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GAUDISSART S'AMUSE

Et il a bien raison de s'amuser Gaudissart, pendant qu'il est jeune!

La vie est un pont, morne pont qui réunit les deux néants, celui d'avant, celui d'après.

Or, que faire sur un pont, à moins que l'on n'y danse tous en rond, ainsi que cela se pratique notoirement sur le pont d'Avignon?

Gaudeamus igitur, mes frères, et laissons les gens graves souffler ridiculement dans de ridicules baudruches qu'ils considèrent ensuite tels des blocs de Paros.

Voilà pourquoi j'aime les voyageurs de commerce, gens gais, philosophes et qui s'arrangent toujours pour take a smile with life, comme disent les Anglais.

Nous nous trouvions donc réunis, quelques-uns de ces messieurs, plusieurs chasseurs et moi, un récent soir, dans l'estaminet de la bonne auberge d'un voisin gros bourg.

Le patron du lieu est un fort brave homme légèrement candide et d'une indérapable complaisance.

Chacun le surnomme—je n'ai jamais su pourquoi—le père Becquenfleur.

Nul d'entre nous n'avait sommeil, et bien qu'on dût se lever de fort bonne heure le lendemain, personne ne se souciait d'aller se coucher.

Vite conclue, la connaissance entre les voyageurs et nous tourna plus vite encore à la cordialité parfaite.

Ces messieurs, d'ailleurs, étaient tous charmants.

L'un deux proposa:

–Voulez-vous qu'on fasse une bonne blague au père Becquenfleur?

Assentiment unanime.

Voilà notre farceur qui se pose juste en face de la vieille et ancestrale horloge et qui, dodelinant de la tête, l'index tendu, accompagne d'un balancement rythmique de tout son corps le mouvement du balancier.

Entre le père Becquenfleur?

–Zut! s'écrie le fumiste, c'est trop difficile!… C'est même impossible.

–Quoi donc qu'est impossible? s'informe l'ingénu bonhomme.

–Se mettre en face d'une horloge et suivre, le doigt tendu et en balançant le corps, le mouvement du pendule, tout cela, pendant cinq minutes, et sans ouvrir la bouche.

–C'est si difficile que ça?

–Je vous dis que c'est impossible.

–Allons donc!

–Voulez-vous parier?… Tenez, je vous parie du champagne pour toute la compagnie que vous n'y arrivez pas.

Le père Becquenfleur se gratte la tête, suppute et tient la gageure.

Pas un spectacle au monde ne me semblera jamais d'un comique comparable à celui que nous eûmes alors sous les yeux.

Le père Becquenfleur, serrant les lèvres farouchement, pour ne pas parler, avait contracté un mouvement qui rappelait celui de ces ours assis sur leur derrière et qui se balancent en mesure.

Pendant ce temps, l'un de ces messieurs courait à la cuisine et prévenait la mère Becquenfleur.

–Je ne sais pas ce qu'a votre mari… un coup de folie subite probablement. Il vient de s'installer devant son horloge, et il se balance comme cela, regardez, sans dire un mot… Vous devriez bien venir, nous sommes tous inquiets!

Un peu sceptique—elle en a tant vu, la pauvre femme!—la mère Becquenfleur consent tout de même à se déranger, et quelle n'est point son épouvante en constatant la parfaite véracité du récit du voyageur!

Elle se précipite sur son mari:

–Eh bien! quoi, mon bonhomme, qu'est-ce qu'il y a? Qu'est-ce qui te prend? Mais parle donc!

Tout à l'idée de gagner son pari, le père Becquenfleur continue son dandinement et s'opiniâtre dans son mutisme.

La mère Becquenfleur se démente alors et clame:

–Maria! Augustine! Allez vite quérir le médecin! Mon pauvre bonhomme qu'est devenu fou!

Épouse dévouée, elle se jette en larmes sur son mari, le serre dans ses bras!

–Bougre de vieille g…! s'écrie alors le père Becquenfleur. Tu viens de me faire perdre au moins six bouteilles de champagne!

Et tous de rire.

DE L'INUTILITÉ DE LA MATIÈRE

Un fait des plus curieux et—je crois—sans précédent, vient de s'accomplir à l'Hôtel des Invalides, non sans jeter une énorme stupeur dans le petit monde de ces glorieux débris.

Deux pensionnaires de l'établissement, le nommé A… et le nommé B…, s'étaient pris, depuis longtemps, l'un pour l'autre, d'une vive animosité.

A… qui, au siège de Sébastopol, eut les deux cuisses gelées et, par la suite, amputées, est bien entendu, cul-de-jatte.

B…, lui, s'est vu, à Magenta, emporter les deux bras par un boulet (d'origine que tout porte à croire autrichienne): il est donc manchot.

Sempiternel motif de leurs discussions: la supériorité de la campagne de Crimée sur la guerre d'Italie, et réciproquement.

Dimanche dernier, vers le soir, les deux vieux braves, qui, des boissons fermentées, avaient fait usage excessif, redoublèrent d'acrimonie dans leurs propos.

B…, le manchot, alla même jusqu'à insinuer que le siège de Sébastopol n'était pas autre chose qu'une plaisanterie franco-russe des plus anodines et que, d'ailleurs, les Russes, c'est bien connu, aiment tant les Français qu'il leur répugnerait de tirer le moindre coup de fusil sur leurs alliés. Et puis, ajoutait-il, avoir les cuisses gelées, voilà-t-il pas une grande gloire! Un accident, tout au plus, à peine digne d'un hôpital civil.

A…. le cul-de-jatte, perdit patience:

–Si tu répètes ça, s'écria-t-il, je te f… mon pied dans le c…

B… le répéta.

Il n'avait pas plutôt terminé sa phrase que A… oubliant ses deux jambes restées là-bas, se levait, et avec une prestesse qu'on n'aurait pas attendue de lui, faisait le tour de B… et lui flanquait son pied dans le derrière.

Le manchot pâlit sous l'injure, puis, grinçant des dents, fou de rage, gratifia par deux fois son insulteur de soufflets retentissants; après quoi, se précipitant sur lui, il se disposait à l'étrangler de ses deux poings crispés.

Les témoins de cette scène pénible intervinrent alors et mirent fin au scandale.

Hein! Qu'est-ce que vous pensez de ma petite histoire?

Un cul-de-jatte qui flanque des coups de pieds dans le derrière d'un manchot lequel riposte par des giffles!!!

Vous haussez les épaules.

Fort bien, c'est si facile de hausser les épaules!

Mais de ces autres et suivantes histoires, que direz-vous?

Je vous laisse la parole, mon colonel:

«Je connais une jeune personne dont on avait amputé la cuisse; plusieurs fois elle s'est tenue et a fait quelques pas sur ses deux jambes, c'est-à-dire sur la jambe non amputée et sur la jambe de fluide vital; c'était ordinairement en sortant de son lit. Sa mère, témoin, était obligée de s'écrier:

«Ah! malheureuse! Tu n'as pas ta jambe de bois!»

» Un médecin de mes amis m'a assuré avoir vu un officier, dont la cuisse avait été amputée, marcher jusqu'au milieu de sa chambre sans s'apercevoir qu'il n'avait pas sa jambe de bois, et ne s'arrêter que lorsqu'il en faisait la réflexion; alors la jambe de fluide vital n'avait plus la force de supporter le poids de son corps.»

Haussez-vous encore les épaules?

Oui.

Eh bien! vous n'êtes pas poli pour l'armée, car ces deux dernières histoires de jambes de bois sont textuellement extraites du livre de M. le lieutenant-colonel Albert de Rochas sur l'Extériorisation de la sensibilité.

Ah! ah! vous ne rigolez plus, mes drôles!

Vive l'armée!

LA SÉCURITÉ DANS LE CHANTAGE

Je reçois d'un fidèle lecteur la lettre suivante à laquelle je ne veux pas changer le moindre iota, bien que j'en réprouve hautement l'immorale tendance.

Le sujet que recèle cette missive m'a semblé assez ingénieux pour amuser, durant quelques minutes, la masse croissante et si fine de nos lecteurs.

«Cher monsieur Allais,

» Malgré tous vos louables efforts pour imprimer à l'industrie un mouvement ascensionnel, pour engrener la science sur des rails inédits, pour,—en un mot—renouveler la face du monde actif, les affaires—(il est lamentable de le constater)—marchent de mal en pis, le commerce ne bat plus que d'une aile, le marché devient de plus en plus lourd, comme disent les agioteurs.

» Pour peu qu'ils soient probes, les trafiquants se voient destinés à une ruine certaine doublée d'un déshonneur imminent.

» C'est, pénétré de ces tristes remarques que je me suis décidé, dans ma hâte de jouir des bienfaits de la vie, à me mettre voleur.

» Tout aussi propre à exercer que n'importe quel commerce, le vol possède l'avantage d'enrichir plus vite celui qui le pratique et d'apporter à l'existence plus d'imprévu que ne saurait le faire le métier le moins monotone.

» Je me suis composé, monsieur, une moralité aussi haute que celle émanant du Code Napoléon.

(Napoléon! Ça lui allait bien, à celui-là, de codifier la protection de la vie humaine et de la propriété!)

» Je ne vole que les riches, et c'est du superflu de ces messieurs que je forge mon nécessaire.

» Jusqu'à présent, n'est-ce pas, mon cher Allais, rien d'extraordinaire; mais voici éclater mon originalité:

» Non seulement je me moque du Code, mais aussi je me ris de la maréchaussée.

» Je me suis rendu imprenable, ou à peu près (car, en ce bas-monde, on ne peut répondre de rien).

» Aidé d'une femme remarquablement intelligente, ma maîtresse, je dérobe (et rien n'est plus facile) les enfants en bas âge appartenant à des familles riches.

» Le soir même de ce rapt, la famille riche du bébé reçoit, par une voie mystérieuse, une lettre et un panier renfermant un pigeon voyageur.

» La lettre dit en substance: « Famille riche, si tu veux revoir ton pauvre enfant, insère dans la pochette attachée au cou du présent pigeon, dix jolis billets de mille francs, et demain matin, à la première heure, ton pauvre sale gosse te sera rendu.»

» Ce truc si simple ne rate jamais; allez donc suivre un pigeon voyageur dans les hautains firmaments!

» Mon pigeonnier est établi dans une nation voisine de la France, en un petit endroit plutôt écarté dont vous m'excuserez de ne pas vous indiquer l'adresse exacte.

» Et puis, tout cela, entre nous, n'est-ce pas, car ce genre d'industrie un peu spéciale ne gagne rien à une publicité, si intelligente soit-elle.

» Je serre, cher monsieur Allais, votre rude main caleuse de travailleur opiniâtre.

Signature illisible,

Pas d'adresse.

Où s'arrêteront l'audace et l'ingéniosité des malfaiteurs? C'est ce que se demandent les honnêtes gens, non sans une certaine appréhension.

SENTINELLES, VEILLEZ!

Aux yeux de tous les personnages compétents, le chien est appelé à jouer un rôle considérable dans les grandes guerres européennes.

Chiens sentinelles, chiens éclaireurs, chiens anticyclistes, chiens estafettes, on les met à toutes les sauces, les pauvres toutous.

Dans ce curieux sport, l'Allemagne, sans contredit, marche à la tête des autres nations militaires, et, chaque jour, c'est à qui de MM. les officiers prussiens imaginera une nouvelle application du chien à un emploi militaire.

Me promenant récemment dans les environs les moins explorés de Koenigsberg, j'ai été assez heureux pour assister (par le plus grand des hasards, d'ailleurs, car je m'étais trompé de route) à des exercices infiniment suggestifs et qu'il importe de dévoiler au plus tôt.

On jugera de la stupeur qui m'envahit quand, d'un petit bois où je me trouvais égaré, j'aperçus la scène suivante:

Des soldats français et des soldats russes (je crus rêver!) ou plutôt—disons-le dès maintenant—des Allemands déguisés en Français et en Russes, fantassins, cavaliers, artilleurs, etc., etc., donnaient à manger à une forte meute de chiens, de ces gros chiens comme on en rencontre dans les Flandres, qui traînent des voitures à lait.

Et c'étaient des caresses, et c'étaient des bonnes paroles et de gros morceaux de viande!

Quand les chiens furent bien gavés, tous ces faux Français, tous ces pseudo-Russes les attelèrent à de petits chariots, les attachèrent à des piquets, grimpèrent à cheval et disparurent bientôt au loin.

Quelques instants plus tard surgissaient d'autres soldats, d'uniforme allemand ceux-là, qui se précipitèrent sur les chiens à coups de pied, à coups de fouet, et arrachant aux pauvres animaux les quelques os qu'ils rongeaient encore.

Après quoi, ils les détachèrent au son de mille horribles clameurs.

Comme bien vous le pensez, les infortunées bêtes n'attendirent point leur reste: en quelques minutes, tous les chiens, au grand galop, avaient rejoint leurs bienfaiteurs français et russes, là-bas, dans la campagne.

Qu'est-ce que cet étrange manège pouvait bien signifier?

Je résolus d'en avoir le coeur net et, au risque de me faire coffrer, je prolongeai mon séjour à Koenigsberg, poursuivant sans relâche et avec une remarquable intelligence mes patriotiques investigations.

La conversation d'un lieutenant pris de boisson me mit bientôt au courant.

Les chiens dont je viens de parler sont en cas de guerre, dressés à fuir, eux et leurs attelages, les troupes allemandes, pour aller rejoindre ces Français, ces Russes, dont ils n'ont jamais reçu que de bons traitements.

Les petites voitures qu'ils traînent derrière eux seront alors chargées d'effroyables substances dont l'explosion mettra fin à des milliers d'existences.

Le moment de la détonation peut être déterminé à une seconde près, grâce à un système d'horlogerie qu'on règle selon la distance qui sépare de l'ennemi.

Et ça n'est pas plus difficile que ça!

J'ajouterai que, ces chiens étant rendus aphones par une opération chirurgicale et les roulements des chariots se faisant sur caoutchouc, pas un bruit ne saurait révéler l'approche de cette terrible et ambulante machine infernale.

Messieurs les Français, vous voilà avertis!

UN BIZARRE ACCIDENT

Voulez-vous, mes petits amis, pour nous délasser un instant de la fixité de nos regards vers l'Est, jeter un léger coup d'oeil sur le laps de ces trente derniers ans passés, et alors, nous serons stupéfaits en considérant les progrès énormes accomplis par la pratique du vélocipède.

Avant les regrettables événements de 70-71, le vélocipède existait bien, mais sous la forme de rares spécimens. (Vous êtes trop jeunes pour vous rappeler cela.)

Il n'avait pas, d'ailleurs, revêtu la forme que nous lui connaissons actuellement, et même il prêtait au sourire de la grande majorité des Français d'alors.

Quelques rares originaux et qui ne craignaient point d'affronter les ricanements de leurs contemporains faisaient, seuls, usage de bicycles (comme on désignait les dites machines) et s'attiraient des piétons la spirituelle appellation d'imbéciles à roulettes!

Comme c'est loin, tout ça!

Aujourd'hui, en dépit de quelques grincheux, le cyclisme semble être entré définitivement en nos moeurs.

Dans les bourgades les plus reculées, on rencontre de nombreux vélocipédistes dont certains appartiennent parfois à d'humbles conditions, car, ainsi que la démocratie, la bicyclette coule à pleins bords.

Je n'entreprendrai pas l'apologie de ce nouveau mode de locomotion: des plumes autrement autorisées que la mienne l'ont déjà fait avec un rare bonheur. (Avez-vous lu Voici des ailes, de Maurice Leblanc? Non. Eh bien, lisez-le, et vous me remercierez du tuyau.)

Ah! dame! la bécane procure quelquefois de petits ennuis. Cette médaille a un côté pile, ou plutôt pelle, pas toujours drôle, sans compter le passage du sportsman sous la roue de pesants camions, ou le piquage de tête dans les gouffres embusqués au coin d'insidieux tournants.

Ou des accidents plus étranges encore, témoin celui que voici:

Dimanche dernier, un groupe joyeux d'environ vingt vélocipédistes de l'A. T. C. H. O. U. M. (Association des Terrassiers Cyclistes du Havre et des Organistes Unis de Montivilliers) remontait, en peloton compact, le chemin creux qui, partant de la route de Cabourg à Étretat, aboutit au plateau de Notre-Dame de Grâce, près Honfleur.

Tout à coup, pareillement au crépitus d'un canon à tir rapide, une série de détonations déchira l'air.

Les vingt pneux des camarades venaient d'éclater.

(Accident? Malveillance? C'est ce que l'enquête ouverte par l'A.T.C.H.O.U.M. établira.)

Nos gaillards eurent bientôt fait de réparer le désastre, mais au moment où, d'un énergique et simultané travail, ils regonflaient leurs pneumatiques, voici qu'ils tombèrent tous sur le sol, en proie à des mouvements spasmodiques, et comme asphyxiés, les pauvres!

L'explication du phénomène est bien simple: les vingt-cinq pompes de ces messieurs, absorbant l'air ambiant pour l'enfourner au sein des caoutchoucs, avaient fait le vide dans le chemin creux et les cyclistes subissaient les affres du petit oiseau que, dans les laboratoires, on met sous la cloche de la machine pneumatique.

L'accident, par bonheur, n'eut pas de suite, une forte brise ayant ramené de l'air dans ces parages; mais tous les affiliés de l'A.T.C.H.O.U.M. ont bien juré que cette mésaventure leur servirait de leçon.

PÉNIBLES DÉBUTS

Une des premières visites que fit ce jeune homme, débarquant à Paris, fut pour moi, moi son vieux concitoyen.

–Une place? lui répondis-je, une belle place? Vous cherchez une belle place?

–Dam! aussi belle que possible.

–Eh bien, mon cher ami, je puis vous en indiquer une superbe!

–Ah! vraiment. Laquelle?

–La place de la Concorde.

Cette facile plaisanterie, vieille déjà de pas mal d'années, continue à m'enchanter comme aux premiers jours (ainsi certains vieillards conservent jusqu'au seuil du sépulcre la plus réjouissante allégresse).

Le jeune homme consentit à sourire, mais je vis bien qu'il ne goûtait pas intégralement ma petite facétie.

Pour le remettre en joie, je l'entraînai vers un bar voisin que je connais et où l'on rencontre le seul gin buvable de Paris.

Un vieux camarade, étrange type et fertile en avatars, s'y trouvait déjà.

–Comment va?

–Et toi?… Rien de neuf?

Je présentai mon jeune ami au personnage.

Justement cela tombait bien, le personnage venant d'acquérir un journal du soir et recrutant pour son organe une rédaction jeune, ardente et pas encore compromise. C'était touchant d'entendre le monsieur parler de la sorte.

Il fut convenu que mon protégé ferait partie du vespéral canard en question et qu'il écrirait chaque jour un Croquis de Paris de vingt ou trente lignes.

–Mais, protestait mollement le jouvenceau, je ne sais pas si je saurai, moi d'hier à Paris, écrire des choses bien parisiennes.

–Au contraire, mon garçon! affirmait l'autre. Ce sera bien mieux ainsi. Vous verrez Paris sous l'angle charmant de vos yeux ingénus et vous le décrirez d'une plume non encore souillée des mille compromissions de la capitale!

(Mon vieux camarade use parfois de ces termes grandiloquents.)

–Alors, entendu.

–Quant aux appointements,—je vous avoue que je suis pour l'instant un peu serré,—je ne saurais donc vous gorger d'or. Je vous offre 150 fr. par mois—somme dérisoire, je le sais… Ce sera pour vos cigares…

–Je ne fume pas.

–Tous mes compliments, jeune homme; je voudrais pouvoir en dire autant.

Ce fut donc convenu.

Dès le lendemain, le jeune homme entrait en fonctions.

Chaque jour, il abattit son petit Croquis de Paris, pas plus mal qu'un autre, ma foi, et même souvent de fort gentille tournure.

À la fin du mois, un peu ému, il se présentait à la caisse.

–Vous désirez? fit l'argentier.

–Je suis M. Un Tel, j'appartiens depuis un mois à la rédaction du journal, à raison de 150 fr. par mois, lesquels cent cinquante francs j'aimerais bien toucher à cette heure.

–Je n'ai pas d'ordre, monsieur. Voyez le directeur.

D'un bond, le jeune homme était chez le directeur.

–On refuse à la caisse de me régler mon traitement de ce mois.

–Quel traitement?

–Les 150 fr. que vous m'avez promis.

–Pardon, jeune homme, je vous ai, en effet, promis 150 fr.; mais, avais-je ajouté, c'était pour vos cigares. Or, vous m'avez déclaré vous-même que vous ne fumiez pas.

–!!!!!

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