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CHAPITRE II
LA PREMIÈRE MAÎTRESSE DE DON JUAN

Discours de Don Jorge.—Les trois courtisanes.—Les préparatifs.—Jalousie de Niceto.—Les avances de la Pandora.—Le festin.—Les danseuses nues.—La petite Monique.—Le baiser.—L'altercation.—La bagarre.—Le duel aux flambeaux.—Niceto blessé.—Rivalité de femmes.—Première nuit d'amour.—Mort de Niceto.

À dix-sept ans, Don Juan était dans la fleur de la beauté.

«Décidément, dit un matin Don Jorge à son neveu, tu ne peux pas en rester là. Tu as eu la plus brillante éducation des Espagnes, des maîtres de toutes les langues, vivantes ou mortes, de mathématiques, de littérature et même de poésie et de musique, bref, tu es endoctriné dans les sept arts. Tu as dix-sept ans, ta moustache commence à pousser, tu montes à cheval comme Don Alexandre, l'empereur des Grecs, tu manies la lance aussi bien que Bernal del Carpio et la rapière mieux que moi, tu es beau garçon, du reste, et point sot. Il est indécent que tu n'aies pas une maîtresse.

–Une maîtresse! Une maîtresse! répétait Juan effaré.

–Tu es novice, mais non moine! De mon côté, j'ai la prétention de n'être point pédant. Si la famille me déshérita, ce n'est point sans quelques bons motifs. Nous sommes l'un et l'autre gentilshommes, bons parents et bons amis. Je te dois les lumières de mon expérience.

«Tu vas entrer dans le monde. Il t'y faut mettre sur un bon pied. Un homme bien né se reconnaît à deux qualités: la galanterie et la bravoure.

«Si nous avions quelque belle guerre, je t'amènerais avec moi et t'engagerais à monter le premier sur la brèche. Mais, hélas! il ne se livre plus de grande bataille. Ce bon temps est passé! Mon capitaine est mort, et il a emporté la gloire dans son tombeau.

«A un gentilhomme de la qualité, il n'est donc plus permis que de chercher querelle personnelle, et pour cela rien ne vaut les intrigues de l'amour.»

Don Rinalte, chez lequel l'oncle comptait le soir même conduire son neveu, était un excellent homme, aimant la joie pour lui et les autres. Riche de son patrimoine, il possédait en outre une des meilleures commanderies d'Alcantara. Il dépensait convenablement sa fortune, mangeant le revenu sans trop entamer l'avenir, magnifique avec une certaine sagesse. Il donnait les meilleurs repas de Séville, chère délicate, vins choisis, service splendide, et en prenait sa bonne part.

C'était un fin mangeur et un buveur de premier ordre. Il avait une vraie nature de taureau, calme, lente, puissante, terrible dans sa colère.

Don Niceto Iglesias, l'autre convive, était un garçon fort chatouilleux sur le point d'honneur. Il avait pour le tapage un goût singulier. Parfait gentilhomme du reste, fort élégant de sa personne et brûlant son bien par les deux bouts, les femmes l'adoraient autant que les hommes le craignaient.

«Je le crois, dit Jorge à Juan, d'accord avec la Pandora, une des courtisanes que tu verras ce soir.

«Pandora est un nom mythologique que sa beauté lui a fait donner en Italie où elle fut se former. Une fille superbe à voir, mais rien de plus. Elle n'a pas l'ombre de cœur, mais ce n'est pas son métier d'en avoir. Il n'y a pas à espérer lui plaire. L'amour est avec elle une affaire d'argent.

«Don Niceto ayant pris les devants, il ne serait du reste pas convenable d'aller sur ses brisées. Si elle te plaît, tu prendras date. Mais tu ferais bien, en ce cas, de me consulter sur les arrangements. Hélas! mon cher neveu, j'ai l'expérience!

«Pour les deux autres, Soledad et la Magdalena, je n'ai pas besoin de te dire qu'elles sont occupées. L'une, Soledad, appartient à Don Rinalte; quant à l'autre, c'est ma maîtresse. J'ai passé la soixantaine, mais le jarret est bon et l'œil vif. Tu les dois respecter également, puisque Don Rinalte est ton hôte et que je suis ton oncle.

«Cependant, petit neveu, tu es libre, au moins à mon égard. J'ai trop d'expérience pour donner dans la jalousie et je t'aime trop pour le chagriner à l'occasion d'une femme.

«Je doute du reste que la Magdalena te convienne. C'est une fort jolie personne, mais un peu niaise, pour ne pas dire bête. Sa gaucherie, qui m'amuse, t'ennuierait probablement.

«Et puis, elle n'a que seize ans. C'est de mon goût, mais trop jeune pour toi. Une personne un peu mûre serait mieux appropriée à ta fringante jeunesse.

«Rien ne forme les jeunes gens comme la société des courtisanes. Elles ne hantent, du moins à ma connaissance, que des gens comme il faut, titrés, riches, chevaliers et, parmi le clergé, jamais moins que des chanoines. Près d'elles un bourgeois perdrait ses écus et un moine son latin. Écoute, regarde et profite donc. Prends un costume avantageux; ces dames sont reines de la mode. Si, elles te découvrent joli, les autres te trouveront charmant.

«Le rendez-vous est à huit heures. Je vais, de ce pas, chez un théologien de l'ordre, avec lequel j'ai à traiter d'affaires. Je reviendrai te prendre au coucher du soleil. Sois prêt.»

Ébloui, enivré, consterné de ces paroles, Juan passa le reste de la journée dans une agitation violente. Une vraie fête! Une orgie, peut-être! Tout cela lui semblait merveilleux et terrible.

Il revêtit un pourpoint bleu de ciel, brodé de soie blanche, manches de dessous et chausses de soie blanche aussi.

Jorge loua la simplicité de ce costume qui faisait ressortir l'éclatante beauté du jeune homme.

«Tu as eu tort, lui dit-il seulement, de prendre l'épée que t'a donnée ton parrain: c'est une arme de parade ou guerre et non de promenade. J'ai ce qu'il te faut, une rapière à riche garde, dont le fourreau, en velours bleu de ciel, s'harmonisera parfaitement à ton habit.

«Essaie-la toi-même. Tu verras qu'elle est bonne, bien montée et bien trempée. Tout le poids est dans la garde; la lame est légère et simple. Elle vient, la marque du petit chien en fait foi, de Romero, le meilleur armurier de Tolède.

«J'ai eu plus d'une fois l'occasion de m'en servir et n'ai jamais eu qu'à m'en louer. Je l'ai, en maintes rencontres, prêtée à des amis qui ont toujours tué ou blessé leur homme. C'est ce que je puis appeler une épée heureuse. Elle te portera bonheur. Je te la donne.»

Juan ceignit la rapière, remercia son oncle et partit avec lui.

Le cœur lui battait fort en entrant chez Don Rinalte. Celui-ci vint à la rencontre de ses hôtes dès qu'ils furent annoncés.

C'était un homme d'une quarantaine d'années, gros et grand, l'allure d'un seigneur et d'un bon vivant.

Dans le salon se trouvaient déjà les autres convives.

La vue des femmes mit un éblouissement dans l'âme de Juan. Il les admirait toutes trois sans les distinguer encore.

Dès l'abord, elles ne se firent point faute de le regarder. Jamais elles n'avaient vu de jeune homme aussi accompli. Les femmes galantes savent juger du premier coup d'œil la beauté masculine.

Juan se trouvait quelque peu embarrassé de cet examen. Il craignait plutôt d'être un objet de ridicule que d'admiration.

Mais les autres hommes ne s'y trompèrent pas. Les deux anciens échangèrent un sourire, tandis que le plus jeune pinçait les lèvres.

Don Niceto Iglesias, dans sa vingt-cinquième année, avait l'œil vif, les dents blanches, les cheveux noirs, les traits réguliers et fins, la taille svelte, toute la grâce andalouse enfin.

Une main habile avait, de plus, parfait l'élégance de son magnifique costume, satin et velours, or et broderies. Un soin méticuleux avait présidé à sa toilette capillaire.

Il passait pour le plus joli garçon de Séville. Il le savait et tenait à cette réputation.

À l'instant, il se sentit dépossédé. La supériorité de son nouveau concurrent était trop manifeste et ne permettait pas le doute. Le jugement des trois courtisanes n'était-il point du reste sans appel?

Don Niceto devint sur-le-champ jaloux de Don Juan et, pour un fat comme pour une coquette, la jalousie c'est la haine. Mais c'était un homme bien élevé, qui connaissait son monde. Et puis n'était-il pas plus habile de prendre son parti d'une défaite inévitable?

Il se résolut donc à traiter en ami ce rival inconnu et dans le fond du cœur détesté.

Juan s'efforça de répondre dignement aux prévenances du jeune cavalier, mais il eut beau faire pour être cordial, il ne fut que poli. L'instinct lui faisait pressentir un ennemi sous ces dehors bienveillants, comme un serpent sous des fleurs.

Les deux portes du salon s'ouvrirent toutes grandes, et le maître d'hôtel, suivi des laquais porte-flambeaux, annonça que le souper était servi.

Les femmes se débarrassèrent de leurs mantilles. Les épaules splendides de l'une, plus frêles mais non moins blanches des autres, apparurent à nu. C'était l'usage des courtisanes de se décolleter assez bas. Leur corsage, fendu dans le sens de la longueur, laissait voir leurs seins fermes et marbrés de délicates veines bleues. Par derrière, la ligne du corsage s'infléchissait en arc jusqu'à la taille. Les robes étaient si légères! Elles ignoraient le corset. Ce spectacle ne fut pas sans mettre quelque émoi dans l'âme encore inexperte du jeune Juan.

Après s'être levé comme tout le monde, il ne sut plus que faire et resta embarrassé comme un nigaud au milieu du salon. Don Niceto offrit son bras à Soledad, qui était considérée comme la maîtresse de maison.

La Pandora attendait debout. C'était une magnifique créature, grande, admirablement faite, blanche et pâle comme le marbre, avec de grands yeux noirs et des cheveux aile-de-corbeau. Elle avait une robe de satin noir, une basquine jaune, une chaîne d'or au cou et, dans la chevelure, une rose d'un rouge éclatant. Les deux amies étaient vêtues avec un luxe égal. Elles avaient adopté une mode singulière, qui consistait à se couvrir la tête de perruques aux diverses couleurs de l'arc-en-ciel. Celle-ci, fille blonde de la Murcie, cette autre Catalane, s'étaient ainsi donné des chevelures d'or aux reflets d'aubergine et d'orange.

Voyant que ni l'oncle ni le neveu ne venaient à elle, la Pandora alla résolument au jeune homme et lui donna le bras en souriant.

Juan trembla, et involontairement il serrait ce beau bras nu qui venait de se poser sur le sien.

«Voilà un fort beau couple en vérité!» s'exclama Don Rinalte.

Juan sourit et baissa les yeux; Pandora fit une petite moue dédaigneuse.

Juan, hasard ou non, se trouva placé à droite de la Pandora, qui avait à sa gauche Don Niceto.

On trouvait là réuni tout ce qui fait la beauté, l'excellence et le charme d'un repas.

La salle était décorée avec goût et follement illuminée. Il y avait des fleurs à profusion; la nappe était jonchée de feuilles de roses. La table resplendissait des luxes européens les plus raffinés: toiles damassées de Flandre, cristaux de Venise, argenterie de Florence. Chaque détail avait son prix et révélait quel expert dilettante était Don Rinalte.

Les mets recherchés, les vins dorés, la beauté demi nue des femmes, l'odeur mêlée des parfums et de la chair, une conversation animée, tout parlait aux sens, invitait à l'abandon et au plaisir.

Cependant le souper commença tranquillement. Les gens qui savent vivre graduent les jouissances.

Les femmes, d'ailleurs, témoignaient encore d'une certaine réserve. Juan se demandait même s'il ne s'agissait point là de véritables dames du monde égarées.

L'influence de la bonne chère se fit sentir peu à peu. Esprits et regards s'animèrent. Les voix s'élevèrent, le ton devint plus vif. L'oncle risqua quelques propos salés qui reçurent des convives le meilleur accueil.

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