Les armemens de la Prusse sont-ils le résultat d'une coalition avec la Russie, ou seulement des intrigues des différens partis qui existent à Berlin, et de l'irréflexion, du cabinet? Ont-ils pour objet de forcer la Hesse, la Saxe et les villes anséatiques à contracter des liens que ces deux dernières puissances paraissent ne pas vouloir former? La Prusse voudrait-elle nous obliger nous-même à nous départir de la déclaration que nous avons faite, que les villes anséatiques ne pourront entrer dans aucune confédération particulière; déclaration fondée sur l'intérêt du commerce de la France et du midi de l'Allemagne, et sur ce que l'Angleterre nous a fait connaître que tout changement dans la situation présente des villes anséatiques, serait un obstacle de plus à la paix générale? Nous avons aussi déclaré que les princes de la confédération germanique, qui n'étaient point compris dans la confédération du Rhin, devaient être maîtres de ne consulter que leurs intérêts et leurs convenances, qu'ils devaient se regarder comme parfaitement libres, que nous ne ferions rien pour qu'ils entrassent dans la confédération du Rhin, mais que nous ne souffririons pas que qui que ce fût les forçât de faire ce qui serait contraire à leur volonté, à leur politique, aux intérêts de leurs peuples. Cette déclaration si juste aurait-elle blessé le cabinet de Berlin, et voudrait-il nous obliger à la rétracter! Entre tous ces motifs, quel peut être le véritable? Nous ne saurions le deviner, et l'avenir seul pourra révéler le secret d'une conduite aussi étrange qu'elle était inattendue. Nous avons été un mois sans y faire attention. Notre impassibilité n'a fait qu'enhardir tous les brouillons qui veulent précipiter la cour de Berlin dans la lutte la plus inconsidérée.
Toutefois, les armemens de la Prusse ont amené le cas prévu par l'un des articles du traité du 12 juillet, et nous croyons nécessaire que tous les souverains qui composent la confédération du Rhin, arment pour défendre ses intérêts, pour garantir son territoire et en maintenir l'inviolabilité. Au lieu de 200,000 hommes que la France est obligée de fournir, elle en fournira 300,000, et nous venons d'ordonner que les troupes nécessaires pour compléter ce nombre, soient transportées en poste sur le Bas-Rhin; les troupes de V. M. étant toujours restées sur le pied de guerre, nous invitons V. M. à ordonner qu'elles soient mises, sans délai, en état de marche avec leurs équipages de campagne, et de concourir à la défense de la cause commune, dont le succès, nous avons lieu de le croire, répondra à sa justice, si toutefois, contre nos désirs et contre nos espérances, la Prusse nous met dans la nécessité de repousser la force par la force.
Sur ce, nous prions Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
NAPOLÉON.Au quartier impérial de Bamberg, le 6 octobre 1806.
Soldats,
«L'ordre pour votre rentrée en France était parti; vous vous en étiez déjà rapprochés de plusieurs marches. Des fêtes triomphales vous attendaient, et les préparatifs pour vous recevoir étaient commencés dans la capitale.
«Mais, lorsque nous nous abandonnions à cette trop confiante sécurité, de nouvelles trames s'ourdissaient sous le masque de l'amitié et de l'alliance. Des cris de guerre se sont fait entendre à Berlin; depuis deux mois nous sommes provoqués tous les jours davantage.
«La même faction, le même esprit de vertige qui, à la faveur de nos dissensions intestines, conduisit, il y a quatorze ans, les Prussiens au milieu des plaines de la Champagne, domine dans leurs conseils. Si ce n'est plus Paris qu'ils veulent brûler et renverser jusque dans ses fondemens, c'est, aujourd'hui, leurs drapeaux qu'ils se vantent de planter dans les capitales de nos alliés; c'est la Saxe qu'ils veulent obliger à renoncer, par une transaction honteuse, à son indépendance, en la rangeant au nombre de leurs provinces; c'est enfin vos lauriers qu'ils veulent arracher de votre front. Ils veulent que nous évacuions l'Allemagne à l'aspect de leur armée! les insensés!!! Qu'ils sachent donc qu'il serait mille fois plus facile de détruire la grande capitale que de flétrir l'honneur des enfans du grand-peuple et de ses alliés. Leurs projets furent confondus alors; ils trouvèrent dans les plaines de la Champagne la défaite, la mort et la honte: mais les leçons de l'expérience s'effacent, et il est des hommes chez lesquels le sentiment de la haine et de la jalousie ne meurt jamais.
«Soldats, il n'est aucun de vous qui veuille retourner en France par un autre chemin que par celui de l'honneur. Nous ne devons y rentrer que sous des arcs de triomphe.
«Eh quoi! aurions-nous donc bravé les saisons, les mers, les déserts; vaincu l'Europe plusieurs fois coalisée contre nous; porté notre gloire de l'orient à l'occident, pour retourner aujourd'hui dans notre patrie comme des transfuges, après avoir abandonné nos alliés, et pour entendre dire que l'aigle française a fui épouvantée à l'aspect des armées prussiennes… Mais déjà ils sont arrivés sur nos avant-postes…
«Marchons donc, puisque la modération n'a pu les faire sortir de cette étonnante ivresse. Que l'armée prussienne éprouve le même sort qu'elle éprouva il y a quatorze ans! qu'ils apprennent que s'il est facile d'acquérir un accroissement de domaines et de puissance avec l'amitié du grand-peuple, son inimitié (qu'on ne peut provoquer que par l'abandon de tout esprit de sagesse et de raison) est plus terrible que les tempêtes de l'Océan.
NAPOLÉON.Au quartier impérial de Bamberg, le 7 octobre 1806.
«Sénateurs,
«Nous avons quitté notre capitale, pour nous rendre au milieu de notre armée d'Allemagne, dès l'instant que nous avons su avec certitude qu'elle était menacée sur ses flancs par des mouvemens inopinés. A peine arrivé sur les frontières de nos états, nous avons eu lieu de reconnaître combien notre présence y était nécessaire, et de nous applaudir des mesures défensives que nous avons prises avant de quitter le centre de notre empire. Déjà les armées prussiennes, portées au grand complet de guerre, s'étaient ébranlées de toutes parts; elles avaient dépassé leurs frontières, la Saxe était envahie, et le sage prince qui gouverne était forcé d'agir contre sa volonté, contre l'intérêt de ses peuples. Les armées prussiennes étaient arrivées devant les cantonnemens de nos troupes. Des provocations de toutes espèces, et mêmes des voies de fait avaient signalé l'esprit de haine qui animait nos ennemis, et la modération de nos soldats, qui, tranquilles à l'aspect de tous ces mouvemens, étonnés seulement de ne recevoir aucun ordre, se reposaient dans la double confiance que donnent le courage et le bon droit. Notre premier devoir a été de passer le Rhin nous-même, de former nos camps, et de faire entendre le cri de guerre. Il a retenti au coeur de tous nos guerriers. Des marches combinées et rapides les ont portés en un clin-d'oeil au lieu que nous leur avons indiqué. Tous nos camps sont formés; nous allons marcher contre les armées prussiennes, et repousser la force par la force. Toutefois, nous osons le dire, notre coeur est péniblement affecté de cette prépondérance constante qu'obtient en Europe le génie du mal, occupé sans cesse à traverser les desseins que nous formons pour la tranquillité de l'Europe, le repos et le bonheur de la génération présente, assiégeant tous les cabinets par tous les genres de séductions, et égarant ceux qu'il n'a pu corrompre, les aveuglant sur leurs véritables intérêts, et les lançant au milieu des partis, sans autre guide que les passions qu'il a su inspirer. Le cabinet de Berlin lui-même n'a point choisi avec délibération le parti qu'il prend; il y a été jeté avec art et une malicieuse adresse. Le roi s'est trouvé tout-à-coup à cent lieues de sa capitale, aux frontières de la confédération du Rhin, au milieu de son armée et vis-à-vis des troupes françaises dispersées dans leurs cantonnemens, et qui croyaient devoir compter sur les liens qui unissaient les deux états, et sur les protestations prodiguées en toutes circonstances par la cour de Berlin. Dans une guerre aussi juste, où nous ne prenons les armes que pour nous défendre, que nous n'avons provoquée par aucun acte, par aucune prétention, et dont il nous serait impossible d'assigner la véritable cause, nous comptons entièrement sur l'appui des lois et sur celui des peuples, que les circonstances appellent à nous donner de nouvelles preuves de leur dévouement et de leur courage. De notre côté, aucun sacrifice personnel ne nous sera pénible, aucun danger ne nous arrêtera, toutes les fois qu'il s'agira d'assurer les droits, l'honneur et la prospérité de nos peuples.
«Donné en notre quartier-impérial de Bamberg, le 7 octobre 1806.
NAPOLÉON.Bamberg, le 8 octobre 1806.
La paix avec la Russie, conclue et signée le 20 juillet, des négociations avec l'Angleterre, entamées et presque conduites à leur maturité, avaient porté l'alarme à Berlin. Les bruits vagues qui se multiplièrent, et la conscience des torts de ce cabinet envers toutes les puissances qu'il avait successivement trahis, le portèrent à ajouter croyance aux bruits répandus qu'un des articles secrets du traité conclu avec la Russie, donnait la Pologne au prince Constantin, avec le titre de roi; la Silésie à l'Autriche, en échange de la portion autrichienne de la Pologne, et le Hanovre à l'Angleterre. Il se persuada enfin que ces trois puissances étaient d'accord avec la France, et que de cet accord résultait un danger imminent pour la Prusse.
Les torts de la Prusse envers la France remontaient à des époques fort éloignées. La première, elle avait armé pour profiter de nos dissensions intestines. On la vit ensuite courir aux armes au moment de l'invasion du duc d'Yorck en Hollande; et, lors des événemens de la guerre, quoiqu'elle n'eût aucun motif de mécontentement contre la France, elle arma de nouveau, et signa, le 1er octobre 1805, ce fameux traité de Potsdam, qui fut, un mois après, remplacé par le traité de Vienne.
Elle avait des torts envers la Russie, qui ne peut oublier l'inexécution du traité de Potsdam et la conclusion subséquente du traité de Vienne.
Ses torts envers l'empereur d'Allemagne et le corps germanique, plus nombreux et plus anciens, ont été connus de tous les temps. Elle se tint toujours en opposition avec la diète. Quand le corps germanique était en guerre, elle était en paix avec ses ennemis. Jamais ses traités avec l'Autriche ne recevaient d'exécution, et sa constante étude était d'exciter les puissances au combat, afin de pouvoir, au moment de la paix, venir recueillir les fruits de son adresse et de leurs succès.
Ceux qui supposeraient que tant de versatilité tient à un défaut de moralité de la part du prince, seraient dans une grande erreur. Depuis quinze ans, la cour de Berlin est une arène où les partis se combattent et triomphent tour à tour; l'un veut la guerre, et l'autre veut la paix. Le moindre événement politique, le plus léger incident donne l'avantage à l'un ou à l'autre, et le roi, au milieu de ce mouvement des passions opposées, au sein de ce dédale d'intrigues, flotte incertain sans cesser un moment d'être honnête homme.
Le 11 août, un courrier de M. le marquis de Lucchesini arriva à Berlin, et y porta, dans les termes les plus positifs, l'assurance de ces prétendues dispositions par lesquelles la France et la Russie seraient convenues, par le traité du 20 juillet, de rétablir le royaume de Pologne, et d'enlever la Silésie à la Prusse. Les partisans de la guerre s'enflammèrent aussitôt; ils firent violence aux sentimens personnels du roi; quarante courriers partirent dans une seule nuit, et l'on courut aux armes.
La nouvelle de cette explosion soudaine parvint à Paris le 20 du même mois. On plaignit un allié si cruellement abusé; on lui donna sur-le-champ des explications, des assurances précises, et comme une erreur manifeste était le seul motif de ces armemens imprévus, on espéra que la réflexion calmerait une effervescence aussi peu motivée.
Cependant le traité signé à Paris, ne fut pas ratifié à Saint-Pétersbourg, et des renseignemens de toute espèce ne tardèrent pas à faire connaître à la Prusse, que M. le marquis de Lucchesini avait puisé ses renseignemens dans les réunions les plus suspectes de la capitale, et parmi les hommes d'intrigues qui composaient sa société habituelle. En conséquence il fut rappelé, on annonça pour lui succéder M. le baron de Knobelsdorff, homme d'un caractère plein de droiture et de franchise, et d'une moralité parfaite.
Cet envoyé extraordinaire arriva bientôt à Paris, porteur d'une lettre du roi de Prusse, datée du 23 août.
Cette lettre était remplie d'expressions obligeantes et de déclarations pacifiques, et l'empereur y répondit d'une manière franche et rassurante.
Le lendemain du jour où partit le courrier porteur de cette réponse, on apprit que des chansons outrageantes pour la France avaient été chantées sur le théâtre de Berlin; qu'aussitôt après le départ de M. de Knobelsdorff les armemens avaient redoublé, et que, quoique les hommes demeurés de sang-froid eussent rougi de ces fausses alarmes, le parti de la guerre soufflant la discorde de tous côtés, avait si bien exalté toutes les tètes que le roi se trouvait dans l'impuissance de résister au torrent.
On commença dès-lors à comprendre à Paris, que le parti de la paix ayant lui-même été alarmé par des assurances mensongères et des apparences trompeuses, avait perdu tous ses avantages, tandis que le parti de la guerre mettant à profit l'erreur dans laquelle ses adversaires s'étaient laissé entraîner, avait ajouté provocation à provocation, et accumulé insulte sur insulte, et que les choses étaient arrivées à un tel point, qu'on ne pourrait sortir de cette situation que par la guerre.
L'empereur vit alors que telle était la force des circonstances, qu'il ne pouvait éviter de prendre les armes contre son allié. Il ordonna ses préparatifs.
Tout marchait à Berlin avec une grande rapidité: les troupes prussiennes entrèrent en Saxe, arrivèrent sur les frontières de la confédération, et insultèrent les avant-postes.
Le 24 septembre, la garde impériale partit de Paris pour Bamberg, où elle est arrivée le 6 octobre. Les ordres furent expédiés pour l'armée, et tout se mit en mouvement.
Ce fut le 25 septembre que l'empereur quitta Paris; le 28 il était à Mayence, le 2 octobre à Wurtzbourg, et le 6 à Bamberg.
Le même jour, deux coups de carabine furent tirés par les hussards prussiens sur un officier de l'état-major français. Les deux armées pouvaient se considérer comme en présence.
Le 7, S. M. l'empereur reçut un courrier de Mayence, dépêché par le prince de Bénévent, qui était porteur de deux dépêches importantes: l'une était une lettre du roi de Prusse, d'une vingtaine de pages, qui n'était réellement qu'un mauvais pamphlet contre la France, dans le genre de ceux que le cabinet anglais fait faire par ses écrivains à cinq cents livres sterling par an. L'Empereur n'en acheva point la lecture, et dit aux personnes qui l'entouraient: «Je plains mon frère le roi de Prusse, il n'entend pas le français, il n'a sûrement pas lu cette rapsodie.» A cette lettre était jointe la célèbre note de M. Knobelsdorff. «Maréchal, dit l'Empereur au maréchal Berthier, on nous donne un rendez-vous d'honneur pour le 8; jamais un Français n'y a manqué; mais comme on dit qu'il y a une belle reine qui veut être témoin des combats, soyons courtois, et marchons, sans nous coucher, pour la Saxe.» L'empereur avait raison de parler ainsi, car la reine de Prusse est à l'armée, habillée en amazone, portant l'uniforme de son régiment de dragons, écrivant vingt lettres par jour pour exciter de toute part l'incendie. Il semble voir Armide dans son égarement, mettant le feu à son propre palais; après elle le prince Louis de Prusse, jeune prince plein de bravoure et de courage, excité par le parti, croit trouver une grande renommée dans les vicissitudes de la guerre. A l'exemple de ces deux grands personnages, toute la cour crie à la guerre; mais quand la guerre se sera présentée, avec toutes ses horreurs, tout le monde s'excusera d'avoir été coupable, et d'avoir attiré la foudre sur les provinces paisibles du Nord; alors par une suite naturelle des inconséquences des gens de cour, ou verra les auteurs de la guerre, non seulement la trouver insensée, s'excuser de l'avoir provoquée, et dire qu'ils la voulaient, mais dans un autre temps; mais même en faire retomber le blâme sur le roi, honnête homme, qu'ils ont rendu la dupe de leurs intrigues et de leurs artifices.
Voici la disposition de l'armée française:
L'armée doit se mettre en marche par trois débouchés.
La droite, composée des corps des maréchaux Soult et Ney et d'une division des Bavarois, part d'Amberg et de Nuremberg, se réunit à Bayreuth, et doit se porter sur Hoff, où elle arrivera le 9.
Le centre, composé de la réserve du grand-duc de Berg, du corps du maréchal prince de Ponte-Corvo et du maréchal Davoust, et de la garde impériale, débouche par Bamberg sur Cronach, arrivera le 8 à Saalbourg, et de là se portera par Saalbourg et Schleitz sur Géra.
La gauche, composée des corps des maréchaux Lannes et Augereau, doit se porter de Schwenfurth sur Cobourg, Graffental et Saalfed.
De mon camp impérial de Géra, le 12 octobre 1806.
«Monsieur mon frère,
Je n'ai reçu que le 7 la lettre de V. M., du 25 septembre. Je suis fâché qu'on lui ait fait signer cette espèce de pamphlet3. Je ne lui réponds que pour lui protester que jamais je n'attribuerai à elle les choses qui y sont contenues; toutes sont contraires à son caractère et à l'honneur de tous deux. Je plains et dédaigne les rédacteurs d'un pareil ouvrage. J'ai reçu immédiatement après la note de son ministre, du 1er octobre. Elle m'a donné rendez-vous le 8: en bon chevalier, je lui ai tenu parole; je suis au milieu de la Saxe. Qu'elle m'en croie, j'ai des forces telles que toutes ses forces ne peuvent balancer longtemps la victoire. Mais pourquoi répandre tant de sang? A quel but? Je tiendrai à V. M. le même langage que j'ai tenu à l'empereur Alexandre deux jours avant la bataille d'Austerlitz. Fasse le ciel que des hommes vendus ou fanatisés, plus les ennemis d'elle et de son règne, qu'ils ne sont les miens et de ma nation, ne lui donnent pas les mêmes conseils pour la faire arriver au même résultat!
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