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CHANT DEUXIÈME

Où est-il passé ce premier chant de Maldoror, depuis que sa bouche, pleine des feuilles de la belladone, le laissa échapper, à travers les royaumes de la colère, dans un moment de réflexion? Où est passé ce chant … On ne le sait pas au juste. Ce ne sont pas les arbres, ni les vents qui l'ont gardé. Et la morale, qui passait en cet endroit, ne présageant pas qu'elle avait, dans ces pages incandescentes, un défenseur énergique, l'a vu se diriger, d'un pas ferme et droit, vers les recoins obscurs et les fibres secrètes des consciences. Ce qui est du moins acquis à la science, c'est que, depuis ce temps, l'homme, à la figure de crapaud, ne se reconnaît plus lui-même, et tombe souvent dans des accès de fureur qui le font ressembler à une bête des bois. Ce n'est pas sa faute. Dans tous les temps, il avait cru, les paupières ployant sous les résédas de la modestie, qu'il n'était composé que de bien et d'une quantité minime de mal. Brusquement je lui appris, en découvrant au plein jour son cœur et ses trames, qu'au contraire il n'est composé que de mal, et d'une quantité minime de bien que les législateurs ont de la peine à ne pas laisser évaporer. Je voudrais qu'il ne ressente pas, moi, qui ne lui apprends rien de nouveau, une honte éternelle pour mes amères vérités; mais, la réalisation de ce souhait ne serait pas conforme aux lois de la nature. En effet, j'arrache le masque à sa figure traîtresse et pleine de boue, et je fais tomber un à un, comme des boules d'ivoire sur un bassin d'argent, les mensonges sublimes avec lesquels il se trompe lui-même: il est alors compréhensible qu'il n'ordonne pas au calme d'imposer les mains sur son visage, même quand la raison disperse les ténèbres de l'orgueil. C'est pourquoi, le héros que je mets en scène s'est attiré une haine irréconciliable, en attaquant l'humanité, qui se croyait invulnérable, par la brèche d'absurdes tirades philanthropiques; elles sont entassées, comme des grains de sable, dans ses livres, dont je suis quelquefois sur le point, quand la raison m'abandonne, d'estimer le comique si cocasse, mais ennuyant. Il l'avait prévu. Il ne suffit pas de sculpter la statue de la bonté sur le fronton des parchemins que contiennent les bibliothèques. O être humain! te voilà, maintenant, nu comme un ver, en présence de mon glaive de diamant! Abandonne ta méthode: il n'est plus temps de faire l'orgueilleux: j'élance vers toi ma prière, dans l'attitude de la prosternation. Il y a quelqu'un qui observe les moindres mouvements de ta coupable vie; tu es enveloppé par les réseaux subtils de sa perspicacité acharnée. Ne te fie pas à lui, quand il tourne les reins; car, il te regarde; ne te fie pas à lui, quand il ferme les yeux; car, il te regarde encore. Il est difficile de supposer que, touchant les ruses et la méchanceté, ta redoutable résolution soit de surpasser l'enfant de mon imagination. Ses moindres coups portent. Avec des précautions, il est possible d'apprendre à celui qui croit l'ignorer que les loups et les brigands ne se dévorent pas entre eux: ce n'est peut-être pas leur coutume. Par conséquent, remets sans peur, entre ses mains, le soin de ton existence: il la conduira d'une manière qu'il connaît. Ne crois pas à l'intention qu'il fait reluire au soleil de te corriger; car, tu l'intéresses médiocrement, pour ne pas dire moins; encore n'approché-je pas, de la vérité totale, la bienveillante mesure de ma vérification. Mais, c'est qu'il aime à te faire du mal, dans la légitime persuasion que tu deviennes aussi méchant que lui, et que tu l'accompagnes dans le gouffre béant de l'enfer, quand son heure sonnera. Sa place est depuis longtemps marquée, à l'endroit où l'on remarque une potence en fer, à laquelle sont suspendus des chaînes et des carcans. Quand la destinée l'y portera, le funèbre entonnoir n'aura jamais goûté de proie plus savoureuse, ni lui contemplé de demeure plus convenable. Il me semble que je parle d'une manière intentionnellement paternelle, et que l'humanité n'a pas le droit de se plaindre.

Je saisis la plume qui va construire le deuxième chant … instrument arraché aux ailes de quelque pygargue roux! Mais … qu'ont-ils donc mes doigts? Les articulations demeurent paralysées, dès que je commence mon travail. Cependant, j'ai besoin d'écrire … C'est impose cible! Eh bien, je répète que j'ai besoin d'écrire ma pensée: j'ai le droit, comme un autre, de me soumettre à cette loi naturelle … Mais non, mais non, la plume reste inerte!… Tenez, voyez, à travers les campagnes, l'éclair qui brille au loin. L'orage parcourt l'espace. Il pleut … Il pleut toujours … Comme il pleut!… La foudre a éclaté … elle s'est abattue sur ma fenêtre entr'ouverte, et m'a étendu sur le carreau, frappé au front. Pauvre jeune homme! ton visage était déjà assez maquillé par les rides précoces et la difformité de naissance, pour ne pas avoir besoin, en outre, de cette longue cicatrice sulfureuse! (Je viens de supposer que la blessure est guérie, ce qui n'arrivera pas de sitôt.) Pourquoi cet orage, et pourquoi la paralysie de mes doigts? Est-ce un avertissement d'en haut pour m'empêcher d'écrire, et de mieux considérer ce à quoi je m'expose, en distillant la bave de ma bouche carrée? Mais, cet orage ne m'a pas causé la crainte. Que m'importerait une légion d'orages! Ces agents de la police céleste accomplissent avec zèle leur pénible devoir, si j'en juge sommairement par mon front blessé. Je n'ai pas à remercier le Tout-Puissant de son adresse remarquable; il a envoyé la foudre de manière à couper précisément mon visage en deux, à partir du front, endroit où la blessure a été le plus dangereuse: qu'un autre le félicite! Mais, les orages attaquent quelqu'un de plus fort qu'eux. Ainsi donc, horrible Éternel, à la figure de vipère, il a fallu que non-content d'avoir placé mon âme entre les frontières de la folie et les pensées de fureur qui tuent d'une manière lente, tu aies cru, en outre, convenable à ta majesté, après un mûr examen, de faire sortir de mon front une coupe de sang!… Mais, enfin, qui te dit quelque chose? Tu sais que je ne t'aime pas, et qu'au contraire je te hais: pourquoi insistes-tu? Quand ta conduite voudra-t-elle cesser de s'envelopper des apparences de la bizarrerie? Parle-moi franchement, comme à un ami: est-ce que tu ne te doutes pas, enfin, que tu montres, dans ta persécution odieuse, un empressement naïf, dont aucun de tes séraphins n'oserait faire ressortir le complet ridicule? Quelle colère te prend? Sache que, si tu me laissais vivre à l'abri de tes poursuites, ma reconnaissance t'appartiendrait … Allons, Sultan, avec ta langue, débarrasse-moi de ce sang qui salit le parquet. Le bandage est fini: mon front étanché a été lavé avec de l'eau salée, et j'ai croisé des bandelettes à travers mon visage. Le résultat n'est pas infini: quatre chemises, pleines de sang et deux mouchoirs. On ne croirait pas, au premier abord, que Maldoror contînt tant de sang dans ses artères; car, sur sa figure, ne brillent que les reflets du cadavre. Mais, enfin, c'est comme ça. Peut-être que c'est à peu près tout le sang que pût contenir son corps, et il est probable qu'il n'y en reste pas beaucoup. Assez, assez, chien avide; laisse le parquet tel qu'il est: tu as le ventre rempli. Il ne faut pas continuer de boire: car, tu ne tarderais pas à vomir. Tu es convenablement repu, va te coucher dans le chenil; estime-toi nager dans le bonheur; car, tu ne penseras pas à la faim, pendant trois jours immenses, grâce aux globules que tu as descendues dans ton gosier, avec une satisfaction solennellement visible. Toi, Léman, prends un balai: je voudrais aussi en prendre un, mais je n'en ai pas la force. Tu comprends, n'est-ce pas, que je n'en ai pas la force? Remets tes pleurs dans leur fourreau; sinon, je croirai que tu n'as pas le courage de contempler, avec sang-froid, la grande balafre, occasionnée par un supplice déjà perdu pour moi dans la nuit des temps passés. Tu iras chercher à la fontaine deux seaux d'eau. Une fois le parquet lavé, tu mettras ces linges dans la chambre voisine. Si la blanchisseuse revient ce soir, comme elle doit le faire, tu les lui remettras; mais, comme il a plu beaucoup depuis une heure, et qu'il continue de pleuvoir, je ne crois pas qu'elle sorte de chez elle; alors, elle viendra demain matin. Si elle te demande d'où vient tout ce sang, tu n'es pas obligé de lui répondre. Oh! que je suis faible! N'importe: j'aurai cependant la force de soulever le porte-plume et le courage de creuser ma pensée. Qu'a-t-il rapporté au Créateur de me tracasser, comme si j'étais un enfant, par un orage qui porte la foudre? Je n'en persiste pas moins dans ma résolution d'écrire. Ces bandelettes m'embêtent, et l'atmosphère de ma chambre respire le sang …

Qu'il n'arrive pas le jour où, Lohengrin et moi, nous passerons dans la rue, l'un à côté de l'autre, sans nous regarder, en nous frôlant le coude, comme deux passants pressés! Oh! qu'on me laisse fuir à jamais loin de cette supposition! L'Éternel a créé le monde tel qu'il est: il montrerait beaucoup de sagesse si, pendant le temps strictement nécessaire pour briser d'un coup de marteau la tête d'une femme, il oubliait sa majesté sidérale, afin de nous révéler les mystères au milieu desquels notre existence étouffe, comme un poisson au fond d'une barque. Mais, il est grand et noble; il l'emporte sur nous par la puissance de ses conceptions; s'il parlementait avec les hommes, toutes les hontes rejailliraient jusqu'à son visage. Mais … misérable que tu es! pourquoi ne rougis-tu pas? Ce n'est pas assez que l'armée des douleurs physiques et morales, qui nous entoure, ait été enfantée: le secret de notre destinée en haillons ne nous est pas divulgué. Je le connais, le Tout-Puissant … et lui, aussi, doit me connaître. Si, par hasard, nous marchons sur le même sentier, sa vue perçante me voit arriver de loin: il prend un chemin de traverse, afin d'éviter le triple dard de platine que la nature me donna comme une langue! Tu me feras plaisir, ô Créateur, de me laisser épancher mes sentiments. Maniant les ironies terribles, d'une main ferme et froide, je t'avertis que mon cœur en contiendra suffisamment, pour m'attaquer à toi, jusqu'à la fin de mon existence. Je frapperai ta carcasse creuse: mais, si fort, que je me charge d'en faire sortir les parcelles restantes d'intelligence que tu n'as pas voulu donner à l'homme, parce que tu aurais été jaloux de le faire égal à toi, et que tu avais effrontément cachées dans tes boyaux, rusé bandit, comme si tu ne savais pas qu'un jour ou l'autre je les aurais découvertes de mon œil toujours ouvert, les aurais enlevées, et les aurais partagées avec mes semblables. J'ai fait ainsi que je parle, et, maintenant, ils ne te craignent plus; ils traitent de puissance à puissance avec toi. Donne-moi la mort, pour faire repentir mon audace: je découvre ma poitrine et j'attends avec humilité. Apparaissez donc, envergures dérisoires de châtiments éternels!… déploiements emphatiques d'attributs trop vantés! Il a manifesté l'incapacité d'arrêter la circulation de mon sang qui le nargue. Cependant, j'ai des preuves qu'il n'hésite pas d'éteindre, à la fleur de l'âge, le souffle d'autres humains, quand ils ont à peine goûté les jouissances de la vie. C'est simplement atroce; mais, seulement, d'après la faiblesse de mon opinion! J'ai vu le Créateur, aiguillonnant sa cruauté inutile, embraser des incendies où périssaient les vieillards et les enfants! Ce n'est pas moi qui commence l'attaque: c'est lui qui me force à le faire tourner, ainsi qu'une toupie, avec le fouet aux cordes d'acier. N'est-ce pas lui qui me fournit des accusations contre lui-même? Ne tarira point ma verve épouvantable! Elle se nourrit des cauchemars insensés qui tourmentent mes insomnies. C'est à cause de Lohengrin que ce qui précède a été écrit; revenons donc à lui. Dans la crainte qu'il ne devînt plus tard comme les autres hommes, j'avais d'abord résolu de le tuer à coups de couteau, lorsqu'il aurait dépassé l'âge d'innocence. Mais, j'ai réfléchi, et j'ai abandonné sagement ma résolution à temps. Il ne se doute pas que sa vie a été en péril pendant un quart d'heure. Tout était prêt, et le couteau avait été acheté. Ce stylet était mignon, car j'aime la grâce et l'élégance jusque dans les appareils de la mort: mais il était long et pointu. Une seule blessure au cou, en perçant avec soin une des artères carotides, et je crois que ç'aurait suffi. Je suis content de ma conduite; je me serais repenti plus tard. Donc, Lohengrin, fais ce que tu voudras, agis comme il te plaira, enferme-moi toute la vie dans une prison obscure, avec des scorpions pour compagnons de ma captivité, ou arrache-moi un œil jusqu'à ce qu'il tombe à terre, je ne te ferai jamais le moindre reproche: je suis à toi, je t'appartiens, je ne vis plus pour moi. La douleur que tu me causeras ne sera pas comparable au bonheur de savoir, que celui qui me blesse, de ses mains meurtrières, est trempé dans une essence plus divine que celle de ses semblables! Oui, c'est encore beau de donner sa vie pour un être humain, et de conserver ainsi l'espérance que tous les hommes ne sont pas méchants, puisqu'il y en a eu un, enfin, qui a su attirer, de force, vers soi, les répugnances défiantes de ma sympathie amère!…

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