Je les vois.
Eh bien! Et les entrepôts? Et les navires marchands?
J'y suis.
Comment donc! N'es-tu pas au comble du bonheur? Maintenant jette l'œil droit du côté de la Karia, et l'œil gauche du côté de la Khalkèdonia.
Effectivement; me voilà fort heureux de loucher!
Mais non: c'est pour toi que se fait tout ce trafic; car tu vas devenir, comme le dit cet oracle, un très grand personnage.
Dis-moi, comment moi, un marchand d'andouilles, deviendrai-je un grand personnage?
C'est pour cela même que tu deviendras grand, parce que tu es un mauvais drôle, un homme de l'Agora, un impudent.
Je ne me crois pas digne d'un si grand pouvoir.
Hé! hé! pourquoi dis-tu que tu n'en es pas digne? Tu me parais avoir conscience que tu n'es pas sans mérite. Es-tu fils de gens beaux et bons?
J'en atteste les dieux, je suis de la canaille.
Quelle heureuse chance! Comme cela tourne bien pour tes affaires!
Mais, mon bon, je n'ai pas reçu la moindre éducation; je connais mes lettres, et, chose mauvaise, même assez mal.
C'est la seule chose qui te fasse du tort, même sue assez mal. La démagogie ne veut pas d'un homme instruit, ni de mœurs honnêtes; il lui faut un ignorant et un infâme. Mais ne laisse pas échapper ce que les dieux te donnent, d'après leurs oracles.
Que dit donc cet oracle?
De par les dieux, il y a de la finesse et de la sagesse dans son tour énigmatique: «Oui, quand l'aigle corroyeur, aux serres crochues, aura saisi dans son bec le dragon stupide, insatiable de sang, ce sera fait de la saumure à l'ail des Paphlagoniens, et la divinité comblera de gloire les tripiers, à moins qu'ils ne préfèrent vendre des andouilles.»
En quoi cela me regarde-t-il? Apprends-le-moi.
L'aigle corroyeur, c'est ce Paphlagonien.
Que signifie: «Aux serres crochues»?
Cela veut dire qu'avec ses mains crochues il enlève et emporte tout.
Et le dragon?
C'est ce qu'il y a de plus clair: le dragon est long, le boudin aussi, et boudin et dragon se remplissent de sang. Or, l'oracle dit que l'aigle corroyeur sera dompté par le dragon, si celui-ci ne se laisse pas enjôler par des mots.
Oui, l'oracle me désigne; mais j'admire comment je serai capable de gouverner Dèmos.
Tout ce qu'il y a de plus simple. Fais ce que tu fais: brouille toutes les affaires comme tes tripes; amadoue Dèmos en l'édulcorant par des propos de cuisine: tu as tout ce qui fait un démagogue, voix canaille, nature perverse, langage des halles: tu réunis tout ce qu'il faut pour gouverner. Les oracles sont pour toi, y compris celui de la Pythie. Couronne-toi, fais des libations à la Sottise, et lutte contre notre homme.
Qui sera mon allié? Car les riches le craignent, et les pauvres en ont peur.
Mais il y a les Chevaliers, braves gens au nombre de mille, qui l'ont en haine: ils te viendront en aide, et avec eux les citoyens beaux et bons, les spectateurs sensés, moi et le dieu. Ne crains rien: tu ne verras pas ses traits. Pris de peur, aucun artiste n'a voulu faire son masque; on le reconnaîtra tout de même: le public n'est pas bête.
Malheur à moi! Le Paphlagonien sort.
Non, par les douze dieux, vous n'aurez pas à vous réjouir vous deux qui, depuis longtemps, conspirez contre Dèmos. Que fait là cette coupe de Khalkis? Pas de doute que vous n'excitiez les Khalkidiens à la révolte. Vous mourrez, vous périrez, couple infâme!
Hé! l'homme! Tu fuis, tu ne restes pas là? Brave marchand d'andouilles, ne gâte pas nos affaires. Citoyens Chevaliers, accourez: c'est le moment. Hé! Simôn, Panætios, n'appuyez-vous pas l'aile droite? Voici nos hommes. Toi, tiens bon, et fais volte-face. La poussière qu'ils soulèvent annonce leur approche. Oui, tiens ferme, repousse l'ennemi et mets-le en fuite.
Frappe, frappe ce vaurien, ce trouble-rang des Chevaliers, ce concussionnaire, ce gouffre, cette Kharybdis de rapines, ce vaurien, cet archivaurien! Je me plais à le dire plusieurs fois; car il est vaurien plusieurs fois par jour. Oui, frappe, poursuis, mets-le aux abois, extermine. Hais-le comme nous le haïssons; crie à ses trousses! Prends garde qu'il ne t'échappe, vu qu'il connaît les passes par lesquelles Eukratès s'est sauvé droit dans du son.
Vieillards hèliastes, confrères du triobole, vous que je nourris de mes criailleries, en mêlant le juste et l'injuste, venez à mon aide, je suis battu par des conspirateurs.
Et c'est justice, puisque tu dévores les fonds publics, avant le partage, que tu tâtes les accusés comme on tâte un figuier, pour voir ceux qui sont encore verts, ou plus ou moins mûrs, et que, si tu en sais un insouciant et bonasse, tu le fais venir de la Khersonèsos, tu le saisis par le milieu du corps, tu lui prends le cou sous ton bras, puis, lui renversant l'épaule en arrière, tu le fais tomber et tu l'avales. Tu guettes aussi, parmi les citoyens, quiconque est d'humeur moutonnière, riche, pas méchant et tremblant devant les affaires.
Vous vous coalisez? Et moi, citoyens, c'est à cause de vous que je suis battu, parce que j'allais proposer, comme un acte de justice, d'élever dans la ville un monument à votre bravoure.
Qu'il est donc hâbleur, et souple comme un cuir! Voyez, il rampe auprès de nous autres vieillards, pour nous friponner; mais, s'il réussit d'un côté, il échouera de l'autre; et, s'il se tourne par ici, il s'y cassera la jambe.
O ville, ô peuple, voyez par quelles bêtes féroces je suis éventré!
Tu cries à ton tour, toi qui ne cesses de bouleverser la ville?
Oh! Moi, par mes cris, je l'aurai bientôt mis en fuite.
Ah! si tu cries plus fort que lui, tu es digne de l'hymne triomphal; mais, si tu le surpasses en impudence, à nous le gâteau au miel.
Je te dénonce cet homme, et je dis qu'il exporte ses sauces pour les trières des Péloponésiens.
Et moi, par Zeus! je te dénonce cet homme, qui court au Prytanéion le ventre vide, et qui en revient le ventre plein.
Et, par Zeus! il en rapporte des mets interdits, pain, viande, poisson; ce à quoi Périklès n'a jamais été autorisé.
A mort, tout de suite!
Je crierai trois fois plus fort que toi.
Mes cris domineront tes cris.
Mes beuglements tes beuglements.
Je te dénoncerai, si tu deviens stratège.
Je te résisterai comme un chien.
Je rabattrai tes vanteries.
Je déjouerai tes ruses.
Ose donc me regarder en face.
Et moi aussi j'ai été élevé sur l'Agora.
Je te mettrai en pièces, si tu grognes.
Je te couvrirai de merde, si tu parles.
Je conviens que je suis un voleur. Et toi?
Par Hermès Agoréen! je me parjure, même devant ceux qui m'ont vu.
C'est donc que tu t'attribues à faux le mérite des autres. Je te dénonce aux Prytanes comme possédant des tripes sacrées, qui n'ont pas payé la dîme.
Infâme, scélérat, braillard, tout le pays est plein de ton impudence, l'assemblée entière, les finances, les greffes, les tribunaux. Agitateur brouillon, tu as rempli toute la cité de désordre, et tu as assourdi notre Athènes de tes cris; d'une roche élevée tu as l'œil sur les revenus, comme un pêcheur sur des thons.
Je connais cette affaire et où depuis longtemps elle a été ressemelée.
Si tu ne te connaissais pas en ressemelage, moi je n'entendrais rien aux andouilles. C'est toi qui coupais obligeamment le cuir d'un mauvais bœuf, pour le vendre aux paysans, après une préparation frauduleuse, qui le faisait paraître épais. Ils ne l'avaient pas porté un jour, qu'il s'allongeait de deux palmes.
Par Zeus! il m'a joué le même tour, si bien que je devins la risée complète de mes voisins et de mes amis: car, avant d'arriver à Pergasè, je nageais dans mes souliers.
N'as-tu pas, dès le début, étalé ton impudence, qui est l'unique force des orateurs? Tu la pousses jusqu'à traire les étrangers opulents, toi le chef de l'État. Aussi, à ta vue, le fils de Hippodamos fond-il en larmes. Mais voici un autre homme, bien pire que toi, qui me ravit l'âme; il t'élimine, il te surpasse, c'est facile à voir, en perversité, en effronterie, en tours de passe-passe. Allons, toi, qui as été élevé à l'école d'où sortent tous les grands hommes, montre donc qu'une éducation sensée ne signifie rien.
Alors, écoutez quel est ce citoyen-là.
Ne me laisseras-tu point parler?
Non, de par Zeus! je suis aussi mauvais que toi.
S'il ne cède pas à cette raison, dis qu'il est de mauvaise lignée.
Tu ne me laisseras point parler?
Non, de par Zeus!
Mais si, de par Zeus!
Non, par Poséidôn! Mais qui parlera le premier, c'est ce que je commencerai par débattre.
Oh! j'en crèverai.
Non, je ne te laisserai pas.
Laisse-le donc, au nom des dieux, laisse-le crever!
Mais d'où te vient cette hardiesse de me contredire en face?
De ce que je me sens capable de parler et de cuisiner.
De parler! Ah! vraiment, s'il te tombait quelque affaire, tu saurais la découper dans le vif et l'accommoder comme il faut; mais veux-tu savoir ce qu'il me semble que tu as éprouvé? Ce qui arrive à tout le monde. Si, par hasard, tu as gagné une toute petite cause contre un métèque, durant la nuit, tu t'es mis à marmotter, à te parler à toi-même dans les rues, buvant de l'eau, importunant tes amis; et tu te figures que tu es capable de parler? Pauvre fou!
Et que bois-tu donc, toi, pour que, maintenant, la ville, abasourdie par ton unique bavardage, soit réduite au silence?
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