À la cathédrale de Paris, en effet, nous voyons (44) que la partie circulaire du sanctuaire, bâtie vers 1165, repose sur six piles, tandis que la seconde précinction en comporte onze, et la troisième quatorze. Grâce à cette disposition, les archivoltes AB, BC, etc., les arcs doubleaux DE, EF, etc., GH, HI, IP, etc., sont à peu près plantés sur des diamètres égaux, et les voûtes réunissant ces arcs ne se composent, pour porter les remplissages en moellon, que d'arcs diagonaux simples BE, EC, FI, IE, EH, HD, et non plus d'arcs croisés. Dans la galerie du premier étage, le même système de voûtes est employé et répète le plan de la première précinction. La figure X donne la forme de ces voûtes élevées sur le plan horizontal triangulaire. Les gros contre-forts KLM seuls maintiennent la stabilité de l'édifice; ils reçoivent les arcs-boutants des grandes voûtes supérieures et les petits arcs-boutants de la galerie de premier étage, bandés de G en D, de P en F, etc. Quant aux poussées des deux diagonales BE, CE des voûtes de cette galerie, elles sont contre-buttées par deux petits arcs-boutants bandés de I en E et de H en E. De sorte qu'ainsi les poussées et charges principales sont renvoyées sur les grosses piles extérieures KLM, et les poussées et charges secondaires sur les piles intermédiaires extérieures ORS 8. À l'intérieur, des colonnes monocylindriques portent seules, à rez-de-chaussée, cet édifice vaste, élevé et passablement compliqué dans ses combinaisons de coupes. Il n'est pas besoin d'être fort expert en architecture pour reconnaître, rien qu'en jetant les yeux sur la fig. 44, que l'intention évidente du maître de l'oeuvre a été d'occuper, avec ses points d'appui, le moins de place possible à l'intérieur, qu'il a tenu en même temps à couvrir les deux collatéraux par des voûtes dont les sommets fussent tous au même niveau, afin de pouvoir placer sur ces voûtes l'aire d'une galerie et des dallages ayant une pente régulière vers le périmètre extérieur. Peu après la construction de cette abside, les constructeurs, cependant, rapprochèrent les piles ABC de manière à obtenir, autour des sanctuaires, des travées plus étroites que celles parallèles à l'axe, et ils surélevèrent les archivoltes AB, BC; mais nous devons reconnaître qu'il y a, dans la disposition du rond-point de Notre-Dame de Paris, une ampleur, une indépendance de conception qui nous séduisent. Les voûtes sont adroitement bandées sur ces piles, dont le nombre augmente à chaque précinction. Cela est habile sans effort et sans recherche. Remarquons aussi que les voûtes gothiques seules permettaient l'emploi de ce mode, et que les premiers architectes qui les appliquèrent à leurs constructions surent immédiatement en tirer tout le parti possible.
Dans l'espace de vingt-cinq ans, les architectes de la fin du XIIe siècle étaient donc arrivés à obtenir les résultats qui avaient été la préoccupation de leurs prédécesseurs pendant l'époque romane, savoir: de voûter des édifices larges et élevés, en ne conservant à l'intérieur que des points d'appui grêles. Le triomphe de la construction équilibrée par l'opposition des poussées et par l'adjonction de charges supérieures réduisant ces poussées à une action verticale, était donc complet; il ne restait plus qu'à simplifier et perfectionner les moyens d'exécution. C'est ce que les constructeurs du XIIIe siècle firent, souvent avec trop d'audace et de confiance en leur principe d'équilibre, mais toujours avec intelligence. Il est évident que la sagacité était la qualité dominante des apôtres de la nouvelle école. Leurs efforts tendaient, sans répit, à renchérir sur l'oeuvre précédente, à pousser les conséquences du principe admis jusqu'à l'abus; si bien que, pendant le XIVe siècle, il y eut réaction, et que les constructions où les questions d'équilibre sont résolues avec le plus de hardiesse sont celles qui furent élevées pendant la seconde moitié du XIIIe siècle. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce fait.
Si l'on veut constater l'extrême limite à laquelle arrivèrent les architectes de la fin du XIIe siècle, en fait de légèreté des points d'appui intérieurs et de stabilité obtenue au moyen de l'équilibre des forces opposées, il faut aller voir le sanctuaire de l'église de Saint-Leu d'Esserent (Oise). Certaines parties de cette construction, élevée vers 1190, sont faites pour exciter notre étonnement.
Ce sanctuaire se compose, dans le rond-point, de quatre colonnes monostyles, deux grosses et deux grêles ainsi disposées (45). Les deux colonnes A n'ont que 0,50 c. de diamètre, celles B 0,85 c. environ. Une vue perspective des deux travées sur plan circulaire reposant sur les colonnes A (45 bis) nous indique assez, après ce que nous venons de dire, que les constructeurs ne comptaient alors que sur l'équilibre des forces agissantes et résistantes pour maintenir une masse pareille sur un point d'appui aussi grêle.
On voit la colonne A, de 0,50 c. de diamètre, couronnée par un chapiteau extrêmement évasé (voy. CHAPITEAU, fig. 21), sur lequel reposent un sommier puissant et les trois colonnettes monolithes portant les retombées des voûtes supérieures. Le sommier est assez empatté pour recevoir la pile du triforium et le mur qui le clôt. L'arc-boutant extérieur pousse toute cette construction du dehors au dedans; mais, étant élevée sur plan circulaire, elle ne peut être chassée à l'intérieur, et plus l'arc-boutant appuie sur la tête de la pile, et plus la construction prend de l'assiette. La charge énorme que reçoit verticalement la colonne A assure sa stabilité. L'équilibre ne peut être rompu, et, en effet, ce chevet n'a subi aucun mouvement.
Dans l'Île-de-France, cependant, les constructeurs surent toujours garder une certaine mesure, et ne tombèrent jamais dans les exagérations si fréquentes chez les architectes de la Champagne et de la Bourgogne. Chez ces derniers, ces exagérations étaient justifiées jusqu'à un certain point par la qualité excellente des matériaux de cette province, les architectes bourguignons, se fiant à la résistance extraordinaire de leurs pierres, produisirent des oeuvres d'une grande importance au point de vue de la construction, en ce qu'elles nous font connaître jusqu'où l'application du principe gothique peut aller lorsque la matière lui vient en aide.
La voûte étant désormais le générateur de toutes les parties des édifices voûtés; commandant la place, la forme, la disposition des points d'appui, c'est elle d'abord que nous devons scrupuleusement étudier. Pour qui connaît bien la structure de la voûte gothique, les ressources infinies que présente sa construction, toutes les autres parties de la maçonnerie s'en déduisent naturellement. Nos lecteurs ont pu prendre connaissance déjà des éléments de la construction des voûtes: reste à en examiner les détails, les variétés et les perfectionnements, car nous ne pourrions plus nous faire comprendre, si, avant d'aller plus loin, les divers moyens employés pour fermer les voûtes gothiques n'étaient pas complétement développés.
Les fig. 27, 28, 28 bis et 29 indiquent comment sont tracés les lits inférieurs des sommiers des arcs sur les tailloirs des chapiteaux, comment ces lits inférieurs commandent la forme de ces tailloirs et la place des colonnettes et points d'appui. On reconnaît facilement que, dans les premiers tracés des voûtes gothiques, les constructeurs ont évité autant que possible de faire pénétrer les arcs les uns dans les autres à leur naissance; ils faisaient tailler chaque claveau sur le chantier, suivant la section donnée à chacun de ces arcs, et ils cherchaient à les arranger du mieux qu'ils pouvaient sur le tailloir, en les rognant à la queue pour conformer leur pose aux pénétrations. Ainsi, par exemple, ayant tracé sur le tailloir des chapiteaux destinés à recevoir un arc doubleau, deux arcs ogives et les deux colonnettes portant les formerets, le lit de ces divers membres, ils posaient les claveaux de chacun de ces arcs et les bases des colonnettes, ainsi que le démontre la fig. 46, écornant, au besoin, les queues de ces arcs, comme on le voit en A, afin de les placer les uns à côté des autres et de les renfermer dans leur lit de pose. Cette méthode naïve n'exigeait, de la part de l'appareilleur, aucune épure spéciale pour le sommier, demandait une assiette assez large sur les tailloirs pour ne pas trop affamer les queues des claveaux, et, par conséquent, des chapiteaux fort évasés; elle avait en outre l'inconvénient de ne donner que des sommiers sans résistance pouvant s'écraser sous la charge, et de prolonger les effets des poussées trop bas ou de rapprocher leur résultante des parements extérieurs. Ayant trois arcs à poser, l'idée la plus naturelle était de leur donner à chacun leur sommier. Mais, dans certains cas, les constructeurs gothiques primitifs avaient été forcés cependant de faire pénétrer les divers arcs soutenant une voûte sur un chapiteau unique, isolé, comme on le voit dans la fig. 42, et de leur donner un seul sommier pour tous; car, sur ces assiettes étroites, il n'était plus possible de songer à arranger les premiers claveaux de ces arcs comme on enchevêtre les pièces d'un jeu de patience: c'eût été faire de ces premiers claveaux une agglomération de coins n'ayant aucune force de résistance. D'ailleurs, il fallait souvent que les premiers claveaux des arcs (s'ils avaient une pile supérieure à supporter) fissent tas-de-charge, c'est-à-dire présentassent de véritables assises à lits horizontaux, afin de résister à la pression.
Soit, par exemple (46 bis), une pile A ayant une pile B supérieure à supporter au-dessus d'une voûte C. Si les arcs de cette voûte sont tous indépendants dès leur naissance et extradossés, si les joints des premiers claveaux sont normaux aux courbes, il est clair que la pile B ne reposera pas sur l'assiette EF, comme cela devrait être, mais sur le faible remplissage G, et qu'alors sa stabilité ne pourra être assurée, que la pression sur les reins des premiers claveaux causera infailliblement des désordres, des ruptures et des écrasements. Ce fut cependant cette méthode qu'employèrent les derniers architectes romans, et elle eut souvent des conséquences désastreuses. En pareille circonstance, les premiers constructeurs gothiques procédèrent différemment. Soit H la pile portant une charge supérieure K, ils posèrent autant de sommiers à lits horizontaux qu'il en fallait pour que les verticales LM trouvassent une assiette, et ne commencèrent les coupes des claveaux normales aux courbes que lorsque ces courbes s'affranchissaient des parois verticales LM. Jusqu'à une certaine hauteur, les arcs étaient donc composés, par le fait, d'une suite d'assises en encorbellement à lits horizontaux. Ces constructeurs avaient trop de sens pour imaginer les crossettes I, qui ne peuvent jamais être bien posées et dont les lits ne sauraient être exactement remplis de mortier: ils préféraient adopter franchement les encorbellements. Ceux-ci avaient encore un avantage: ils détruisaient en partie l'effet des poussées. Nous ne devons pas omettre de dire ici que le devant des claveaux ou sommiers est toujours posé à l'aplomb du carré supérieur de la corbeille du chapiteau, ainsi que l'indique le tracé B, fig. 46; quant au carré de la base de la colonnette de formeret, il est posé à fleur du tailloir, afin que le nu de la colonnette arrive aplomb du carré de la corbeille du chapiteau (voy. la même figure 46).
Dès qu'il fut admis que l'on pouvait poser à la naissance des voûtes une série de sommiers d'arcs superposés à lits horizontaux, les architectes n'avaient plus besoin de se préoccuper de trouver une assiette assez large sur le tailloir des chapiteaux pour recevoir les claveaux de plusieurs arcs juxtaposés, mais seulement de faire en sorte que ces arcs vinssent à se pénétrer sur la plus petite assiette possible.
Suivant toujours leurs raisonnements avec rigueur, ils reconnurent également que la résistance des arcs, dans le système de voûtes nouvellement adopté, est en raison de la hauteur des claveaux et non en raison de leur largeur, et qu'à section égale comme surface, un claveau, par exemple (47), posé ainsi qu'il est indiqué en A, résistait beaucoup plus à la pression qu'un claveau posé suivant le tracé B. Or, vers le commencement de la seconde moitié du XIIe siècle, les claveaux des arcs sont généralement compris dans une section carrée C, de huit pouces (0,22 c.) à un pied ou dix-huit pouces de côté (0,33 c. et 0,50 c.), suivant la largeur de la voûte; tandis que, vers la fin de ce siècle, si les claveaux des arcs doubleaux conservent encore cette section, ceux des arcs ogives (arcs dont le diamètre est plus grand cependant, mais qui n'ont pas à résister à la pression des arcs-boutants) perdent une partie de leur largeur et conservent du champ, ainsi qu'on le voit en D. Prenant moins de largeur de E en F, leur trace sur le tailloir des chapiteaux occupait moins de place, exigeait un évasement moins considérable, et s'accommodait mieux aux pénétrations; n'ayant plus qu'une arête mousse en G ou un simple boudin, la retombée biaise sur les tailloirs n'offrait plus les surfaces gauches et gênantes que donnaient les arcs dont la section était C. Peu à peu, les architectes renoncèrent même à cette section C pour les arcs doubleaux et adoptèrent des sections analogues à celle H, offrant de même de I en K une grande résistance de champ, et de L en M une résistance suffisante de plat pour éviter les torsions, déjà maintenues par les remplissages des voûtes. C'est ainsi que chaque jour, ou plutôt après chaque tentative, les architectes arrivaient à supprimer, dans la construction des voûtes, tout ce qui n'était pas absolument indispensable à leur solidité, qu'ils abandonnaient les dernières traditions romanes afin d'obtenir; 1º une plus grande légèreté; 2º des facilités pour asseoir les sommiers, puisque ces sommiers allaient dorénavant commander la construction des piles, et, par suite, de tous les membres inférieurs des édifices.
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