Читать бесплатно книгу «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1» Джорджа Гордона Байрона полностью онлайн — MyBook



87. Silencieux et pensif, languissant, inquiet, accablé, il quittait sa demeure pour la solitude des bois: tourmenté d'une blessure qu'il n'apercevait pas, il recherchait, comme tous les chagrins profonds, les plus noires solitudes. Et moi aussi j'aime la solitude, mais alors il faut que vous m'entendiez bien; je veux parler de la solitude d'un sultan dans son harem, et non de celle d'un ermite dans sa grotte.

88. «Oh! amour, c'est dans un tel désert où s'entrelacent le transport et la sécurité, que ton empire est vraiment enchanteur, et que tu es un dieu vraiment divin.» Les vers du poète, que je cite29 ne sont pas mauvais, à l'exception du second, où l'entrelacement du transport et de la sécurité s'entrelace à une phrase de quelque obscurité.

89. Le poète, sans doute, et c'est ainsi qu'il en appelle au bon sens et aux sens de tout le monde, voulait parler d'une chose que chacun a, ou pourra dans l'occasion éprouver, savoir que l'on n'aime pas à être dérangé à la table ni au lit. – Je n'en dirai pas davantage sur l'entrelacement ou le transport, nous les connaissons suffisamment; mais je désire ici fermer la porte par la sécurité30.

90. Errant sur les bords de frais ruisseaux, le jeune Juan se livrait à des pensées inénarrables; ensuite il se perdait dans les sombres réduits où se croisent les énormes rameaux du liége. C'est là que les poètes trouvent des sujets pour leurs chants; c'est là que nous tous nous allons les relire, et juger du mérite de nos sujets et de nos vers, à moins que, comme ceux de Wordsworth, ils ne soient inintelligibles.

91. Il continuait ainsi (Juan, et non pas Wordsworth) à s'entretenir avec sa belle ame, afin d'adoucir, sinon de surmonter entièrement les peines de son cœur. Il avait recours, autant qu'il le pouvait, à des idées qui n'offraient aucune prise aux remords, et comme Coleridge, il devenait métaphysicien avant de s'être lui-même sondé.

92. Il jetait les yeux sur lui, sur toute la terre, sur la merveille de l'homme et du firmament; il se demandait comment tous deux avaient été créés; il songeait aux tremblemens de terre et à la guerre, au nombre de milles qui pouvaient former la circonférence de la lune; aux ballons, aux obstacles nombreux qui s'opposent à la connaissance exacte des cieux, et après tout cela, il revenait aux yeux de Donna Julia.

93. La vraie sagesse peut voir, dans les pensées de cette espèce, une noble curiosité et une avidité sublime dont quelques-uns apportent le germe en naissant; mais la plupart ont appris à s'en troubler l'esprit, on ne sait pourquoi. Il était étonnant qu'une si jeune tête pût se soucier de la marche du firmament; mais si, selon vous, la philosophie l'inspirait alors, elle fut bientôt, selon moi, secondée par la voix de la puberté.

94. Il s'occupait des feuilles et des fleurs. Il entendait une voix dans tous les vents; alors il pensait aux nymphes des bois, aux ombrages sacrés, au tems où les déesses se montraient aux hommes. Il oubliait son chemin aussi bien que les heures, et quand il interrogeait sa montre, il s'apercevait que le vieux Saturne avait beaucoup gagné, – et que pour lui, il avait perdu son dîner.

95. Quelquefois il revenait à ses livres, Boscan ou Garcilasso. – Mais comme le vent fait parfois trembler les pages que nous lisons, ainsi, l'imagination venait agiter son ame au milieu de sa lecture mystique: on eût dit que les magiciens dirigeaient sur lui leurs enchantemens, et qu'ils chargeaient le vent de les lui porter, comme dans quelques contes de bonnes vieilles femmes.

96. C'est ainsi qu'il passait les heures dans la solitude; toujours triste et toujours ignorant ce qui lui manquait. Les tendres rêveries, les chants des poètes, ne pouvaient lui offrir ce dont il avait réellement besoin: un sein sur lequel il pût reposer sa tête… entendre un cœur battre d'amour; et – bien d'autres choses que j'ai oubliées, ou que, du moins, je n'ai pas besoin de mentionner.

97. Ces promenades solitaires, ces rêveries profondes, ne pouvaient échapper aux yeux de l'aimable Julia: elle vit bien que Juan n'était pas à son aise; mais ce qui peut et doit surprendre avant tout, c'est que Donna Inès ne fatigua pas son fils de ses questions ou de ses soupçons: soit qu'elle n'eût vu, ou n'eût voulu rien voir, ou soit, comme les plus habiles, qu'elle ne l'eût pas pu.

98. Ceci peut paraître singulier, et pourtant, rien de plus commun. Par exemple: – Les maris dont les femmes outrepassent les droits écrits des épouses, et violent le… – Quel est donc ce commandement qu'elles violent? (Je l'ai oublié, et, selon moi, il ne faut pas citer au hasard, de crainte de se tromper.) Enfin, quand ces mêmes maris sont jaloux, ils font toujours quelque bévue que leurs dames viennent nous raconter.

99. Un véritable époux est toujours soupçonneux; mais il n'en est pas plus clairvoyant. Jaloux de celui qui ne pensait à rien, il devient l'artisan de sa propre disgrâce, en accueillant un intime ami rempli de vices; l'accident est dès-lors inévitable, et quand l'épouse et l'ami ont ensemble disparu, il demeure stupéfait de leur corruption, et non pas de sa propre sottise.

100. Ainsi, quelquefois, s'aveuglent les parens; malgré toute leur vigilance de lynx, ils ne savent pas que le public malin s'amuse de l'histoire de la maîtresse du jeune Hopeful, ou de l'amant de miss Fanny. Enfin, quelque escapade scandaleuse vient déranger le plan de vingt années; tout est perdu: alors la mère crie, le père jure et demande pourquoi diable il a des héritiers.

101. Mais Inès était si soupçonneuse et si clairvoyante, que je suis forcé de penser qu'en cette occasion elle avait quelque motif secret d'abandonner Juan à cette nouvelle tentation. Quel était ce motif? c'est ce que je ne pourrais dire. Peut-être voulait-elle ainsi couronner son éducation, ou bien encore ouvrir les yeux de Don Alphonso, dans le cas où il aurait eu de la vertu de sa femme une opinion exagérée.

102. Un jour, c'était un jour d'été, – c'est vraiment une saison dangereuse que l'été, et même le printems, depuis les derniers jours de mai. Nul doute que le soleil n'en soit la cause efficace; mais en tout cas, on peut dire et demeurer convaincu, non pas de trahison, mais bien de véracité, qu'il est des mois dans lesquels la nature se plaît à répandre les plaisirs. Si celui de mars a ses lièvres, mai doit avoir son héroïne31.

103. C'était donc un jour d'été, – le 6 juin: – J'aime l'exactitude dans les dates; j'en mets non-seulement dans celle des siècles et des années, mais encore dans celle des mois. Les mois sont des espèces de maisons de poste où les destins changent de chevaux, et font changer de ton à l'histoire. Ensuite ils traversent, à bride abattue, les empires et les républiques, et ne laissent guère après eux que la chronologie, si vous en exceptez les post-obits théologiques32.

104. C'était le 6 juin, vers six heures et demie, peut-être même plus près de sept, que Julia s'assit dans un aussi joli berceau que ceux destinés aux houris, dans les profanes cieux décrits par Mahomet et par Anacréon Moore, – Moore, à qui furent accordés la lyre, les lauriers et tous les trophées de la victoire poétique. Il était digne de les obtenir; puisse-t-il les conserver long-tems encore33!

105. Elle s'y assit, mais elle n'était pas seule. Je ne sais pas au juste comment s'était ménagée une pareille entrevue; je le saurais, d'ailleurs, que je ne le dirais pas. – Il faut toujours savoir se taire. Qu'importe les moyens dont ils se servirent? il suffit d'être sûr que c'est Julia et Juan qui se trouvent là, face à face. – Quand deux semblables visages sont dans cette situation, il serait sage à chacun d'eux, mais aussi bien difficile de fermer les yeux.

106. Qu'elle était belle en le regardant! L'émotion de son cœur avait coloré ses joues, et cependant elle ne se reprochait rien. O amour, quelle est donc la mystérieuse perfection de ton art? il donne au faible des forces, il foule aux pieds le fort. Comme ils s'abusent eux-mêmes ces sages mortels que tu as enveloppés de tes filets! – Le précipice ouvert sous les pas de Julia était immense; mais la confiance que lui donnait sa vertu l'était également.

107. Elle pensa à ses propres forces, à la jeunesse de Juan, au ridicule de la pruderie, aux triomphes de la vertu, de la foi conjugale, et alors aux cinquante ans de Don Alphonso. À dire vrai, je n'aime pas que cette idée lui soit venue; car c'est un nombre rarement propre à donner du cœur; et dans tous les climats, sur la neige ou sous l'équateur, il sonne aussi mal en amour que bien en finance.

108. Quand quelqu'un dit: «Je vous ai répété cinquante fois,» il veut chercher querelle, et souvent il y réussit. Quand les poètes disent: «J'ai fait cinquante vers;» ils vous font craindre de les leur entendre réciter. C'est par troupes de cinquante que les voleurs font leurs coups; c'est à cinquante ans qu'il est vraiment rare d'inspirer amour pour amour; mais alors il est facile de beaucoup obtenir avec cinquante louis.

109. Julia avait de l'honneur, de la vertu, de la fidélité; elle aimait Don Alphonso; elle formait intérieurement tous les sermens qu'on adresse d'ici-bas aux divinités de là-haut, de ne jamais souiller l'anneau qu'elle portait, et de ne former aucun souhait qui fût contraire à la sagesse: tout en mûrissant ces résolutions, et d'autres encore plus vertueuses, l'une de ses mains était appuyée languissamment sur celle de Juan: uniquement par erreur; elle croyait ne toucher que la sienne propre.

110. Insensiblement elle s'appuya sur l'autre main de Juan, qui jouait dans les tresses de ses cheveux; son attitude distraite semblait indiquer qu'elle luttait avec des pensées qu'elle ne pouvait étouffer. Certainement, la mère de Juan avait bien tort, après avoir tant surveillé son fils pendant plusieurs années, de laisser ensemble ce couple imprudent. Je suis sûr que ma mère en eût agi tout autrement34.

111. Peu à peu la main qui tenait encore celle de Juan confirma doucement, mais d'une manière sensible, la pression qu'elle recevait; elle semblait dire: «Retenez-moi si vous voulez.» Cependant elle ne voulait presser les doigts de Juan que d'une étreinte platonique; elle les eût lâchés comme une couleuvre ou un crapaud, si elle eût imaginé qu'un semblable mouvement pouvait faire naître des sentimens dangereux pour une épouse prudente.

112. Je ne sais pas ce qu'en pensait Juan, mais il fit ce que tous vous voudriez faire: ses jeunes lèvres remercièrent la main par un reconnaissant baiser; et aussitôt, confus de son ivresse, il la quitta avec l'air du désespoir, comme s'il eût commis un crime. Combien l'amour est timide la première fois! Julia rougit, mais ne se courrouça pas: elle chercha à parler, mais elle retint sa langue, tant sa voix était affaiblie.

113. Le soleil disparaît, et la jaune Phœbé se lève35: mais, par malheur, le diable est dans la lune. Ceux qui ont donné à cet astre le surnom de Chaste l'avaient, je crois, observé de trop bonne heure. Les plus longs jours, même le 24 de juin, ne voient jamais autant d'actes licencieux que le bienveillant regard de la lune n'en éclaire en trois heures seulement, – et c'est ainsi que toute l'année elle atteste sa modestie36?

114. Il y a du danger dans le silence de cette heure: c'est un calme qui permet à l'ame oppressée de se mettre à l'aise, sans lui donner la liberté d'appeler la conscience à son secours. La lumière argentée qui inonde cet arbre et cette tour, et les couvre d'une beauté, d'un charme si profond, pénètre aussi notre cœur, et le jette dans une tendre langueur, bien éloignée d'être le repos37.

115. Julia était assise près de Juan, à demi embrassée, et écartant à demi ses bras amoureux, qui tremblaient comme le sein sur lequel ils reposaient: cependant elle pouvait croire encore qu'il n'y avait pas de danger, et qu'il était facile de débarrasser sa taille; mais alors la position avait ses charmes, alors, – Dieu sait le reste; je ne m'y arrêterai pas; je suis même presque fâché d'en avoir commencé le récit.

116. O Platon! Platon! c'est avec tes suppositions erronées, c'est par cet empire imaginaire que ton système nous accorde sur les penchans les plus impétueux du cœur, que tu as ouvert une route plus immorale que ne le firent jamais poètes ou romanciers. – Tu es un niais, un sot, un charlatan, – et l'on ne doit tout au plus te prendre que pour un entremetteur38.

117. La voix de Julia s'éteignit ou se perdit en soupirs, jusqu'au moment où tous les discours auraient été inutiles; ses beaux yeux étaient noyés dans les larmes. Pourquoi ne coulaient-elles pas sans cause? Mais, hélas! qui peut aimer et conserver la sagesse? Les remords, cependant, luttaient contre ses désirs: elle résistait encore un peu, elle se repentait beaucoup. «Jamais, jamais!» murmurait-elle, et elle consentait à tout.

118. On dit que Xercès offrait une récompense à ceux qui pourraient lui trouver un nouveau plaisir. Cette découverte était, selon moi, bien difficile, et sa majesté n'aurait pu la payer trop cher. Pour moi, poète rempli de modération, je suis heureux d'un peu d'amour (ce que je nomme mon passe-tems), et je n'aspire pas après de nouveaux plaisirs. Les anciens me suffisent, puissent-ils seulement durer!

119. O plaisir! réellement tu es une douce chose, bien que nous devions tous être damnés pour toi. Chaque printems je jure de réformer ma vie avant la fin de l'année, et mes vœux de chasteté finissent toujours par s'envoler. Cependant cette année, je pense, il serait encore possible de les tenir. J'en suis vraiment désolé, j'en rougis de honte: mais c'est à l'autre hiver que je remets ma conversion.

120. Ici ma chaste muse va se permettre une liberté. – Ne tremblez pas, lecteur plus chaste encore, – elle ne cessera plus d'être pudique, et vous n'avez pas sujet de vous effrayer. Cette liberté est une licence poétique qui peut donner à mon plan quelque irrégularité; et, comme je suis hautement pénétré des règles d'Aristote, il est convenable de demander pardon quand je viens à les violer.

121. Cette liberté consiste à espérer que le lecteur voudra bien, du 6 juin (jour fatal sans lequel le défaut d'action aurait rendu inutile tout mon talent poétique), se transporter à plusieurs mois de distance, sans perdre de vue Julia et Don Juan. Je sais bien que c'était en novembre, mais je n'ai pas bien retenu le jour précis. – Cette date est un peu obscure.

122. Nous causerons de ceci tout à l'heure. – Il est doux d'entendre, au milieu de la nuit, sur les flots bleus et argentés de l'Adriatique, la voix et la rame du gondolier qui, dans un lointain affaiblissant, fend le sein des eaux. Il est doux de voir l'étoile du soir se lever; il est doux d'écouter les vents de la nuit murmurer de feuille en feuille; il est doux de voir Iris mesurer le ciel en s'élevant du sein de l'Océan sur le sommet des montagnes.

123. Il est doux d'entendre les fidèles aboiemens du chien de garde accueillir vivement notre approche du toit domestique; il est doux de savoir qu'il y a dans cet endroit un œil qui remarquera notre venue, et brillera de plaisir en nous revoyant; il est doux d'être éveillé par l'alouette, ou bercé par la chute des eaux; doux est le bourdonnement des abeilles, la voix des vierges, le chant des oiseaux, le bégaiement et les premiers mots d'un enfant.

124. Douce est la vendange quand les grappes humides roulent par milliers sur la terre qu'elles rougissent. Il est doux d'échapper au tumulte des villes, pour jouir des plaisirs de la campagne. Doux sont pour l'avare les monceaux d'or, et pour un père la naissance de son premier né. Douce est la vengeance, – surtout pour les femmes; le pillage, pour les soldats, les prises d'argent pour les gens de mer.

125. Doux est un legs, douce surtout la mort imprévue d'une vieille dame ou d'un personnage de soixante-dix ans accomplis qui nous faisait, «nous jeunes», attendre mille fois trop long-tems son train, son or, ou ses propriétés. Il se plaignait toujours, mais son corps était si robuste que tous les Israélites furieux voulaient mettre en pièces ses héritiers pour leurs maudites créances après décès.

126. Il est doux de cueillir des lauriers, soit avec l'épée, soit avec la plume. Il est doux de terminer une dispute; il est doux d'en faire naître une avec un ami ennuyeux. Doux est le vin vieux en bouteille, et l'ale en barrique; douce est pour nous la créature faible que nous défendons contre tout le monde; doux enfin le collége que nous n'oublions jamais, et qui nous oublie si promptement.

127. Mais mille fois plus doux encore que tout cela, est le premier et brûlant amour. – Seul il reste gravé dans notre ame, comme dans celle d'Adam le souvenir du Paradis terrestre. Quand l'arbre de la science a été ébranlé et que tout est connu, la vie n'offre plus rien de comparable à cette ambroisiale faute, que sans doute la fable a voulu peindre par le feu ravi des cieux par le téméraire Prométhée.

128. L'homme est un étrange animal, et il fait un singulier usage de ses facultés et des différens arts. Avant tout il aime à essayer mille espèces d'épreuves pour attirer l'attention sur lui. Dans ce siècle qui est celui des bizarreries, tous les talens ont leurs tréteaux. Mieux vaudrait rechercher d'abord la vérité, au risque de spéculer sur l'imposture, après avoir perdu son tems.

129. Combien n'avons-nous pas vu de découvertes opposées (signes d'un génie véritable et de poches vides)? L'un fait de nouveaux nez, l'autre une guillotine; celui-ci nous brise les os, celui-là nous les replace; pour la vaccine, elle fut sans doute la compensation des fusées Congrèves39.

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