Читать бесплатно книгу «Les moments perdus de John Shag» Auguste Gilbert de Voisins полностью онлайн — MyBook

9
CORINNE

Je fus présenté à Corinne, aujourd'hui même, à l'heure où elle mange des gâteaux et boit du thé.

Corinne est une femme exquise.—Dès le premier instant, elle m'avoua qu'elle ne vivait plus que dans l'attente de ma visite, puis, ayant sucré les tasses des autres invités, elle m'entraîna dans un coin du salon où une lampe voilée de mauve donnait de la pénombre, et m'entreprit sur mon dernier voyage.

Elle m'assura que son plus cher désir était de voir une forêt de palétuviers, que son âme se sentait prisonnière dans ce grand Paris ennemi, que j'avais compris le tourment de sa solitude, les nuances de sa tristesse, la qualité de ses plaisirs, et qu'enfin mon dernier livre, d'une forme incomparable, souverain par l'inspiration, l'émouvait de façon prodigieuse.

Je feignis d'être flatté, bien que le volume dont elle parlait avec un enthousiasme si convaincu, traitât de la mévente des céréales en Egypte.

Corinne me dit, aussitôt après, que le mariage précoce de sa fille l'inquiétait fort, que le décès de son oncle la désolait, que l'art contemporain ne pouvait être compris que par elle et par moi, qu'elle devinait, sous mon apparente froideur, une blessure (mais que certains baumes dont elle avait le secret…) que le temps menaçait de tourner à l'orage et que l'expression de mes yeux était inoubliable.

Corinne s'interrompit, un moment, pour recevoir deux sénateurs, une vieille actrice, un poète et un attaché d'ambassade, puis, elle me demanda qui j'aimais, me dit le nom de son amant, m'assura que sa chance au jeu faiblissait, que le parfum de son mouchoir résultait d'un mélange et qu'elle croyait en Dieu.

Corinne se confie ainsi à chacun. Elle se montre par besoin. Elle ne peut faire autrement.

Corinne a les défauts de l'exhibitionniste.

Demain, sans doute, elle m'avouera qu'elle porte un signe à la cuisse gauche.

10
LE PRIAPE

Le vieux priape était debout au coin du champ de Flaccus, et depuis si longtemps que nul ne se souvenait du jour où il ne s'y trouvait pas.

Indécent et monstrueux, avec des coquelicots à ses pieds et un nid d'oiseau sur sa tête, il voyait, tous les matins, le soleil se lever au-dessus de la colline, à sa droite, et, chaque soir, à sa gauche, un dernier rayon frapper le marbre éternel du temple consacré à Diane.

Le vieux priape était vénérable par sa figure, s'il ne l'était point par son geste. Une belle barbiche ornait son menton de boucles drues, ses joues étaient ornées de mousses qui rendaient velues et grises sa poitrine et ses épaules. Dans ses oreilles pointues, des graines avaient germé et cela lui mettait, de chaque côté du visage, une parure de touffes vertes. Ses yeux, petits et bridés, souriaient sans cesse. Il était connu à la ronde pour sa grande bonté, et nul, jamais, ne l'invoqua sans être exaucé, à moins que la prière ne fût sacrilège, ou cynique, ou démesurée, ce qui arrivait souvent.

Or, bien que l'agreste dieu eût les hommages de tous les passants, il s'ennuyait quelquefois. Depuis si longtemps qu'il était seul, montrant sa fièvre à chacun, il n'avait encore pu la prouver à personne.

Un jour, la fille de l'esclave qui nettoyait le temple de Diane passa près du vieux priape, s'arrêta court, et…

Non, elle ne lui fit pas l'offrande d'une couronne de fleurs ni d'une grappe de raisins; elle ne lui dit pas ces paroles naïves et bien rythmées qui font toujours plaisir à un dieu bienveillant, elle n'articula même pas une prière, mais, les pieds en dedans, les cheveux défaits, un doigt dans le nez et les yeux mi-clos, elle éclata de rire.

«Pourquoi ris-tu, petite bête? dit le vieux priape, courroucé. Ne m'as-tu pas vu, chaque jour, quand tu rentrais du temple? Et qu'ai-je donc de si étrange, à cette heure?»

Mais, devant le priape indécent et monstrueux, sur l'oreille duquel un rouge-gorge venait de se poser, la petite fille riait toujours, immobile, les pieds en dedans.

Alors, le dieu, s'animant, jaillit de la gaine de bois qui le retenait au coin du champ de Flaccus, emporta la petite fille dans un fourré, et, vivement, abondamment, joyeusement, la viola, sans reprendre haleine, à la façon fréquente et valeureuse qui singularise les dieux pastoraux, puis il regagna sa place ancienne, reprit son ancienne posture, et le berger de Flaccus reçut le fouet pour avoir violé la petite fille. Même, pris de peur, il avoua.

11
L'ESCALIER ROSE

D'où vient donc le mystère, le mystère charmant de cet escalier rose?

C'est un petit escalier, tout simplement, un petit escalier rose. Sa première marche a pour palier le ras du trottoir, puis il monte tout droit dans la maison. Il est rose. Il est très rose. Sa pierre est ornée de faïences roses. Assis sur l'une des plus hautes marches, un chat se lèche pensivement la patte. Ce doit être le gardien du lieu, le génie, le dieu lare.

Chat! beau chat couleur de nuit! parle-moi de l'escalier rose! Tu dois en savoir long sur la demeure, sur les secrets de la demeure et sur les habitants. Mais, avant, parle-moi de l'escalier rose!

Ah! que se passe-t-il donc là? D'où vient le mystère charmant de cet escalier rose!

Tanger.

12
PRIÈRE AU VENT

Oh! tais-toi! tais-toi!… Je t'ai entendu, toute la nuit, depuis l'heure où j'ai commencé à me promener, comme une bête, dans ma chambre froide, jusqu'à l'heure où le soleil est venu me dire que la nuit était enfin close! Tais-toi! je t'en supplie! laisse-moi au moins le jour! permets que je vive durant ce jour! que je vive comme tout le monde, sans souffrir à chaque minute de ta lamentable déclamation, de tes plaintes et de tes sanglots!

Le crépuscule bleuissait quand je suis rentré chez moi, et, tout de suite, je t'ai entendu: tu faisais bruire un arbre devant ma fenêtre… cela me parut mélodieux, et je voulus écouter. Je croyais que ce bruissement léger saurait me distraire, mais, bientôt, j'y découvris un petit sifflet ironique et fin qui terminait chacun de tes souffles, et je compris que tu te moquais de moi… Oui, j'avais pleuré durant le jour! oui, j'avais souffert amèrement! pourquoi m'en défendre? c'est là le commun destin des hommes!… mais toi, pourquoi m'as-tu raillé? car tu m'as raillé cruellement et ton petit sifflet, qui recommençait toujours, était, en vérité, trop peu charitable!

«Tu souffres mal!» disait ta voix de flageolet «Tu souffres mal!»… Eh quoi! je souffrais à ma façon! Je souffre avec les forces dont je dispose, sans affectation, je te le jure! et, toujours, le flageolet répétait: «Tu souffres mal!»

Alors, j'ai commencé à marcher de droite et de gauche, dans ma chambre, et toi, au dehors, tu ne cessais pas, mais, bientôt, tu changeas de manière: tu te mis à me plaindre… non pas fraternellement, comme un ami, mais d'une voix plus humaine que ma voix.

Oh! quelles affreuses plaintes tu sus inventer! oh! les cruelles trouvailles!… Je reconnaissais, dans tes gémissements, les sanglots de ceux que j'ai le plus aimés, les déplorations de mes morts les plus chers… et c'était horrible, ces souvenirs qui m'assaillaient, car tu avais soin, par un raffinement dans la torture, de ridiculiser ces précieuses voix! Tu les salissais, tu les avilissais d'odieuse façon… Oh! l'injurieux outrage!… oh! vent cruel!

Et puis enfin, lassé de ton jeu, tu te mis à hurler!… Alors!… alors!… je sentis bien que je ne pouvais souffrir davantage et je me bouchai les oreilles, mais tes cris étaient les plus forts, ils m'atteignaient toujours! Tu criais dans ma cervelle et mon crâne résonnait comme une cloche!

Tu te faisais l'écho de tous les hurlements que l'on prête aux damnés, aux damnés les plus malheureux: à ceux qui ont gardé un peu d'espoir! Tu beuglais, tu rugissais, tu hennissais, et ces hennissements étaient aussi des râles… puis, soudain, tu coupais le tumulte par un petit sanglot, un tout petit sanglot d'enfant malade et qui ne veut pas mourir.

Va-t'en! va-t'en! va souffler dans les forêts, sur la mer ou sur la montagne, mais laisse cette ville où je suis! Va-t'en! laisse-moi! laisse-moi en paix! je t'en supplie!… Il me semble, maintenant que tu t'es attaqué à moi, que jamais tu ne me quitteras plus, et j'ai terriblement peur qu'à mon dernier soir, tu ne viennes, dans la chambre où je reposerai, agiter vaguement mon linceul, pour que les assistants de ma veillée funèbre pensent qu'il reste en moi un peu de vie encore et tardent, quelques instants de plus, à m'ensevelir!

Marseille.

13
DANSE CHANTÉE

Une toile jaune couvre la cour et l'abrite du ciel.

C'est là, c'est entre une fontaine et un figuier, que tu vas apparaître.—Te voici, portant une écharpe rouge; te voici tout à fait nue.—Déjà tu marches comme un faunillon et tu bondis comme une chatte.—Tu t'arrêtes, semblant d'abord écouter les échos, puis tu regardes autour de toi.—Il n'y a rien qui te blesse, et l'on ne voit ni la lune, ni les étoiles, sans cela tu me les demanderais.—Alors, tu danses: tu secoues tes bras aux clinquants d'or et ta tête échevelée; tes pas sont de velours: tu vas surprendre une libellule; ta bouche devient narquoise: tu te moques d'un rossignol, et, tout soudain, tandis que tes bras retombent, tu te dresses en figure de jet d'eau.—Mais, particulièrement, ta jambe est émouvante. Je la vois, souple et brune. Je la considère, je la respecte, je l'aime comme une personne. Je t'assure que ta jambe est plus vivante que toi; deux ailes invisibles y sont greffées, car, maintenant, tu voles et tournoies, ainsi qu'un bel oiseau.—Ton voile est déplié, tu te blottis sous lui, et le voile semble une flamme, une flamme dans la nuit.—Ta jambe esquisse un geste dans l'air; tu pointes un pied nu, tu le retires… Tout à coup, sur ce pied, ton corps s'effondre et la flamme rouge se pose sur toi et t'ensevelit.—Tu n'es plus qu'un tas léger de choses agonisantes, bientôt mortes, mais ta jambe dépasse, ta jambe vit encore!

Ah! tu as été belle! et, de quinze jours, je ne te battrai plus, comme je fais, chaque soir, pour te donner une âme!

14
NOCTURNE

Je tâche de distinguer avec précision, comme je distinguerais les qualités d'un insecte, le bruit, le geste, le parfum nombreux qui composent l'agrément de cette salle de restaurant.

Après le théâtre, où je ne sus me plaire, j'y suis venu passer une heure joyeuse. Je veux donc participer au plaisir qui m'environne, me mettre d'accord avec lui, trouver enfin des raisons pour rire, au milieu de ces gens qui finissent par rire sans raison, vaguement, aux anges, à la manière des petits enfants.

Alentour, il y a un grand frisson de voix. On dirait, sous un vent continu, le frisson des feuilles mortes. Cette harmonie n'a plus de sens: elle est un murmure naturel et je voudrais m'y plaire, comme je me plais aux paroles de la forêt, où, s'il ne se trouve plus de dryades vivantes, du moins peut-on surprendre l'écho lointain de leurs chansons dans le soupir que les feuilles ont retenu.

De même que certains soleils couchants, malgré leur excès de coloris, plaisent au regard et ne lassent point, de même, dans cette salle basse, les lampes forment un fond de clarté auquel on s'habitue. Leur éclat rose concerte avec le blanc des nappes en vue d'un agréable effet, et l'imprévu du clinquant d'un bijou, de l'étoile née soudain sur un bracelet de femme, la clarté vive d'une allumette, la note fine d'un verre que l'on brise, étonnent sans déplaire. Il en va pareillement du bruit des voix, pareillement du parfum lourd qui plane, où se mêlent les odeurs de mille végétaux inconnus.

Tout cela est anonyme. Une voix personnelle, le piquant d'une senteur vinaigrée sont les parties de solo dans cette orchestration composite: chant d'un hautbois, d'une clarinette, ou brusque appel de cuivre qui va bientôt se fondre dans le cliquetis et le gazouillis général.

Et, tout en buvant, je me laisse prendre par cette marée de parfums et de sons. Je perds pied. Je vogue et je flotte. Les beaux chapeaux des femmes semblent d'immenses fleurs marines, écloses au ras de la houle, et les garçons qui s'empressent avec de rapides plongeons sont les dauphins noirs de cette mer tropicale.

Les fleurs s'agitent… les vagues s'ouvrent… la mer moutonne… Un invraisemblable soleil blanc éclaire tout cela… Une brise tzigane nous évente…

Je crois… oui… je crois que je suis ivre.

Maxim.

15
INSCRIPTION TROUVÉE SUR UN VIEUX MUR

En me voyant composer un poème où je chantais votre beauté, le rossignol s'est moqué de moi:

«Pourquoi célébrer ton amour, me dit-il, puisque celle que tu chéris habite une contrée lointaine et ne pense pas à toi?

–Pourquoi, lui répondis-je, ô rossignol! chantes-tu plus clair quand tu vois le reflet de la lune dans l'eau?»

16
CAPRIPÈDES AFRICAINS

Ils trottent, tous en file, autour d'une pierre que le berger nomade a levée, l'an dernier, pour marquer le lieu où il vit, avec le crépuscule, descendre, dans l'oasis, la femme qu'il chérit et que possède un seigneur opulent.

Ils trottent, tous en file, autour de cette pierre levée, et leurs petits pas font quatorze empreintes sur le sable sans poussière, car ils sont sept qui s'amusent dans la nuit et jouent avec le clair de lune.

A leurs oreilles ne pousse qu'un fin duvet, mais ne te fie pas à leurs façons puériles, bergère qui te plais à compter les étoiles! ils t'assailliraient sans vergogne, avec des gestes gourmands et malicieux.

Ils ne s'effraient pas de moi; autant qu'un arbre je leur suis familier. Fatigué par sa course, l'un d'eux quitte parfois la danse, vient s'accroupir à mes pieds et me fait des grimaces, en se pinçant la pointe de l'oreille.

Alors je lui conte l'histoire antique et précieuse de Pan poursuivant Syrinx, et le satyreau sourit et considère la lune d'un œil rêveur. Cette histoire lui paraît d'un bon exemple et il ne se fâche point si j'en varie souvent le détail.

N'ayant point de Syrinx à poursuivre, ils trottent en rond, mais, soudain, ils tournent à contre-sens, parce que la brise a changé de souffle, et maintenant, un peu étourdis, ils jouent et fuient dans la palmeraie.

Je les regarde avec complaisance; ils s'évitent et se cherchent, et se dérobent, le dos courbé, et se perdent, et se retrouvent. Ils poussent de petits cris et certains gémissements de plaisir. Ils troublent, au passage, les vols de moucherons.

Celui qui m'écoutait s'impatiente. Il esquisse une moue et laisse tomber sa lèvre inférieure, faite pour boire aux sources. Tout à coup, il saisit sa flûte, s'évade et va joindre ses compagnons.

Ils dansent sous la lune qui les regarde; le ruisseau mêle son chant à leurs minces musiques, et les petits sabots laissent quatorze empreintes fines sur le sable mouillé par la pluie de ce soir.

Et, quand le berger nomade viendra chercher, autour de la pierre qu'il leva, l'an dernier, le souvenir de Miriem, il s'émerveillera de ces quatorze traces insolites, et, seule, une odeur de bouc, répandue par la brise, flattera ses narines.

17
LES CLOCHES

Le vieux venait de mourir.—C'était prévu.

Depuis longtemps, il se plaignait de cette grosse bête qui faisait du bruit dans sa poitrine et qui lui mordait le cœur. Il avait lutté tant qu'il avait pu. La grosse bête s'était choisie un adversaire de qualité.

Ces vieux marins sont si imprégnés de sel que leur chair doit être immangeable. La bête n'avait pu se nourrir qu'à petites bouchées, et, parfois, dégoûtée par cette saumure, elle jeûnait quelques semaines. De ce temps de répit, le vieux se servait pour faire un enfant à sa femme.

Il y avait déjà six mioches dans la petite maison du bord de l'eau, six mioches qui se roulaient dans la poussière, se trempaient dans les dernières vagues, jacassaient, pleuraient, riaient, se querellaient, tout cela, en italien mâtiné d'arabe, avec, de ci, de là, quelques mots français.

Quand le septième mioche vint au monde, la grosse bête, outrée sans doute que le vieux eut encore assez de sang pour animer un nouvel être, se remit au travail et finit par prendre le dessus.—Durant deux mois, elle fourragea dans la poitrine du vieux, mordit, dépeça, déchira, creva et fit si bien qu'un soir les prunelles du vieux chavirèrent. Alors sa femme fit un signe de croix et se mit à genoux.

L'aîné des mioches, comprenant ce qui venait de se passer, poussa un long hurlement. Les cinq qui jouaient par terre avec un lambeau de filet firent de même, par imitation, et le petit, dans sa barcelonnette, ayant craché son pouce qu'il suçait, se joignit au chœur funèbre, du mieux qu'il put.

La mère sanglotait au pied du lit.

Le mort se composait lentement une figure de cercueil.

Les enfants beuglaient à l'envi.

Par la fenêtre, on voyait le soleil qui tombait sur Carthage en averses d'or, et sur les flots en rafales d'argent.—C'était dimanche, un dimanche d'Afrique, fait d'éclats, de feux et d'ombres chaudes.

Soudain, dans l'air que nul vent n'agitait, une musique prit l'essor.—Les notes s'envolaient, l'une après l'autre, claires ou graves, tristes ou gaies, toutes divines, et le ciel entier fut bientôt plein de leur harmonie.

Dans la chambre du mort, le chœur funèbre se désorganisa.—La mère arrêta ses sanglots, les mioches, peut-être à bout de souffle, se turent, et le tout petit changea sa clameur aiguë en un roucoulement.—La musique divine venait d'entrer. Elle flottait au-dessus du mort, émouvante, à la fois austère et limpide, mêlant les accords d'une harpe de séraphin à la voix naïve des angelots, unissant des pluies de perles à des chants d'airain.

La mère se tourna et sourit, le tout petit eut une espèce de grognement joyeux, et l'aîné des mioches, prenant un de ses frères par l'épaule, lui montra les dehors d'un geste vague, puis, la voix pleine d'extase, murmura:

«Senti che belle campane!»

Carthage.

18
BONHEUR PARFAIT

C'est l'heure paisible où l'ombre descend.

Le père médite, au coin du feu la mère tricote, attentive, la fille rêve au jour qui meurt, le fils fume, d'un air satisfait.—Dans quelques instants, ils mangeront en commun, puis, chacun s'en ira dormir, pour trouver des rêves à sa mesure.

Bonheur parfait! bonheur parfait!… bonheur épanoui, plutôt, et qui se fanera! belle union qui va se dissocier!—Ils sont heureux depuis trop longtemps. Je cherche le point qui menace de pourrir, qui, sans doute, au sein de ce fruit mûr, pourrit déjà.—Se trouve-t-il dans la méditation du père? (un souci d'argent qu'il ne laisse point voir?) dans le travail attentif de la mère? (quelque douleur secrète qui l'épuise?) dans la rêverie de la jeune fille? dans l'air satisfait du jeune homme? au plâtre du plafond qui s'écaille peut-être?… Ah! découvrir la lézarde avant qu'elle ne soit évidente!

Je vous dis que ce bonheur est trop mûr!

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