Non-seulement la taille de l'homme, mais aussi la dimension des matériaux déterminent l'échelle de l'architecture romaine et surtout de l'architecture gothique. Tout membre d'architecture doit être pris dans une hauteur d'assise; mais comme les pierres à bâtir ne sont pas partout de la même hauteur de banc, c'est là où l'on reconnaît la souplesse des principes de cette architecture. Avec un tact et un sentiment de l'art assez peu appréciés de nos jours, l'architecte du moyen âge élève sa construction de façon à la mettre d'accord avec la dimension de l'édifice qu'il bâtit. Peu importe que les matériaux soient hauts ou bas, il sait en même temps le soumettre à l'échelle imposée par ces matériaux et aux proportions convenables à un grand ou à un petit monument. Supposons qu'il ne possède que des pierres calcaires dont la hauteur de banc est de 0,40 c. au plus, et qu'il veuille bâtir un édifice d'une très-grande dimension, comme la façade de la cathédrale de Paris, par exemple; admettons même qu'il tienne à donner à cette façade de grandes proportions, ou, pour mieux dire, une échelle supérieure à l'échelle commune. Il élèvera les soubassements en assises régulières, basses; si, dans ces soubassements, il veut faire saillir des bandeaux, il ne donnera à ces bandeaux qu'une très-faible hauteur, et encore les fera-t-il tailler sur des profils fins, délicats, afin de laisser à la masse inférieure toute son importance; il maintiendra les lignes horizontales, comme indiquant mieux la stabilité. Arrivé à une certaine hauteur, il sent qu'il faut éviter l'uniformité convenable à un soubassement, que les lits horizontaux donnés par les assises détruiront l'effet des lignes verticales. Alors, devant cette structure composée d'assises, il place des colonnettes en délit qui sont comme un dessin d'architecture indépendant de la structure; il surmonte ces colonnettes d'arcatures prises dans des pierres posées de même en délit et appareillées de telle façon qu'on n'aperçoive plus les joints de la construction: ainsi donne-t-il à son architecture les proportions qui lui conviennent, et il laisse à ces proportions d'autant plus de grandeur que, derrière ce placage décoratif, l'oeil retrouve l'échelle vraie de la bâtisse, celle qui est donnée par la dimension des matériaux. La grande galerie à jour qui, sous les tours, termine la façade de Notre-Dame de Paris, est un chef-d'oeuvre de ce genre. La structure vraie, comme un thème invariable, se continue du haut en bas, par assises réglées de 0,40 c. de hauteur environ. Devant cette masse uniforme se dessine d'abord la galerie des Rois, avec ses colonnes monolithes de 0,25 c. de diamètre, dressées entre des statues de 3m,00 de hauteur. Puis vient se poser immédiatement une balustrade à l'échelle humaine, c'est-à-dire de 1m,00 de hauteur, qui rend à la galerie sa grandeur, en rappelant, près des figures colossales, la hauteur de l'homme. Au-dessus, les assises horizontales; le thème continue sans rien qui altère son effet. L'oeuvre se termine par cette grande galerie verticale dont les colonnes monolithes ont 5m,10 de hauteur sur 0,18 c. de diamètre, couronnée par une arcature et une corniche saillante, haute, ferme, dans laquelle cependant l'ornementation et les profils se soumettent à la dimension des matériaux (voy. CORNICHE, fig. 17). Les tours s'élèvent sur ce vaste soubassement; elles se composent, comme chacun sait, de piles cantonnées de colonnettes engagées bâties par assises de 0,45 c. de hauteur; mais pour que l'oeil, à cette distance, puisse saisir la construction, énorme empilage d'assises, dans les angles, chacune de ces assises porte un crochet saillant se découpant sur les fonds ou sur le ciel. Ces longues séries de crochets, marquant ainsi l'échelle de la construction, rendent aux tours leur dimension véritable en faisant voir de combien d'assises elles se composent. Sur la façade de Notre-Dame de Paris, l'échelle donnée par la dimension de l'homme et par la nature des matériaux est donc soigneusement observée de la base au faîte. La statuaire, qui sert de point de comparaison, n'existe que dans les parties inférieures; les couronnements en sont dépourvus, et, en cela, l'architecte a procédé sagement: car, dans un édifice de cette hauteur, si l'on place des statues sur les couronnements, celles-ci paraissent trop petites lorsqu'elles ne dépassent pas du double au moins la dimension de l'homme; elles écrasent l'architecture lorsqu'elles sont colossales.
En entrant dans une église ou une salle gothique, chacun est disposé à croire ces intérieurs beaucoup plus grands qu'ils ne le sont réellement; c'est encore par une judicieuse application du principe de l'échelle humaine que ce résultat est obtenu. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, les bases des piles, leurs chapiteaux, les colonnettes des galeries supérieures rappellent à diverses hauteurs la dimension de l'homme, quelle que soit la proportion du monument. De plus, la multiplicité des lignes verticales ajoute singulièrement à l'élévation. Dans ces intérieurs, les profils sont camards, fins, toujours pris dans des assises plus basses que celles des piles ou des parements. Les vides entre les meneaux des fenêtres ne dépassent jamais la largeur d'une baie ordinaire, soit 1m,25 (4 pieds) au plus. Si les fenêtres sont très-larges, ce sont les meneaux qui, en se multipliant, rappellent toujours ces dimensions auxquelles l'oeil est habitué, et font qu'en effet ces fenêtres paraissent avoir leur largeur réelle. D'ailleurs ces baies sont garnies de panneaux de vitraux séparés par des armatures en fer, qui contribuent encore à donner aux ouvertures vitrées leur grandeur vraie; et pour en revenir aux colonnes engagées indéfiniment allongées, dans l'emploi desquelles les uns voient une décadence ou plutôt un oubli des règles de l'antiquité sur les ordres, les autres une influence d'un art étranger, d'autres encore un produit du hasard, elles ne sont que la conséquence d'un principe qui n'a aucun point de rapport avec les principes de l'architecture antique. D'abord il faut admettre que les ordres grecs n'existent plus, parce qu'en effet ils n'ont aucune raison d'exister chez un peuple qui abandonne complétement la plate-bande pour l'arc. La plate-bande n'étant plus admise, le point d'appui n'est plus colonne, c'est une pile. La colonne qui porte une plate-bande est et doit être diminuée, c'est-à-dire présenter à sa base une section plus large que sous le chapiteau; c'est un besoin de l'oeil d'abord, c'est aussi une loi de statique; car la plate-bande étant un poids inerte, il faut que le quillage sur lequel pose ce poids présente une stabilité parfaite. L'arc, au contraire, est une pesanteur agissante qui ne peut être maintenue que par une action opposée. Quatre arcs qui reposent sur une pile se contre-buttent réciproquement, et la pile n'est plus qu'une résistance opposée à la résultante de ces actions opposées. Il ne viendra jamais à la pensée d'un architecte (nous disons architecte qui construit) de reposer quatre arcs sur une pile conique ou pyramidale. Il les bandera sur un cylindre ou un prisme, puisqu'il sait que la résultante des pressions obliques de ces quatre arcs, s'ils sont égaux de diamètre, d'épaisseur et de charge, passe dans l'axe de ce cylindre ou de ce prisme sans dévier. Il pourrait se contenter d'un poinçon posé sur sa pointe pour porter ces arcs. Or, comme nous l'avons assez fait ressortir dans l'article CONSTRUCTION, le système des voûtes et d'arcs adopté par les architectes du moyen âge n'étant autre chose qu'un système d'équilibre des forces opposées les unes aux autres par des buttées ou des charges, tout dans cette architecture tend à se résoudre en des pressions verticales, et le système d'équilibre étant admis, comme il faut tout prévoir, même l'imperfection dans l'exécution, comme il faut compter sur des erreurs dans l'évaluation des pressions obliques opposées ou chargées, et par conséquent sur des déviations dans les résultantes verticales, mieux vaut dans ce cas une pile qui se prête à ces déviations qu'une pile inflexible sur sa base.
En effet, soit (1), sur une pile A, une résultante de pressions qui, au lieu d'être parfaitement verticale, soit oblique suivant la ligne CD, cette résultante oblique tendra à faire faire à la pile le mouvement indiqué en B. Alors la pile sera broyée sur ses arêtes. Mais soit, au contraire, sur une pile E, une résultante de pressions obliques, la pile tendra à pivoter sur sa base de manière à ce que la résultante rentre dans la verticale, comme le démontre le tracé F. Alors, si la pile est chargée, ce mouvement ne peut avoir aucun inconvénient sérieux. Tout le monde peut faire cette expérience avec un cône sur le sommet ou la base duquel on appuierait le doigt. Dans le premier cas, on fera sortir la base du plan horizontal; dans le second, le cône obéira, et à moins de faire sortir le centre de gravité de la surface conique, on sentira sous la pression une résistance toujours aussi puissante.
Ainsi laissons donc là les rapports de la colonne des ordres antiques, qui n'ont rien à faire avec le système de construction de l'architecture du moyen âge. Ne comparons pas des modes opposés par leurs principes mêmes. Les architectes gothiques et même romans du Nord n'ont pas, à proprement parler, connu la colonne; ils n'ont connu que la pile. Cette pile, quand l'architecture se perfectionne, ils la décomposent en autant de membres qu'ils ont d'arcs à porter; rien n'est plus logique assurément. Ces membres ont des pressions égales ou à peu près égales à recevoir; ils admettent donc qu'en raison de l'étendue des monuments ils donneront à chacun d'eux le diamètre convenable, 1 pied, 15 pouces, ou 18 pouces, comme nous l'avons démontré plus haut; cela est encore très-logique. Ils poseront ces membres réunis sur une base unique, non faite pour eux, mais faite pour l'homme, comme les portes, les balustrades, les marches, les appuis sont faits pour l'homme et non pour les monuments; cela n'est pas conforme à la donnée antique, mais c'est encore conforme à la logique, car ce ne sont pas les édifices qui entrent par leurs propres portes, qui montent leurs propres degrés ou s'appuient sur leurs propres balustrades, mais bien les hommes. Ces membres, ou fractions de piles, ces points d'appui ont, celui-ci un arc à soutenir à cinq mètres du sol: on l'arrête à cette hauteur, on pose son chapiteau (qui n'est qu'un encorbellement propre à recevoir le sommier de l'arc, voy. CHAPITEAU); cet autre doit porter son arc à huit mètres du sol: il s'arrête à son tour à ce niveau; le dernier recevra sa charge à quinze mètres, son chapiteau sera placé à quinze mètres de hauteur. Cela n'est ni grec, ni même romain, mais cela est toujours parfaitement logique. La colonne engagée gothique, qui s'allonge ainsi ou se raccourcit suivant le niveau de la charge qu'elle doit porter, n'a pas de module, mais elle a son échelle, qui est son diamètre; elle est cylindrique et non conique, parce qu'elle n'indique qu'un point d'appui recevant une charge passant par son axe, et qu'en supposant même une déviation dans la résultante des pressions, il est moins dangereux pour la stabilité de l'édifice qu'elle puisse s'incliner comme le ferait un poteau, que si elle avait une large assiette s'opposant à ce mouvement. Son diamètre est aussi peu variable que possible, quelle que soit la dimension de l'édifice, parce que ce diamètre uniforme, auquel l'oeil s'habitue, paraissant grêle dans un vaste monument, large dans un petit, indique ainsi la dimension réelle, sert d'échelle, en un mot, comme les bases, les arcatures, balustrades, etc.
Mais comme les architectes du moyen âge ont le désir manifeste de faire paraître les intérieurs des monuments grands (ce qui n'est pas un mal), ils évitent avec soin tout ce qui pourrait nuire à cette grandeur. Ainsi ils évitent de placer des statues dans ces intérieurs, si ce n'est dans les parties inférieures, et, alors, ils ne leur donnent que la dimension humaine, tout au plus. L'idée de jeter des figures colossales sous une voûte ou un plafond ne leur est jamais venue à la pensée, parce qu'ils étaient architectes, qu'ils aimaient l'architecture et ne permettaient pas aux autres arts de détruire l'effet qu'elle doit produire. Les sculpteurs n'en étaient pas plus malheureux ou moins habiles pour faire de la statuaire à l'échelle; ils y trouvaient leur compte et l'architecture y trouvait le sien (voy. STATUAIRE).
Que, d'un point de départ si vrai, si logique, si conforme aux principes invariables de tout art; que, de ce sentiment exquis de l'artiste se soumettant à une loi rigoureuse sans affaiblir l'expression de son génie personnel, on en soit venu à dresser dans une ville, centre de ces écoles délicates et sensées, un monument comme l'arc de triomphe de l'Étoile, c'est-à-dire hors d'échelle avec tout ce qui l'entoure, une porte sous laquelle passerait une frégate mâtée; un monument dont le mérite principal est de faire paraître la plus grande promenade de l'Europe un bosquet d'arbrisseaux; il faut que le sens de la vue ait été parmi nous singulièrement faussé et que, par une longue suite d'abus en matière d'art, nous ayons perdu tout sentiment du vrai. Il y a plus d'un siècle déjà, le président De Brosses 59, parlant de sa première visite à la basilique de Saint-Pierre de Rome, dit que, à l'intérieur, ce vaste édifice ne lui sembla «ni grand, ni petit, ni haut, ni bas, ni large, ni étroit.» Il ajoute: «On ne s'aperçoit de son énorme étendue que par relation, lorsqu'en considérant une chapelle, on la trouve grande comme une cathédrale; lorsqu'en mesurant un marmouset qui est là au pied d'une colonne, on lui trouve «un pouce gros comme le poignet. Tout cet édifice, par l'admirable justesse de ses proportions, a la propriété de réduire les choses démesurées à leur juste valeur.» Voilà une propriété bien heureuse! Faire un édifice colossal pour qu'il ne paraisse que de dimension ordinaire, faire des statues d'enfants de trois mètres de hauteur pour qu'elles paraissent être des marmots de grandeur naturelle! Le président De Brosses est cependant un homme d'esprit, très-éclairé, aimant les arts; ses lettres sont pleines d'appréciations très-justes. C'est à qui, depuis lui, a répété ce jugement d'amateur terrible, a fait à Saint-Pierre de Rome ce mauvais compliment. On pourrait en dire autant de notre arc de triomphe de l'Étoile et de quelques autres de nos monuments modernes: «L'arc de l'Étoile, par l'admirable justesse de ses proportions, ne paraît qu'une porte ordinaire; il a la propriété de réduire tout ce qui l'entoure à des dimensions tellement exiguës, que l'avenue des Champs-Élysées paraît un sentier bordé de haies et les voitures qui la parcourent des fourmis qui vont à leurs affaires sur une traînée de sable.» Si c'est là le but de l'art, le mont Blanc est fait pour désespérer tous les architectes, car jamais ils n'arriveront à faire un édifice qui ait à ce degré le mérite de réduire à néant tout ce qui l'entoure. Dans la ville où nous nous évertuons à élever des édifices publics qui ne rappellent en rien l'échelle humaine, percés de fenêtres tellement hors de proportion avec les services qu'elles sont destinées à éclairer, qu'il faut les couper en deux et en quatre par des planchers et des cloisons, si bien que des pièces prennent leurs jours ainsi que l'indique la figure ci-contre (2), ce qui n'est ni beau ni commode; que nous couronnons les corniches de ces édifices de lucarnes avec lesquelles on ferait une façade raisonnable pour une habitation; dans cette même ville, disons-nous, on nous impose (et l'édilité en soit louée!) des dimensions pour les hauteurs de nos maisons et de leurs étages. La raison publique veut qu'on se tienne, quand il s'agit d'édifices privés, dans les limites qu'imposent le bon sens et la salubrité.
Voilà qui n'est plus du tout conforme à la logique, car les édifices publics (ou nous nous abusons étrangement) sont faits pour les hommes aussi bien que les maisons, et nous ne grandissons pas du double ou du triple quand nous y entrons. Pourquoi donc ces édifices sont-ils hors d'échelle avec nous, avec nos besoins et nos habitudes?... Cela est plus majestueux, dit-on. Mais la façade de Notre-Dame de Paris est suffisamment majestueuse, et elle est à l'échelle de notre faiblesse humaine; elle est grande, elle paraît telle, mais les maisons qui l'entourent sont toujours des maisons et ne ressemblent pas à des boîtes à souris, parce que, sur cette façade de Notre-Dame, si grande qu'elle soit, les architectes ont eu le soin de rappeler, du haut en bas, cette échelle humaine, échelle infime, nous le voulons bien, mais dont nous ne sommes pas les auteurs.
ÉCHIFFRE (Mur d'). C'est le mur sur lequel s'appuient les marches d'un escalier, quand ce mur ne dépasse pas les niveaux ressautants du degré (voy. ESCALIER).
ÉCOLE, s. f. Pendant le moyen âge, il y a eu, sur le territoire de la France de nos jours, plusieurs écoles, soit pendant l'époque romane, soit pendant la période gothique. Les écoles romanes sont sorties, la plupart, des établissements monastiques; quelques-unes, comme l'école romane de l'Île-de-France et de Normandie, tiennent à l'organisation politique de ces contrées; d'autres, comme les écoles de la Provence et d'une partie du Languedoc, ne sont que l'expression du système des municipalités romaines qui, dans ces contrées, se conserva jusqu'à l'époque de la guerre des Albigeois; ces dernières écoles suivent, plus que toute autre, les traditions de l'architecture antique. D'autres encore, comme les écoles du Périgord, de la Saintonge, de l'Angoumois et d'une partie du Poitou, ont subi, vers le XIe siècle, les influences de l'art byzantin. On ne compte, dans nos provinces, que quatre écoles pendant la période gothique: l'école de l'Île-de-France, du Soissonnais, du Beauvoisis; l'école bourguignonne; l'école champenoise, et l'école normande (voy., pour les développements, les articles ARCHITECTURE religieuse, monastique, CATHÉDRALE, CLOCHER, CONSTRUCTION, ÉGLISE, PEINTURE, SCULPTURE, STATUAIRE).
ÉCU, s. m. (voy. ARMOIRIES).
ÉGLISE PERSONNIFIÉE, SYNAGOGUE
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