Читать бесплатно книгу «Le comte de Moret» Александра Дюма полностью онлайн — MyBook

Mlle Paulet donna avec une grâce des plus provocantes un petit coup d'éventail sur les doigts de Rotrou, en disant:

– Continuez, vaurien, plus vite vous aurez fini, mieux sera.

– Oui, ad eventum festina, selon le précepte d'Horace. Eh bien! M. Corneille, en sa qualité de poète, suivit les conseils de l'ami de Mécène, il ne prit pas la peine d'attendre: il revient seul chez la demoiselle, bat en brèche la place, qui ne s'appelait pas Fidélité, à ce qu'il paraît, et des ruines du bonheur de son ami, bâtit son propre bonheur; et ce bonheur est si grand, que tout à coup il fait jaillir du cœur de monsieur une source de poésie qui n'est autre que celle à laquelle se désaltèrent Pégase et ces neuf pucelles qu'on appelle les Muses.

– Voyez un peu, dit Mme la princesse, où l'hypocrène va se nicher, dans le cœur d'un clerc de procureur! En vérité, c'est à n'y pas croire.

– Jusqu'à preuve du contraire, n'est-ce pas, madame la princesse? Cette preuve, mon ami Corneille vous la donnera.

– Voilà une dame bien heureuse, dit mademoiselle Paulet. Si la comédie de Corneille a le succès que lui prédit M. de Rotrou, elle est immortalisée.

– Oui, répéta Mlle de Scudéri avec sa sécheresse ordinaire, mais je doute que pendant cette immortalité, durât-elle autant que celle de la sibylle de Cumes, une pareille célébrité lui procure un mari.

– Eh! trouvez-vous, mon Dieu, dit Mlle Paulet, que ce soit un si grand malheur de rester fille? Ah! quand on est jolie, bien entendu. Demandez à Mme de Combalet, si c'est une si divine joie que d'être mariée.

Mme de Combalet se contenta de pousser un soupir, en levant les yeux au ciel et en hochant tristement la tête.

– Avec tout cela, dit Mme la princesse, M. Corneille nous avait offert de nous réciter des rimes de sa comédie.

– Oh! il est tout prêt, dit Rotrou; demander des vers à un poëte, c'est demander de l'eau à une source. Allons, Corneille, allons, mon ami.

Corneille rougit, balbutia, appuya la main sur son front, et, d'une voix qui semblait plutôt faite pour la tragédie que pour la comédie, il récita les vers suivants:

 
Je te l'avoue, ami, mon mal est incurable;
Je ne sais qu'un remède, et j'en suis incapable!
Le change serait juste après tant de rigueur,
Mais, malgré ses dédains, Mélite a tout mon cœur;
Elle a sur mes esprits une entière puissance;
Si j'ose murmurer, ce n'est qu'en son absence,
Et je ménage en vain, dans un éloignement,
Un peu de liberté pour mon ressentiment;
D'un seul de ses regards, l'adorable contrainte
Me rend tous mes liens, en resserre l'étreinte,
Et par un si doux charme aveugle ma raison,
Que je cherche le mal et fuis la guérison.
Son œil agit sur moi d'une vertu si forte,
Qu'il ranime soudain mon espérance morte,
Combat les déplaisirs de mon cœur irrité
Et soutient mon amour contre sa cruauté.
Mais ce flatteur espoir qu'il rejette en mon âme
N'est qu'un doux imposteur qu'autorise ma flamme
Et qui, sans m'assurer ce qu'il semble m'offrir,
Me fait plaire en ma peine et m'obstine à souffrir.
Le jour qu'elle naquit, Vénus, bien qu'immortelle,
Pensa mourir de honte en la voyant si belle;
Les Grâces, à l'envi, descendirent des cieux
Pour se donner l'honneur d'accompagner ses jeux,
Et l'amour, qui ne put entrer dans son corsage,
Voulut obstinément loger sur son visage.
 

Deux ou trois fois, des murmures flatteurs avaient salué des vers qui prouvaient que le pur Phœbus, si fort à la mode dans la société parisienne, avait fait invasion dans la société de province, et que les beaux esprits n'étaient pas tous hôtel Rambouillet et place Royale, mais à ce dernier vers:

 
Voulut absolument loger sur son visage,
 

les applaudissements éclatèrent, Mme de Rambouillet ayant donné la première le signal. Quelques hommes seulement, au nombre desquels était le plus jeune des frères Montausier, qui ne pouvait souffrir cette poésie de concetti et d'antithèses, protestèrent par leur silence.

Mais le poëte ne les remarqua même point, et, enivré de ces applaudissements que lui donnait la fleur des beaux esprits parisiens, il s'inclina en disant:

– Vient ensuite le sonnet à Mélite, dois-je le dire?

– Oui! oui! oui! s'écrièrent à la fois Mme la princesse, Mme de Rambouillet, la belle Julie, Mlle Paulet, et tous ceux qui modelaient leur goût sur celui de la maîtresse de la maison.

Corneille continua:

 
Après l'œil de Mélite, il n'est rien d'admirable,
Il n'est rien de solide après ma loyauté.
Mon feu, comme son teint, se rend incomparable
Et je suis en amour ce qu'elle est en beauté!
 
 
Quoi que puisse à mes sens offrir la nouveauté,
Mon cœur à tous les traits demeure invulnérable
Et, quoiqu'elle ait au sien la même cruauté,
Ma foi pour ses rigueurs n'en est pas moins durable.
 
 
C'est donc avec raison que mon extrême ardeur
Trouve chez cette belle une extrême froideur
Et que sans être aimé, je brûle pour Mélite.
 
 
Car de ce que les dieux, nous envoyant au jour,
Donnèrent pour nous deux d'amour et de mérite:
Elle a tout le mérite, et moi j'ai tout l'amour.
 

Les sonnets avaient sur toutes les poésies le privilége de soulever l'enthousiasme, et quoique Boileau n'eût pas encore dit, puisqu'il ne devait naître que huit ans plus tard celui-là, trouvé sans défaut, surtout par les femmes, fut applaudi à outrance, et Mlle Scudéri elle-même daigna rapprocher les mains.

 
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poëme,
 

Rotrou surtout jouissait du triomphe de son ami, et, cœur loyal, plein de tendresse et de dévouement, était au comble de la joie.

– En vérité, monsieur de Rotrou, dit madame la princesse, vous aviez raison, et votre ami est un jeune homme qu'il faut soutenir.

– Si c'est votre avis, madame, est-ce que par Son Altesse monsieur le prince, vous ne pourriez pas obtenir pour lui quelque petite place? dit Rotrou, en baissant la voix, de manière à n'être entendu que de Mme de Condé seule; car il est sans fortune, et, vous le voyez, il serait fâcheux que, faute de quelques écus, un si beau génie avortât.

– Ah! bien oui, monsieur le prince! c'est bien à lui qu'il faut aller parler poésie. L'autre jour, il me trouve dînant avec M. Chapelain; il m'appelle pour me dire je ne sais quoi, puis, quand il a fini, il revient et me demande:

«A propos, quel est ce petit noireau qui dîne avec vous?

« – C'est M. Chapelain, lui répondis-je, croyant avoir tout dit.

«Qui est-ce cela? M. Chapelain!

«Celui qui a fait la Pucelle.

« – La Pucelle! ah! c'est donc un statuaire!..

– Mais j'en parlerai à Mme de Combalet qui en parlera au cardinal. Consentirait-il à travailler aux tragédies de Son Eminence?

– Il consentira à tout, pourvu qu'il puisse rester à Paris. Jugez, s'il a fait de pareils vers dans une étude de procureur, ce qu'il ferait dans un monde comme celui dont vous êtes la reine, et la marquise le premier ministre!

– C'est bon! faites jouer Mélite; qu'elle réussisse, et nous arrangerons tout cela!

Et elle tendit sa belle main princière à Rotrou, qui la prit dans la sienne et la regarda comme si elle lui appartenait.

– Eh bien! à quoi pensez-vous? demanda Mme la princesse.

– Je regarde s'il y a sur cette main place pour deux bouches de poëtes. Hélas! non, elle est trop petite!

– Par bonheur, dit Mme de Condé, le Seigneur m'en a donné deux, une pour vous, l'autre pour qui vous voudrez.

– Corneille! Corneille! cria Rotrou, viens ici. Mme la princesse, en faveur du sonnet à Mélite, permet que tu lui baises la main.

Corneille demeura stupéfait, il eut un éblouissement et faillit tomber. Dans une même soirée et le jour de son début dans le monde, baiser la main de Mme la princesse et être applaudi par Mme de Rambouillet, jamais ses rêves les plus ambitieux n'avaient prétendu à une seule de ces deux faveurs.

Pour qui était la gloire? était-ce pour Corneille et pour Rotrou, qui baisaient les deux mains de la femme du premier prince du sang; était-ce pour Mme de Condé, dont les deux mains étaient baisées à la fois par les deux futurs auteurs de Venceslas et du Cid.

La postérité consultée a dit que l'honneur était pour Mme la princesse.

Pendant ce temps, maître Claude, la baguette à la main, comme le Polonius d'Hamlet, était venu parler bas à la marquise de Rambouillet, et après avoir écouté son maître d'hôtel et lui avoir de son côté donné, assez bas pour que personne ne les pût entendre, quelques ordres et quelques recommandations, la marquise avait relevé sa tête et dit en souriant:

– Très nobles et très chers seigneurs, très précieuses et très bonnes amies, quand je ne vous eusse invités à passer la soirée chez moi aujourd'hui que pour vous faire entendre les vers de M. Corneille, vous n'auriez déjà point à vous plaindre; mais je vous ai convoqués dans une intention plus matérielle, dans un but moins éthéré. Je vous ai souvent parlé de la supériorité des sorbets et des glaces d'Italie sur les glaces et les sorbets de France; or, j'ai tant et si bien cherché, que j'ai trouvé un glacier arrivant tout droit de Naples, et que je puis enfin vous en faire goûter. Je ne dirai donc pas: Qui m'aime me suive, mais: Qui aime les glaces me suive. Monsieur de Corneille, donnez moi le bras.

– Voici mon bras, monsieur de Rotrou, dit Mme la princesse, qui avait résolu de suivre en tout, ce soir-là, l'exemple de Mme la marquise.

Corneille, tout tremblant, et avec la gaucherie d'un homme de génie qui arrive de sa province, tendit son bras à la marquise, en même temps que Rotrou, galamment et comme un cavalier accompli, présentait en l'arrondissant le sien à Mme de Condé. Le comte de Salles, le cadet des deux frères Montausier et le marquis de Montausier s'offrirent, l'un à être le cavalier de la belle Julie, l'autre, celui de Mlle Paulet. Gambaull s'accommoda de Mlle de Scudéri, et les derniers s'arrangèrent comme ils l'entendirent.

Mme de Combalet, qui, avec son habit de carmélite, dont la sévérité n'était mitigée que par un frais bouquet de violettes et de boutons de roses qu'elle portait à sa guimpe, ne pouvait donner le bras à aucun homme, avait pris son rang immédiatement après Mme la princesse, appuyée à celui de Mme de Saint-Etienne, la seconde fille de la marquise, qui, elle aussi, était en religion. Cependant, il y avait cette différence entre elle et Mme de Combalet, que chaque jour Mme de Saint-Etienne faisait un pas de plus pour y entrer et Mme de Combalet un pas de plus pour en sortir.

Jusque-là, il n'y avait rien qui eût surpris la société dans l'invitation de Mme de Rambouillet; mais l'étonnement fut grand lorsque l'on vit la marquise, qui avait, en sa qualité de guide, passé devant la princesse, se diriger vers un endroit de la muraille où l'on savait qu'il n'existait ni porte ni issue.

Arrivée là, elle frappa la muraille de son éventail.

Aussitôt la muraille s'ouvrit comme par enchantement, et l'on se trouva sur le seuil d'une magnifique chambre parée d'un ameublement de velours bleu, rehaussé d'or et d'argent; les tentures étaient de velours pareil à celui des meubles, avec des ornements semblables. Au milieu de cette chambre s'élevait une espèce d'étagère à quatre faces, chargée de fleurs, de fruits, de gâteaux et de glaces, dont deux charmants petits génies, qui n'étaient autres que les deux sœurs cadettes de Julie d'Angennes et de Mme de Saint-Etienne, faisaient les honneurs.

Le cri d'admiration poussé par la société fut unanime. On savait qu'il n'y avait derrière la muraille que le jardin des Quinze-Vingts, et l'on voyait tout à coup apparaître une chambre si bien meublée, si bien tapissée, avec un plafond si bien peint, que l'on pouvait croire qu'il n'y avait qu'une fée qui en pût être l'architecte, et un magicien le décorateur.

Pendant que chacun s'extasiait sur le goût et la richesse de ce cabinet qui, sous le nom de la chambre bleue, devait devenir si célèbre par la suite, Chapelain avait pris crayon et papier, et, dans un coin du salon, il esquissait les trois premières stances de cette fameuse ode à Zirphée, qui fit presque autant de bruit que la Pucelle, et qui eut l'honneur de lui survivre.

On avait vu l'acte de Chapelain, et l'on avait deviné son intention; aussi se fit-il un profond silence, lorsque celui qui passait pour le premier poète de son temps se leva, et l'œil inspiré, la main étendue, la jambe en avant, dit d'une voix sonore les vers suivants:

 
Urgande sut bien autrefois,
En faveur d'Amadis et de sa noble bande,
Par ses charmes fixer les lois
Du temps à qui les cieux veulent que tout se rende.
J'ai dû faire à vos yeux ce qu'on a fait jadis,
Conserver Arthénice avec l'art dont Urgande
A su conserver Amadis.
 
 
Par la puissance de cet art,
J'ai construit cette loge, aux maux inaccessible,
Du temps et du sort à l'écart,
Franche des changements de l'être corruptible,
Pour qui, seule en roulant, les cieux ne roulent pas,
Bref où ne montrent pas leur visage terrible,
La vieillesse, ni le trépas.
 
 
Cette incomparable beauté,
Que cent maux attaquaient et pressaient de se rendre,
Par cet édifice enchanté
Trompera leurs efforts et s'en pourra défendre;
Elle y brille en son trône et son éclat divin
De là sur les mortels va désormais s'épandre
Sans nuage, éclipse, ni fin.
 

Trois salves d'applaudissements et des cris d'enthousiasme accueillaient cette improvisation, lorsqu'au milieu des hourrahs et des bravos, un homme se précipita dans la chambre que l'on venait d'inaugurer, pâle et couvert de sang, en s'écriant:

– Un chirurgien! un chirurgien! Le marquis Pisani vient de se battre avec Souscarrières et il est dangereusement blessé.

Et en effet, en même temps, on voyait au fond du salon le marquis Pisani que deux valets soutenaient entre leurs bras, sans connaissance et pâle comme un mort.

– Mon fils! Mon frère! Le marquis! furent les trois cris qui retentirent; et sans s'occuper davantage de la chambre bleue, si tristement inaugurée, chacun se précipita du côté du blessé.

Au moment même où le marquis Pisani était rapporté évanoui à l'hôtel Rambouillet, un événement inattendu, qui allait singulièrement compliquer la situation, jetait dans l'étonnement les commensaux de l'hôtel de la Barbe Peinte.

Etienne Latil, que l'on croyait mort, et que l'on avait couché sur une table en attendant que l'on cousît son linceul et qu'on eût assemblé les planches de sa bière, fit un soupir, ouvrit les yeux, et murmura d'une voix faible, mais parfaitement intelligible, ces deux mots:

– J'ai soif!

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