Читать бесплатно книгу «Le fauteuil hanté» Гастона Леру полностью онлайн — MyBook

Or, on avait trompé la presse. C'était le lendemain même de la mort de Maxime d'Aulnay, le jour par conséquent où nous venons d'accompagner M. Hippolyte Patard dans la salle du Dictionnaire, que l'élection devait avoir lieu. Chaque académicien avait été averti par les soins de M. le secrétaire perpétuel, en particulier et cette séance, aussi exceptionnelle que privée, allait s'ouvrir dans la demi-heure.

M. le chancelier dit à l'oreille de M. Hippolyte Patard:

–Et Martin Latouche? Avez-vous de ses nouvelles?

Disant cela, M. le chancelier considérait M. le secrétaire perpétuel avec une émotion qu'il n'essayait nullement de dissimuler.

–Je n'en sais rien, répondit évasivement M. Patard.

–Comment!… vous n'en savez rien?…

M. le secrétaire perpétuel montra son courrier intact.

–Je n'ai pas encore ouvert mon courrier!

–Mais ouvrez-le donc, malheureux!…

–Vous êtes bien pressé, monsieur le chancelier! fit M. Patard avec une certaine hésitation.

–Patard, je ne vous comprends pas!…

–Vous êtes bien pressé d'apprendre que peut-être Martin Latouche, le seul qui ait osé maintenir sa candidature avec Maxime d'Aulnay, sachant du reste à ce moment qu'il ne serait pas élu… vous êtes bien pressé d'apprendre, dis-je, monsieur le chancelier que Martin Latouche, le seul qui nous reste, renonce maintenant à la succession de Mgr d'Abbeville!

M. le chancelier ouvrit des yeux effarés, mais il serra les mains de M. le secrétaire perpétuel:

–Oh! Patard! je vous comprends…

–Tant mieux! monsieur le chancelier! Tant mieux!…

–Alors… vous n'ouvrirez votre courrier… qu'après…

–Vous l'avez dit, monsieur le chancelier; il sera toujours temps pour nous d'apprendre, quand il sera élu, que Martin Latouche ne se présente pas!… Ah! c'est qu'ils ne sont pas nombreux, les candidats au Fauteuil hanté!…

M. Patard avait à peine prononcé ces deux derniers mots qu'il frissonna. Il avait dit, lui, le secrétaire perpétuel, il avait dit, couramment, comme une chose naturelle: «le Fauteuil hanté!…» Il y eut un silence entre les deux hommes. Au-dehors, dans la cour quelques groupes commençaient à se former, mais, tout à leur pensée, M. le secrétaire perpétuel ni le chancelier n'y prenaient garde.

M. le secrétaire perpétuel poussa un soupir M. le chancelier fronçant le sourcil, dit:

–Songez donc! Quelle honte si l'Académie n'avait plus que trente-neuf fauteuils!

–J'en mourrais! fit Hippolyte Patard, simplement.

Et il l'eût fait comme il le disait.

Pendant ce temps, le grand Loustalot se barbouillait tranquillement le nez d'une encre noire qu'il était allé, du bout du doigt, puiser dans son encrier, croyant plonger dans sa tabatière.

Tout à coup, la porte s'ouvrit avec fracas: Barbentane entra, Barbentane, l'auteur de l'Histoire de la maison de Condé, le vieux camelot du roi.

–Savez-vous comment il s'appelle? s'écria-t-il.

–Qui donc? demanda M. le secrétaire perpétuel qui, dans le triste état d'esprit où il se trouvait, redoutait à chaque instant un nouveau malheur.

–Bien, lui! votre Eliphas!

–Comment! notre Eliphas!

–Enfin, leur Eliphas!… Eh bien, M. Eliphas de Saint Elme de Taillebourg de La Nox s'appelle Borigo, comme tout le monde! M. Borigo!

D'autres académiciens venaient d'entrer. Ils parlaient tous avec la plus grande animation.

–Oui! Oui! répétaient-ils, M. Borigo! La belle Mme de Bithynie se faisait raconter la bonne aventure par M. Borigo!… Ce sont les journalistes qui le disent!

–Les journalistes sont donc là! s'exclama M. le secrétaire perpétuel.

–Comment! s'ils sont là? Mais ils remplissent la cour. Ils savent que nous nous réunissons et ils prétendent que Martin Latouche ne se présente plus.

M. Patard pâlit. Il osa dire, dans un souffle:

–Je n'ai reçu aucune communication à cet égard…

Tous l'interrogeaient, anxieux. Il les rassurait sans conviction.

–C'est encore une invention des journalistes. Je connais Martin Latouche… Martin Latouche n'est pas homme à se laisser intimider… Du reste, nous allons tout de suite procéder à son élection…

Il fut interrompu par l'arrivée brutale de l'un des deux parrains de Maxime d'Aulnay, M. le comte de Bray.

–Savez-vous ce qu'il vendait, votre Borigo? demanda-t-il.

Il vendait de l'huile d'olive!… Et comme il est né au bord de la Provence, dans la vallée du Careï, il s'est d'abord fait appeler Jean Borigo du Careï…

A ce moment la porte s'ouvrit à nouveau et M. Raymond de La Beyssière, le vieil égyptologue qui avait écrit des pyramides de volumes sur la première pyramide elle-même, entra.

–C'est sous ce nom-là, Jean Borigo du Careï, que je l'ai connu! fit-il simplement.

Un silence de glace accueillit l'entrée de M. Raymond de La Beyssière. Cet homme était le seul qui avait voté pour Eliphas. L'Académie devait à cet homme la honte d'avoir accordé une voix à la candidature d'un Eliphas! Mais Raymond de La Beyssière était un vieil ami de la belle Mme de Bithynie.

M. le secrétaire perpétuel alla vers lui.

–Notre cher collègue, fit-il, pourrait-on nous dire, si, à cette époque, M. Borigo vendait de l'huile d'olive, ou des peaux d'enfant, ou des dents de loup, ou de la graisse de pendu?

Il y eut des rires. M. Raymond de La Beyssière fit celui qui ne les entendait pas. Il répondit:

–Non! A cette époque il était, en Égypte, le secrétaire de Manette-bey, l'illustre continuateur de Champollion, et il déchiffrait les textes mystérieux qui sont gravés, depuis des millénaires, à Sakkarah, sur les parois funéraires des pyramides des rois de la Ve et de la VIe dynastie, et il cherchait le secret de Toth!

Ayant dit, le vieil égyptologue se dirigea vers sa place.

Or son fauteuil était occupé par un collègue qui n'y prit point garde. M. Hippolyte Patard, qui suivait M. de La Beyssière d'un œil perfide, par-dessus ses lunettes, lui dit:

–Eh bien, mon cher collègue? vous ne vous asseyez point? Le fauteuil de Mgr d'Abbeville vous tend les bras!

M. de La Beyssière répondit sur un ton qui fit se retourner quelques Immortels.

–Non! Je ne m'assiérai point dans le fauteuil de Mgr d'Abbeville!

–Et pourquoi? lui demanda avec un petit rire déplaisant

M. le secrétaire perpétuel. Pourquoi ne vous assiériez-vous point dans le fauteuil de Mgr d'Abbeville? Est-ce que, par hasard, vous prendriez, vous aussi, au sérieux, toutes les balivernes que l'on raconte sur le Fauteuil hanté?

–Je ne prends au sérieux aucune baliverne, monsieur le secrétaire perpétuel, mais je ne m'y assiérai point parce que cela ne me plaît pas, c'est simple!

Le collègue qui avait pris la place de M. Raymond de La Beyssière la lui céda aussitôt et lui demanda fort convenablement et sans raillerie aucune cette fois, s'il croyait, lui, Raymond de La Beyssière, qui avait vécu longtemps en Égypte, et qui, par ses études, avait pu remonter aussi loin que tout autre jusqu'aux origines de la kabbale, s'il croyait au mauvais sort.

–Je n'aurai garde de le nier! dit-il.

Cette déclaration fit dresser l'oreille à tout le monde et comme il s'en fallait encore d'un quart d'heure que l'on procédât au scrutin, cause de la réunion, ce jour-là, de tant d'Immortels, on pria M. de La Beyssière de vouloir bien s'expliquer.

L'académicien constata, d'un coup d'œil circulaire, que personne ne souriait et que M. Patard avait perdu son petit air de facétie.

Alors, d'une voix grave, il dit:

–Nous touchons ici au mystère. Tout ce qui vous entoure et qu'on ne voit pas est mystère et la science moderne qui a, mieux que l'ancienne, pénétré ce que l'on voit, est très en retard sur l'ancienne pour ce que l'on ne voit pas. Qui a pu pénétrer l'ancienne science a pu pénétrer ce qu'on ne voit pas.

On ne voit pas le «mauvais sort», mais il existe. Qui nierait la veine ou la déveine? L'une ou l'autre s'attache aux personnes ou aux entreprises ou aux choses avec un acharnement éclatant. Aujourd'hui on parle de la veine ou de la déveine comme d'une fatalité contre laquelle il n'y a rien à faire.

L'ancienne science avait mesuré, après des centaines de siècles d'étude, cette force secrète, et il se peut—je dis il se peut—que celui qui serait remonté jusqu'à la source de cette science eût appris d'elle à diriger cette force, c'est-à-dire à jeter le bon ou le mauvais sort. Parfaitement.

Il y eut un silence. Tous se taisaient maintenant en regardant le Fauteuil.

Au bout d'un instant, M. le chancelier dit:

–Et M. Eliphas de La Nox a-t-il véritablement pénétré ce qu'on ne voit pas?

–Je le crois, répondit avec fermeté M. Raymond de La Beyssière, sans quoi je n'aurais pas voté pour lui. C'est sa science réelle de la kabbale qui le faisait digne d'entrer parmi nous.

–La kabbale, ajouta-t-il, qui semble vouloir renaître de nos jours sous le nom de Pneumatologie, est la plus ancienne des sciences et d'autant plus respectable. Il n'y a que les sots pour en rire.

Et M. Raymond de La Beyssière regarda à nouveau autour de lui. Mais personne ne riait plus.

La salle, peu à peu, s'était remplie. Quelqu'un demanda:

–Qu'est-ce que c'est que le secret de Toth?

–Toth, répondit le savant, est l'inventeur de la magie égyptiaque et son secret est celui de la vie et de la mort.

On entendit la petite flûte de M. le secrétaire perpétuel:

–Avec un secret pareil, ça doit être bien vexant de ne pas être élu à l'Académie française!

–Monsieur le secrétaire perpétuel, déclara avec solennité

M. Raymond de La Beyssière, si M. Borigo ou M. Eliphas—appelez-le comme vous voulez, cela n'a pas d'importance—si cet homme a surpris, comme il le prétend, le secret de Toth, il est plus fort que vous et moi, je vous prie de le croire, et si j'avais eu le malheur de m'en faire un ennemi, j'aimerais mieux rencontrer sur mon chemin, la nuit, une troupe de bandits armés, qu'en pleine lumière cet homme, les mains nues!

Le vieil égyptologue avait prononcé ces derniers mots avec tant de force et de conviction, qu'ils ne manquèrent point de faire sensation.

Mais M. le secrétaire perpétuel reprit avec un petit rire sec:

–C'est peut-être Toth qui lui a appris à se promener dans les salons de Paris avec une robe phosphorescente!… A ce qu'il paraît qu'il présidait les réunions pneumatiques chez la belle Mme de Bithynie, dans une robe qui faisait de la lumière!…

–Chacun, répondit tranquillement M. Raymond de La Beyssière, chacun a ses petites manies.

–Que voulez-vous dire? demanda imprudemment M. le secrétaire perpétuel.

–Rien! répliqua énigmatiquement M. de La Beyssière; seulement, mon cher secrétaire perpétuel, permettez-moi de m'étonner qu'un mage aussi sérieux que M. Borigo du Careï trouve, pour le railler, le plus fétichiste d'entre nous!

–Moi, fétichiste! s'écria M. Hippolyte Patard, en marchant sur son collègue, la bouche ouverte, le dentier en avant, comme s'il avait résolu de dévorer d'un coup toute l'égyptologie… Où avez-vous pris, monsieur, que j'étais fétichiste?

–En vous voyant toucher du bois quand vous croyez qu'on ne vous regarde pas!

–Moi, toucher du bois, vous m'avez vu, moi, toucher du bois?

–Plus de vingt fois par jour!…

–Vous en avez menti, monsieur!

Aussitôt on s'interposa. On entendit des: «Allons, messieurs!… messieurs!» et des: «Monsieur le secrétaire perpétuel, calmez-vous!» et des: «Monsieur de La Beyssière, cette querelle est indigne et de vous et de cette enceinte!» Et toute l'illustre assemblée était dans un état de fièvre incroyable pour des Immortels; seul le grand Loustalot paraissait ne rien voir ne rien entendre et plongeait maintenant avec conviction sa plume dans sa tabatière.

M. Hippolyte Patard s'était dressé sur la pointe des pieds et criait du haut de la tête, ses petits yeux foudroyant le vieux Raymond:

–Il nous ennuie à la fin celui-là, avec son Eliphas de Feu Saint-Elme de Taille-à-rebours de La Boxe du Bourricot du Careï!…

M. Raymond de La Beyssière, devant une plaisanterie aussi furieuse et aussi déplacée dans la bouche d'un secrétaire perpétuel, garda tout son sang-froid.

–Monsieur le secrétaire perpétuel, dit-il, je n'ai jamais menti de ma vie et ce n'est pas à mon âge que je commencerai. Pas plus tard qu'hier avant la séance solennelle, je vous ai vu embrasser le manche de votre parapluie!…

M. Hippolyte Patard bondit et l'on eut toutes les peines du monde à l'empêcher de se livrer à des voies de fait sur la personne du vieil égyptologue. Il criait:

–Mon parapluie… Mon parapluie!… D'abord, je vous défends de parler de mon parapluie!…

Mais M. de La Beyssière le fit taire en lui montrant, d'un geste tragique, le Fauteuil hanté:

–Puisque vous n'êtes pas fétichiste, asseyez-vous donc dessus, si vous l'osez!…

L'assemblée qui était en rumeur fut du coup immobilisée.

Tous les yeux allaient maintenant du fauteuil à M. Hippolyte Patard, et de M. Hippolyte Patard au fauteuil.

M. Hippolyte Patard déclara:

–Je m'assiérai si je veux! Je n'ai d'ordres à recevoir de personne!… D'abord, messieurs, permettez-moi de vous faire remarquer que l'heure d'ouvrir le scrutin est sonnée depuis cinq minutes…

Et il regagna sa place, ayant recouvré soudain une grande dignité.

Il n'arriva point cependant à son pupitre sans que quelques sourires l'accompagnassent.

Il les vit, et comme chacun prenait un siège pour la séance qui allait commencer… et que le Fauteuil hanté restait vide, il dit, de son petit air pincé, l'air du Patard citron:

–Les règlements ne s'opposent pas à ce que celui de mes collègues qui désire s'asseoir dans le fauteuil de Mgr d'Abbeville y prenne place.

Nul ne bougea. L'un de ces messieurs, qui avait de l'esprit, soulagea la conscience de tout le monde par cette explication:

–Il vaut mieux ne pas s'y asseoir par respect pour la mémoire de Mgr d'Abbeville.

Au premier tour, l'unique candidat, Martin Latouche, fut élu à l'unanimité.

Alors M. Hippolyte Patard ouvrit son courrier. Et il eut la joie, qui le consola de bien des choses, de ne pas y trouver des nouvelles de M. Martin Latouche.

Servilement, il reçut de l'Académie la mission exceptionnelle d'aller annoncer lui-même à M. Martin Latouche l'heureux événement.

Ça ne s'était jamais vu.

–Qu'est-ce que vous allez lui dire? demanda le chancelier à M. Hippolyte Patard.

M. le secrétaire perpétuel, dont la tête se troublait un peu à la suite de toutes ces ridicules histoires, répondit vaguement:

–Qu'est-ce que vous voulez que je lui dise?… Je lui dirai:

«Du courage, mon ami…» Et c'est ainsi que ce soir-là, sur le coup de dix heures, une ombre qui semblait prendre les plus grandes précautions pour n'être point suivie se glissait sur les trottoirs déserts de la vieille place Dauphine, et s'arrêtait devant une petite maison basse, dont elle fit résonner le marteau assez lugubrement dans cette solitude.

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