En publiant les tragédies de Sardanapale et des Deux Foscari, il me suffit de répéter qu'elles n'ont pas été composées dans la moindre vue de jamais les livrer au théâtre.
Les comédiens ayant une première fois essayé la représentation d'une de mes pièces, l'opinion publique s'est déjà prononcée dans cette circonstance.
Quant à mes intentions particulières, comme il paraît qu'on ne veut en tenir aucun compte, je n'en dirai rien.
Le lecteur, en consultant les notes, trouvera les fondemens historiques des ouvrages que je lui présente.
L'auteur a, dans l'un d'eux, tenté de garder, et, dans l'autre, de violer aussi légèrement que possible la règle des unités; persuadé qu'en les méprisant tout-à-fait, on peut bien se montrer grand poète, mais jamais véritable auteur dramatique. Il sait combien cette déclaration semblera impopulaire dans la littérature anglaise actuelle; mais ce n'est pas de sa part un système, mais une simple opinion qui, naguère encore, était un principe littéraire généralement reconnu dans le monde, et qui l'est encore dans les contrées les plus civilisées: au reste, nous avons changé tout cela1, et nous recueillons les fruits de ce changement. L'auteur est loin de croire que rien de ce qu'il essaiera puisse jamais approcher les chefs-d'œuvre de ses classiques, ou même irréguliers prédécesseurs: seulement, il expose les raisons qui lui font préférer la plus régulière structure, malgré sa faiblesse, au complet abandon de toutes les règles. Lorsqu'il est en défaut, il faut en accuser l'architecte, non pas l'art.
Mon intention, dans cette tragédie, a été de suivre le récit de Diodore de Sicile, en le ramenant toutefois à cette régularité dramatique qui me semblait le mieux favoriser l'observation des unités. Au lieu donc de la longue guerre dont parle l'histoire, j'ai supposé que la révolte éclatait et se terminait en un jour, par le moyen d'une conspiration subite.
SARDANAPALE, roi de Ninive et d'Assyrie, etc.
ARBACES, Mède aspirant au trône.
BELÈSES, Chaldéen et devin.
SALEMÈNES, beau-frère du roi.
ALTADA, officier assyrien du palais.
PANIA.
ZAMES.
SFÉRO.
BALÉA
ZARINA, reine.
MIRRHA, esclave ionienne, et favorite de Sardanapale.
Femmes composant le harem de Sardanapale.
Gardes, Suivans, Prêtres, Chaldéens, Mèdes, etc.
Il a outragé la reine, mais il est encore son époux; il a outragé ma sœur, mais il est encore mon frère; il a outragé son peuple, mais il en est le roi, et je lui dois mon amitié aussi bien que ma soumission: non, il ne mourra pas ainsi. Je ne verrai pas le sang de Nemrode et de Sémiramis disparaître de la terre, et treize cents années de commandement finir comme un conte de berger; il faut le relever. Il y a dans son ame efféminée un insouciant courage que la corruption n'a pas entièrement étouffé; une secrète énergie que le tems a pu réprimer, mais non pas détruire: – il est plongé, mais non pas noyé dans l'abîme des voluptés. Villageois, il se fût montré capable de conquérir un empire; né sur le-trône, il ne le transmettra pas: ses fils n'hériteront que d'un nom peu glorieux. – Cependant, tout n'est pas perdu; il peut encore secouer son indolence et sa honte, et se montrer tel qu'il doit être, sans plus d'effort qu'il n'en met à se montrer tel qu'il ne le devrait pas. Serait-il, en effet, moins difficile de commander aux nations que de traîner une vie fainéante? de conduire une armée, que de diriger un harem? Il s'épuise en de fades plaisirs; il abrutit son ame; il éteint sa généreuse vigueur au milieu de soins qui ne donnent pas la santé, comme la chasse; ou la gloire, comme la guerre. – Il faut le rappeler à lui-même; mais, hélas! (On entend de l'intérieur des appartemens une musique suave.) le tonnerre seul pourrait le réveiller. Écoutez! c'est le luth, c'est la lyre, c'est le tambourin; les accords lascifs de langoureux instrumens, les molles voix des femmes et de ces êtres qui sont moins que des femmes se font entendre comme l'écho de ses plaisirs; et cependant le grand roi de toute la terre connue incline sa tête couronnée de roses, et son diadème négligemment attaché semble devoir être la conquête de la première main généreuse qui osera le lui ravir. Ils viennent! Déjà se répandent jusqu'à moi les parfums de sa suite voluptueuse. Je distingue les étincelles des pierres précieuses des jeunes filles, dont il a fait ses confidentes et son conseil: elles s'avancent dans la galerie, parmi les flots de ces femmes, revêtues du même costume, et non moins femmes qu'elles-mêmes. Voici venir le petit-fils de Sémiramis, la reine-homme! Faut-il l'attendre? Oui, l'affronter même; lui répéter ce que tous les gens de bien se disent quand ils parlent de lui et de sa cour. Les voilà les esclaves que conduit un monarque serviteur de ses esclaves.
Que le pavillon soit tendu sur l'Euphrate, qu'il soit illuminé et disposé pour un banquet particulier; à minuit, nous y souperons: songez à ce que rien ne manque, et faites préparer les galères qui doivent nous y conduire. Une brise rafraîchissante ride la large surface des flots: nous ne tarderons pas à nous embarquer. Vous, qui daignez partager les doux momens de Sardanapale, nymphes charmantes, nous nous retrouverons à cette heure plus douce encore, et alors, réunis comme les étoiles suspendues sur nos têtes, nous formerons un empirée aussi brillant que le leur. Mais en attendant, que chacune reste maîtresse de son tems; pour toi, Mirrha, ma chère Ionienne, choisis: veux-tu demeurer avec elles ou avec moi?
Seigneur-
Seigneur! Pourquoi donc, ma chère ame, cette froide réponse? Hélas! c'est le malheur des rois de l'entendre souvent. Dispose de tes instans comme tu disposes des miens. Dis-moi, veux-tu accompagner notre société, ou, loin d'elle, continuer à charmer ici mes heures?
Le choix du roi est le mien.
Ne parle pas ainsi, je te prie: ma joie la plus chère est de servir chacun de tes vœux. Je n'ose même exprimer mes propres désirs, dans la crainte de contrarier les tiens; car tu te montres toujours trop empressée à sacrifier tes pensées devant celles des autres.
Je voudrais donc rester: je n'ai de bonheur qu'en contemplant le tien; cependant-
Cependant? Qu'est-ce cependant? Tes vœux chéris seront toujours la seule barrière qui pourra s'élever entre toi et moi.
Je songe que l'heure présente est ordinairement celle du conseil; mieux vaudrait donc me retirer.
L'esclave ionienne dit bien; qu'elle se retire.
Qui parle ainsi? Quoi! vous ici, mon frère?
Le frère de la reine, ô roi, et votre plus fidèle vassal.
Comme je l'ai dit, que tout le monde dispose de ses heures, jusqu'à celle de minuit, où nous sollicitons de nouveau votre présence. (La cour se retire.) (A Mirrha, qui s'éloigne.) Mirrha! toi, je croyais que tu restais?
Grand roi, tu ne l'as pas dit.
Mais tu m'y semblais disposée; j'ai vu dans l'expression de tes regards ioniques le désir de ne pas me quitter.
Sire, votre-
Le frère de sa reine, courtisane d'Ionie! Oses-tu bien me nommer et ne pas rougir?
Sans rougir? Tes yeux sont aussi mauvais que ton cœur! Tu colores ses joues charmantes, comme sur le Caucase la teinte mourante du jour, quand le soleil couchant nuance d'un rose plus sombre la blancheur de la neige; oui, tu lui reproches une insensibilité, un aveuglement qui t'appartiennent seuls. Quoi! des larmes, ma Mirrha!
Qu'elles coulent; elle pleure pour bien d'autres, et elle est elle-même la cause de pleurs plus amers.
Maudit celui qui fait ainsi couler les siennes!
Oh! ne te maudis pas toi-même: – des millions d'hommes le font déjà bien assez.
Tu oublies qui tu es; ne me fais pas souvenir que je suis roi.
Plût à Dieu que tu le fusses!
Oh! mon roi! je t'en prie; et toi, prince aussi, permettez que je me retire.
Puisqu'il le faut, et que cet homme brutal n'a pas craint d'insulter ta belle ame, j'y consens; mais souviens-toi que nous devons bientôt nous réunir: j'aimerais mieux perdre un empire que ta présence.
Il se peut que tu les perdes tous les deux, et tous deux pour toujours!
Mon frère, puisque je supporte un pareil langage, je puis du moins commander à moi-même; cependant, ne me force pas à sortir de mon naturel.
Et c'est justement à ce naturel facile, et même trop faible, que je voudrais t'arracher. Oh! que ne puis-je te réveiller, quand même tu devrais m'en punir.
Par le dieu Baal! cet homme voudrait faire de moi un tyran.
Mais tu l'es déjà! Crois-tu qu'il n'y ait d'autre tyrannie que celle du carnage et des haines? celle du vice, les excès et les débordemens du libertinage, l'indolence, l'apathie, les suites d'une molle oisiveté enfantent des milliers de tyrans dont la cruauté surpasse les actes les plus odieux d'un despote énergique, quelles que soient l'impétuosité et la violence de son caractère. Le triste et scandaleux exemple de tes débordemens corrompt les nations ainsi qu'il les oppresse; du même coup, il sappe et ta puissance immédiate et celle de tes officiers les plus éloignés. Aussi, que l'étranger envahisse nos frontières, ou qu'un séditieux appelle à la guerre civile, l'un ou l'autre nous seront également fatals. Le premier ne trouvera plus dans tes sujets un courage capable de le repousser, et le second rencontrera moins des vainqueurs que des complices.
Et qui te rend aujourd'hui le porte-voix du peuple?
L'oubli de ta conduite avec la reine, et les chagrins de ma sœur; l'affection naturelle que je conserve pour mes jeunes neveux; ma loyauté envers le roi, loyauté que des paroles ne suffiront plus bientôt pour lui prouver; mon respect pour la race de Nemrode, et, de plus, un autre sentiment que tu ne connais pas.
Qu'est-ce que cela?
Un mot qui t'est inconnu.
Prononce-le, cependant: j'ai toujours aimé à apprendre.
La vertu.
Je ne connais pas ce mot! Il n'en est pas un qui plus souvent sonne dans mes oreilles-plus retentissant que le bruit de la multitude ou l'éclatante trompette; ta sœur ne m'a jamais fait entendre autre chose.
Pour changer ce pénible sujet, écoute un peu parler le vice.
Qui écouter?
Les vents eux-mêmes, si tu étais un peu sensible aux échos de la voix des peuples.
Allons, je suis indulgent comme tu vois, et patient comme tu l'as maintes fois éprouvé. – Parle donc; qui te pousse à agir ainsi?
Les dangers que tu cours.
Explique-toi.
Eh bien donc, toutes les nations, car elles sont nombreuses, dont ton père t'a transmis l'héritage, sont transportées de fureur contre toi.
Contre moi! Et que veulent les esclaves?
Un roi.
Et que suis-je donc, moi?
A leurs yeux, rien; mais aux miens un homme qui pourrait encore être quelque chose.
Insolente valetaille! Et que désirent-ils donc? N'ont-ils pas paix et abondance?
De la première, ils en jouissent aux dépens de leur gloire; de la seconde, bien moins que le roi ne l'imagine.
Alors, à qui la faute, si ce n'est aux satrapes infidèles qui n'y pourvoient mieux?
Mais certes, on peut en accuser aussi le monarque dont les regards ne s'étendent jamais au-delà des murs de son palais, ou, s'il le fait, qui ne voit pas au-delà de quelques palais élevés sur les montagnes, jusqu'à ce que les chaleurs de l'été aient disparu. O glorieux Baal! toi qui édifias ce vaste empire, et fus mis au rang des dieux, ou du moins dont la gloire, à travers les siècles, égalera celle d'un dieu, pensais-tu que ton descendant présomptif ne regarderait jamais en roi les royaumes que tu lui conquis en héros, et que tu obtins au prix de ton sang, de tes sueurs et de continuels dangers? Et pourquoi? pour procurer les impôts nécessaires aux frais d'un festin, ou des concussions multipliées au profit d'un infâme favori.
Je te comprends. Tu voudrais me faire marcher en conquérant. Par tous les astres que consultent les Chaldéens, ces turbulens esclaves mériteraient que je les punisse en cédant à leurs vœux, et que je les conduisisse à la gloire.
Pourquoi non? Sémiramis n'était qu'une femme, elle conduisit nos Assyriens aux bornes du soleil, aux rivages du Gange.
Cela est très-vrai. Et comment en revint-elle?
Comment? en homme, – en héros; malheureuse, mais non vaincue; et vingt gardes lui suffirent pour protéger sa retraite jusqu'en Bactriane.
Et combien de guerriers abandonna-t-elle derrière elle, dans les Indes, aux vautours?
Nos annales n'en disent rien.
Je le dirai donc pour elles. – Elle eût mieux fait de rester dans son palais, occupée à tisser quelque vingt robes, que de regagner la Bactriane avec une vingtaine de gardes, laissant des millions de sujets fidèles à la rage des corbeaux, des loups et des hommes, les plus féroces des trois. Est-ce là de la gloire? Je préfère mille fois mon ignominie.
Tous les esprits belliqueux n'ont pas la même destinée. Sémiramis, cette mère glorieuse d'une centaine de rois, échoua sans doute dans les Indes; mais elle ajouta la Perse, la Médie, la Bactriane au royaume qu'elle gouvernait autrefois, et que tu pourrais aujourd'hui gouverner.
Dis plutôt qu'elle ne sut que les conquérir, et que moi je les gouverne.
Avant peu, ils auront peut-être besoin de son épée plutôt que de ton sceptre.
Il y eut un certain Bacchus, n'est-ce pas cela? J'ai ouï mes filles grecques en dire quelque chose. – C'était, suivant elles, un dieu, c'est-à-dire un dieu de la Grèce, une idole étrangère au culte des Assyriens; eh bien! il conquit ce même royaume du couchant, cette Inde dont tu parles, où Sémiramis fut vaincue.
Je sais qu'il y eut un homme de ce nom: et tu comprends sans doute que, s'il a passé pour un dieu, c'est à cause de ses hauts faits?
Et je le révère dans ses divins attributs, sans l'imiter dans ses actions humaines. – Holà! mon échanson!
Que désire le roi?
Honorer un dieu de fraîche date, un conquérant des anciens jours. Un peu de vin, dis-je.
Donne-moi le gobelet d'or enrichi de perles, qui porte le nom de coupe de Nemrode. Remplis-le, et présente-le moi aussitôt.
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На этой странице вы можете прочитать онлайн книгу «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7», автора Джорджа Гордона Байрона. Данная книга имеет возрастное ограничение 12+, относится к жанру «Зарубежная старинная литература».. Книга «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7» была издана в 2017 году. Приятного чтения!
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