Читать бесплатно книгу «Le mystère de la chambre jaune» Гастона Леру полностью онлайн — MyBook

La figure de Rouletabille était vraiment comique à voir en ce moment. Elle reflétait un désir si irrésistible de franchir ce seuil au-delà duquel il se passait quelque prodigieux mystère; elle suppliait avec une telle éloquence non seulement de la bouche et des yeux, mais encore de tous les traits, que je ne pus mempêcher déclater de rire. Frédéric Larsan, pas plus que moi, ne garda son sérieux.

Cependant, derrière la grille, Frédéric Larsan remettait tranquillement la clef dans sa poche. Je lexaminai.

Cétait un homme qui pouvait avoir une cinquantaine dannées. Sa tête était belle, aux cheveux grisonnants, au teint mat, au profil dur; le front était proéminent; le menton et les joues étaient rasés avec soin; la lèvre, sans moustache, était finement dessinée; les yeux, un peu petits et ronds, fixaient les gens bien en face dun regard fouilleur qui étonnait et inquiétait. Il était de taille moyenne et bien prise; lallure générale était élégante et sympathique. Rien du policier vulgaire. Cétait un grand artiste en son genre, et il le savait, et lon sentait quil avait une haute idée de lui-même. Le ton de sa conversation était dun sceptique et dun désabusé. Son étrange profession lui avait fait côtoyer tant de crimes et de vilenies quil eût été inexplicable quelle ne lui eût point un peu «durci les sentiments», selon la curieuse expression de Rouletabille.

Larsan tourna la tête au bruit dune voiture qui arrivait derrière lui. Nous reconnûmes le cabriolet qui, en gare dÉpinay, avait emporté le juge dinstruction et son greffier.

«Tenez! fit Frédéric Larsan, vous vouliez parler à M. Robert Darzac; le voilà!»

Le cabriolet était déjà à la grille et Robert Darzac priait Frédéric Larsan de lui ouvrir lentrée du parc, lui disant quil était très pressé et quil navait que le temps darriver à Épinay pour prendre le prochain train pour Paris, quand il me reconnut. Pendant que Larsan ouvrait la grille, M. Darzac me demanda ce qui pouvait mamener au Glandier dans un moment aussi tragique. Je remarquai alors quil était atrocement pâle et quune douleur infinie était peinte sur son visage.

«Mlle Stangerson va-t-elle mieux? demandai-je immédiatement.

– Oui, fit-il. On la sauvera peut-être. Il faut quon la sauve.»

Il najouta pas «ou jen mourrai», mais on sentait trembler la fin de la phrase au bout de ses lèvres exsangues.

Rouletabille intervint alors:

«Monsieur, vous êtes pressé. Il faut cependant que je vous parle. Jai quelque chose de la dernière importance à vous dire.»

Frédéric Larsan interrompit:

«Je peux vous laisser? demanda-t-il à Robert Darzac. Vous avez une clef ou voulez-vous que je vous donne celle-ci?

– Oui, merci, jai une clef. Je fermerai la grille.»

Larsan séloigna rapidement dans la direction du château dont on apercevait, à quelques centaines de mètres, la masse imposante.

Robert Darzac, le sourcil froncé, montrait déjà de limpatience. Je présentai Rouletabille comme un excellent ami; mais, dès quil sut que ce jeune homme était journaliste, M. Darzac me regarda dun air de grand reproche, sexcusa sur la nécessité où il était datteindre Épinay en vingt minutes, salua et fouetta son cheval. Mais déjà Rouletabille avait saisi, à ma profonde stupéfaction, la bride, arrêté le petit équipage dun poing vigoureux, cependant quil prononçait cette phrase dépourvue pour moi du moindre sens:

«Le presbytère na rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat.»

Ces mots ne furent pas plutôt sortis de la bouche de Rouletabille que je vis Robert Darzac chanceler; si pâle quil fût, il pâlit encore; ses yeux fixèrent le jeune homme avec épouvante et il descendit immédiatement de sa voiture dans un désordre desprit inexprimable.

«Allons! Allons!» dit-il en balbutiant.

Et puis, tout à coup, il reprit avec une sorte de fureur:

«Allons! monsieur! Allons!»

Et il refit le chemin qui conduisait au château, sans plus dire un mot, cependant que Rouletabille suivait, tenant toujours le cheval. Jadressai quelques paroles à M. Darzac… mais il ne me répondit pas. Jinterrogeai de loeil Rouletabille, qui ne me vit pas.

VI
Au fond de la chênaie

Nous arrivâmes au château. Le vieux donjon se reliait à la partie du bâtiment entièrement refaite sous Louis XIV par un autre corps de bâtiment moderne, style Viollet-le-Duc, où se trouvait lentrée principale. Je navais encore rien vu daussi original, ni peut- être daussi laid, ni surtout daussi étrange en architecture que cet assemblage bizarre de styles disparates. Cétait monstrueux et captivant. En approchant, nous vîmes deux gendarmes qui se promenaient devant une petite porte ouvrant sur le rez-de-chaussée du donjon. Nous apprîmes bientôt que, dans ce rez-de-chaussée, qui était autrefois une prison et qui servait maintenant de chambre de débarras, on avait enfermé les concierges, M. et MmeBernier.

M. Robert Darzac nous fit entrer dans la partie moderne du château par une vaste porte que protégeait une «marquise». Rouletabille, qui avait abandonné le cheval et le cabriolet aux soins dun domestique, ne quittait pas des yeux M. Darzac; je suivis son regard, et je maperçus que celui-ci était uniquement dirigé vers les mains gantées du professeur à la Sorbonne. Quand nous fûmes dans un petit salonet garni de meubles vieillots, M. Darzac se tourna vers Rouletabille et assez brusquement lui demanda:

«Parlez! Que me voulez-vous?»

Le reporter répondit avec la même brusquerie:

«Vous serrer la main!»

Darzac se recula:

«Que signifie?»

Évidemment, il avait compris ce que je comprenais alors: que mon ami le soupçonnait de labominable attentat. La trace de la main ensanglantée sur les murs de la «Chambre Jaune» lui apparut… Je regardai cet homme à la physionomie si hautaine, au regard si droit dordinaire et qui se troublait en ce moment si étrangement. Il tendit sa main droite, et, me désignant:

«Vous êtes lami de M. Sainclair qui ma rendu un service inespéré dans une juste cause, monsieur, et je ne vois pas pourquoi je vous refuserais la main…»

Rouletabille ne prit pas cette main. Il dit, mentant avec une audace sans pareille:

«Monsieur, jai vécu quelques années en Russie, doù jai rapporté cet usage de ne jamais serrer la main à quiconque ne se dégante pas.»

Je crus que le professeur en Sorbonne allait donner un libre cours à la fureur qui commençait à lagiter, mais au contraire, dun violent effort visible, il se calma, se déganta et présenta ses mains. Elles étaient nettes de toute cicatrice.

«Êtes-vous satisfait?

– Non! répliqua Rouletabille. Mon cher ami, fit-il en se tournant vers moi, je suis obligé de vous demander de nous laisser seuls un instant.»

Je saluai et me retirai, stupéfait de ce que je venais de voir et dentendre, et ne comprenant pas que M. Robert Darzac neût point déjà jeté à la porte mon impertinent, mon injurieux, mon stupide ami… Car, à cette minute, jen voulais à Rouletabille de ses soupçons qui avaient abouti à cette scène inouïe des gants…

Je me promenai environ vingt minutes devant le château, essayant de relier entre eux les différents événements de cette matinée, et ny parvenant pas. Quelle était lidée de Rouletabille? Était-il possible que M. Robert Darzac lui apparût comme lassassin? Comment penser que cet homme, qui devait se marier dans quelques jours avec Mlle Stangerson, sétait introduit dans la «Chambre Jaune» pour assassiner sa fiancée? Enfin, rien nétait venu mapprendre comment lassassin avait pu sortir de la «Chambre Jaune»; et, tant que ce mystère qui me paraissait inexplicable ne me serait pas expliqué, jestimais, moi, quil était du devoir de tous de ne soupçonner personne. Enfin, que signifiait cette phrase insensée qui sonnait encore à mes oreilles: le presbytère na rien perdu de son charme ni le jardin de son _éclat!_Javais hâte de me retrouver seul avec Rouletabille pour le lui demander.

À ce moment, le jeune homme sortit du château avec M. Robert Darzac. Chose extraordinaire, je vis au premier coup doeil quils étaient les meilleurs amis du monde.

«Nous allons à la «Chambre Jaune», me dit Rouletabille, venez avec nous. Dites-donc, cher ami, vous savez que je vous garde toute la journée. Nous déjeunons ensemble dans le pays…

– Vous déjeunerez avec moi, ici, messieurs…

– Non, merci, répliqua le jeune homme. Nous déjeunerons à lauberge du «Donjon»…

– Vous y serez très mal… Vous ny trouverez rien.

– Croyez-vous? … Moi jespère y trouver quelque chose, répliqua Rouletabille. Après déjeuner, nous retravaillerons, je ferai mon article, vous serez assez aimable pour me le porter à la rédaction…

– Et vous? Vous ne revenez pas avec moi?

– Non; je couche ici…»

Je me retournai vers Rouletabille. Il parlait sérieusement, et M. Robert Darzac ne parut nullement étonné…

Nous passions alors devant le donjon et nous entendîmes des gémissements. Rouletabille demanda:

«Pourquoi a-t-on arrêté ces gens-là?

– Cest un peu de ma faute, dit M. Darzac. Jai fait remarquer hier au juge dinstruction quil est inexplicable que les concierges aient eu le temps dentendre les coups de revolver, «de shabiller», de parcourir lespace assez grand qui sépare leur loge du pavillon, tout cela en deux minutes; car il ne sest pas écoulé plus de deux minutes entre les coups de revolver et le moment où ils ont été rencontrés par le père Jacques.

– Èvidemment, cest louche, acquiesça Rouletabille… Et ils étaient habillés…?

– Voilà ce qui est incroyable… ils étaient habillés… «entièrement», solidement et chaudement… Il ne manquait aucune pièce à leur costume. La femme était en sabots, mais lhomme avait «ses souliers lacés». Or, ils ont déclaré sêtre couchés comme tous les soirs à neuf heures. En arrivant, ce matin, le juge dinstruction, qui sétait muni, à Paris, dun revolver de même calibre que celui du crime (car il ne veut pas toucher au revolver-pièce à conviction), a fait tirer deux coups de revolver par son greffier dans la «Chambre Jaune», fenêtre et porte fermées. Nous étions avec lui dans la loge des concierges; nous navons rien entendu… on ne peut rien entendre. Les concierges ont donc menti, cela ne fait point de doute… Ils étaient prêts; ils étaient déjà dehors non loin du pavillon; ils attendaient quelque chose. Certes, on ne les accuse point dêtre les auteurs de lattentat, mais leur complicité nest pas improbable… M. de Marquet les a fait arrêter aussitôt.

– Sils avaient été complices, dit Rouletabille, ils seraient arrivés débraillés, ou plutôt ils ne seraient pas arrivés du tout. Quand on se précipite dans les bras de la justice, avec sur soi tant de preuves de complicité, cest quon nest pas complice. Je ne crois pas aux complices dans cette affaire.

– Alors, pourquoi étaient-ils dehors à minuit? Quils le disent! …

– Ils ont certainement un intérêt à se taire. Il sagit de savoir lequel… Même sils ne sont pas complices, cela peut avoir quelque importance. Tout est important de ce qui se passe dans une nuit pareille…»

Nous venions de traverser un vieux pont jeté sur la Douve et nous entrions dans cette partie du parc appelée «la Chênaie». Il y avait là des chênes centenaires. Lautomne avait déjà recroquevillé leurs feuilles jaunies et leurs hautes branches noires et serpentines semblaient daffreuses chevelures, des noeuds de reptiles géants entremêlés comme le sculpteur antique en a tordu sur sa tête de Méduse. Ce lieu, que Mlle Stangerson habitait lété parce quelle le trouvait gai, nous apparut, en cette saison, triste et funèbre. Le sol était noir, tout fangeux des pluies récentes et de la bourbe des feuilles mortes, les troncs des arbres étaient noirs, le ciel lui-même, au-dessus de nos têtes, était en deuil, charriait de gros nuages lourds. Et, dans cette retraite sombre et désolée, nous aperçûmes les murs blancs du pavillon. Étrange bâtisse, sans une fenêtre visible du point où elle nous apparaissait. Seule une petite porte en marquait lentrée. On eût dit un tombeau, un vaste mausolée au fond dune forêt abandonnée… À mesure que nous approchions, nous en devinions la disposition. Ce bâtiment prenait toute la lumière dont il avait besoin, au midi, cest-à-dire de lautre côté de la propriété, du côté de la campagne. La petite porte refermée sur le parc, M. et Mlle Stangerson devaient trouver là une prison idéale pour y vivre avec leurs travaux et leur rêve.

Je vais donner tout de suite, du reste, le plan de ce pavillon. Il navait quun rez-de-chaussée, où lon accédait par quelques marches, et un grenier assez élevé qui ne nous occupera en aucune façon». Cest donc le plan du rez-de-chaussée dans toute sa simplicité que je soumets au lecteur.

Il a été tracé par Rouletabille lui-même, et jai constaté quil ny manquait pas une ligne, pas une indication susceptible daider à la solution du problème qui se posait alors devant la justice. Avec la légende et le plan, les lecteurs en sauront tout autant, pour arriver à la vérité, quen savait Rouletabille quand il pénétra dans le pavillon pour la première fois et que chacun se demandait: «Par où lassassin a-t-il pu fuir de la Chambre Jaune?»

_1. __Chambre Jaune, avec son unique fenêtre grillée et son unique porte donnant sur le laboratoire._ _2. __Laboratoire, avec ses deux grandes fenêtres grillées et ses portes; donnant lune sur le vestibule, lautre sur la Chambre Jaune._ _3. __Vestibule, avec sa fenêtre non grillée et sa porte dentrée donnant sur le parc._ _4. __Lavatory._ _5. __Escalier conduisant au grenier._ _6. __Vaste et unique cheminée du pavillon servant aux expériences de laboratoire._

Avant de gravir les trois marches de la porte du pavillon, Rouletabille nous arrêta et demanda à brûle-pourpoint à M. Darzac:

«Eh bien! Et le mobile du crime?

– Pour moi, monsieur, il ny a aucun doute à avoir à ce sujet, fit le fiancé de Mlle Stangerson avec une grande tristesse. Les traces de doigts, les profondes écorchures sur la poitrine et au cou de Mlle Stangerson attestent que le misérable qui était là avait essayé un affreux attentat. Les médecins experts, qui ont examiné hier ces traces, affirment quelles ont été faites par la même main dont limage ensanglantée est restée sur le mur; une main énorme, monsieur, et qui ne tiendrait point dans mon gant, ajouta-t-il avec un amer et indéfinissable sourire…

– Cette main rouge, interrompis-je, ne pourrait donc pas être la trace des doigts ensanglantés de Mlle Stangerson, qui, au moment de sabattre, aurait rencontré le mur et y aurait laissé, en glissant, une image élargie de sa main pleine de sang?

– il ny avait pas une goutte de sang aux mains de Mlle Stangerson quand on la relevée, répondit M. Darzac.

– On est donc sûr, maintenant, fis-je, que cest bien Mlle Stangerson qui sétait armée du revolver du père Jacques, puisquelle a blessé la main de lassassin. Elle redoutait donc quelque chose ou quelquun? __ – Cest probable…

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