Читать книгу «Les vacances / Каникулы. Книга для чтения на французском языке» онлайн полностью📖 — Софии де Сегюр — MyBook.
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IV. Biribi

Madame de Fleurville avait un chien de garde que les enfants avaient élevé, et qui s’appelait Biribi; ce nom lui avait été donné par Marguerite et Jacques. Le chien avait deux ans; il était grand, fort, de la race des chiens des Pyrénées, qui se battent contre les ours des montagnes; il était très doux avec les gens de la maison et avec les enfants, qui jouaient souvent avec lui, qui l’attelaient à une petite charrette, et le tourmentaient à force de caresses; jamais Biribi n’avait donné un coup de dents ni un coup de griffes.

Un jour, M. de Traypi annonça aux enfants qu’il allait voir laver[81] son chien de chasse, Milord, dans de l’eau d’aloès[82].

«Voulez-vous venir avec moi, mes enfants? Vous nous aiderez à laver et à essuyer Milord.

– Oui, papa; oui, mon oncle; oui, monsieur», répondirent ensemble tous les enfants.

Ils abandonnèrent Biribi, qu’ils allaient atteler à une voiture de poupée[83], et ils coururent avec M. de Traypi à la buanderie (endroit où on fait les lessives) pour voir laver Milord. Un baquet plein d’une eau tiède et rougeâtre attendait Milord, qui n’avait pas du tout l’air satisfait de se trouver là. Quand M. de Traypi entra, le pauvre Milord voulut courir à lui; mais le cocher et le garde le tenaient chacun par une oreille pour l’empêcher de se sauver[84], et il fut obligé de rester près du baquet, attendant le moment où on le plongerait dedans.

«Allons, Milord, dit M. de Traypi, saute là-dedans, saute.»

Et il aida à sa bonne volonté en l’enlevant par la peau du cou. Le chien s’élança dans le baquet, éclaboussant tous ceux qui se trouvaient près de lui. Madeleine et Marguerite, qui étaient en avant, furent les plus mouillées; un éclat de rire général accompagna ce premier exploit de Milord; M. de Traypi était inondé.

«Ah bas! dit-il, nous nous changerons[85] en rentrant; profitons de ce que nous sommes déjà mouillés pour laver M. Milord bien à fond[86]

Tous les enfants s’y mirent; chacun contribua au supplice de Milord, l’un en lui plongeant le nez, l’autre en lui enfonçant la queue, le troisième en lui inondant les oreilles.

Le pauvre Milord se laissait faire; il avait l’air malheureux; de temps en temps il léchait une main qui l’avait inondé, comme pour demander grâce.

«Pauvre chien! dit Jacques. Papa, laissez-le sortir, je vous en prie: il me fait pitité.

M. DE TRAYPI

Il n’est pas encore mouillé jusqu’au fond des poils; arrose-le, au lieu de le plaindre.

MARGUERITE

Mais pourquoi lui faites-vous prendre ce bain[87], monsieur? Il était très propre.

M. DE TRAYPI

C’est pour faire mourir ses puces[88]: il en est rempli.

LÉON

L’eau fait mourir les puces, mon oncle?

M. DE TRAYPI

L’eau mêlée de poudre d’aloès les tue tout de suite.

LÉON

Ah! que c’est drôle! Je ne savais pas cela.

JEAN

Et faut-il beaucoup de poudre, mon oncle?

M. DE TRAYPI

Non; un petit paquet de 5 grammes dans chaque litre d’eau.

JACQUES

Quand je serai grand, je ferai laver mes chevaux[89] dans l’eau d’aloès.»

Tout le monde se mit à rire.

M. DE TRAYPI, riant

Les chevaux n’ont jamais de puces, nigaud.

JACQUES, un peu confus

Mais s’ils n’ont pas de puces, ils ont des mouches qui les piquent, et je pense que l’aloès peut tuer les mouches comme il tue les puces.

M. DE TRAYPI, riant

Je ne peux pas te le dire, je n’ai jamais essayé. Tu penses bien qu’il ne serait pas facile d’avoir un baquet assez grand pour baigner un cheval; et, quand même on l’aurait, les mouches se sauveraient et n’auraient pas la bêtise de se faire noyer[90] quand elles peuvent s’envoler.

LÉON

Et puis, comment le ferait-on entrer dans le baquet?

JEAN

Ce ne serait pas moi qui m’en chargerais, toujours.»

Pendant cette conversation, Milord avait fini son bain.

On était en train de l’essuyer. Puis on le laissa se sécher plus complètement au soleil; on vida l’eau du baquet, et tout le monde sortit en fermant la porte de la buanderie. On ne pensa plus à Milord; les enfants voulurent reprendre Biribi pour continuer leur jeu, mais Biribi avait profité de sa liberté pour s’en aller; on l’appela, on le chercha, et, ne le trouvant pas, on s’en passa.

Le lendemain, le garde vint dire à Mme de Fleurville que Biribi ne se retrouvait pas.

JACQUES

Oh! le pauvre Biribi! où peut-il être?

MADAME DE FLEURVILLE

Il est probablement allé visiter quelques amis[91] dans les environs. Il faudra que vous alliez le chercher, Nicaise.

NICAISE

Oui, madame; mais j’ai déjà fait un tour ce matin, et personne ne l’avait vu.

JEAN

Ma tante, si vous permettez, nous irons après déjeuner au Val, à la Clémandière, à la Fourlière, à Bois-Thorel, au Sapin, dans tous les viiages enfin où nous pourrions le trouver.

MADAME DE FLEURVILLE

Certainement, allez-y, mes enfants! Nicaise vous accompagnera; mais il faut demander la permission à vos papas et à vos mamans, pour qu’ils ne s’inquiètent pas de votre absence.

SOPHIE

Il faudra emporter des provisions pour le goûter.

CAMILLE

C’est inutile; nous demanderons à manger à Mme Harel, au débit de tabac[92], ou bien à M. le curé.

MADELEINE

D’ailleurs, partout où nous serons, on nous donnera du pain et du cidre.

JACQUES

Ce sera bien amusant; nous causerons partout un petit peu, et nous nous reposerons.

LÉON

Il faudra partir tout de suite après déjeuner.

JEAN

Oui, mais demandons d’abord la permission.»

Tous les enfants, excepté Camille, Madeleine et Sophie, qui avaient déjà leur permission, allèrent trouver leurs parents, et obtinrent sans peine leur consentement pour cette longue excursion.

«Papa, dit Jacques à l’oreille de M. de Traypi, venez avec nous: ce sera bien plus amusant.

– Pour toi, mon bon Jacques, répondit M. de Traypi en l’embrassant, mais pas pour les autres, que je gênerais un peu.

JACQUES

Oh! papa, vous êtes si bon! vous ne pouvez gêner personne.

M. DE TRAYPI

Impossible, mon cher petit; je dois aller avec ton oncle de Rugès faire une visite à trois lieues d’ici.»

Jacques ne répondit pas et s’en alla en soupirant. C’est que Jacques aimait beaucoup son papa, qui était bon et bien complaisant pour lui. Pourtant il ne le gâtait pas. Quand Jacques avait eu des colères dans sa petite enfance, son papa le mettait dans un coin et le laissait crier, après lui avoir donné deux ou trois petites tapes. Quand Jacques avait été impoli avec un domestique ou maussade avec camarade, son papa l’obligeait à demander pardon. Quand Jacques avait été gourmand, il était privé toute la journée de sucreries, de gâteaux et de fruits. Quand Jacques avait désobéi, il était renvoyé dans sa chambre, et son papa ni sa maman ne l’embrassaient jusqu’à ce qu’il eût demandé pardon[93]. De cette manière, Jacques était devenu un charmant petit garçon: toujours gai, parce qu’il n’était jamais grondé ni puni; toujours aimable, parce qu’on l’avait habitué à penser au plaisir des autres et à sacrifier le sien. Il aimait son papa et il aurait voulu toujours être avec lui, mais M. de Traypi avait des occupations qui ne lui permettaient pas de toujours avoir Jacques près de lui; et Jacques, habitué à obéir, s’en alla cette fois encore sans humeur ni tristesse. Il rejoignit ses cousins, cousines et amies, et tous attendirent avec impatience le moment du départ.

Pourtant, avant de se mettre en route, les enfants demandèrent encore des nouvelles du pauvre Biribi; personne ne l’avait vu. Ils partirent, accompagnés du garde Nicaise, pour Val, petit hameau à un quart de lieue du château. Ils entrèrent chez une femme Relmot; mais ils n’y trouvèrent que le frère, qui était à moitié idiot, et qui répondait par un oui ou un non glapissant à toutes les questions qu’on lui adressait.

LÉON

Relmot, as-tu vu notre chien Biribi?

RELMOT

Oui.

LÉON

Quand cela? aujourd’hui?

RELMOT

Non.

LÉON

Où allait-il?»

Pas de réponse; Relmot rit d’un air bête.

LÉON

Quand l’as-tu vu?»

Pas de réponse; Relmot tourne ses pouces.

LÉON

Mais réponds donc! Sais-tu où il est?

RELMOT

Non.

NICAISE

Laissez ce pauvre garçon tranquille, Léon; allons chez les Bernard.

JEAN

Les Bernard! je n’aime pas ces gens-là.

LÉON

Pourquoi?

JEAN

Parce que je ne les crois pas honnêtes.

CAMILLE

Oh! Jean, tu dis cela sans aucune preuve.

JEAN

Hé, hé! Je les ai vus, il y a deux ans et il y a peu de jours encore, couper des têtes de sapin pour en faire des quenouilles[94].

MADELEINE

Ce n’est pas un grand mal, cela.

NICAISE

M. Jean a raison; ce n’est pas bien. D’abord le sapin n’est pas à eux, et puis ils savent bien que couper la tête d’un sapin, c’est perdre l’arbre, qui pousse crochu et qui n’est plus bon qu’à brûler.

JEAN

Et puis Nicaise ne l’a-t-il pas pris, l’année dernière et bien des fois, coupant de jeunes arbres dans les bois de ma tante, pour en faire des fourches[95] et des râteaux à faner[96]?

NICAISE

Et encore c’est qu’il allait les vendre sur la place, au marché de la ville.

MARGUERITE

Demandons toujours s’il n’a pas vu Biribi.

JACQUES

Certainement? puisque nous sommes sortis pour cela.»

Les enfants entrèrent chez Bernard, qui dînait avec sa femme et ses enfants.

«Bonjour, Bernard, dit Léon d’un air aimable; nous venons vous demander des nouvelles de Biribi, qui a disparu depuis ce matin.

BERNARD

Comment que je saurais où est votre chien, moi? Je m’en moque bien de votre chien, et de votre garde aussi!

NICAISE

Dis donc, Bernard, ne sois pas si malhonnête avec les jeunes messieurs et les petites demoiselles. On te parle poliment, n’est-ce pas? Pourquoi ne répondrais-tu pas de même?

BERNARD

Vas-tu finir ton discours, toi! Je n’aime pas qu’on me conseille; je fais ce que je veux, et cela ne regarde personne.

NICAISE

Te tairas-tu, mal embouché, insolent? Sans le respect que je dois aux jeunes maîtres, je t’aurais déjà fait rentrer les paroles dans la gorge.»

Bernard se lève et avance, le poing fermé, sur Nicaise, qui reste immobile et le regarde d’un air moqueur.

NICAISE

Touche seulement, et tu verras comme je te casserai les reins[97] de mon pied et de mon poing!

Bernard se retire en grognant; les enfants ont peur d’une bataille et se sauvent précipitamment, à l’exception de Jean, qui se pose près de Nicaise, un bâton à la main, et de Jacques, qui se met résolument de l’autre côté de Nicaise, les poings en avant, prêt à frapper.

LÉON

Jean, Jean, viens donc! Vas-tu pas te battre avec ce manant[98]?

JEAN

Je ne laisserai pas dans l’embarras le brave Nicaise.

– Merci bien, mes braves petits messieurs; mais je n’ai que faire de votre courage et de ma force contre ce batailleur, plus poltron encore que méchant. Il sait ce que pèse mon poing sur son dos; il en a goûté le jour où je l’ai pris volant du bois chez mes maîtres.... Bien le bonsoir, ajouta Nicaise d’un air monqueur en saluant Bernard et sa famille; bon appétit, pas de dérangement.»

Et il alla rejoindre les autres enfants, après avoir affectueusement serré la main à Jean et à Jacques.

NICAISE

C’est tout de même courageux, ce que vous avez fait, monsieur Jean et monsieur Jacques; car, enfin, vous ne pouviez pas deviner que ce Bernard était un poltron.

JEAN

C’est Jacques qui surtout a eu du courage, car, moi, je suis assez grand pour me défendre.

NICAISE

C’est égal, bien d’autres auraient fil» comme a fait votre frère, M. Léon, sauf le respect que je lui dois. Mais, chut! nous voici près d’eux.

MARGUERITE

Eh bien, il n’y a rien eu[99]? Mon bon petit Jacques n’a pas été blessé?

LÉON

Blessé? ah ouiche[100]! Est-ce que tu as cru qu’ils allaient se battre pour tout de bon?

MARGUERITE

Pourquoi donc t’es-tu sauvé, si tu ne craignais pas une bataille?

LÉON

D’abord, je ne me suis pas sauvé, je me suis retiré, pour protéger mes cousines, Sophie et toi.

MARGUERITE

Jolie escorte que tu nous faisais là: tu courais à vingt pas devant nous.

LÉON

J’allais en avant pour vous indiquer le chemin qu’il fallait prendre.

MARGUERITE, riant

Ha, ha, ha! Avoue donc tout simplement que tu avais peur et que tu te sauvais.

LÉON, d’un air indigné

Si tu étais un garçon de ma taille, tu verrais que tes plaisanteries ne me semblent pas du tout plaisantes.

MARGUERITE, riant

Je ne verrais rien du tout que ton dos et tes talons, parce que tu es prudent, que tu fuis la guerre et que[101] tu aimes la paix.»

Jean et Jacques riaient pendant cette discussion; Camille et Madeleine étaient inquiètes; Sophie applaudissait des yeux et du sourire; Nicaise paraissait enchanté. Léon était en colère; ses yeux flamboyaient, et, s’il avait osé, il aurait assommé Marguerite de coups de poing. Camille arrêta cette dangereuse conversation en proposant de continuer les recherches. «Nous perdons notre temps, dit-elle, et nous avons encore bien des hameaux et des maisons à visiter.»

Ils continuèrent donc leur chemin. Léon fut un peu maussade, mais il finit par se dérider et par rire comme les autres. Dans aucune maison on n’avait vu Biribi, et plusieurs personnes dirent aux enfants et à Nicaise qu’il avait probablement été tué par Bernard, qui s’était plaint que Biribi venait la nuit rôder autour de ses lapins, et avait menacé de l’étrangler[102] la première fois qu’il pourrait mettre la main sur lui. Les enfants ne rentrèrent que vers six heures, fatigués, mais enchantés de leur longue promenade; elle avait été interrompue par un bon goûter chez M. le curé, qui leur avait fait manger du pain et du beurre, de la crème, du fromage, des cerises, et boire de la liqueur de cassis[103].

«Eh bien, mes enfants, quelles nouvelles? leur demandèrent les papas et les mamans, qui les attendaient au salon.

– Aucune, maman, répondit Camille à Mme de Fleurville; on nous a seulement dit que c’était probablement Bernard qui l’avait tué.

MADAME DE FLEURVILLE

Pourquoi supposer une pareille méchanceté?

LÉON

Ma tante, c’est parce qu’il l’a annoncé à plusieurs personnes.

MADAME DE FLEURVILLE

Quand on veut faire une mauvaise action, on ne l’annonce pas.

JACQUES

Pourtant, ma tante, Nicaise croit que c’est très possible, parce que Biribi tournait souvent autour des petites maisons de ses lapins et qu’il avait peur qu’il ne les lui mangeât[104].

MADAME DE FLEURVILLE

S’il l’a fait, je porterai plainte au juge de paix, car c’est un mauvais homme que ce Bernard, et il me joue sans cesse des tours.»

Mais tout cela ne faisait pas retrouver Biribi; on le chercha encore lendemain, puis on n’y pensa plus.

Le troisème jour, les enfants allaient sortir de bonne heure pour prendre du lait et du pain bis à la ferme, quand ils aperçurent, à travers les arbres, du monde rassemblé autour de la buanderie.

«Allons voir ce que c’est, dit Jacques.

– Oui, courons», répondirent tous les enfants.

Ils s’approchèrent, on s’écarta pour les laisser passer, et ils virent le pauvre Biribi, maigre, à moitié relevé, à moitié tombé, qui mangeait avec avidité une terrine de soupe.

«Biribi! Biribi! s’écrièrent les enfants. Qui l’a retrouvé? Où était-il?

– Il était dans la buanderie, répondit Martin, le régisseur. La pauvre bête est restée là enfermée depuis trois jours.

MADELEINE

Mais comment s’est-il trouvé enfermé?

MARTIN

C’est probablement quand on a lavé Milord; Biribi sera entré[105] dans la buanderie, et l’on a fermé la porte sans savoir qu’il était là.

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