Читать книгу «Ainsi Parlait Zarathoustra» онлайн полностью📖 — Фридриха Вильгельма Ницше — MyBook.
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DES JOIES ET DES PASSIONS

Mon frère, quand tu as une vertu, et quand elle est ta vertu, tu ne l'as en commun avec personne.

Il est vrai que tu voudrais l'appeler par son nom et la caresser; tu voudrais la prendre par l'oreille et te divertir avec elle.

Et voici! Maintenant elle aura en commun avec le peuple le nom que tu lui donnes, tu es devenu peuple et troupeau avec la vertu!

Tu ferais mieux de dire: "Ce qui fait le tourment et la douceur de mon âme est inexprimable et sans nom, et c'est aussi ce qui cause la faim de mes entrailles."

Que ta vertu soit trop haute pour la familiarité des dénominations: et s'il te faut parler d'elle, n'aie pas honte de balbutier.

Parle donc et balbutie: "Ceci est mon bien que j'aime, c'est ainsi qu'il me plaît tout à fait, ce n'est qu'ainsi que je veux le bien.

Je ne le veux point tel le commandement d'un dieu, ni tel une loi et une nécessité humaine: qu'il ne me soit point un indicateur vers des terres supérieures et vers des paradis.

C'est une vertu terrestre que j'aime: il y a en elle peu de sagesse et moins encore de sens commun.

Mais cet oiseau s'est construit son nid auprès de moi: c'est pourquoi je l'aime avec tendresse, – maintenant il couve chez moi ses oeufs dorés."

C'est ainsi que tu dois balbutier, et louer ta vertu.

Autrefois tu avais des passions et tu les appelais des maux. Mais maintenant tu n'as plus que tes vertus: elles naquirent de tes passions.

Tu apportas dans ces passions ton but le plus élevé: alors elles devinrent tes vertus et tes joies.

Et quand même tu serais de la race des colériques ou des voluptueux, des sectaires ou des vindicatifs:

Toutes tes passions finiraient par devenir des vertus, tous tes démons des anges.

Jadis tu avais dans ta cave des chiens sauvages: mais ils sont devenus des oiseaux et d'aimables chanteurs.

C'est avec tes poisons que tu t'est préparé ton baume; tu as trait la vache Affliction, – maintenant tu bois le doux lait de ses mamelles.

Et rien de mal ne naît plus de toi, si ce n'est le mal qui naît de la lutte de tes vertus.

Mon frère, quand tu as du bonheur, c'est que tu as une vertu et rien autre chose: tu passes ainsi plus facilement sur le pont.

C'est une distinction que d'avoir beaucoup de vertus, mais c'est un sort bien dur; et il y en a qui sont allés se tuer dans le désert parce qu'ils étaient fatigués de servir de champs de bataille aux vertus.

Mon frère, la guerre et les batailles sont-elles des maux? Ce sont des maux nécessaires; l'envie, et la méfiance, et la calomnie ont une place nécessaire parmi tes vertus.

Regarde comme chacune de tes vertus désire ce qu'il y a de plus haut: elle veut tout ton esprit, afin que ton esprit soit son héraut, elle veut toute ta force dans la colère, la haine et l'amour.

Chaque vertu est jalouse de l'autre vertu et la jalousie est une chose terrible. Les vertus, elles aussi, peuvent périr par la jalousie.

Celui qu'enveloppe la flamme de la jalousie, pareil au scorpion, finit par tourner contre lui-même le dard empoisonné.

Hélas! mon frère, ne vis-tu jamais une vertu se calomnier et se détruire elle-même?

L'homme est quelque chose qui doit être surmonté: c'est pourquoi il te faut aimer tes vertus – car tu périras par tes vertus.

Ainsi parlait Zarathoustra.

DU PÂLE CRIMINEL

Vous ne voulez point tuer, juges et sacrificateurs, avant que la bête n'ait hoché la tête? Voyez, le pâle criminel a hoché la tête: dans ses yeux parle le grand mépris.

"Mon moi est quelque chose qui doit être surmonté: mon moi, c'est mon grand mépris des hommes." Ainsi parlent les yeux du criminel.

Ce fut son moment suprême, celui où il s'est jugé lui-même: ne laissez pas le sublime redescendre dans sa bassesse!

Il n'y a pas de salut pour celui qui souffre à ce point de lui-même, si ce n'est la mort rapide.

Votre homicide, ô juges, doit se faire par compassion et non par vengeance. Et en tuant, regardez à justifier la vie!

Il ne suffit pas de vous réconcilier avec celui que vous tuez. Que votre tristesse soit l'amour du Surhumain, ainsi vous justifierez votre survie!

Dites "ennemi" et non pas "scélérat"; dites "malade" et non pas "gredin"; dites "insensé" et non pas "pécheur".

Et toi, juge rouge, si tu disais à haute voix ce que tu as déjà fait en pensées: chacun s'écrierait: "Otez cette immondice et ce venin!"

Mais autre chose est la pensée, autre chose l'action, autre chose l'image de l'action. La roue de la causalité ne roule pas entre ces choses.

C'est une image qui fit pâlir cet homme pâle. Il était à la hauteur de son acte lorsqu'il commit son acte: mais il ne supporta pas son image après l'avoir accompli.

Il se vit toujours comme l'auteur d'un seul acte. J'appelle cela de la folie, car l'exception est devenue la règle de son être.

La ligne fascine la poule; le trait que le criminel a porté fascine sa pauvre raison – c'est la folie après l'acte.

Écoutez, juges! Il y a encore une autre folie: et cette folie est avant l'acte. Hélas! vous n'avez pas pénétré assez profondément dans cette âme!

Ainsi parle le juge rouge: "Pourquoi ce criminel a-t-il tué? Il voulait dérober." Mais je vous dis: son âme voulait du sang, et ne désirait point le vol: il avait soif du bonheur du couteau!

Mais sa pauvre raison ne comprit point cette folie et c'est elle qui décida le criminel. "Qu'importe le sang! dit-elle; ne veux-tu pas profiter de ton crime pour voler? pour te venger?"

Et il écouta sa pauvre raison: son discours pesait sur lui comme du plomb, – alors il vola, après avoir assassiné. Il ne voulait pas avoir honte de sa folie.

Et de nouveau le plomb de sa faute pèse sur lui, de nouveau sa pauvre raison est engourdie, paralysée et lourde.

Si du moins il pouvait secouer la tête, son fardeau roulerait en bas: mais qui secouera cette tête?

Qu'est cet homme? Un monceau de maladies qui, par l'esprit, agissent sur le monde extérieur: c'est là qu'elles veulent leur butin.

Qu'est cet homme? Une grappe de serpents sauvages entrelacés, qui rarement se supportent tranquillement – alors ils s'en vont, chacun de son côté, pour chercher leur butin de par le monde.

Voyez ce pauvre corps! Ses souffrances et ses désirs, sa pauvre âme essaya de les comprendre, – elle crut qu'ils étaient le plaisir et l'envie criminelle d'atteindre le bonheur du couteau.

Celui qui tombe malade maintenant est surpris par le mal qui est le mal de ce moment: il veut faire souffrir avec ce qui le fait souffrir. Mais il y a eu d'autres temps, il y a eu un autre bien et un autre mal.

Autrefois le doute et l'ambition personnelle étaient des crimes. Alors le malade devenait hérétique et sorcier; comme hérétique et comme sorcier il souffrait et voulait faire souffrir.

Mais vous ne voulez pas m'entendre: ce serait nuisible pour ceux d'entre vous qui sont bons, dites-vous. Mais que m'importe vos hommes bons!

Chez vos hommes bons, il y a bien des choses qui me dégoûtent et ce n'est vraiment pas le mal. Je voudrais qu'ils aient une folie dont ils périssent comme ce pâle criminel!

Vraiment, je voudrais que cette folie s'appelât vérité, ou fidélité, ou justice: mais leur vertu consiste à vivre longtemps dans un misérable contentement de soi.

Je suis un garde-fou au bord du fleuve: que celui qui peut me saisir me saisisse! Je ne suis pas votre béquille. -

Ainsi parlait Zarathoustra.

LIRE ET ÉCRIRE

De tout ce qui est écrit, je n'aime que ce que l'on écrit avec son propre sang. Écris avec du sang et tu apprendras que le sang est esprit.

Il n'est pas facile de comprendre du sang étranger: je haïs tous les paresseux qui lisent.

Celui qui connaît le lecteur ne fait plus rien pour le lecteur. Encore un siècle de lecteurs – et l'esprit même sentira mauvais.

Que chacun ait le droit d'apprendre à lire, cela gâte à la longue, non seulement l'écriture, mais encore la pensée.

Jadis l'esprit était Dieu, puis il devint homme, maintenant il s'est fait populace.

Celui qui écrit en maximes avec du sang ne veut pas être lu, mais appris par coeur.

Sur les montagnes le plus court chemin va d'un sommet à l'autre: mas pour suivre ce chemin il faut que tu aies de longues jambes. Les maximes doivent être des sommets, et ceux à qui l'on parle des hommes grands et robustes.

L'air léger et pur, le danger proche et l'esprit plein d'une joyeuse méchancheté: tout cela s'accorde bien.

Je veux avoir autour de moi des lutins, car je suis courageux. Le courage qui chasse les fantômes se crée ses propres lutins, – le courage veut rire.

Je ne suis plus en communion d'âme avec vous. Cette nuée que je vois au-dessous de moi, cette noirceur et cette lourdeur dont je ris – c'est votre nuée d'orage.

Vous regardez en haut quand vous aspirez à l'élévation. Et moi je regarde en bas puisque je suis élevé.

Qui de vous peut en même temps rire et être élevé?

Celui qui plane sur les plus hautes montagnes se rit de toutes les tragédies de la scène et de la vie.

Courageux, insoucieux, moqueur, violent – ainsi nous veut la sagesse: elle est femme et ne peut aimer qu'un guerrier.

Vous me dites: "La vie est dure à porter." Mais pourquoi auriez-vous le matin votre fierté et le soir votre soumission?

La vie est dure à porter: mais n'ayez donc pas l'air si tendre! Nous sommes tous des ânes et des ânesses chargés de fardeaux.

Qu'avons-nous de commun avec le bouton de rose qui tremble puisqu'une goutte de rosée l'oppresse.

Il est vrai que nous aimons la vie, mais ce n'est pas parce que nous sommes habitués à la vie, mais à l'amour.

Il y a toujours un peu de folie dans l'amour. Mais il y a toujours un peu de raison dans la folie.

Et pour moi aussi, pour moi qui suis porté vers la vie, les papillons et les bulles de savon, et tout ce qui leur ressemble parmi les hommes, me semble le mieux connaître le bonheur.

C'est lorsqu'il voit voltiger ces petites âmes légères et folles, charmantes et mouvantes – que Zarathoustra est tenté de pleurer et de chanter.

Je ne pourrais croire qu'à un Dieu qui saurait danser.

Et lorsque je vis mon démon, je le trouvai sérieux, grave, profond et solennel: c'était l'esprit de lourdeur, – c'est par lui que tombent toutes choses.

Ce n'est pas par la colère, mais par le rire que l'on tue. En avant, tuons l'esprit de lourdeur!

J'ai appris à marcher: depuis lors, je me laisse courir. J'ai appris à voler, depuis lors je ne veux pas être poussé pour changer de place.

Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je me vois aud-dessous de moi, maintenant un dieu danse en moi.

Ainsi parlait Zarathoustra.

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