dit Mirzoza, je compte sur la parole que vous m'avez donnée.»

Mangogul sourit de ses alarmes, lui réitéra ses promesses, y joignit quelques caresses, et se retira.

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