Celui qui se faisait annoncer avec ce pompeux étalage de titres, n'était autre, nos lecteurs le savent, que le duelliste Souscarrières, dont nous avons raconté les prouesses au commencement de ce volume.
Souscarrières entra d'un air dégagé et salua Son Eminence avec une désinvolture que, dans sa position, on pourrait qualifier d'effronterie.
Le cardinal eut l'air de chercher des yeux, comme si Souscarrières avait amené une suite avec lui.
– Pardon, monseigneur, dit Souscarrières en allongeant galamment le pied et en arrondissant le bras droit, avec lequel il tenait son chapeau, mais Votre Eminence paraît chercher quelque chose?
– Je cherche les personnes que l'on a annoncées avec vous, M. Michel.
– Michel, répéta Souscarrières faisant l'étonné, qui donc se nomme ainsi, monseigneur?
– Mais vous, mon cher monsieur, ce me semble.
– Oh! monseigneur commet une grave erreur, dans laquelle je ne voudrais pas le laisser; je suis le fils reconnu de messire Roger de Saint-Lary, duc de Bellegarde, grand écuyer de France; mon illustre père vit encore, et l'on peut s'informer à lui. Je suis seigneur de Souscarrières, d'un bien que j'ai acquis; j'ai été fait marquis par Mme la duchesse Nicole de Lorraine, à propos de mon mariage avec noble demoiselle Anne de Rogers.
– Mon cher monsieur Michel, reprit Richelieu, permettez-moi de vous raconter votre histoire, je la sais mieux que vous, elle vous instruira.
– Je sais, dit Souscarrières, que les grands hommes comme vous ont, après les journées de fatigue, besoin d'une heure d'amusement; heureux ceux qui peuvent, même à leurs dépens, donner cette heure de distraction à un si grand génie.
Et Souscarrières, enchanté du compliment qu'il venait de trouver, s'inclina devant le cardinal.
– Vous vous trompez du tout au tout, monsieur Michel, continua le cardinal, s'entêtant à lui donner ce nom: je ne suis pas fatigué, je n'ai pas besoin d'une heure d'amusement, et je ne veux pas prendre cette heure à vos dépens; seulement, comme j'ai une proposition à vous faire, je veux bien vous prouver que je ne suis pas, comme tout le monde, dupe de vos noms et de votre titre, et que c'est à cause de votre mérite personnel que je vous la fais.
Et le cardinal accompagna cette dernière phrase d'un de ces fins sourires qui, dans ses moments de bonne humeur, lui étaient particuliers.
– Je n'ai qu'à laisser parler Votre Eminence, dit Souscarrières, un peu déferré du tour que prenait la conversation.
– Je commence donc, n'est-ce pas, monsieur Michel?
Souscarrières s'inclina en homme qui ne peut opposer aucune résistance.
– Vous connaissez la rue des Bourdonnais, n'est-ce pas, monsieur Michel? demanda le cardinal.
– Il faudrait être du Cathay, monseigneur, pour ne la point connaître.
– Eh bien, vous avez connu aussi dans votre jeunesse un brave pâtissier qui tenait l'auberge des Carneaux et qui traitait par tête; ce digne homme, qui faisait d'excellente cuisine, et chez lequel j'ai mangé maintes fois, quand j'étais évêque de Luçon, s'appelait Michel et avait l'honneur d'être M. votre père.
– Je croyais avoir déjà dit à Votre Eminence que j'étais le fils reconnu de M. le duc de Bellegarde, insista, mais avec moins de confiance, le seigneur de Souscarrières.
– Rien n'est plus vrai, répliqua le cardinal, je vais même vous dire comment cette reconnaissance s'est faite. Ce digne pâtissier avait une femme fort jolie, à qui tous les seigneurs fréquentant l'auberge des Carneaux faisaient leur cour. Un beau jour, elle se trouva grosse et accoucha d'un fils; ce fils c'était vous, mon cher monsieur Michel; car, comme vous êtes né pendant le mariage et du vivant de M. votre père, ou, si vous voulez, du mari de votre mère, vous ne pouvez porter un autre nom que celui de M. votre père et de Mme votre mère; il n'y a que les rois, ne l'oubliez pas, mon cher monsieur Michel, qui aient le droit de légitimer les enfants adultérins.
– Diable! diable! murmura Souscarrières.
– Arrivons à notre reconnaissance; après avoir été un joli enfant, vous devîntes un beau jeune homme, adroit à tous les exercices du corps, jouant à la paume comme Fontenay, et faisant filer une carte comme personne. Arrivé à ce degré de perfection, vous résolûtes de faire servir ces divers talents à votre fortune, et, pour commencer la susdite fortune, vous passâtes en Angleterre, et vous y fûtes si heureux à toute sorte de jeux, que vous en revîntes avec 500,000 francs; est-ce bien cela?
– A quelques centaines de pistoles près, oui, monseigneur?
– Ce fut alors que vous eûtes, un beau matin, la visite d'un nommé Lalande, qui a été le maître de paume de S. M. notre sire le roi; or voilà ce qu'il vous dit, ou à peu près; ce sera le sens de son discours, si ce n'est pas précisément la lettre: – «Pardieu, monsieur de Souscarrières,» ah! pardon, j'oubliais (je ne sais pourquoi vous avez toujours eu de l'antipathie pour le nom de Michel, qui est pourtant un nom des plus agréables, de sorte que, du premier argent que vous avez eu, vous avez acheté, pour un millier de pistoles, une espèce de masure tombant en ruine et appelée dans le pays, c'est-à-dire du côté de Grosbois, Souscarrières, ce qui fit que vous ne vous appelâtes plus Michel, mais Souscarrières). Pardon d'avoir ouvert cette parenthèse, mais je la crois nécessaire à l'intelligence du récit.
Souscarrières s'inclina.
– Le petit Lalande vous dit donc: «Pardieu, monsieur Souscarrières, vous êtes bien fait, vous avez de l'esprit, vous avez du cœur, vous êtes adroit au jeu, heureux en amour; il ne nous manque que la naissance, – je sais bien qu'on n'est pas le maître de choisir son père et sa mère; sans quoi, chacun voudrait avoir pour auteur de ses jours un pair de France, et pour mère une duchesse à tabouret. Mais quand on est riche, il y a toujours moyen de corriger ces petites irrégularités du hasard.» Je n'étais point là, mon cher monsieur Michel, mais je devine les yeux que vous fîtes à cette ouverture. Lalande continua: «Il n'y a qu'à choisir, vous comprenez, entre tous les grande seigneurs qui firent l'amour à madame votre mère, un qui soit médiocrement scrupuleux, M. de Bellegarde, par exemple; voici le temps du grand jubilé qui approche: votre mère, qui sera enchantée de faire de vous un gentilhomme, ira trouver M. le Grand et lui dira que vous êtes à lui et non au pâtissier, que sa conscience ne peut pas souffrir que vous ayez le bien d'un homme qui n'est pas votre père; comme il n'a pas grande mémoire, il ne se souviendra même pas s'il a été son amant ou non, et comme il y aura 30,000 fr. au bout de sa reconnaissance, il vous reconnaîtra.» N'est-ce point ainsi que la chose s'est passée.
– A peu près, Monseigneur, je dois le dire; seulement Votre Eminence a oublié une chose.
– Laquelle? Si ma mémoire m'a fait défaut, quoiqu'elle soit meilleure que celle de M. de Bellegarde, je suis prêt à reconnaître mon erreur.
– C'est qu'outre les cinq cent mille francs mentionnés par Votre Eminence, j'ai rapporté d'Angleterre l'invention des chaises à porteurs, pour lesquelles, depuis trois ans, je sollicite un brevet en France.
– Vous vous trompez, cher monsieur Michel, je n'ai oublié ni l'invention, ni la demande de brevet que vous m'avez adressée pour la faire valoir, et je vous ai envoyé chercher tout particulièrement, au contraire, pour vous parler de cela; mais chaque chose a son tour. L'ordre, a dit un philosophe, est la moitié du génie, nous n'en sommes encore qu'à votre mariage.
– Ne pourrions-nous nous dispenser de cela, monseigneur?
– Impossible, que deviendrait votre titre de marquis, puisqu'il vous fut donné par la duchesse Nicole de Lorraine, à propos de votre mariage? Il a couru sur vous et sur cette digne duchesse, à cette époque, beaucoup de bruits que vous vous êtes bien gardé de démentir, et quand elle est morte, il y a six mois, vous avez fait prendre le deuil à un bambin de cinq ans que vous avez; mais, comme chacun a le droit d'habiller ses enfants à sa fantaisie, je ne vous ferai point de remontrances à cet endroit-là.
– Monseigneur est bien bon, dit Souscarrières.
– Quoi qu'il en soit, vous revîntes de Lorraine avec une jeune fille que vous aviez enlevée, Mlle Anne de Rogers; vous la disiez fille d'un grand seigneur, et elle était tout simplement fille de la duchesse. Ce fut à l'occasion de votre mariage avec elle que vous fûtes, dites-vous, fait marquis de Montbrun; mais, pour que la promotion fût valable, il eût fallu que ce fût M. Michel qui fût fait marquis, et non M. de Bellegarde, puisque étant enfant adultérin, vous ne pouviez être reconnu, et que n'ayant pas le droit de vous appeler Bellegarde, on ne pouvait pas vous faire marquis sous ce nom qui n'est pas et qui ne peut pas être le vôtre.
– Monseigneur est bien dur pour moi.
– Tout au contraire, cher monsieur Michel, je suis doux comme sirop, et vous allez le voir.
Mme Michel, qui ne connaissait pas quel bonheur lui était tombé en partage d'épouser un homme tel que vous, Mme Michel se laissa cajoler par Villaudry, vous savez, Villaudry, le cadet de celui que Moissens a tué; vous eûtes vent de quelque chose et la voulûtes jeter dans le canal de Souscarrières; mais vous n'étiez pas bien sûr, et comme vous n'êtes pas au fond un méchant homme, vous attendîtes d'être plus assuré.
L'assurance vint à propos d'un bracelet de cheveux qu'elle donna à Villaudry; cette fois, comme vous aviez la preuve, une lettre écrite tout entière de sa main, qui ne vous laissait point de doute sur votre disgrâce, vous la menâtes dans le parc, et, tirant votre poignard, vous lui dîtes de prier Dieu. Cette fois, ce n'était point comme lorsque vous l'aviez menacée de la jeter dans le canal, et elle vit bien que ce n'était point pour rire.
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