Читать бесплатно книгу «La Vie en Famille: Comment Vivre à Deux?» Bernard Gausseron полностью онлайн — MyBook

CHAPITRE II
A LA DÉCOUVERTE

Ce que je sais le mieux c'est mon commencement, s'écriait l'Intimé. Il n'est guère de jeune marié qui puisse en dire autant. On se trouve, du jour au lendemain, lancé dans des eaux inconnues, où il faut naviguer à la découverte. La moindre imprudence peut être funeste. Toute fausse manœuvre peut faire prendre une direction qui éloignera à jamais du port, si elle n'amène pas du premier coup le naufrage. On ne saurait donc trop consulter la boussole et se conformer aux règles de la navigation, au début de ce voyage au long cours dans des mers ignorées.

Ce sont ces dangers qu'ont en vue les moralistes et les pères de famille lorsqu'ils mettent en garde contre les unions précipitées.

«Dans la jeunesse, dit Ferrand dans ses conseils à son fils, on est exposé souvent à se laisser séduire par les apparences; on croit voir des avantages réels dans ce qui n'en a que les dehors. On contracte étourdiment un lien indissoluble; on reconnaît trop tard son erreur: l'union se perd, l'aigreur s'en mêle, de là les séparations, les scandales publics, et la mauvaise éducation que reçoivent presque toujours des enfants nés d'un mariage mal assorti.»

Il dit encore: «Il est affreux d'être uni à un être dont la société est un tourment qui ne doit finir qu'avec la vie; surtout gardez-vous de vous laisser séduire par les charmes de sa figure, avant de savoir quel est son caractère… La figure passe, le caractère reste; et l'on se trouve condamné aux regrets d'avoir été trompé, et de l'être pour toujours.»

«Beauté de femme n'enrichit homme», dit le proverbe.

Pour éviter cet écueil, on a conseillé de n'arriver au mariage qu'après de longues fiançailles, permettant aux futurs époux de bien se connaître avant de s'engager. C'est ainsi que nous lisons dans un des Essais du Spectator: «Généralement les mariages où il y a le plus d'amour et de constance sont ceux qu'une longue cour a précédés. Il faut que la passion jette des racines et acquière de la force, avant d'y greffer le mariage. Une longue suite d'espérance et d'attente fixe l'idée dans notre esprit, et nous habitue à la tendresse pour la personne aimée.»

L'écrivain anglais ne s'arrête pas là. Il nous donne les indices d'après lesquels on pourra pronostiquer l'avenir du ménage:

«Un bon naturel et une humeur égale vous donneront pour la vie une compagne – ou un compagnon – facile; la vertu et le bon sens, un ami agréable; – l'amour et la constance, une bonne femme – ou un bon mari.»

Il est vrai qu'il ajoute cette remarque amère:

«Pour une personne que l'on rencontre avec ces qualités à la fois, on en trouve cent qui n'en ont pas même une.»

Espérons que la proportion n'est pas exacte, et ne soyons pas trop exigeants, chacun de notre côté. Si le jeune mari ne se sent pas toutes les qualités requises, de quel droit les réclamerait-il chez sa femme? Et réciproquement. Que celles qu'on a fassent oublier celles qu'on n'a pas, et que l'indulgence mutuelle supplée finalement à ce qui fait défaut. Et puis, s'il est bon d'avoir un idéal très élevé et d'en poursuivre la réalisation, c'est chez soi et en vue de sa propre amélioration, bien plus que chez autrui. Dans les rêves du jeune homme, la fiancée prend des allures d'ange; et quand la jeune fille évoque l'image de celui qui sera son mari, à peine les flamboyants chérubins ou les séraphins doux et charmants de Jéhovah paraissent-ils dignes de lui être comparés. Mais, comme le dit excellemment Fontenelle, «les choses ne passent point de l'imagination à la réalité, qu'il n'y ait de la perte,» et c'est ce qu'il est bien important de ne point oublier. C'est le meilleur moyen de ne pas donner raison au proverbe:

Aujourd'hui marié, demain marri.

La grande part de responsabilité – je ne dis pas toute la responsabilité, – à cette époque des débuts, appartient à celui des deux époux qui a, d'ordinaire, le plus d'expérience, le plus de sang-froid, la volonté la plus nette et la plus ferme, c'est-à-dire à l'homme. «Le bonheur d'un ménage, fait dire fort justement à un de ses personnages un romancier contemporain, dépend plus souvent du mari que de la femme: à lui de bien diriger sa barque, de savoir où il veut aller. A moins de se heurter à une nature exceptionnelle, à un tempérament terrible, on doit pouvoir se créer l'existence que l'on cherche en se mariant5

Le spirituel auteur d'un petit livre publié chez J. – P. Roret, en 1829, sous le titre de Code Conjugal, Horace Raisson, éclaire d'une comparaison saisissante ce que nous voulons faire comprendre ici. «S'il faut en tout temps, écrit-il, être attentif à écarter les sujets de désordre, on doit s'y appliquer davantage encore dans le commencement de son union. Rien n'est plus aisé que de séparer deux pièces de bois fraîchement unies ensemble: au bout de quelque temps, on a peine à les détacher par le fer et le feu.»

Il insiste et ajoute avec un grand bon sens: «La lune de miel est le véritable moment critique du mariage. Tout en en savourant la douceur, il faut se tracer pour l'avenir une ligne de conduite fixe et immuable, et ne pas imiter ces maris, charmants durant le premier quartier, et détestables dès la pleine lune.

»… En ménage (et la lune de miel est déjà du ménage), il faut, avant tout, du naturel. La seule manière de prolonger la lune de miel est donc de ne pas jouer le rôle d'amant-mari, et de se montrer dès le premier jour ce que l'on sera constamment.»

C'est une pensée analogue qui fait dire à madame de Lambert dans son opuscule sur l'amitié: «Nous sommes d'ordinaire avec les autres comme nous sommes avec nous-mêmes. Les personnes sages savent établir la paix chez eux, et la communiquent aux autres. Sénèque dit: «J'ai assez profité pour apprendre à être mon ami.» Quiconque sait vivre avec soi-même, sait vivre avec les autres. Les caractères doux et paisibles répandent de l'onction sur tout ce qui les approche.»

Montrons-nous donc tels que nous sommes, mais tâchons d'être bons et commodes à vivre. Ce serait pallier le mal pour un temps plus ou moins bref, mais nullement le guérir, que se revêtir d'un masque, changer artificiellement et artificieusement nos allures, exprimer des sentiments qui ne sont point nôtres, faire, en un mot, fût-ce pour le plus louable des motifs, le personnage de Faux-Semblant.

Croyons-en l'observation de madame de Rémusat: «Dans un nouveau ménage, si un caractère se prononce avec rudesse, le plus doux plie et ruse; c'est assurément la femme qui se soumet ainsi le plus souvent; mais quelquefois aussi c'est l'homme. Au surplus, alors, quel que soit le trompeur ou le trompé, le but de l'association est manqué; je n'espère plus de tendresse, ni d'estime, là où je ne vois ni confiance ni sincérité.»

Ce n'est pas qu'il soit interdit d'être adroit. C'est fourbe et vil qu'il ne faut pas être. La vie isolée est, dans toutes les conditions, un art complexe et difficile; combien plus la vie à deux! Nous n'hésiterons donc pas à transcrire les conseils, à la fois mondains, sages et pratiques, qu'Horace Raisson donne au nouvel époux qui rencontre inopinément chez sa jeune femme des habitudes et des goûts opposés aux siens ou en désaccord avec son état dans le monde.

«Un mari, suppose-t-il, aime l'étude, la simplicité, la retraite; sa femme ne se plaît que dans le monde, le faste, la dissipation; sera-t-il nécessaire que l'un sacrifie son bonheur au caprice de l'autre? La philosophie conjugale n'est-elle pas alors un devoir, presque une vertu? Il y a toujours danger à contrarier un vif désir ou une habitude dès longtemps contractée; le plus sage est de laisser une jeune femme satisfaire ses goûts de danse, de parure, de spectacles, au lieu de s'opposer à sa volonté. On fait ainsi naître la satiété, où l'on aurait aiguillonné le caprice, et la soumission se montre bientôt, où se fût stimulée la résistance.»

Je ne sais au juste ce que Raisson entendait par soumission et résistance, et je ne veux point revenir sur ce que j'ai eu l'occasion de déclarer à propos de l'obéissance, dont le code fait aux femmes une obligation au bénéfice des maris. Pour nous, l'arbitraire est toujours de la tyrannie, et le mari n'a de droit sur la conduite de sa femme que celui qu'il puise dans une raison plus mûre et une expérience plus étendue. C'est dans ces limites seulement et avec cette interprétation que je me range à la méthode préconisée par Horace Raisson dans le passage qui précède; et je conclus d'autant plus facilement avec lui que «l'art d'obtenir beaucoup consiste à ne rien exiger».

De tout ce qui vient d'être dit, – insistons sur ce point, – la femme peut et doit faire son profit, aussi bien que l'homme. Les préjugés dûs à une éducation surannée, mais à laquelle bien peu de jeunes filles échappent encore, une timidité exagérée et hors de place, des scrupules d'autant plus tenaces qu'ils sont dictés par l'ignorance, des maladresses de parole ou d'action qui sont des naïvetés et que le mari ressent parfois comme des injures, des riens de mille sortes qui tirent une importance capitale du moment et du lieu, sont souvent des semences que la jeune femme jette étourdiment sur le terrain conjugal, encore inexploré, et qui, si le mari ne sarcle ces mauvaises herbes à mesure qu'elles germent, porteront une moisson de querelles, de désordre et de destruction.

Si donc le jeune mari, en raison de son éducation physique, intellectuelle et morale, encore plus qu'en raison d'une supériorité quelconque de nature dont il serait vain d'arguer, est presque toujours le plus directement responsable, des deux côtés la tâche est égale; car les doigts délicats de la femme peuvent, aussi bien que la rude main de l'homme, briser, dès le départ, le vase trop fragile du bonheur commun.

CHAPITRE III
LES ENNEMIS

Les parages où les jeunes mariés ont à diriger le navire conjugal leur sont inconnus; mais ils sont, en outre, sillonnés de courants perfides et semés d'écueils.

Les personnes mêmes qui, jusqu'alors, avaient été pour le jeune homme et la jeune fille les guides et les appuis les plus sûrs, deviennent trop souvent, sinon des ennemis déclarés, du moins des amis égoïstes dont les conseils sont pernicieux et les prétentions destructrices de la paix entre les époux.

Loin de nous la pensée de rompre les liens de famille pour mieux resserrer le nœud conjugal. Un mariage devrait être, à vrai dire, la greffe d'une famille sur une autre, et les parents des deux mariés devraient se sentir intimement unis les uns aux autres dans l'intime union de leurs enfants. Malheureusement il n'en va pas toujours ainsi. Il semble au père et à la mère, lorsque l'enfant – surtout la fille – forme un nouveau ménage, que c'est leur bien dont on les prive. Les plus raisonnables se font difficilement à l'idée de ne plus exercer de contrôle, de ne plus être les guides et les maîtres de leur enfant. Après avoir si longtemps remorqué – au prix souvent de combien de peines et de sacrifices! – la jeune barque, ils sont tout désolés et déconcertés de la voir voguer de ses propres voiles, de conserve avec un autre vaisseau qui leur est inconnu. De là des douleurs et des regrets infiniment respectables, mais qui se traduisent quelquefois dans la vie pratique par des efforts inconsidérés pour garder la haute influence, dont ils usent naturellement en sens inverse de celle qui devrait légitimement dominer la leur.

La lutte qui s'ensuit nécessairement n'est pas de nature à établir l'harmonie dans le jeune ménage. On a vu des femmes, incapables de se soustraire à la domination – disons, si vous voulez, à la tendresse – de leur mère, se mettre, à ce propos, en révolte ouverte contre le mari et quitter la maison conjugale, pour reprendre, dans la maison paternelle, la posture d'enfant soumise dont l'éducation leur avait donné le pli. Parmi les garçons, de tels exemples sont infiniment plus rares, mais on en trouverait.

Les parents sont bien coupables ou bien aveugles qui, ne sachant pas vaincre leurs sentiments d'affection égoïste, ne se résignent pas à abdiquer ce qu'ils appellent leurs droits, même au lendemain du mariage de leurs enfants.

Qu'on ne se méprenne pas sur notre pensée! Personne plus que nous n'est touché du spectacle qu'offrent certaines familles, plus nombreuses qu'on ne le croit, où la plus douce entente règne entre tous, depuis les grands parents jusqu'aux petits-enfants. Le respect des uns, la condescendance des autres, l'affection de tous unissent admirablement les cœurs sans entraver les volontés. C'est à ce résultat qu'il faut tendre, et l'on peut toujours espérer d'y arriver. Il vaut bien, d'ailleurs, qu'on se gêne un peu dans les commencements, que l'on consente à des concessions, qu'on se soumette à des sacrifices. «Il faut se conformer aux habitudes, au ton, à la manière de la famille dans laquelle on entre, sous peine de voir la paix bannie de son ménage», dit fort sagement Horace Raisson.

Je goûte moins cet autre conseil présenté sous forme de maxime: «Si les belles-mères savaient dissimuler, les brus se taire, et les maris prendre patience, toutes les familles seraient en paix.»

Se taire, quand on n'a rien de bon ou d'agréable à dire, est, à coup sûr, fort sage; et, quoi qu'on ait raconté de la langue des femmes, la jeune épouse, en songeant que le bonheur de celui qu'elle aime et le sien propre sont en jeu, ne devra pas trouver l'effort au-dessus d'elle. Mais pourquoi la belle-mère dissimulerait-elle, et qu'a-t-elle à dissimuler? Le mot est vilain et la chose plus vilaine encore. Pourquoi lui supposer des sentiments inavouables, de la jalousie, du dépit, de la haine, contre celle que son fils a choisie pour compagne? Si son cœur est agité de telles passions, ce n'est pas à les dissimuler qu'elle doit travailler de toutes ses forces; c'est à les combattre, à les déraciner, à les détruire. Elle y parviendra assurément, si c'est son fils qu'elle aime, et non pas elle en son fils.

Une Anglaise, Mrs. Chapone, donne d'excellents conseils à la jeune mariée à propos des relations qu'elle aura à entretenir avec la famille et les amis de son mari. Nous ne pouvons mieux faire que de les transcrire. «Votre conduite vis-à-vis de ses amis particuliers et de ses proches parents, dit-elle à la nouvelle épouse, auront le plus important effet sur votre bonheur mutuel. Si vous n'adoptez pas ses sentiments en ce qui les concerne, votre union restera très imparfaite, et mille incidents désagréables en surgiront constamment…

«Il faut prendre grand soin de partager, extérieurement du moins, votre respect et votre affection d'une manière égale et honnête entre les parents de votre mari et les vôtres. Il serait heureux que vos sentiments pussent être les mêmes pour les uns comme pour les autres; mais, que cela soit ou non, le devoir et la sagesse vous obligent à cultiver autant que possible le bon vouloir et l'amitié de la famille qui vous a adoptée, sans préjudice de l'affection et de la gratitude dont vous ne pouvez manquer, j'en suis sûr, à l'égard de la vôtre.»

Que la bru fasse preuve de ces sentiments, et, si la belle-mère lui refuse une part dans son affection, – que voulez-vous? – la belle-mère méritera tous les sarcasmes et toutes les malédictions que la satire populaire lui a toujours si libéralement octroyés.

C'est bien à regret que nous avons dû commencer par les parents cette revue des ennemis que doit redouter le jeune ménage. Mais quand on a à dire une vérité désagréable, mieux vaut la dire du premier coup. C'est à eux, d'un côté, et aux nouveaux mariés de l'autre, de ne pas changer en un fléau, également funeste au bonheur de tous, l'affection profonde par laquelle le père, la mère et les enfants se sentent liés les uns aux autres. Il suffit de s'imposer, d'une part, des ménagements et des respects dont les fils et les filles ne se doivent départir jamais, et, de l'autre, un peu de désintéressement, disons même, si vous voulez, d'abnégation. Le problème n'est insoluble pour personne, et on le voit bien, après tout, au grand nombre de ceux qui le résolvent.

Une autre catégorie d'ennemis, moins intéressants et plus perfides, est celle des amies d'enfance. Il faut lire, dans le Code conjugal d'Horace Raisson, les pages de fine physiologie qu'il leur consacre. «Dès qu'il est question dans le monde du mariage d'une jeune personne, les amies de pension accourent: à leurs questions volubiles, on juge que c'est la curiosité bien plus qu'un tendre intérêt qui les excite… «Tu te maries? ton prétendu est-il aimable, beau?.. l'aimes-tu?.. voyons la corbeille?» Puis viennent les commentaires, les projets. On se quitte: celles qui sont filles lèvent au ciel un regard d'envie; celles qui sont mariées poussent un soupir de regret ou de souvenance.

 



















Бесплатно

0 
(0 оценок)

Читать книгу: «La Vie en Famille: Comment Vivre à Deux?»

Установите приложение, чтобы читать эту книгу бесплатно