Читать бесплатно книгу «Le comte de Moret» Александра Дюма полностью онлайн — MyBook

CHAPITRE V.
CE QUI SE PASSAIT A L'HOTEL RAMBOUILLET, AU MOMENT OU SOUSCARRIÈRES SE DÉBARRASSAIT DE SON TROISIÈME BOSSU

Or, pendant cette soirée du 5 décembre 1628, où nous avons ouvert dans l'hôtellerie de la Barbe Peinte le premier chapitre de ce livre, toutes les illustrations littéraires de l'époque, tout ce qui formait cette société, qui plus tard tomba dans le ridicule, et que ridiculisa Molière, était rassemblé dans l'hôtel de la marquise, non point comme visiteurs ordinaires, familiers de la maison, mais comme invités, chacun d'eux ayant reçu un billet de Mme de Rambouillet qui lui annonçait qu'il y avait chez elle assemblée extraordinaire.

Aussi n'était-on pas venu, on était accouru.

Tout était événement, à cette bienheureuse époque où les femmes commençaient à prendre une influence sur la société; la poésie était en enfantement; elle avait, dans le siècle précédent, donné Marot, Garnier et Ronsard; elle bégayait ses premières tragédies, ses premières pastorales, ses premières comédies, avec Hardy, Desmarets, Rességuier, et elle allait, grâce à Rotrou, à Corneille, à Molière et à Racine, placer par sa littérature dramatique la France à la tête de toutes les nations, et parfaire cette belle langue, qui, créée par Rabelais, épurée par Boileau, filtrée par Voltaire, devait devenir, à cause de sa clarté, la langue diplomatique des peuples civilisés. La clarté est la loyauté des langues.

Le grand génie du seizième siècle, et, disons mieux, de tous les siècles, William Shakespeare, était mort il y avait douze ans, connu des seuls Anglais. La popularité européenne du grand poète d'Elisabeth, que l'on ne s'y trompe pas, est toute moderne. Aucun des beaux esprits rassemblés chez Mme de Rambouillet n'avait jamais même entendu prononcer le nom de celui que, cent ans plus tard, Voltaire appelait un barbare. D'ailleurs, dans un temps où le théâtre appartenait à des pièces comme la Délivrance d'Andromède, la Conquête du sanglier de Calydon et la Mort de Bradamante, des œuvres comme Hamlet, comme Macbeth, comme Othello, comme Jules César, comme Roméo et Juliette et comme Richard III, eussent été des morceaux de bien dure digestion pour des estomacs français.

Non, c'était de l'Espagne que nous venait la ligue avec les Guises, les modes avec la reine, et la littérature avec Lope de Vega, Alarcon, Tirso de Molina; Calderon n'avait pas encore paru.

Fermons cette longue parenthèse, qui s'est ouverte toute seule et par la force des choses, pour reprendre notre phrase à ces mots: tout était événement à cette bienheureuse époque, et nous allions ajouter qu'une invitation de Mme de Rambouillet était un double événement.

On savait que la grande préoccupation, et surtout le grand plaisir de la marquise était de faire des surprises à ses invités; elle fit un jour à M. l'évêque de Lisieux, Philippe de Cospean, une surprise à laquelle, à coup sûr, un évêque ne devait guère s'attendre. Il y avait dans le parc de Rambouillet une grande roche circulaire de laquelle jaillissait une fontaine; un rideau d'arbres l'abritait en la voilant; elle était consacrée par les souvenirs de Rabelais, qui souvent en faisait son cabinet de travail, quelquefois sa salle à manger. La marquise y conduisit M. de Lisieux, un beau matin; au fur et à mesure qu'il en approchait, le prélat clignait de l'œil, apercevant à travers les branches quelque chose de brillant dont il ne pouvait se rendre compte. Cependant s'approchant toujours, il lui sembla qu'il finissait par distinguer sept ou huit jeunes femmes vêtues en nymphes, c'est-à-dire très-peu vêtues.

C'était, en effet, Mlle de Rambouillet en costume de Diane, le carquois sur l'épaule, l'arc à la main, le croissant sur la tête, et toutes les demoiselles de la maison, qui, groupées sur la roche, y faisaient, dit Tallemant des Réaux, le plus agréable spectacle du monde. Un évêque de nos jours se scandaliserait peut-être à ce spectacle le plus agréable du monde, mais M. de Lisieux fut au contraire si charmé, que jamais il ne voyait la marquise sans lui demander des nouvelles des roches de Rambouillet. Et comme on faisait observer à celle-ci qu'en pareille circonstance Actéon avait été changé en cerf et déchiré par les chiens, elle répondait que le cas était hors de comparaison, et que le bon évêque était si laid que les nymphes pouvaient bien faire de l'effet sur lui, mais qu'il n'en pouvait faire sur les nymphes, si ce n'était cependant de les mettre en fuite. Au reste, M. de Lisieux connaissait bien sa laideur, et était même le premier à en plaisanter, car, ayant sacré l'évêque de Riez, qui était loin d'être un Adonis, et celui-ci étant allé le remercier: – Hélas! monsieur, lui dit-il, c'est à moi de vous rendre des grâces, au contraire, car, avant que vous fussiez mon collègue, j'étais le plus laid des évêques de France.

Peut-être toute la partie masculine de la société de Mme de Rambouillet, plus nombreuse encore que la partie féminine, s'attendait-elle à ce que la marquise ferait ce soir-là à ses invités une surprise dans le genre de celle qu'elle avait faite à M. de Lisieux, et était-elle accourue dans cet espoir? Aussi régnait-il dans cette précieuse assemblée cette inquiète curiosité qui précède les grands événements, ignorés encore, mais dont on a cependant une vague perception.

La conversation roulait sur toutes choses d'amour et de poésie, mais plus particulièrement sur la dernière pièce que venaient de représenter les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, où la société commençait à aller depuis que Belle-Rose, la Beaupré, sa femme, Mlle Vaillot, la Villiers et Mondory avaient pris la direction du théâtre.

Mme de Rambouillet les avait mis à la mode, en leur faisant jouer chez elle Frédégonde, ou le Chaste Amour, de Hardy. Depuis ce temps, il avait été décidé que les femmes honnêtes, qui jusque-là n'avaient point fréquenté l'hôtel de Bourgogne, y pouvaient aller.

Cette pièce dont on s'occupait était le début d'un très jeune homme que protégeait la marquise, et qui se nommait Jean de Rotrou. Elle avait pour titre: l'Hypocondriaque, ou le Mort amoureux. Quoique de médiocre valeur, elle venait d'avoir, grâce à l'appui que lui donnait l'hôtel Rambouillet, assez de succès pour que le cardinal de Richelieu eût fait venir Rotrou dans sa maison de la place Royale, et l'eût adjoint à ses collaborateurs ordinaires Mayret, l'Etoile et Colletet, en dehors desquels il avait encore deux collaborateurs extraordinaires: Desmarets et Bois-Robert.

Au moment où l'on discutait les mérites, fort contestables, de cette comédie, que Scudéri et Chapelain hachaient menu comme chair à pâté, un beau jeune homme de dix-neuf ans entra, vêtu d'un élégant costume, et d'un air tout-à-fait cavalier traversa le salon, alla saluer selon les règles de l'étiquette Mme la princesse d'abord, que l'on désignait tout simplement sous le nom de Mme la princesse, parce qu'elle était femme de M. de Condé, premier prince du sang, et qui, en sa qualité d'Altesse, avait droit, partout où elle se trouvait, au premier salut; puis la marquise, puis la belle Julie.

Il était suivi d'un compagnon plus âgé que lui de deux ou trois ans, tout vêtu de noir, et qui s'avançait au milieu de la docte et imposante assemblée d'un pas aussi timide que l'allure de son ami était dégagée.

– Eh! tenez, dit la marquise en apercevant les deux jeunes gens et en désignant du geste le premier, voici justement le triomphateur! – et c'est si beau de monter au capitole à son âge, que personne n'aura le courage, je l'espère, de crier derrière son char: César, souviens-toi que tu es mortel!

– Ah! madame la marquise, répondit Rotrou, – car c'était lui-même, – laissez dire, au contraire; jamais le critique le plus malveillant ne dira de ma pauvre pièce le mal que j'en pense moi-même, et je vous jure bien que, si je n'eusse reçu l'ordre positif de M. le comte de Soissons, j'eusse laissé de côté mon Mort amoureux, comme s'il eût été véritablement mort, et j'eusse débuté par la comédie que je fais en ce moment.

– Bon! et quel est le sujet de cette comédie, mon beau cavalier? demanda Mlle Paulet.

– Une bague que nul n'aura l'envie de mettre à son doigt, une fois qu'il vous aura vue, adorable lionne, – la Bague de l'oubli!

Un murmure flatteur et un gracieux remercîment de tête de la part de celle à qui il était adressé, accueillit ce compliment, pendant lequel le jeune homme vêtu de noir s'était tenu le plus complétement caché qu'il avait pu derrière son introducteur; mais, comme il était totalement inconnu à tout le monde, et que l'on ne présentait à la marquise que des hommes ayant déjà un nom ou devant s'en faire un, un jour, son maintien, si modeste qu'il fût, ne pouvait empêcher tous les yeux de se fixer sur lui.

– Et comment avez-vous le temps de faire une nouvelle comédie, monsieur de Rotrou, demanda la belle Julie, maintenant que vous êtes admis à l'honneur de travailler à celles de M. le cardinal?

– M. le cardinal, répondit Rotrou, vient d'avoir tant de besogne au siége de La Rochelle, qu'il nous a laissé un peu de répit, et j'ai profité de cela pour travailler de mon mieux.

Pendant ce temps, le jeune homme vêtu de noir continuait d'absorber la part d'attention qui ne se fixait pas sur Rotrou.

– Ce n'est point un homme d'épée, dit mademoiselle de Scudéri à son frère.

– Il a plutôt l'air d'un clerc de procureur, répondit celui-ci.

Le jeune homme vêtu de noir entendit ce court dialogue, et salua avec un sourire de bonhomie.

Rotrou aussi l'entendit.

– Oui, oui, en effet, c'est un clerc de procureur, et un clerc de procureur qui sera un jour notre maître à tous, c'est moi qui vous le dis.

Ce fut au tour des hommes de sourire, moitié d'incrédulité, moitié de dédain. Les femmes regardèrent avec une curiosité plus grande celui que Rotrou présentait avec une si brillante promesse.

Malgré sa grande jeunesse, il était remarquable par son visage austère, par la ride transversale de son front qui semblait creusée par le soc de la pensée, et par des yeux pleins de flammes.

Le reste du visage était vulgaire, le nez gros, la lèvre épaisse, quoiqu'on la vît mal, perdue qu'elle était sous une moustache naissante.

Rotrou pensa qu'il était temps de satisfaire la curiosité générale et continua:

– Madame la marquise, permettez-moi de vous présenter mon cher compatriote, Pierre Corneille, fils d'un avocat-général de Rouen, et qui bientôt sera fils de son génie.

– Corneille, répéta Scudéri, ce nom est celui d'un oiseau de mauvais augure.

– Oui, pour ses rivaux, monsieur Scudéri, répondit Rotrou.

– Corneille? répéta la marquise à son tour, mais avec bienveillance.

– Ab illice cornix, souffla Chapelain à l'évêque de Vence, M. Godeau, prélat de si petite taille qu'on l'appelait le nain de la princesse Julie.

– Bon! dit Rotrou à Mme de Rambouillet, vous cherchez au frontispice de quel poëme, à la tête de quelle tragédie vous avez lu ce nom-là. Sur aucun, madame la marquise; il n'est encore inscrit qu'à la tête d'une comédie dont ce bon compagnon arrivé hier de Rouen, a payé cette nuit mon hospitalité. Je le conduis demain à l'hôtel de Bourgogne, je le présente à Mondory, et dans un mois nous l'applaudissons.

Le jeune homme leva les yeux au ciel en poëte qui dit: Dieu le veuille!

On se rapprocha des deux amis avec plus de curiosité. Mme la princesse surtout, nature avide de louanges, voyant dans tout poëte un panégyriste de sa beauté qui commençait à pâlir, Mme la princesse paraissait on ne peut plus curieuse; elle fit rouler son fauteuil du côté du groupe qui se formait autour de Rotrou et de son compagnon, et tandis que les hommes, et particulièrement les poëtes, se tenaient dédaigneusement à leur place:

– Eh! monsieur Corneille, demanda-t-elle, peut-on s'informer quel est le titre de votre comédie?

Corneille se retourna à cette interpellation faite d'une voix quelque peu hautaine. Tandis qu'il se retournait, Rotrou lui souffla un mot à l'oreille.

– Elle s'appelle Mélite, répondit-il, à moins toutefois que Votre Altesse ne daigne la baptiser d'un meilleur nom.

– Mélite! Mélite! répéta la princesse; non, il faut le laisser ainsi, Mélite est charmant, et si la fable y correspond…

– Ah voilà ce qu'il y a de charmant surtout, madame la princesse, dit Rotrou, c'est que ce n'est point une fable, c'est une histoire.

– Comment, une histoire? demanda Mlle Paulet, l'argument en serait-il vrai?

– Voyons, raconte la chose à ces dames, mauvais sujet, dit Rotrou à son compagnon.

Corneille rougit jusqu'aux oreilles; nul n'avait moins l'air d'un mauvais sujet que lui.

– Reste à savoir si l'histoire peut se raconter en prose, dit Mme de Combalet, se couvrant d'avance, et pour le cas où Corneille raconterait l'histoire, le visage de son éventail.

Mme de Combalet, nièce bien-aimée du cardinal, était une habituée du salon de Mme de Rambouillet.

– J'aimerais mieux, dit timidement Corneille, en réciter quelques vers qu'en raconter l'argument.

– Bah! dit Rotrou, voilà bien de l'embarras pour une galanterie. Je vais vous la dire en deux mots, moi l'histoire. Mais ce n'est point là qu'est le mérite, puisque l'histoire est vraie, et que mon ami en étant le héros n'a pas même le mérite de l'invention. Imaginez-vous, madame, qu'un ami de ce libertin…

– Rotrou! Rotrou! interrompit Corneille.

– Je reprends, malgré l'interruption, continua Rotrou; imaginez-vous qu'un ami de ce libertin le présente dans une honnête maison de Rouen, où tout était arrêté pour son mariage avec une fille charmante… Que pensez-vous que fasse M. Corneille? Qu'il attendra que la noce s'accomplisse, et que momentanément il lui suffira d'être garçon d'honneur, quitte plus tard à… Vous comprenez bien, n'est-ce pas?

– M. Rotrou! fit Mme Combalet en tirant sur ses yeux sa coiffe de carmélite.

– Quitte plus tard à quoi faire? répéta Mlle de Scudéri d'un air rogue. Si les autres ont compris, je vous préviens, M. de Rotrou, que je n'ai pas compris, moi.

– Je l'espère bien, belle Sapho – c'était le nom que l'on donnait à Mlle Scudéri dans le dictionnaire des ridicules – je parle pour M. l'évêque de Vence et Mlle Paulet, qui ont compris, eux, n'est-ce pas?

 



























 


 





















 


 


























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